dimanche 17 mars 2019

De l’idéologie de l’extrême droite à l’attaque terroriste de Christchurch, il n’y a qu’un pas que Brenton Tarrant a franchi (Art.601)


Vendredi, c’était une autre journée sombre dans l’histoire de l’humanité. 50 morts dans deux mosquées de Christchurch, dont un garçon de 3 ans qui accompagnait son père, un ado de 14 ans, un ingénieur-retraité afghan qui y vit depuis 1977, un réfugié syrien installé depuis moins d’un an, une femme qui voulait protéger son mari en chaise roulante, un chirurgien cardiovasculaire réputé, et tant d’autres innocents tués par la barbarie d’un homme qui se défit comme « raciste » et « fasciste ». Dix réflexions.

Masjid al-Nour de Christchurch
Photo de Tessa Burrows / AFP

 1 Cet acte terroriste n’est pas sans rappeler les tueries de masse survenues en France, en Norvège et en Egypte ces derniers temps, qui ont visé respectivement un peuple considéré alors comme chrétien et athée, un groupe de jeunes pour leurs opinions de gauche favorable à l’immigration et des personnes clairement de foi chrétienne. La particularité de l’attaque terroriste de la Nouvelle-Zélande, c’est qu’elle touche des individus visés uniquement parce qu’ils étaient musulmans. On voit bien que l’extrémisme est sans foi ni loi et les extrémistes n’ont ni Dieu ni maitre.

 2 Le terroriste a filmé la scène et l’a diffusé en direct. Les images sont abominables. Ce n’est pas la première fois qu’un psychopathe se met en scène. Ça ne sera pas la dernière. Autre exemple de cette perversion des réseaux sociaux, le lynchage cybernétique qui a eu lieu au Liban il y a quelques jours et que j’ai dénoncé dans mon dernier article. Sans preuve, sans défense, sans procès, on décrète, on condamne, on exécute. Cette dérive n’a plus de limites. Les réseaux sociaux sont devenus de formidables moyens pour cultiver l’égocentrisme, abrutir les esprits, justifier la violence, banaliser la haine, propager les fake news, etc. Les gilets jaunes ont réussi l’exploit d’être tout cela à la fois et d’avoir pignon sur rue, grâce aux réseaux sociaux. A vrai dire ce n’est pas la faute de ces plateformes en soi. Celles-ci restent d’extraordinaires outils d’échange et de communication, l’agora des temps modernes. C’est l’usage qu’on en fait qui pose problème. Une chose est sûre, il faudra tenir compte des défauts du système afin de l’améliorer. A défaut, les réseaux sociaux deviendront le terreau du populisme.

 3 D’après les premiers éléments de l’enquête, le terroriste australien appartient à la mouvance d’extrême droite. Il a contacté le terroriste norvégien (tuerie d’Oslo en 2011, 77 morts), pour obtenir sa bénédiction. C’est un adepte du « Grand remplacement », comme le confirme le titre de son manifeste envoyé à 70 personnes médiatiques et politiques, dont la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern, et publié sur internet 1h avant le grand massacre. C’est une théorie du complot popularisée par un écrivain français, Renaud Camus, qui circule dans les milieux d’extrême droite, selon laquelle les populations européennes sont progressivement remplacées par des populations non-européennes, noires et musulmanes, avec la complicité des hommes politiques, des intellectuels, des élites et des journalistes.

 4 Parmi les éléments déclencheurs du passage à l’acte du terroriste, on retrouve:

. Primo, un voyage en France, où il aurait vérifié la véracité de la théorie du grand remplacement.

. Secundo, la défaite de la haute représentante des poudres de perlimpinpin, Marine Le Pen, au second tour de l’élection présidentielle, qui « lui a fait perdre tout espoir dans une solution politique », malgré l’arrivée à la Maison blanche d’un bouffon, Donald Trump, le « symbole de l’identité blanche renouvelée ».

. Tertio, la conviction que sa tuerie provoquera un vif débat sur la détention d’armes à feu aux Etats-Unis, qui pourrait s’élargir sur d’autres sujets clivants d’ordres sécuritaires et identitaires. Il espérait qu’un climat de tension provoquerait un clash entre les communautés américaines qui déboucherait sur la balkanisation des Etats-Unis et une guerre civile. Un scénario apocalyptique qui entrainerait une séparation communautaire, la mort du melting-pot et le triomphe de la race blanche.

Après l’attaque terroriste au camion-bélier dans une rue piétonne du centre de Stockholm (Suède, 2017), commis par un demandeur d’asile islamiste ouzbek, qui fit cinq morts dont une fillette de 11 ans, il se radicalise et décide en tant qu’homme blanc de prendre les armes pour lutter contre les envahisseurs et venger les Européens tombés au cours des invasions islamiques dans le passé et lors des attaques terroristes récentes.

 5 Certes, l’acte terroriste de Brenton Tarrant est isolé. Il ne fait pas partie d’une mise en œuvre d’un plan établi par le Spectre et l’union des parties d’extrême droite. Il n’empêche que son manifeste, de 74 pages, et ses motivations, franco-américano-européennes, puisent leurs racines dans l’idéologie de l’extrême droite. Les Le Pen, père, fille et petite-fille, font référence, directement ou indirectement et régulièrement, au soi-disant risque de remplacement de la population en France et en Europe. Laurent Wauquiez, président LR, y croit, Nicolas Dupont-Aignan l’a adopté comme une réalité et pour Philippe de Villiers, le grand remplacement est même un plan de l’ONU. Robert Ménard, l’énigmatique ex-RSF, a considéré l’élection de l’actuel maire de Londres, Sadiq Kahn, comme le symbole du grand remplacement en cours. Alain Finkielkraut et Michel Houellebecq, abordent le sujet avec plus de subtilité et de camouflage. Eric Zemmour est le champion en titre, il détient le record incontesté. « Le grand remplacement, il est en cours », c’était en octobre dernier.

 6 Même son de cloche, de l’autre côté de l’Atlantique avec Donald Trump, l’extrême droite américaine et les suprémacistes blancs. Ces derniers sont à l’origine de l’intoxication générale du monde en décembre dernier, relayée par Le Pen & Co, et des gilets jaunes aussi, que l’ONU veut diluer les populations européennes avec des centaines de millions de migrants, le pacte de Marrakech. Alors qu’en réalité cet épouvantail n’est qu’une déclaration de principe non contraignante sur le plan juridique, dont l’objectif est de faire face à la crise des migrants, qui tue encore tous les ans des milliers de personnes en Méditerranée, conformément aux lois en vigueur dans l’Union européenne et aux valeurs humaines de l’Europe. Le texte affirme clairement que chaque pays est souverain en matière de politique migratoire.

 7 Bien sûr aucune de ces personnalités françaises ne justifiera ce nouveau crime contre l’humanité. Il n’empêche que leur discours ostracisant les étrangers en général, les noirs et les musulmans, en particulier, conduit de facto des esprits dérangés comme celle de Brenton T. et Anders Behring Breivik, à passer à l’acte. Toujours est-il qu’après chaque attentat commis par un individu se réclamant de l’islam, on a eu l’habitude d’entendre une foule en furie exiger de l’Etat et des musulmans d’Occident, l’exclusion, la dénonciation, des clarifications, des justifications, des réformes, des mesures, etc. Après la double attaque terroriste de Christchurch, qui fait écho à la double attaque terroriste d'Oslo et d'Utoya, il y a comme un effet boomerang. On est tenté d’émettre les mêmes exigences des partisans des extrêmes droites d’Occident.

 8 Les victimes sont à peine enterrées, que les rapaces sont déjà à l’œuvre pour exploiter le drame. Les exemples sont nombreux mais je n’en donnerai qu’un, Mohammad Jawad Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères que des Occidentaux naïfs ont pris pour un partenaire respectable. « L’hypocrisie occidentale qui défend la diabolisation des musulmans sous le prétexte de la ‘liberté d’expression’ doit s’arrêter. L’impunité dans les ‘démocraties’ occidentales pour promouvoir la bigoterie mène à cela ». Foutaises.

S’il y des contrées où il fait bon de vivre dans ce monde de nos jours, que l’on soit athée ou croyant, chrétien ou musulman, c’est en Occident et nulle part ailleurs. Non, ce qui mène à cela, entre autres, c’est le fait qu’un grand pays comme l’Iran soit encore contrôlé sur les plans politique, militaire et idéologique - en l'an de grâce 2019- essentiellement par des hommes religieux. Ce qui conduit à cela, c’est de venir à Beyrouth il y a quelques semaines seulement, afin de commémorer le 40e anniversaire du triomphe de la révolution iranienne et la proclamation d’un État islamique chiite, qui n’a apporté que malheur pour le peuple iranien et les peuples du Moyen-Orient. Ce qui conduit à cela, c’est d’avoir un régime extrémiste des mollahs qui ne s’est jamais caché de vouloir exporter la Révolution islamique chiite dans la région et qui a participé à la guerre en Irak et en Syrie, ce qui n’a pas manqué de créer le terreau fertile pour l’épanouissement de l’extrémisme sunnite d’al-Qaeda, responsable du 11-Septembre, et de Daech, responsable du 13-Novembre.

 9 Qui connait Christchurch vous le dira, c’est un des rares endroits sur Terre, où l’on se sent vraiment au bout du monde. Et pourtant, le psychopathe s’est senti menacé par les envahisseurs. Comme quoi tout est une question de perception. En tout cas, une question s’impose : comment a-t-il pu se procurer cet arsenal meurtrier ? Difficile à croire, le plus simplement au monde car là-bas, il suffit d’avoir 18 ans et toutes ses dents, d’obtenir un permis dont la délivrance ne prend en compte que les antécédents judiciaires et psychiatriques, et d’aller s’offrir une arme militaire semi-automatique de son choix. Il n’y a même pas d’obligation d’enregistrer son arme. Dans ce pays paisible, la Nouvelle Zélande, personne n’a pensé qu’un psychopathe profiterait de cette législation caduque pour notre époque pour tuer de sang froid 50 personnes.

 10 Que les victimes reposent en paix et que le tueur et ses complices aillent au diable.