« Retrait tactique » ! La dernière fois
que j’ai entendu ces termes, je me trouvais dans un jardin, aux alentours de
minuit, bi leilé ma fiya daw amar, sous une magnifique voûte céleste, et je
retenais mon souffle. Les cloches de l’église Mar Maroun sonnaient le
glas. Des explosions retentissaient aux quatre points cardinaux du village. Mes
oreilles ne parvenaient plus à distinguer le bruit des obus qui s’arrachaient à
la gravité terrestre du bruit des obus torrentiels qui s’abattaient sur les habitations. Nous
étions en septembre 1983, le 3 ou le 6, ou entre le 3 et le 6, et qu’importe. L’armée israélienne
venait de se retirer du Chouf quelques jours auparavant en veillant bien à
favoriser les miliciens du Parti socialiste de Walid Joumblatt au détriment de
ceux des Forces libanaises menés par Samir Geagea. Face aux
« ja7éfil », ce mot aussi résonne encore dans mes oreilles, syriens,
palestiniens et libanais auto-proclamés « progressistes »,
Mourabitoun, Awmiyé, Chouyou3iyé et Amal, déferlaient sur tous les fronts du
sud du Mont-Liban, et parce que le président Amine Gemayel n’a pas pu donner
l’ordre à temps pour le déploiement de l’armée libanaise dans la région de
Bhamdoun, Geagea décida de retirer ses forces de la région, un « retrait
tactique » selon l’info qui circulait. En réalité, cela s’est traduit non
seulement par le retrait des combattants, mais aussi par l’exode de la
population chrétienne vers Deir el-Qamar lors de combats particulièrement
meurtriers, des massacres d’une partie de cette population qui décida de rester
chez elle et un siège de la ville par la milice druze, long (de plusieurs mois)
et hermétique (où vivres et médicaments n’étaient accordés qu’au
compte-gouttes), afin d’obliger la population chrétienne à remettre Hakim au
Bek. Depuis cette nuit, tout « retrait tactique » me laisse sceptique
!
Cela
fait 17 mois qu’une intifada secoue la Syrie et 17 mois que deux tableaux se dessinent. D’un côté, la liberté guidant le peuple syrien et de l’autre côté, la
tyrannie guidant le clan des Assad. Depuis 17 mois, les manifestations
pacifiques spontanées font face à une répression militaire programmée. La
bravoure de la population syrienne n’est plus à conter, la sauvagerie du
dernier tyran des Assad non plus ! Au fil des mois, les manifestants se
sont organisés. Aujourd’hui deux institutions regroupent la majorité des forces
de l’opposition syrienne. On a d’une part, une institution politique, le Conseil
national syrien (CNS), il est basé en Turquie et d’autre part, une institution
milicienne, l’Armée syrienne libre (ASL), qui se bat sur le terrain. On peut
dire que le CNS et l’ASL ont pris en main la lourde destinée du peuple syrien.
L’avenir de la Syrie dépend d’eux, et d’eux seuls ! Oui, mais...
L’analyse des 17
mois de révolte en Syrie permet de définir 3 axes dans la stratégie globale suivie
par les rebelles pour faire tomber le dernier tyran des Assad : la guérilla urbaine, la désertion et le modèle libyen. Et si on faisait le point ?
1. La guérilla
urbaine
Le
18 juillet un attentat secoua la
capitale syrienne. Des combats de rue s’en suivirent, engagés pour « la
libération de Damas ». Malgré l’emballement général sur la toile et dans
la presse, les analystes s’interrogeaient en coulisse sur la nature de ce qui
se passait dans la capitale syrienne : est-ce
un coup d’Etat ou un coup d’éclat ? Deux jours plus tard, les rebelles
décidèrent de s’emparer de certains quartiers d’Alep. Les soldats de Bachar se
sont fait attendre, poussant certains commandants de l’ASL à annoncer la chute
du régime d’Assad au mois de ramadan! Hélas, l’euphorie n’a duré que quelques
jours. L’armée syrienne se jeta dans la bataille de tout son poids. Le 9 août,
l’ASL a fini par annoncer son « retrait tactique » du quartier de
Salaheddine, « en raison d’un bombardement inouï ». Aujourd’hui Alep
est toujours soumis à un déluge de fer et de feu, comme naguère le
« réduit chrétien » au Liban en septembre 1983, par les deux protagonistes,
des frères-ennemis aujourd’hui ! Avec ce recul de plusieurs semaines, on
peut affirmer sans risque, que l’attentat et les combats de Damas n’étaient que
des coups d’éclat, la libération de la Syrie ville par ville est renvoyée aux
calendes grecques et la chute du clan Assad à Damas -notez bien « à
Damas », l’option « Etat des Alaouites » sera réactivée le
moment opportun- ne se concrétisera pas au cours du mois de ramadan de l’année
2012 !
Alors
question, que s’imaginaient les rebelles syriens après l’attentat et les
combats de Damas ? Que Bachar El-Assad allait abdiquer dans
l’après-midi ! Etait-il difficile de prévoir la riposte brutale de l’armée
de Bachar à Alep après 17 mois de confrontations ? Double non évidemment. On note là une stratégie bien déterminée
chez les rebelles, celle de la guérilla urbaine. Celle-ci consiste à harceler
les forces gouvernementales. Elle repose sur le même principe des combats de
boxe : à défaut de vaincre par KO, vaincre
aux points !
Certes,
la guérilla offre les avantages de l’initiative et de la mobilité, ce qui permet
de multiplier les fronts à moindre frais. Elle permet de décider du timing et
du lieu, donc de disperser les forces du régime syrien et les rendent plus
vulnérables. Mais toute guérilla se
caractérise aussi par 2 éléments importants : elle est longue et
meurtrière ! La guérilla des rebelles en Syrie n’échappe pas à la
règle. D’ailleurs cette révolte dure depuis 17 mois déjà ! Personnellement je l’avais prévu dès le 23
mars 2011 ! Et contrairement aux affirmations bidon d’Hillary Clinton, piètre
diplomate, qui s’occupe comme elle peut en attendant les élections américaines
de novembre prochain, rien n’indique concrètement que le régime vacille ou
faiblit. Ni l'exclusion symbolique de la Syrie par l'Organisation de la coopération islamique, ni les déclarations folkloriques de Riyad Hijab, l'ex-Premier ministre (Assad ne contrôlerait plus que 30% de la Syrie), n'est de nature à le prouver ! Quant au bilan, il est lourd, très lourd déjà ! Les 17 mois de
violence ont fait plus de 21 000 morts,
selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), une ONG basée en
Grande-Bretagne, des dizaines de milliers de blessés, des centaines de milliers de déplacés (150 000 réfugiés dans les pays frontaliers dont 37 000
au Liban) et des millions de personnes
terrorisées ! Pour résumer, disons que les objectifs ne sont donc pas
atteints et le bilan est très lourd ! Par conséquent, on est en droit de se demander si le choix de la guérilla urbaine par
les rebelles de Syrie est réellement le moyen le plus approprié pour renverser
le dernier tyran de Damas ?
2. La désertion
Autre
stratégie importante, c’est celle de la désertion. Les rebelles misent sur l’abandon
des soldats et des fonctionnaires du régime d’Assad. Ils revendiquent déjà 40 000 déserteurs. Pourtant, plusieurs éléments font douter de
l’efficacité de cette stratégie.
Le premier remonte aux
dernières élections législatives en Syrie. Il a été noté au début du mois de
mai 2012, une nette désertion au moment de ces élections, mais dans l’autre
sens ! En effet, le jour du vote une partie des travailleurs syriens au
Liban ont quitté leurs chantiers pour retourner dans leur pays. Cela prouve au
moins une chose : la terreur du régime fonctionne relativement bien !
Craignant pour leur famille, ces travailleurs sont rentrés donner l’impression
d’accomplir leur devoir civique. Si des travailleurs immigrés au Liban
craignent pour leurs familles, que dire alors des militaires et des
fonctionnaires syriens qui vivent au milieu des forces armées et des
forces de sécurité !
Le second est une
analyse de bon sens. Malgré le chiffre avancé par les rebelles, aucun déserteur
n’a réussi encore à partir avec un des 4600 chars de combats que possède
l’armée syrienne
(T-72, T-62, T-54), un des 2200 véhicules blindés d’infanterie (BMP), un des
1700 pièces d’artillerie (122 à 180 mm), un des 435 avions de combats (MiG), un
des 70 avions d’attaques (Soukhoï), un des 98 hélicoptères d’attaques (Mi ou
Gazelle)... je reprends mon souffle et je continue, avec un missile antichar
guidé, avec un missile de défense antiaérienne, avec une frégate, un
patrouilleur, une vedette, etc. Bref, l’armée syrienne dispose d’un arsenal
impressionnant hérité de l’époque soviétique et alimenté généreusement par les
Russes. Il est encore quasi intact ! Alors de deux choses l’une :
soit le chiffre des déserteurs est exagéré, soit le régime d’Assad contrôle
efficacement son arsenal. Dans les deux cas, cela prouve que le régime n’a pas
faiblit comme on le prétend ! L’armée syrienne comptait jusqu’à 325 000
hommes et autant de réservistes! Si on rajoute les forces de sécurité et
les milices inféodées au régime de Bachar El-Assad, le nombre passe à 7
chiffres ! Mathématiquement, les déserteurs sont donc encore loin de
remporter la bataille des chiffres !
Le troisième
concerne les hauts gradés et les hauts fonctionnaires qui font défection, avec deux noms
illustres : Manaf Tlass et Riyad Hijab. Il est incontestable que ces deux
défections constituent un coup dur pour Bachar El-Assad. Mais il ne faut pas
oublier que Manaf Tlass -fils de
Mustafa Tlass ancien ministre syrien de la Défense entre 1972 et 2004,
responsable du massacre de Hama en 1982 et en partie de la politique
syrienne au Liban; il vit actuellement à Paris- n’est qu’un général de
brigade ! Quant à Riyad Hijab, l’importance
symbolique de sa défection est nuancée par plusieurs faits : non seulement
l’ex-Premier ministre (PM) n’a aucun poids politique, mais cette info ne
saurait faire oublier qu’un pays comme la Syrie possède par exemple plus d’une
centaine d’ambassadeurs dans le monde et qu’à ce jour les défections diplomatiques
se comptent sur les doigts d’une seule main !
Et
enfin, si l’on tient compte de l’information d’un diplomate arabe « qui a
souhaité garder l’anonymat » de la mise en place il y a 3 mois par
l’Arabie saoudite, le Koweit et Qatar d’un fonds de 15 milliards de dollars
pour encourager des personnalités syriennes à lâcher Bachar El-Assad, on peut
dire que la « stratégie de la désertion » est loin de porter ses
fruits ! Elle reste à un niveau bas. La cohésion du régime tient merveilleusement
bien.
Il
y a bien une raison à cela ! D’un point de vue théorique, il faut savoir
que la désertion implique 2 choses :
pouvoir fuir avec ses proches, pour éviter les représailles, et le cas échéant,
la vente des biens et le transfert des comptes bancaires à l’étranger, à moins
de retrouver une conséquente aide financière. Inutile de préciser que ce n’est
pas une mince affaire dans un pays « policier » comme la Syrie. Les rebelles ont mis le paquet pour réussir
l’opération avec Riyad Hijab, tant la défection de l’ex-PM était symbolique.
Il a fallu évacuer sa femme et ses enfants, ainsi que ses 7 frères, ses 2 sœurs
et leurs familles ! Quant au chapitre financier, l’opacité est de mise
pour ne pas ternir la nouvelle aura de Riyad Hijab. Comment ne pas s’interroger
sur l’élément déclencheur du passage à l’acte d’un homme qui n’a été nommé
PM en pleine crise qu’après vérification des services de renseignement du
régime de son allégeance absolue au président syrien (une commission officielle
enquête d’ailleurs sur les failles du « système Assad » qui permirent
cette défection spectaculaire), d’un homme qui disons ne découvre pas la
barbarie du régime au 17e mois de révolte et d’un homme qui se fait
la belle quelques semaines après l’acceptation de sa nomination ! Alors
quel est l’élément manquant ? On dit, qu’il a bénéficié des largesses du
trio Arabie Saoudite-Koweït-Qatar. Et comme par hasard, dans un communiqué
publié le 14 août le sous-secrétaire américain au Trésor, David Cohen,
encouragea les cadres du régime syrien à faire défection, et dans la foulée il
leva les sanctions financières contre Riyad Hijab ! Inutile de préciser
que cette stratégie, le traitement de faveur de Riyad Hajib, est difficile à
appliquer à grande échelle et surtout elle ne le sera pas pour les soldats ou
même pour les officiers de moyens grades. Et cela, tout syrien le sait !
Et oui, on ne vit pas d’honneur et d’eau
fraîche.
Une
dernière chose sur ce point. La totalité de ceux qui font défection sont
sunnites. On ne connait pas de défection alaouite notoire ! Or, on sait
que les Assad ont tout fait pour permettre à la communauté alaouite de dominer
l’appareil de l’Etat syrien. Ainsi, comme l’abandon ne touche pas la communauté
alaouite, il serait illusoire de parler d’affaiblissement du régime d’Assad,
surtout que les désertions sunnites sont loin d’avoir atteint un seuil critique
qui menacerait le régime. Donc tant que
les défections ne toucheront pas la communauté alaouite, le clan Assad restera
inébranlable, à Damas aujourd’hui, comme à Lattaquié demain !
3. Le modèle
libyen
Le
renversement du régime des Kadhafi n’a pu réussir que grâce à la réunion de 3
facteurs externes : l’instauration
d’une zone d’exclusion aérienne, l’armement des rebelles et des frappes
aériennes. Face à ce succès, il est normal que le modèle libyen inspire les rebelles syriens. Ces derniers sont
néanmoins divisés sur ce qu’on peut appeler désormais la « stratégie
libyenne ». Certains souhaitent adopter la totalité du modèle, d’autres
qu’une partie en excluant le dernier élément. La stratégie des rebelles est
nourrit par l’encouragement hypocrite ou
inconscient de certains politiques arabes et occidentaux. Les américains par
exemple, affirment par la voix de Susan Rice, l’ambassadrice des Etats-Unis à
l’ONU, qu’ils renforceront l’opposition politiquement et matériellement, pour
accélérer la fin du régime syrien, sans rien faire de décisif sur le terrain !
Mais il n’y a pas que les politiques, Bernard-Henry Lévy, le philosophe à
Dombasle -pas à deux balles, j’ai bien dit à Dombasle!- réclame aussi comme si
de rien n’était, comme si sa « bourde » libyenne n’a jamais eu lieu, « Des
avions pour Alep », prélude à une intervention étrangère sur le modèle
libyen.
Nul n’a besoin
d’être expert en géostratégie pour comprendre que la Syrie n’est pas la Libye
et ne le sera jamais,
et que malgré la rime, faible d’ailleurs, Bachar n’est pas Mouammar ! Il
ne l’a pas été dans le passé, il ne l’est pas à présent et il ne le sera pas dans
le futur. Faut donc pas trop rêver, Damas ne sera pas Syrte et Alep ne sera pas
Benghazi !
Il
a fallu plus de 7 mois et demi et 26 000 sorties aériennes pour venir à
bout du régime libyen ! Le coût des opérations pour la France uniquement s’élève
à 320 millions d’euros. Etant
donné la complexité du dossier syrien (les divisions communautaires,
l’urbanisation du conflit, la puissance de l’armée syrienne, le risque de dissémination
des armes conventionnelles et des stocks d’armes chimiques, les conséquences
régionales, le soutien international au régime, l’élection américaine, etc.),
il est évident qu’il faut multiplier ces chiffres par 2 ou par 3 en cas
d’intervention ! Mais il existe un autre point qui me laisse particulièrement
sceptique quant à l’idée d’une intervention au jour d’aujourd’hui. Le « modèle libyen » a brillé par
son « amateurisme » et de ce fait il ne sera pas appliqué à la Syrie de
sitôt. Le peuple syrien paie encore,
toujours et plus que jamais très cher
l’« amateurisme » occidental en Libye. Ce peuple martyr était
loin de se douter une seconde que sa bravoure ne pouvait pas suffire à infléchir
la confrontation Est-Ouest et que le 15 mars 2011 commençait en parallèle à sa noble révolte, la rédaction d’un
nouveau chapitre de la « Guerre froide » dans le livre de
l’Histoire. Le « blocage » de
la Russie dans le dossier syrien est dû à de nombreux facteurs, les plus
déterminants sont liés à l’expérience libyenne, n’en déplaise à BHL &
Co !
- Le dépassement insouciant
des pays occidentaux,
notamment de la France et de la Grande-Bretagne, et spécialement de Nicolas
Sarkozy et de David Cameron, de la
résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU. Alors que celle-ci ne prévoyait
que la protection de la population libyenne, ces deux hommes ont décidé, avec
la bénédiction explicite du trio Arabie saoudite-Koweït-Qatar et implicite des
Etats-Unis, d’armer les rebelles et de renverser la dictature des
Kadhafi ! Le lendemain du vote de cette résolution, la France s’engageait
par la voix du porte-parole du gouvernement français à « aider le
mouvement de révolte à prendre le dessus sur les forces de Mouammar
Kadhafi » et il commençait à « pleuvoir » des armes sur les
rebelles. L’amateurisme diplomatique à son comble !
-
Les négligences, à la limite du mépris
des intérêts russes. Nul ne peut prétendre que l’OTAN, le bras armé des
pays occidentaux, n’a pas profité de la situation humanitaire pour expulser la
Russie de la Méditerranée méridionale ! La fin ne peut jamais justifier
les moyens, même si la cause est noble, lorsque les conséquences sont prévisibles
et désastreux (un raidissement de la Russie et ses conséquences diplomatiques).
Elémentaire mon cher Watson !
-
L’incapacité de la communauté
internationale à imposer le jugement des Kadhafi père et fils, le père fut
exécuté sommairement, le fils croupi toujours dans une prison libyenne en
raison du refus des nouvelles autorités libyennes de remettre Saif el-Islam à
la Cour Pénale Internationale.
-
La dispersion incontrôlée de l’armement
des rebelles, mais aussi la distribution intentionnelle et prévisible de
l’armement du régime libyen par le régime lui-même (pour une sorte de revanche
post mortem de Kadhafi !), est un élément de preuve supplémentaire de l’amateurisme
occidental en Libye. Un million d’armes seraient en circulation actuellement
! Il faut dire qu’avec un missile Stinger vendu à 10 000 $ la pièce au
marché noir, la tentation est grande de se lancer dans la contrebande. Les conséquences dramatiques de cette
« légèreté » occidentale se font sentir au niveau national (refus
de certains groupes armés de déposer les armes ; explosions
accidentelles dans des zones urbaines ; attentats à la voiture
piégée ; attaques d’organismes internationaux comme la Croix Rouge ;
etc.) et au niveau international (les
armes libyennes se retrouvent déjà en Egypte et en Syrie ; l’Aqmi, Al-Qaïda
au Maghreb islamique, a largement profité de ce « chaos » ; etc.). La « talibanisation » du Mali,
avec le renforcement du pouvoir des Touaregs islamistes, Ansar el-Dine, est
directement liée à l’amateurisme occidental dans le « modèle libyen ».
C’est grâce à la contribution libyenne, en hommes et en armes, qu’ils ont réussi
à contrôler le Nord du pays au printemps dernier !
La stratégie
libyenne qui repose sur la triade, instauration d’une zone d’exclusion
aérienne, armement des rebelles et frappes aériennes, se heurtera de plein
fouet aux intérêts stratégiques des Russes ! Il en va du poids
de la Russie dans le monde. Les raisons humanitaires ne pèsent pas lourd dans
ce dossier, pas plus qu’elles n’ont pesées dans l’invasion américaine de l’Irak
en 2003. Toute action unilatérale sur ces 3 points, sera assimilée à une « déclaration
de guerre » à la Russie. Hélas, et 1000 fois hélas, comme la Syrie n’est
pas un enjeu crucial pour les pays occidentaux (pas comme le Koweït ou l’Irak
autrefois !), il est évident que ce scénario n’est pas envisageable la
moitié d’un quart de seconde par les chancelleries occidentales !
En guise de
conclusion
Guider la destinée
d’un peuple n’est pas un « job » comme un autre ! Quand on a la
prétention de diriger des gens, on ne peut pas avancer par tâtonnement. Des
décisions sont prises au nom du peuple syrien. Elles sont censées être murement
réfléchies. Que ces décisions soient politiques ou militaires, elles ont des
conséquences sur le terrain. Qu’elles soient nobles ou pas, n’a pas beaucoup
d’importance, en tout cas pas autant que les « conséquences » ! Ces dernières
prennent parfois des proportions dramatiques, comme on le voit en ce moment à
Alep et à Damas. Ainsi, toute stratégie
doit être évaluée avant, pendant et après sa mise en œuvre, et durant chaque
phase l’évaluation doit être continue. Celle-ci
doit se baser sur 2 éléments : l’atteinte des objectifs fixés et le prix à
payer, pas uniquement au niveau financier, dégâts matériels, paralysie
économique et manque à gagner, mais
aussi et surtout en « sacrifices humains », selon le nombre de morts, de blessés
et de gens terrorisés ! Objectifs et prix, sont deux paramètres indissociables,
ce sont les deux faces d’une même pièce.
C’est précisément ce
qui a conduit le général Babacar Gaye, chef par intérim de la Mission de
supervision des Nations Unies en Syrie (MISNUS), à tenir des propos extrêmement
durs à l’égard des belligérants ! « Les violences et l'usage aveugle
d'armes lourdes par les forces gouvernementales, ainsi que les attaques ciblées
par celles de l'opposition, continuent de s'intensifier en Syrie... Les combats
se poursuivent et je continue de rappeler aux parties leurs obligations de
respecter le droit humanitaire international et de protéger les civils... Le
conflit est allé trop loin, et dure depuis trop longtemps ». Lors de réunions
avec des responsables gouvernementaux et de l'opposition, il a appelé les deux parties à renoncer à l'option militaire et à
revenir à la table des négociations. Le
Conseil de sécurité a décidé finalement de ne pas renouveler le mandat de la
MISNUS qui expire le 19 août. La raison est accablante pour les deux
parties, même s’il ne les met pas à pied d’égalité. « Il est clair que les deux camps ont choisi le chemin de la
guerre, du conflit ouvert, et que l'espace pour le dialogue politique et
l'arrêt des hostilités est à ce stade très, très étroit. » Les observateurs
de l’ONU quitteront donc la Syrie dans les prochains jours. Désormais, le martyr du peuple syrien se déroulera à
huis clos !
Au total, les
rebelles de Syrie ne peuvent plus ignorer que la riposte du régime est d’une
brutalité inouïe. Toute action entreprise contre lui doit donc être étudiée
dans ces 2 aspects : avantages contre inconvénients. Il est aujourd’hui
nécessaire, légitime et primordial, qu’ils se posent un certain nombre de
questions sur le conflit et la suite des événements. La plus importante de
toutes doit porter sur l’efficacité de leur stratégie globale actuellement, sur
le plan politique et sur le plan militaire.
Post-Scriptum
L’urgence
de l’évaluation de la stratégie des rebelles est dictée non seulement par le
manque d’efficacité flagrant depuis 17 mois et le bilan très lourd du côté de
la population civile, mais aussi par l’émergence
de certains phénomènes préoccupants.
- D’abord, la
« visibilité » des forces islamistes dans le conflit. Certes, on ne peut
pas reprocher à une population confrontée à la barbarie d’un régime répressif
d’invoquer Dieu et de scander dans les manifestations « Allah wou
akbar ». Par contre, il y a de quoi s’inquiéter quand on apprend que le
drapeau islamiste flotte sur un poste frontalier entre la Syrie et la Turquie (Bab
el-Hawa). Même s’ils ne sont qu’une poignée d’hommes à contrôler ce passage,
leurs déclarations n’a rien de rassurant : « Nous ferons un État islamique
jusqu’au Liban, où ils ont des putes et des casinos ». On retrouve chez ces
extrémistes, le slogan des Frères musulmans égyptiens : « L’Islam est
la solution » !
- Ensuite, cette violence
dirigée contre des journalistes pro-régime et la sauvagerie de certaines exécutions
de prisonniers par certains rebelles. Ces derniers ont tout intérêt à s’arrêter
un moment devant le rapport publié le 15 août par les enquêteurs des droits de l’homme des Nations-Unies. Un rapport accablant
pour le régime et préoccupant pour les rebelles ! En effet, l’ONU accuse le régime syrien de crimes de
guerre et surtout de « crimes contre l’humanité », ce qui est
parfaitement prévisible. Je l’avais déjà évoqué dans un statut le 31 juillet en
réponse à Walid Joumblatt, qui a parlé de « génocide » et de
« nettoyage ethnique », deux « raccourcis populistes » dignes
du Bek, qui ne figurent nulle part dans ce rapport de 102 pages! Mais ce n'est pas tout, les rebelles sont accusés eux aussi, à un
degré moindre, de « crimes de guerre » ! Le rapport souligne
également que des atteintes aux droits de l’enfant ont été commises par les
deux camps. Par ailleurs, il faut se rappeler que la
« militarisation » du conflit, évoquait déjà par Kofi Annan comme une
des causes de l’échec de sa mission onusienne, ne conduira pas forcément à la
chute du régime syrien à court terme ; bien au contraire, elle prolongera
l’espérance de vie de Bachar El-Assad !
- Enfin, la
répercussion du conflit syrien au Liban. L’affaire « Michel Samaha »,
un « bouffon » du président syrien, qui planifiait plusieurs
attentats au Liban pour le compte du régime syrien, les violations de la souveraineté
libanaise par l’armée syrienne, le kidnapping de travailleurs syriens par un
clan chiite libanais (en réponse au kidnapping de ressortissants libanais de
confession chiite par les rebelles en Syrie), la présence de 37 000 réfugiés syriens sur le
territoire libanais, l’éternelle tension entre les communautés alaouite et sunnite de
Tripoli et le trafic d’armes bilatéral entre le Liban et la Syrie, font que le Liban se trouve aujourd’hui dans une
poudrière. Avis de tempête ! A propos, il est de toute évidence que la
conclusion de cet article s’adresse au libanais également, qu’il soit politicien ou leader
d’opinion, député ou militant, ministre ou citoyen, think tanker ou think tanké...
Guider la destinée d’un peuple n'est pas un job comme un autre et influencer le cours des événements n'est pas non plus un passe-temps comme un autre!