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Et voilà qu’on découvre dans cette nouvelle mise en scène mise en
ligne le 27 octobre, un otage britannique, John Cantlie, engagé de force ou
de gré, ce n’est pas clair pour l’instant, à jouer le rôle du « reporter libre » dans la ville syrienne
de Kobané, où la guerre fait rage actuellement entre les forces kurdes et
celles de Daech. Comme l’affaire n’est pas banale, quelques remarques s’imposent sur cette nouvelle campagne de communication de « l’Etat
islamique » qui vise à la fois les populations occidentales, les
communautés sunnites d’Orient et d’Occident et les moudjahidines de tout poil
de Syrie et d’Irak.
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Ainsi, John Cantlie n’est pas à sa
première. Il est apparu dans cinq vidéos
de « l’Etat islamique » en un mois et demi, vêtu à chaque fois d’une tenue orangée. Toutefois, dans celle postée il y a trois jours, on note
une rupture dans le choix vestimentaire, le cadre du tournage et le ton du
message. Daech apprend vite. Les mises en scène sordides n’ont pas eu
l’effet escompté : terroriser les Occidentaux au point de soulever les
populations contre leurs gouvernements pour les empêcher d’engager leurs forces
militaires contre l’organisation terroriste. C’était tellement naïf. Les voilà donc
qui se décident à opter pour la méthode douce. Dans la nouvelle vidéo, sous-titrée en arabe, le spectateur se retrouve
dans un cadre urbain, parfaitement identifié, Kobané, une ville du nord de
la Syrie qui était sur le point de tomber jusqu’à ce que les frappes aériennes
arabo-américaines n’arrêtent l’avancée des djihadistes. Le bourreau s’est converti en réalisateur et s’est éclipsé derrière
la caméra. Aucune trace du couteau de la terreur, ou même d’une kalachnikov de
combat. La vedette c’est l’otage
occidental, la victime est à l’honneur. John Cantlie est habillé en tenue noir, comme les djihadistes, barbichette taillée et moustache rasée, comme beaucoup d'islamistes. Il
est debout et se promène librement
dans la ville kurde. Il n’y a aucune
revendication en 5 minutes et 32 secondes, encore moins de menaces ou
d’actes de barbarie. Il y a une sérénité
étonnante qui se dégage de cette vidéo, tournée soi-disant sur un théâtre de
guerre. Qui prendrait le « faux reportage » en route croirait qu’il
est tombé sur l’émission « Des
racines et des ailes » ou un documentaire de la BBC. Le message est on ne peut plus clair :
« l’Etat islamique » est non seulement toujours présent à Kobané,
malgré les frappes aériennes, mais il ne craint rien ni personne. Au loin,
on entend quelques rafales d’armes automatiques, seulement, comme pour démentir
que la ville est à feu et à sang, comme
pour signifier que les combats intenses sont terminés, les djihadistes procèdent
à la prise en main de la ville et pour en finir avec quelques poches de
résistance. Aucune trace de l’aviation ennemie. Peu de choses rappellent la
guerre, si ce n’est la désolation dans la ville en background et un passage de quelques secondes où l’on voit des
hommes en uniforme, qui peuvent très bien appartenir à n’importe quelle armée,
passés paisiblement sur un trottoir. Le réalisateur djihadiste a pris un grand
soin de ne pas montrer leur barbe. Vous l’avez compris, tout est méticuleusement étudié, au point que le reporter
britannique apparait d’un sang-froid remarquable. Contrairement aux vidéos
précédentes, il est très décontracté. Il
se permet même un trait d’humour très british.
Alors qu’il parle des « médias
occidentaux qui disent que... », il s’interrompt, tourne la tête à
droite puis à gauche, et balance d’un ton sarcastique : « je ne vois aucun journaliste
d’ailleurs ». A ce stade, il est certainement très difficile de savoir si John
Cantlie s’exprime sous la contrainte ou tente en bon acteur, de sauver sa peau,
voire s’il n’est pas réellement atteint du syndrome
de Stockholm, qui est caractérisé par l’empathie et la sympathie éprouvées
par certains otages pour leurs ravisseurs.
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Il est clair que Daech n’est pas constituée
uniquement d’abrutis moyenâgeux de Mésopotamie, du Cham et du Qalamoune. J’ai
dit « uniquement », donc il y en a, mais pas que ça. L’organisation attire -ou fait appel, qu’importe- des gens qui réfléchissent,
établissent un plan de communication et maitrisent un ensemble de moyens
technologiques modernes, nécessaires pour communiquer. D’accord, mais il
n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard. Il n’empêche que le dernier
reportage, tourné en haute définition svp, est « pro » à tous les niveaux. Pour le réaliser, « l’Etat
islamique » a eu recours, comme il l’indique sur l’écran, à un « drone de l’armée de l’Etat
islamique ». Ok, là aussi, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à
un canard. La République islamique d’Iran et le Hezbollah usent et abusent de
toutes sortes de subterfuges, drones compris, pour combler leur retard technologique et faire croire que l’obscurantisme
religieux ne les a pas relégué dans la préhistoire, ils peuvent se mesurer
aux grandes puissances militaires locorégionales, et affronter la coalition
arabo-occidentale dans le cas des djihadistes.
En visionnant cette vidéo à plusieurs
reprises, j’ai compris qu’il est parfois plus intéressant, et moins coûteux, de
donner l’impression d’être fort que
de l’être réellement, surtout si on n’a aucune chance de le devenir. Il n’est pas difficile d’imaginer
l’abattement des djihadistes en Syrie devant la puissance de feu des avions de
chasse américains, français, émiratis et saoudiens, et leur totale
impuissance face aux missiles téléguidés de la coalition. Pour compenser cette double frustration militaire, ils se sont alors
jetés corps et âme dans la bataille de Kobané. Mais comme je l’ai dit dans
un article sur la 4e guerre du Golfe, la terreur, qui a conduit l’armée
irakienne à leur offrir Mossoul sur un plateau en argent, fonctionne à double
sens. Actuellement, c’est bel et bien la
coalition anti-daech qui soulève un vent de panique dans les rangs des djihadistes. Il était donc urgent pour
ces derniers de démontrer qu’ils ne le sont pas. D’où la raison d’être de cette vidéo qui s’adresse donc aux
moudjahidines de Syrie et d’Irak. Il existait une nécessité impérieuse de remonter
le moral des troupes de « l’Etat islamique ». On sait que la
propagande fait partie de la communication en temps de guerre. La technologie
numérique est ici utilisée d’une manière très intelligente par Daech pour
compenser la faiblesse technologique de l’organisation terroriste sur le plan
militaire.
Mais ce n’est pas tout. La vidéo du 27 octobre s’adresse aussi aux
populations sunnites d’Orient comme
d’Occident, dans le but d’impressionner la jeune génération de « l’Etat
islamique » d’Irak et du Levant, mais aussi, de « l’étranger ». Quand
l’usurpateur du califat et de l’islam, Abou Bakr el-Baghdadi, « calife Ibrahim », appelle les
musulmans du monde à rejoindre les rangs des djihadistes, il sait très bien qu’il
ne s’adresse pas Hajj Moustafa et à Oum Kolsoum, de Tunis, Paris, Beyrouth ou Londres, mais
à leurs enfants. Cette vidéo est faite pour donner une illusion de puissance et
faire croire que « l’Etat islamique » se bat à égalité contre la
coalition occidentale et arabe. Personne n’est dupe. Daech sait très bien qu’il ne peut pas l’emporter sur le plan militaire
dans cette confrontation engagée depuis le mois d’août avec les forces
occidentales et arabes, même si l’organisation affirme que « les Américains savent, les moudjahidines aussi, que malgré toute
leur puissance aérienne, ce ne sera pas suffisant pour vaincre l’Etat islamique
à Kobané ou ailleurs ». « L’Etat
islamique » sait que les frappes aériennes l’affaibliront considérablement
à terme, même sans troupes au sol. Il sait parfaitement que sa force est
ailleurs. Il faut la mobiliser. Elle est dans sa triple capacité à amplifier
les instincts identitaires religieux islamiques chez les musulmans, à réveiller
les rancunes des communautés sunnites à l’encontre des communautés chiites, et
surtout, à attirer la jeune génération. La vidéo vise à redorer le blason des
terroristes auprès des Occidentaux de confession musulmane et
tenter de recruter de nouveaux candidats djihadistes parmi eux. Le début de sa
présentation qui rappelle les jeux vidéos, ne doit rien au hasard.
Est-ce un tournant dans la
stratégie de communication de « l’Etat islamique »? C'est en tous cas, une tentative. Tout est
soigneusement étudié. La vidéo est faite pour être visionné jusqu’au bout. Elle ne
fait pas appel à l’instinct des spectateurs mais à leur raison. Elle s’adresse autant aux populations
occidentales qu’aux communautés sunnites et aux moudjahidines. Le
triple objectif de Daech est de déstabiliser l’opinion publique occidentale, en la
faisant douter, d'assurer un flux de
recrutement continu de djihadistes étrangers, notamment des convertis, et de rassurer les troupes sur le terrain,
dont la frustration face aux frappes aériennes est grandissante. Une phrase résume
bien ce triple objectif, c’est celle de la fin : « La guerre en milieu urbain, la plus dure et la plus complexe de
toutes, est la spécialité des moudjahidines ». Je vous ai dit, sur le plan
de la « com’ », cette vidéo est parfaite. Hélas, triple hélas !
Une dernière chose. On dit que le diable se
cache dans les détails. Et pourtant celui-là saute aux yeux dès le début. Le titre de ce reportage de propagande
résume parfaitement la nouvelle stratégie de l'organisation terroriste : « Minn
dakhil 3ein el islam » (Inside Ayn al-Islam, A l’intérieur de Ain
al-Islam). Vous avez bien lu, ce n’est ni le nom kurde usuel de
« Kobané », ni le nom arabe habituel de « Ain el-Arab ».
C’est « Ain al-Islam », la « source de l’islam » ! Daech veut se placer au-delà de la division
ethnique, en imposant « l’islam » comme l'élément fédérateur. Encore une fois, sur le plan de la « com’ »,
c’est excellent. Alors, gare à ceux qui sous-estiment leurs adversaires. Il
faut donc tenir compte de ce changement tactique de communication. Il y va de l’intérêt des pays arabes et
occidentaux, ainsi que du succès de la coalition arabo-occidentale qui
est actuellement engagée pour « affaiblir et détruire l’Etat islamique ».