mercredi 17 juillet 2019

Des aéroports du 18e siècle au deal du 21e siècle, un désastre nommé Trump (Art.625)


Depuis la nuit des temps, on sait que l’histoire est écrite pas les vainqueurs et contestée par les vaincus. Mais on ignorait jusqu’à présent, qu’elle pourrait être (ré)écrite par un imbécile heureux et approuvée par des électeurs imbus de sa personne.

Donald Trump de retour à la Maison Blanche, le 13 juillet
(photo compte Twitter)

« USA, USA, USA ». Nous sommes le 4 juillet, à Washington, sur les marches du plus célèbre mémorial de la capitale américaine. Donald Trump se voit rempiler pour quatre ans. Il part en campagne. La saison de la chasse aux électeurs est ouverture. Les techniques sont éprouvées. Il faut d’un côté, un leurre, « Make America great again », et de l’autre, de la glu, « America first ».

Il se tient fièrement devant ses partisans. Il aurait dû se méfier au moins de deux éléments : le ciel sombre suspendu au-dessus de sa tête et le regard sévère d’Abraham Lincoln dans le dos. 243 ans après la Déclaration d'indépendance des treize colonies de l’Est américain par rapport à la Grande-Bretagne, le 45e président des Etats-Unis se lance dans un grand récit historique sur la Révolution américaine, la guerre d’Indépendance et la grandeur de l’Amérique, afin d’expliquer que « rien n’est impossible » au peuple américain. Eh oui, à commencer par l’élection d’un bouffon à la tête du pays !

Jeudi en quinze, Donald Trump a affirmé d’un ton monocorde et sans sourciller que durant la guerre contre l’Empire britannique « le Congrès continental (l’assemblée formée par les délégués des treize colonies américaines) a créé une armée unifiée à partir des forces révolutionnaires qui campaient autour de Boston et de New York (elle sera placée sous commandement unique de George Washington ; c’est l’ancêtre de la US Army) ». Il aurait dû se tenir au texte devant ses yeux. Mais non, Trump a eu l’incongrue idée d’improviser. « Notre armée a dominé les airs, enfoncé les remparts et pris le contrôle des aéroports. Elle a fait tout ce qu'elle avait à faire ». C’est c’là oui, en « juin 1775 », selon ses propres dires !

Pour excuser sa bourde, le président américain a annoncé urbi et orbi le lendemain : « J’étais sous la pluie et le téléprompteur s’est éteint (…) il était kaput ». Mais alors c’est la preuve qu'il est l’auteur de cette belle ânerie ! Il a invoqué aussi le stress pour justifier cet anachronisme hallucinant. « Ce n’est pas évident quand vous êtes en face de millions et de millions de personnes à la télévision ». Et comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, il a rajouté, toujours sans sourciller malgré l’ampleur de la stupidité de ses propos : « J’imagine que la pluie a mis hors d’usage le téléprompteur, mais je connaissais très bien le discours, alors j’ai pu le faire sans téléprompteur. » Non mais, quel bouffon ! Il se surpasse à chaque fois.

Et dire que ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis sont la risée du monde par la faute de leur président ! L’avant-dernière fois c’était deux semaines auparavant. Suite à la destruction d’un drone américain par le régime des mollahs, Donald Trump ordonne le 20 juin des frappes aériennes contre l’Iran. Les navires américains du Moyen-Orient se mettent en position de guerre et les avions décollent de leurs bases avec comme mission de détruire une liste de cibles militaires sur le territoire iranien. Brutalement, les militaires sur le qui-vive reçoivent l’ordre d’aller se baigner ! Pour expliquer ce volte-face, le commandant en chef des forces armées américaines invoque le risque de pertes civiles. « J’ai demandé combien de personnes allaient mourir. 150 personnes, Monsieur, a répondu un général. Ce n’était pas proportionné par rapport à une attaque contre un drone. » Oh, cœur d’artichaut ! Non mais, quel bouffon ! Et pourquoi n’a-t-il pas demandé cela avant d’ordonner aux F-35 de foncer sur l’Iran à 1 930 km/h ?

*

La liste des bourdes de Donald Trump est longue et ne cesse de s’allonger. Elle nous amène à nous poser des questions sur les capacités intellectuelles d’un homme à prendre des décisions graves sur des sujets sensibles. Mettons de côté le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat. C’est stupide, ça ne fait pas débat. Limitons-nous à deux dossiers qui nous intéresse spécialement au Moyen-Orient, les sanctions contre l’Iran et le Hezbollah, ainsi que le deal du siècle sur la Palestine et Israël.

Il ne fait aucun doute, le programme nucléaire iranien était suspect dès l’origine, comportant beaucoup de zones d’ombres et de dissimulations pour être honnête. De ce fait, il était soupçonné d’avoir une double nature, civile et militaire. Ces soupçons étaient alimentés par la volonté flagrante de la République islamique chiite d’Iran d’avoir suffisamment de poids géopolitique afin de peser sur tous les dossiers de la région, en Irak, en Syrie, au Liban, en Palestine, au Yémen et au Bahrein.

Le mélodrame déclenché par le retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne fait oublier à ceux qui ont la mémoire courte et ceux qui ont la mémoire sélective trois certitudes :

• Primo, l’accord de Vienne (« Plan d’action global commun »), conclu en juillet 2015 entre l’Iran, le groupe P5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume Uni, Allemagne, France) et l’Union européenne, est la 6e tentative internationale de contrôler le programme nucléaire iranien. Il fait suite à l’accord de Téhéran (2003), l’accord de Paris (2004), le Plan de travail (2007), l'accord Iran-Brésil-Turquie (2010) et l’accord préliminaire de Genève (2013). Qu’importe les raisons, tous ces accords ont échoué totalement ou en partie, à l’exception de ce dernier. Donc si l’accord de Vienne échoue, ça ne sera pas une première mondiale.

• Secundo, la reprise de l’enrichissement de l’uranium par l’Iran il y a une dizaine de jours, au-delà du taux autorisé (3,67%), constitue bel et bien une violation flagrante de l’accord de Vienne -peu importe si elle est liée au retrait des Etats-Unis de ce dernier- qui expose le régime des mollahs à des sanctions. Sommer les Européens d’intervenir, avant septembre, pour sauver l’accord de Vienne, l’aider à contourner les sanctions américaines et vendre son pétrole, comme le répète en boucle l’Iran, relève plus du chantage que de la bonne intention, qui est destiné à briser le front occidental à l’égard de la République islamique.

• Tertio, dans cet accord donnant-donnant conclu il y a quatre ans, jour pour jour, il y avait deux volets. Dans le volet officiel on a d’un côté, un Iran autorisé à avoir une activité nucléaire civile, qui accepte d’être contrôlé par l’Agence internationale de l'énergie atomique, et de l’autre côté, des membres permanents du Conseil de sécurité (et l’Allemagne), ainsi que l’Union européenne, qui s’engagent à lever les sanctions internationales et multilatérales. Mais ce n’est qu’un secret de Polichinelle, tout le monde sait que l’accord de Vienne comportait un volet officieux, non déclaré et jamais signé. Les pays occidentaux engagés -les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Allemagne, la France et l’Union européenne- tablaient sur le fait que le rétablissement d’une confiance mutuelle conduirait la République islamique d’Iran à mettre de l’eau dans son vin. Cela relevait plutôt du wishful thinking.

Avec quatre ans de recul on peut dire que le pari occidental de l'époque, défendu à juste titre notamment par Barack Obama, a lamentablement échoué :

• Jamais le programme militaire iranien n’a été aussi développé qu’en ce moment (missiles balistiques, missiles de croisière, sous-marins, satellites, etc.). Rien de bien menaçant pour la paix dans le monde, comme le dénonce hypocritement l’administration Trump, mais juste ce qu'il faut pour foutre le chaos au Moyen-Orient.

A l'occasion du 40e anniversaire de la Révolution islamique, en février 2019, le président Hassan Rohani a exposé les ambitions de son pays. Il était très clair à ce sujet. « Nous n'avons jamais demandé et nous ne demanderons jamais la permission de développer différents types de… missiles (sol-sol …). Nous allons continuer à avancer et à développer notre puissance militaire ». En tout cas, le programme balistique iranien est une violation flagrante de la résolution 2231 du Conseil de sécurité, qui a entérinée l’accord nucléaire.

• Jamais la répression en Iran n’a été aussi forte qu’aujourd’hui. L’avocate et militante iranienne des droits de l’homme, Nasrin Sotoudeh, a été condamnée en juin 2018 et en mars 2019, à 38 ans de prison au total et à 148 coups de fouet pour « incitation à la débauche », alors qu’elle n’a fait que défendre plusieurs femmes iraniennes qui avaient osé enlever leur voile dans la rue.

• Jamais les ingérences iraniennes dans les affaires des pays arabes n’ont été aussi étendues que de nos jours. Le soutien politique, militaire et financier du régime des mollahs a été déterminant entre 2015 et 2019 pour assurer la survie et la victoire de la tyrannie des Assad en Syrie.

A vrai dire, l’accord nucléaire avec l’Iran présente deux tares originelles.

• D’un côté, sa durée de validité trop courte. « Dix ans à compter de la date d’adoption… toutes les dispositions de la résolution 2231 (2015) cesseront de s’appliquer et le Conseil de sécurité ne sera plus saisi de la question du nucléaire iranien », c’est très insuffisant pour sonder les véritables intentions de l’Iran. En 2025, tout prendra fin. Disons que c’est après-demain. Rajoutez à cela, que les mécanismes de contrôle que prévoit l’accord, ne permettent qu’une « marge d’action » d’un an, avant que l’Iran n’accède à suffisamment d’uranium enrichi pour produire une arme nucléaire, un délai plutôt grotesque.

• D’un autre côté, un ensemble de non-dits non-écrits, sur le développement du programme militaire balistique, les atteintes aux droits de l’homme et les ingérences dans les affaires arabes.

Ainsi, l’accord de Vienne -un moindre mal et un pari à prendre en 2015, mais qui est déjà mort en 2019- était condamné à moyen terme. Rien ne garantit que l’Iran ne développera pas un programme nucléaire militaire au-delà de 2025 ! Surement pas l’accord de Vienne. La manne financière engendrée par la levée partielle des sanctions n’est pas utilisée à bon escient, cela ne fait aucun doute. Elle a été investie dans l’industrie militaire iranienne, mais aussi en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et au Bahrein, afin de renforcer le « croissant chiite », la sphère d’influence de la République islamique d’Iran. En principe, le régime des mollahs mérite bel et bien son isolement politique et économique. Toujours est-il que rarement le Moyen-Orient ne s’est retrouvé dans une situation géopolitique aussi compliquée. Mais de là à croire qu’un bouffon de la trempe de Trump, qui enchaine les bourdes comme d’autres changent de chemises, soit capable de s’y attaquer avec succès, il y qu’un pas invraisemblable que seuls les partisans du plus grand imbécile de l’histoire contemporaine, George W. Bush, avaient osé franchir auparavant ! On voit bien à quel prix, même aujourd’hui.

Le fameux "deal du siècle" pour le Moyen-Orient:
De la paix à la prospérité (volet économique)

De l’histoire, justement, et si nous parlions du projet de Donald Trump pour remodeler le Moyen-Orient, le deal du siècle. Il comporte un volet politique, qui ne sera dévoilé qu’en novembre, et un volet économique, présenté en grande pompe par le gendre du président américain, Jared Kushner, il y a à peine trois semaines à Manama. Il consistera à injecter dans les économies de la région (la Palestine, l’Égypte, la Jordanie et le Liban), pendant dix ans, 50,67 milliards de dollars, avec comme perspective, régler un des plus vieux conflit de la planète.

Une carotte alléchante ? Surement pas. Quand on regarde de plus près, on se rend compte de l’arnaque tout de suite : la moitié de ce montant est sous la forme de « prêts subventionnés » et un peu moins du quart sous la forme de « capitaux privés », les « subventions » pures ne constituent que 13,38 milliards, un montant très modeste à vrai dire, pour une injustice qui dure depuis plus d’un siècle et qui est entièrement due à la faute et à la complaisance des grandes puissances, notamment occidentales.

Dans les détails, le plan de Donald Trump, prévoit des investissements de 27,813 milliards de dollars en Cisjordanie et à Gaza, 9,167 milliards en Egypte, 7,365 milliards en Jordanie et 6,325 milliards au Liban. C’est beaucoup d’argent, n’est-ce pas, mais pour faire quoi au juste ?

Dans l’introduction, on nous dit que « l'objectif est de donner aux Palestiniens les moyens de construire un avenir meilleur pour eux-mêmes et pour leurs enfants ». Parfait, mais pourquoi tant de générosité pour le Liban ? Ah mais parce que ce projet constitue aussi « une vision pour les Palestiniens et pour la région du Moyen-Orient ». Oh mais ça reste bien louche. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller à la page 45 du projet « De la paix à la prospérité ». Pour la Jordanie, l’Egypte et le Liban, Trump & Co ne s’en cache pas : « Renforcement du développement régional et de l’intégration ». Eh bien, nous voilà, « intégration », mais de qui et dans quoi ?

Passons à la page 50 pour en savoir plus. La première chose qui frappe en
parcourant ce tableau, c’est la composition de la manne financière de 6,325 milliards de dollars soi-disant octroyés au Liban : elle est composée de « prêts » à plus de 73 % (4,625 milliards) et d’investissement « privatif » pour 20 % (1,250 milliard). Eh oui, les subventions plafonnent à 7,11 % précisément, soit 450 millions de dollars, une véritable misère étant donné l’enjeux géopolitique du projet de Donald Trump !

Et ce n’est pas tout. Trump & Co prévoit cinq grands projets pour le pays du Cèdre.

Les deux premiers consisteront à « soutenir l'intégration commerciale régionale pour inciter les exportateurs à s'engager dans les chaînes de valeur régionales afin de réduire considérablement le coût des affaires dans la région » et à « élargir le programme actuel de l'Overseas Private Investment Corporation (OPIC) des États-Unis, qui appuie les petites et moyennes entreprises (PME) de la région ». Des généralités vaseuses, zappons.

Les trois autres bouquets de projets dédiés au Liban sont beaucoup plus intéressants. Ils prévoient de renforcer ou même de créer des « corridors économiques » dans le cadre d’un « programme d'intégration régionale » qui concernera les transports routier, ferroviaire, maritime et aérien : « Réparer et améliorer… les liaisons routières… sur les deux principaux couloirs, Nord-Sud et Est-Ouest (…) Soutenir la construction d'un réseau ferroviaire au Liban avec la possibilité de se connecter à un réseau ferroviaire régional (…) Appuyer la construction et la logistique connexe pour l'agrandissement de l'aéroport de Beyrouth et d'autres aéroports, l'agrandissement des ports libanais, y compris Beyrouth et Tripoli, et la modernisation des postes frontaliers ».

Ce que réserve le "deal du siècle" de Trump & Co pour le Liban : des infrastructures, routière, ferroviaire, maritime et aérienne, qui n'ont rien à voir avec les Palestiniens! Cherchez l'erreur.

EXCELLENT sans l’ombre d’un doute. Mais en quoi l’amélioration de la circulation des biens et des personnes au Liban et les développements des axes routiers entre Batroun et Saida ou entre Baabda et Baalbek, et du rail entre Tyr et Jbeil, ainsi que des ports de Tripoli et de Jounieh, et des aéroports de Riyak et de Beyrouth, donnent aux Palestiniens « les moyens de construire un avenir meilleur pour eux-mêmes et pour leurs enfants », comme on peut le lire dans l'introduction ? Et de quelle manière ces projets constituent « l'effort international le plus ambitieux et le plus complet à ce jour en faveur des Palestiniens » ? Non mais qu’est-ce qui permet d’affirmer dans la conclusion que « l'avenir des Palestiniens est un avenir plein de promesses et de potentiel », que « l'histoire palestinienne ne s'arrête pas là » et que « leur histoire est en train d'être écrite » ?

Certes, Trump & Co prévoit des dizaines de projets économiques au Moyen-Orient, qui d’après la brochure promotionnelle, sont réalisés en faveur des Palestiniens. Seulement voilà, tous les projets prévus pour le Liban, comme la majorité de ceux envisagés en Jordanie et en Egypte, n’ont absolument pas de rapport direct avec ces derniers ! Aucun. Ce « Plan Marshall » bâclé à une visée politique bien ciblée qui n’est pas dans l’intérêt des peuples de la région, ni les Palestiniens ni les Libanais d’ailleurs. Il vise simplement à débarrasser Israël du dossier encombrant des « réfugiés palestiniens », aux moindres frais et au rabais, en poussant les dirigeants arabes, notamment libanais, aux abois sur le plan économique, à accepter l’implantation de ces derniers dans les pays hôtes, en violation de la Constitution pour ce qui relève de la République libanaise. Il est curieux de constater que le gouvernement du Liban a peut-être commencé à préparer l’opinion public dans ce sens, en annonçant dès la fin de 2017 dans l’indifférence générale, qu’il n’y avait au Liban que 174 422 réfugiés palestiniens. Des foutaises puisque 469 555 Palestiniens sont enregistrés officiellement au Liban auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).

Notons par ailleurs que les vastes projets américains de développements routier, ferroviaire, maritime et aérien, ne serviront évidemment pas à établir des ponts avec Israël mais plutôt avec la Syrie des Assad. Nous sommes sans doute en phase de terrassement des mentalités, le prélude à implanter jusqu'à 1,5 million de ressortissants syriens au Liban, réfugiés et déplacés, comme le prévoit les plans pernicieux de Bachar el-Assad.

Il n’y a pas de doute le « deal du siècle » est clairement « l’arnaque de tous les temps », pour les Arabes. Tout libanais qui croit encore qu’un bouffon incapable de sourciller en parlant de batailles d’aéroports en 1775 et qui ordonne des frappes pour se raviser quelques minutes plus tard à cause des dommages collatéraux, est capable de s’attaquer avec succès à des sujets complexes comme le dossier nucléaire iranien et le conflit israélo-palestinien, n’est pas conscient que l’histoire n’est pas seulement écrite par les vainqueurs, elle pourrait l’être aussi par un « imbécile heureux » et des « idiots utiles » qui croient en lui.