


4. Comme l’argent est le nerf de la guerre,
les finances sont au cœur de ce référendum. Oui le Royaume-Uni paie à l’Union
plus qu’il ne reçoit. Mais pas autant que le laissent croire certains
populistes favorables au Brexit (460 millions €/semaine!). En tout cas, on commet
une erreur monumentale en réduisant toutes les conséquences du Brexit à ce bilan simpliste.
En cas de sortie du Royaume-Uni de l’Union
européenne, les marchés financiers seront perturbés et les investissements gravement
affectés. Il y aura forcément une chute du PIB anglais de 3,4 à 9,5%, selon une analyse présentée au Parlement anglais par George Osborne, chancelier de l'Échiquier du Royaume-Uni, qui est à la tête
du Trésor de Sa Majesté. Ainsi, selon le ministre anglais des Finances, en cas
de Brexit, la perte globale nette pour
le Royaume-Uni est estimée à 26 milliards €/an, 47 milliards €/an ou 59 milliards €/an,
selon le scénario de sortie de l’Union européenne et l’alternative adoptée par
la suite. Dans cette optique il y en aura trois alternatives : adhérer
à l'Espace économique européen, comme la Norvège ; négocier un accord
bilatéral avec l’UE, comme la Suisse, la Turquie ou le Canada (le plus
probable) ; se contenter d’être membre de l’Organisation mondiale du commerce, sans
accord spécifique avec l'UE, comme la Russie ou le Brésil. Le verdict du
ministère des Finances est sans appel : « Le Royaume-Uni serait définitivement
plus pauvre s’il quitte l'UE et adopte l'un de ces modèles (alternatives à l’UE) ».
La perte nette par ménage à terme est
estimée à 3 400 €/an, 5 600 €/an ou 6 800 €/an, selon l’alternative
adoptée. Soyez-en sûrs, ce n’est ni Boris Johnson ni Nigel Farage qui vont en parler et
en pâtir.
5. Le référendum d'aujourd'hui n’est pas le premier du genre au Royaume-Uni. Moins de deux ans et demi après son adhésion aux Communautés européennes le 1er janvier 1973, les Anglais étaient appelés aux urnes pour décider de continuer la route ou pas. Deux tiers des votants avaient répondu favorablement à l’époque. Par ailleurs, il faut savoir aussi que le Royaume-Uni bénéficie de multiples dérogations dans plusieurs domaines, comme la libre circulation des personnes (espace Schengen) et la monnaie unique (euro). Les Anglais devraient donc décider une fois pour toutes, s’ils souhaitent faire partie de l’Union ou pas. Comme l’a bien résumé Gordon Brown, l’ancien Premier ministre anglais, « nous devrions être leaders en Europe, pas la quitter ». Le Royaume-Uni n’a pas à se poser la question d’être ou de ne pas être dans l’Union, autant qu’il doit se demander effectivement comment devenir leader de l’Union européenne. C’est ce qu’on attend du pays qui fut un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais.
6. Cela dit, l’Union européenne dans son
ensemble, est pleinement responsable de l’épidémie
d’euroscepticisme en Europe. Trop bureaucratie tue l’Union, on le sait. Londres
est trop libérale et pro-américaine, on le sait aussi. Mais si l’Union ne
séduit pas autant de nos jours, c’est aussi parce que les dirigeants européens depuis 1990 ont mal construit l’Europe. Zappons
l’harmonisation du marché du travail ou de la fiscalisation des individus et
des entreprises. Limitons-nous à la géographie par exemple. Oublions la Turquie,
j’y reviendrais. La Roumanie et la Bulgarie étaient-ils prêts pour
rejoindre l’ensemble ? L’Albanie et la Serbie ont-ils vocation à y être ? Est-ce
qu’Israël et les pays du Maghreb peuvent-ils un jour faire partie de l’UE,
comme certains le voudraient ? Enfin, elle va jusqu'où cette Union européenne ?
Les derniers élargissements de l’UE -2004,
2007 et 2013- furent des erreurs. Il
aurait fallu arrêter ou ne serait-ce que
suspendre la construction européenne à quinze et instaurer des partenariats
privilégiés avec les pays de l’Est. Au lieu d’élargir l’Union sans fin et
sans limite, à un « rythme insoutenable »
comme cela a été décidé par le Conseil européen de Copenhague en 1993 (le
nombre des États membres de l'Union européenne a quasiment doublé, avec de
grandes disparités régionales et des coûts d’intégration importants), il était préférable de consolider l’acquis
et de renforcer l’Union existante. C’était déjà difficile à quinze. C’est ingérable
à vingt-huit. Au-delà de l’économie, les dirigeants européens ont perdu de vue en
cours de route et avec les années, que les motivations de l’UE étaient aussi
politiques. Aujourd’hui, 59 ans après, l’Europe
politique est une entité faible. Ce qui n’empêche pas les eurosceptiques de
se plaindre du fonctionnement de l'UE et de la mainmise de Bruxelles sur les souverainetés nationales. En tout cas, les Anglais assument une grande part de responsabilité dans la situation actuelle de l'UE qui conduit une partie d'entre eux à vouloir partir. Au fil des ans, ils n'ont cessé de réclamer de nombreuses exemptions d'obligations et ils se sont montrés toujours très enthousiastes aux multiples élargissements.

8. Hasard des coïncidences, pas très
heureuses, au moment où les discussions
au sujet de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne viennent d’être
relancées, les Européens risquent de perdre un des piliers de cette Union et de l'histoire européenne, le
Royaume-Uni. C’est insensé, c’est absurde, c’est même surréaliste ! Rappelons
dans ce sillage, qu’il y a quelques mois, Recep Tayyip Erdogan, le président
turc, a fait chanter l’UE carrément, en exigeant la relance du
processus d’adhésion, comme condition sine qua non, afin d’accepter de conclure
un accord avec les pays européens et de s’engager enfin, pour une meilleure
maitrise des flux migratoires et djihadistes, de et vers l’Europe.
En tout cas, je reste persuadé que la place des héritiers de la Sublime Porte
n’est pas sur la rive droite du Bosphore, mais sur la rive gauche. Son adhésion, qui est loin, même très
loin, d’être acquise, comporte beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages pour l’Europe.
Dans les meilleurs des cas, à court terme, elle renforcerait les partis d’extrême droite dans tous les pays de
l’Union. Dans les pires des cas, à long terme, elle risquerait de faire éclater l’Union européenne. Par contre, je suis
convaincu que la Turquie a un rôle
fondamental à jouer dans la modernisation et la démocratisation des des pays arabo-musulmans du Moyen-Orient. Cette adhésion occidentale compromettra
ce rôle oriental. Entre l’Union européenne et la Turquie, il faut plutôt
développer les relations de « partenariat privilégié ».
Et comme l’histoire sait se montrer
particulièrement ironique, il faut savoir que globalement, le Royaume-Uni, contrairement
à la France et l’Allemagne, soutient depuis longtemps l’entrée de la Turquie
dans l’Union européenne. Ainsi, la
perspective du Brexit inquiète beaucoup la Turquie. Cela l’a amené à faire un aveu
à travers son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu : « nous voulons que le Royaume-Uni reste
à tout prix dans l'Union européenne ». Et ce n’est pas tout. On trouve
dans l’argumentation des partisans
anglais du Brexit, justement, la crainte que l’adhésion de la Turquie à
l’Union européenne ne déclenche une forte
migration turque vers le Royaume-Uni. «
Douze millions de Turcs disent qu'ils veulent venir au Royaume-Uni », c’était
la Une du Sunday Express il y a un mois. C’est ce qui a amené le Premier
ministre David Cameron, opposé au
Brexit, pourtant favorable à l’adhésion de la Turquie dans le passé, a rassuré
ses compatriotes. « Cela prendrait
des décennies avant qu'on se retrouve face à cette éventualité. La Turquie a déposé sa candidature en
1987. Au rythme où avancent les choses,
il faudra attendre l'an 3000 pour la voir adhérer à l'Union européenne. »
9. L’enjeu du referendum anglais dépasse
l’île britannique et même le continent
européen. De Victor Hugo à Recep Tayyip
Erdogan, tout le monde est suspendu à cette journée
historique. Les vivants comme les morts. La souveraineté nationale, l’argent et
l’immigration constituent la trame de l’argumentation des uns et des autres «
to remain » ou « to leave ». « Brexit »
(British exit) or « Bremain »
(British remain) ? Quel dilemme ! Mais enfin, puisque la rime est forte, #BritainRemain, et qu'on en finisse. Les résultats
seront annoncés demain.
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