vendredi 17 août 2012

Il est temps que les rebelles de Syrie réévaluent l’efficacité de leur stratégie ! (Art.70)


« Retrait tactique » ! La dernière fois que j’ai entendu ces termes, je me trouvais dans un jardin, aux alentours de minuit, bi leilé ma fiya daw amar, sous une magnifique voûte céleste, et je retenais mon souffle. Les cloches de l’église Mar Maroun sonnaient le glas. Des explosions retentissaient aux quatre points cardinaux du village. Mes oreilles ne parvenaient plus à distinguer le bruit des obus qui s’arrachaient à la gravité terrestre du bruit des obus torrentiels qui s’abattaient sur les habitations. Nous étions en septembre 1983, le 3 ou le 6, ou entre le 3 et le 6, et qu’importe. L’armée israélienne venait de se retirer du Chouf quelques jours auparavant en veillant bien à favoriser les miliciens du Parti socialiste de Walid Joumblatt au détriment de ceux des Forces libanaises menés par Samir Geagea. Face aux « ja7éfil », ce mot aussi résonne encore dans mes oreilles, syriens, palestiniens et libanais auto-proclamés « progressistes », Mourabitoun, Awmiyé, Chouyou3iyé et Amal, déferlaient sur tous les fronts du sud du Mont-Liban, et parce que le président Amine Gemayel n’a pas pu donner l’ordre à temps pour le déploiement de l’armée libanaise dans la région de Bhamdoun, Geagea décida de retirer ses forces de la région, un « retrait tactique » selon l’info qui circulait. En réalité, cela s’est traduit non seulement par le retrait des combattants, mais aussi par l’exode de la population chrétienne vers Deir el-Qamar lors de combats particulièrement meurtriers, des massacres d’une partie de cette population qui décida de rester chez elle et un siège de la ville par la milice druze, long (de plusieurs mois) et hermétique (où vivres et médicaments n’étaient accordés qu’au compte-gouttes), afin d’obliger la population chrétienne à remettre Hakim au Bek. Depuis cette nuit, tout « retrait tactique » me laisse sceptique !

Cela fait 17 mois qu’une intifada secoue la Syrie et 17 mois que deux tableaux se dessinent. D’un côté, la liberté guidant le peuple syrien et de l’autre côté, la tyrannie guidant le clan des Assad. Depuis 17 mois, les manifestations pacifiques spontanées font face à une répression militaire programmée. La bravoure de la population syrienne n’est plus à conter, la sauvagerie du dernier tyran des Assad non plus ! Au fil des mois, les manifestants se sont organisés. Aujourd’hui deux institutions regroupent la majorité des forces de l’opposition syrienne. On a d’une part, une institution politique, le Conseil national syrien (CNS), il est basé en Turquie et d’autre part, une institution milicienne, l’Armée syrienne libre (ASL), qui se bat sur le terrain. On peut dire que le CNS et l’ASL ont pris en main la lourde destinée du peuple syrien. L’avenir de la Syrie dépend d’eux, et d’eux seuls ! Oui, mais...

L’analyse des 17 mois de révolte en Syrie permet de définir 3 axes dans la stratégie globale suivie par les rebelles pour faire tomber le dernier tyran des Assad : la guérilla urbaine, la désertion et le modèle libyen. Et si on faisait le point ?

1. La guérilla urbaine

Le 18 juillet un attentat secoua la capitale syrienne. Des combats de rue s’en suivirent, engagés pour « la libération de Damas ». Malgré l’emballement général sur la toile et dans la presse, les analystes s’interrogeaient en coulisse sur la nature de ce qui se passait dans la capitale syrienne : est-ce un coup d’Etat ou un coup d’éclat ? Deux jours plus tard, les rebelles décidèrent de s’emparer de certains quartiers d’Alep. Les soldats de Bachar se sont fait attendre, poussant certains commandants de l’ASL à annoncer la chute du régime d’Assad au mois de ramadan! Hélas, l’euphorie n’a duré que quelques jours. L’armée syrienne se jeta dans la bataille de tout son poids. Le 9 août, l’ASL a fini par annoncer son « retrait tactique » du quartier de Salaheddine, « en raison d’un bombardement inouï ». Aujourd’hui Alep est toujours soumis à un déluge de fer et de feu, comme naguère le « réduit chrétien » au Liban en septembre 1983, par les deux protagonistes, des frères-ennemis aujourd’hui ! Avec ce recul de plusieurs semaines, on peut affirmer sans risque, que l’attentat et les combats de Damas n’étaient que des coups d’éclat, la libération de la Syrie ville par ville est renvoyée aux calendes grecques et la chute du clan Assad à Damas -notez bien « à Damas », l’option « Etat des Alaouites » sera réactivée le moment opportun- ne se concrétisera pas au cours du mois de ramadan de l’année 2012 !

Alors question, que s’imaginaient les rebelles syriens après l’attentat et les combats de Damas ? Que Bachar El-Assad allait abdiquer dans l’après-midi ! Etait-il difficile de prévoir la riposte brutale de l’armée de Bachar à Alep après 17 mois de confrontations ? Double non évidemment. On note là une stratégie bien déterminée chez les rebelles, celle de la guérilla urbaine. Celle-ci consiste à harceler les forces gouvernementales. Elle repose sur le même principe des combats de boxe : à défaut de vaincre par KO, vaincre aux points !

Certes, la guérilla offre les avantages de l’initiative et de la mobilité, ce qui permet de multiplier les fronts à moindre frais. Elle permet de décider du timing et du lieu, donc de disperser les forces du régime syrien et les rendent plus vulnérables. Mais toute guérilla se caractérise aussi par 2 éléments importants : elle est longue et meurtrière ! La guérilla des rebelles en Syrie n’échappe pas à la règle. D’ailleurs cette révolte dure depuis 17 mois déjà ! Personnellement je l’avais prévu dès le 23 mars 2011 ! Et contrairement aux affirmations bidon d’Hillary Clinton, piètre diplomate, qui s’occupe comme elle peut en attendant les élections américaines de novembre prochain, rien n’indique concrètement que le régime vacille ou faiblit. Ni l'exclusion symbolique de la Syrie par l'Organisation de la coopération islamique, ni les déclarations folkloriques de Riyad Hijab, l'ex-Premier ministre (Assad ne contrôlerait plus que 30% de la Syrie), n'est de nature à le prouver ! Quant au bilan, il est lourd, très lourd déjà ! Les 17 mois de violence ont fait plus de 21 000 morts, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), une ONG basée en Grande-Bretagne, des dizaines de milliers de blessés, des centaines de milliers de déplacés (150 000 réfugiés dans les pays frontaliers dont 37 000 au Liban) et des millions de personnes terrorisées ! Pour résumer, disons que les objectifs ne sont donc pas atteints et le bilan est très lourd ! Par conséquent, on est en droit de se demander si le choix de la guérilla urbaine par les rebelles de Syrie est réellement le moyen le plus approprié pour renverser le dernier tyran de Damas ?

2. La désertion

Autre stratégie importante, c’est celle de la désertion. Les rebelles misent sur l’abandon des soldats et des fonctionnaires du régime d’Assad. Ils revendiquent déjà 40 000 déserteurs. Pourtant, plusieurs éléments font douter de l’efficacité de cette stratégie.

Le premier remonte aux dernières élections législatives en Syrie. Il a été noté au début du mois de mai 2012, une nette désertion au moment de ces élections, mais dans l’autre sens ! En effet, le jour du vote une partie des travailleurs syriens au Liban ont quitté leurs chantiers pour retourner dans leur pays. Cela prouve au moins une chose : la terreur du régime fonctionne relativement bien ! Craignant pour leur famille, ces travailleurs sont rentrés donner l’impression d’accomplir leur devoir civique. Si des travailleurs immigrés au Liban craignent pour leurs familles, que dire alors des militaires et des fonctionnaires syriens qui vivent au milieu des forces armées et des forces de sécurité !

Le second est une analyse de bon sens. Malgré le chiffre avancé par les rebelles, aucun déserteur n’a réussi encore à partir avec un des 4600 chars de combats que possède l’armée syrienne (T-72, T-62, T-54), un des 2200 véhicules blindés d’infanterie (BMP), un des 1700 pièces d’artillerie (122 à 180 mm), un des 435 avions de combats (MiG), un des 70 avions d’attaques (Soukhoï), un des 98 hélicoptères d’attaques (Mi ou Gazelle)... je reprends mon souffle et je continue, avec un missile antichar guidé, avec un missile de défense antiaérienne, avec une frégate, un patrouilleur, une vedette, etc. Bref, l’armée syrienne dispose d’un arsenal impressionnant hérité de l’époque soviétique et alimenté généreusement par les Russes. Il est encore quasi intact ! Alors de deux choses l’une : soit le chiffre des déserteurs est exagéré, soit le régime d’Assad contrôle efficacement son arsenal. Dans les deux cas, cela prouve que le régime n’a pas faiblit comme on le prétend ! L’armée syrienne comptait jusqu’à 325 000 hommes et autant de réservistes! Si on rajoute les forces de sécurité et les milices inféodées au régime de Bachar El-Assad, le nombre passe à 7 chiffres ! Mathématiquement, les déserteurs sont donc encore loin de remporter la bataille des chiffres !

Le troisième concerne les hauts gradés et les hauts fonctionnaires qui font défection, avec deux noms illustres : Manaf Tlass et Riyad Hijab. Il est incontestable que ces deux défections constituent un coup dur pour Bachar El-Assad. Mais il ne faut pas oublier que Manaf Tlass -fils de Mustafa Tlass ancien ministre syrien de la Défense entre 1972 et 2004, responsable du massacre de Hama en 1982 et en partie de la politique syrienne au Liban; il vit actuellement à Paris- n’est qu’un général de brigade ! Quant à Riyad Hijab, l’importance symbolique de sa défection est nuancée par plusieurs faits : non seulement l’ex-Premier ministre (PM) n’a aucun poids politique, mais cette info ne saurait faire oublier qu’un pays comme la Syrie possède par exemple plus d’une centaine d’ambassadeurs dans le monde et qu’à ce jour les défections diplomatiques se comptent sur les doigts d’une seule main !
Et enfin, si l’on tient compte de l’information d’un diplomate arabe « qui a souhaité garder l’anonymat » de la mise en place il y a 3 mois par l’Arabie saoudite, le Koweit et Qatar d’un fonds de 15 milliards de dollars pour encourager des personnalités syriennes à lâcher Bachar El-Assad, on peut dire que la « stratégie de la désertion » est loin de porter ses fruits ! Elle reste à un niveau bas. La cohésion du régime tient merveilleusement bien.

Il y a bien une raison à cela ! D’un point de vue théorique, il faut savoir que la désertion implique 2 choses : pouvoir fuir avec ses proches, pour éviter les représailles, et le cas échéant, la vente des biens et le transfert des comptes bancaires à l’étranger, à moins de retrouver une conséquente aide financière. Inutile de préciser que ce n’est pas une mince affaire dans un pays « policier » comme la Syrie. Les rebelles ont mis le paquet pour réussir l’opération avec Riyad Hijab, tant la défection de l’ex-PM était symbolique. Il a fallu évacuer sa femme et ses enfants, ainsi que ses 7 frères, ses 2 sœurs et leurs familles ! Quant au chapitre financier, l’opacité est de mise pour ne pas ternir la nouvelle aura de Riyad Hijab. Comment ne pas s’interroger sur l’élément déclencheur du passage à l’acte d’un homme qui n’a été nommé PM en pleine crise qu’après vérification des services de renseignement du régime de son allégeance absolue au président syrien (une commission officielle enquête d’ailleurs sur les failles du « système Assad » qui permirent cette défection spectaculaire), d’un homme qui disons ne découvre pas la barbarie du régime au 17e mois de révolte et d’un homme qui se fait la belle quelques semaines après l’acceptation de sa nomination ! Alors quel est l’élément manquant ? On dit, qu’il a bénéficié des largesses du trio Arabie Saoudite-Koweït-Qatar. Et comme par hasard, dans un communiqué publié le 14 août le sous-secrétaire américain au Trésor, David Cohen, encouragea les cadres du régime syrien à faire défection, et dans la foulée il leva les sanctions financières contre Riyad Hijab ! Inutile de préciser que cette stratégie, le traitement de faveur de Riyad Hajib, est difficile à appliquer à grande échelle et surtout elle ne le sera pas pour les soldats ou même pour les officiers de moyens grades. Et cela, tout syrien le sait ! Et oui, on ne vit pas d’honneur et d’eau fraîche.

Une dernière chose sur ce point. La totalité de ceux qui font défection sont sunnites. On ne connait pas de défection alaouite notoire ! Or, on sait que les Assad ont tout fait pour permettre à la communauté alaouite de dominer l’appareil de l’Etat syrien. Ainsi, comme l’abandon ne touche pas la communauté alaouite, il serait illusoire de parler d’affaiblissement du régime d’Assad, surtout que les désertions sunnites sont loin d’avoir atteint un seuil critique qui menacerait le régime. Donc tant que les défections ne toucheront pas la communauté alaouite, le clan Assad restera inébranlable, à Damas aujourd’hui, comme à Lattaquié demain !

3. Le modèle libyen

Le renversement du régime des Kadhafi n’a pu réussir que grâce à la réunion de 3 facteurs externes : l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne, l’armement des rebelles et des frappes aériennes. Face à ce succès, il est normal que le modèle libyen inspire les rebelles syriens. Ces derniers sont néanmoins divisés sur ce qu’on peut appeler désormais la « stratégie libyenne ». Certains souhaitent adopter la totalité du modèle, d’autres qu’une partie en excluant le dernier élément. La stratégie des rebelles est nourrit par l’encouragement hypocrite ou inconscient de certains politiques arabes et occidentaux. Les américains par exemple, affirment par la voix de Susan Rice, l’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, qu’ils renforceront l’opposition politiquement et matériellement, pour accélérer la fin du régime syrien, sans rien faire de décisif sur le terrain ! Mais il n’y a pas que les politiques, Bernard-Henry Lévy, le philosophe à Dombasle -pas à deux balles, j’ai bien dit à Dombasle!- réclame aussi comme si de rien n’était, comme si sa « bourde » libyenne n’a jamais eu lieu, « Des avions pour Alep », prélude à une intervention étrangère sur le modèle libyen.

Nul n’a besoin d’être expert en géostratégie pour comprendre que la Syrie n’est pas la Libye et ne le sera jamais, et que malgré la rime, faible d’ailleurs, Bachar n’est pas Mouammar ! Il ne l’a pas été dans le passé, il ne l’est pas à présent et il ne le sera pas dans le futur. Faut donc pas trop rêver, Damas ne sera pas Syrte et Alep ne sera pas Benghazi !

Il a fallu plus de 7 mois et demi et 26 000 sorties aériennes pour venir à bout du régime libyen ! Le coût des opérations pour la France uniquement s’élève à 320 millions d’euros. Etant donné la complexité du dossier syrien (les divisions communautaires, l’urbanisation du conflit, la puissance de l’armée syrienne, le risque de dissémination des armes conventionnelles et des stocks d’armes chimiques, les conséquences régionales, le soutien international au régime, l’élection américaine, etc.), il est évident qu’il faut multiplier ces chiffres par 2 ou par 3 en cas d’intervention ! Mais il existe un autre point qui me laisse particulièrement sceptique quant à l’idée d’une intervention au jour d’aujourd’hui. Le « modèle libyen » a brillé par son « amateurisme » et de ce fait il ne sera pas appliqué à la Syrie de sitôt. Le peuple syrien paie encore, toujours et plus que jamais très cher l’« amateurisme » occidental en Libye. Ce peuple martyr était loin de se douter une seconde que sa bravoure ne pouvait pas suffire à infléchir la confrontation Est-Ouest et que le 15 mars 2011 commençait en parallèle à sa noble révolte, la rédaction d’un nouveau chapitre de la « Guerre froide » dans le livre de l’Histoire. Le « blocage » de la Russie dans le dossier syrien est dû à de nombreux facteurs, les plus déterminants sont liés à l’expérience libyenne, n’en déplaise à BHL & Co !

- Le dépassement insouciant des pays occidentaux, notamment de la France et de la Grande-Bretagne, et spécialement de Nicolas Sarkozy et de David Cameron, de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU. Alors que celle-ci ne prévoyait que la protection de la population libyenne, ces deux hommes ont décidé, avec la bénédiction explicite du trio Arabie saoudite-Koweït-Qatar et implicite des Etats-Unis, d’armer les rebelles et de renverser la dictature des Kadhafi ! Le lendemain du vote de cette résolution, la France s’engageait par la voix du porte-parole du gouvernement français à « aider le mouvement de révolte à prendre le dessus sur les forces de Mouammar Kadhafi » et il commençait à « pleuvoir » des armes sur les rebelles. L’amateurisme diplomatique à son comble !

- Les négligences, à la limite du mépris des intérêts russes. Nul ne peut prétendre que l’OTAN, le bras armé des pays occidentaux, n’a pas profité de la situation humanitaire pour expulser la Russie de la Méditerranée méridionale ! La fin ne peut jamais justifier les moyens, même si la cause est noble, lorsque les conséquences sont prévisibles et désastreux (un raidissement de la Russie et ses conséquences diplomatiques). Elémentaire mon cher Watson !

- L’incapacité de la communauté internationale à imposer le jugement des Kadhafi père et fils, le père fut exécuté sommairement, le fils croupi toujours dans une prison libyenne en raison du refus des nouvelles autorités libyennes de remettre Saif el-Islam à la Cour Pénale Internationale.

- La dispersion incontrôlée de l’armement des rebelles, mais aussi la distribution intentionnelle et prévisible de l’armement du régime libyen par le régime lui-même (pour une sorte de revanche post mortem de Kadhafi !), est un élément de preuve supplémentaire de l’amateurisme occidental en Libye. Un million d’armes seraient en circulation actuellement ! Il faut dire qu’avec un missile Stinger vendu à 10 000 $ la pièce au marché noir, la tentation est grande de se lancer dans la contrebande. Les conséquences dramatiques de cette « légèreté » occidentale se font sentir au niveau national (refus de certains groupes armés de déposer les armes ; explosions accidentelles dans des zones urbaines ; attentats à la voiture piégée ; attaques d’organismes internationaux comme la Croix Rouge ; etc.) et au niveau international (les armes libyennes se retrouvent déjà en Egypte et en Syrie ; l’Aqmi, Al-Qaïda au Maghreb islamique, a largement profité de ce « chaos » ; etc.). La « talibanisation » du Mali, avec le renforcement du pouvoir des Touaregs islamistes, Ansar el-Dine, est directement liée à l’amateurisme occidental dans le « modèle libyen ». C’est grâce à la contribution libyenne, en hommes et en armes, qu’ils ont réussi à contrôler le Nord du pays au printemps dernier !

La stratégie libyenne qui repose sur la triade, instauration d’une zone d’exclusion aérienne, armement des rebelles et frappes aériennes, se heurtera de plein fouet aux intérêts stratégiques des Russes ! Il en va du poids de la Russie dans le monde. Les raisons humanitaires ne pèsent pas lourd dans ce dossier, pas plus qu’elles n’ont pesées dans l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Toute action unilatérale sur ces 3 points, sera assimilée à une « déclaration de guerre » à la Russie. Hélas, et 1000 fois hélas, comme la Syrie n’est pas un enjeu crucial pour les pays occidentaux (pas comme le Koweït ou l’Irak autrefois !), il est évident que ce scénario n’est pas envisageable la moitié d’un quart de seconde par les chancelleries occidentales !


En guise de conclusion

Guider la destinée d’un peuple n’est pas un « job » comme un autre ! Quand on a la prétention de diriger des gens, on ne peut pas avancer par tâtonnement. Des décisions sont prises au nom du peuple syrien. Elles sont censées être murement réfléchies. Que ces décisions soient politiques ou militaires, elles ont des conséquences sur le terrain. Qu’elles soient nobles ou pas, n’a pas beaucoup d’importance, en tout cas pas autant que les « conséquences » ! Ces dernières prennent parfois des proportions dramatiques, comme on le voit en ce moment à Alep et à Damas. Ainsi, toute stratégie doit être évaluée avant, pendant et après sa mise en œuvre, et durant chaque phase l’évaluation doit être continue. Celle-ci doit se baser sur 2 éléments : l’atteinte des objectifs fixés et le prix à payer, pas uniquement au niveau financier, dégâts matériels, paralysie économique et manque à gagner, mais aussi et surtout en « sacrifices humains », selon le nombre de morts, de blessés et de gens terrorisés ! Objectifs et prix, sont deux paramètres indissociables, ce sont les deux faces d’une même pièce.

C’est précisément ce qui a conduit le général Babacar Gaye, chef par intérim de la Mission de supervision des Nations Unies en Syrie (MISNUS), à tenir des propos extrêmement durs à l’égard des belligérants ! « Les violences et l'usage aveugle d'armes lourdes par les forces gouvernementales, ainsi que les attaques ciblées par celles de l'opposition, continuent de s'intensifier en Syrie... Les combats se poursuivent et je continue de rappeler aux parties leurs obligations de respecter le droit humanitaire international et de protéger les civils... Le conflit est allé trop loin, et dure depuis trop longtemps ». Lors de réunions avec des responsables gouvernementaux et de l'opposition, il a appelé les deux parties à renoncer à l'option militaire et à revenir à la table des négociations. Le Conseil de sécurité a décidé finalement de ne pas renouveler le mandat de la MISNUS qui expire le 19 août. La raison est accablante pour les deux parties, même s’il ne les met pas à pied d’égalité. « Il est clair que les deux camps ont choisi le chemin de la guerre, du conflit ouvert, et que l'espace pour le dialogue politique et l'arrêt des hostilités est à ce stade très, très étroit. » Les observateurs de l’ONU quitteront donc la Syrie dans les prochains jours. Désormais, le martyr du peuple syrien se déroulera à huis clos !

Au total, les rebelles de Syrie ne peuvent plus ignorer que la riposte du régime est d’une brutalité inouïe. Toute action entreprise contre lui doit donc être étudiée dans ces 2 aspects : avantages contre inconvénients. Il est aujourd’hui nécessaire, légitime et primordial, qu’ils se posent un certain nombre de questions sur le conflit et la suite des événements. La plus importante de toutes doit porter sur l’efficacité de leur stratégie globale actuellement, sur le plan politique et sur le plan militaire.


Post-Scriptum

L’urgence de l’évaluation de la stratégie des rebelles est dictée non seulement par le manque d’efficacité flagrant depuis 17 mois et le bilan très lourd du côté de la population civile, mais aussi par l’émergence de certains phénomènes préoccupants.

- D’abord, la « visibilité » des forces islamistes dans le conflit. Certes, on ne peut pas reprocher à une population confrontée à la barbarie d’un régime répressif d’invoquer Dieu et de scander dans les manifestations « Allah wou akbar ». Par contre, il y a de quoi s’inquiéter quand on apprend que le drapeau islamiste flotte sur un poste frontalier entre la Syrie et la Turquie (Bab el-Hawa). Même s’ils ne sont qu’une poignée d’hommes à contrôler ce passage, leurs déclarations n’a rien de rassurant : « Nous ferons un État islamique jusqu’au Liban, où ils ont des putes et des casinos ». On retrouve chez ces extrémistes, le slogan des Frères musulmans égyptiens : « L’Islam est la solution » !

- Ensuite, cette violence dirigée contre des journalistes pro-régime et la sauvagerie de certaines exécutions de prisonniers par certains rebelles. Ces derniers ont tout intérêt à s’arrêter un moment devant le rapport publié le 15 août par les enquêteurs des droits de l’homme des Nations-Unies. Un rapport accablant pour le régime et préoccupant pour les rebelles ! En effet, l’ONU accuse le régime syrien de crimes de guerre et surtout de « crimes contre l’humanité », ce qui est parfaitement prévisible. Je l’avais déjà évoqué dans un statut le 31 juillet en réponse à Walid Joumblatt, qui a parlé de « génocide » et de « nettoyage ethnique », deux « raccourcis populistes » dignes du Bek, qui ne figurent nulle part dans ce rapport de 102 pages! Mais ce n'est pas tout, les rebelles sont accusés eux aussi, à un degré moindre, de « crimes de guerre » ! Le rapport souligne également que des atteintes aux droits de l’enfant ont été commises par les deux camps. Par ailleurs, il faut se rappeler que la « militarisation » du conflit, évoquait déjà par Kofi Annan comme une des causes de l’échec de sa mission onusienne, ne conduira pas forcément à la chute du régime syrien à court terme ; bien au contraire, elle prolongera l’espérance de vie de Bachar El-Assad !

- Enfin, la répercussion du conflit syrien au Liban. L’affaire « Michel Samaha », un « bouffon » du président syrien, qui planifiait plusieurs attentats au Liban pour le compte du régime syrien, les violations de la souveraineté libanaise par l’armée syrienne, le kidnapping de travailleurs syriens par un clan chiite libanais (en réponse au kidnapping de ressortissants libanais de confession chiite par les rebelles en Syrie), la présence de 37 000 réfugiés syriens sur le territoire libanais, l’éternelle tension entre les communautés alaouite et sunnite de Tripoli et le trafic d’armes bilatéral entre le Liban et la Syrie, font que le Liban se trouve aujourd’hui dans une poudrière. Avis de tempête ! A propos, il est de toute évidence que la conclusion de cet article s’adresse au libanais également, qu’il soit politicien ou leader d’opinion, député ou militant, ministre ou citoyen, think tanker ou think tanké... Guider la destinée d’un peuple n'est pas un job comme un autre et influencer le cours des événements n'est pas non plus un passe-temps comme un autre!