samedi 1 août 2015

Double hommage à Rabih Kahil, un lion du Liban, et à Cecil, un héros du Zimbabwe (Art.301)


En haut, Rabih Kahil, un commandant de la 
cinquième brigade d'intervention des forces 
armées, tué par un Libanais fin juillet au Liban. 
En bas, Cecil, un lion-vedette tué par un 
Américain début juillet au Zimbabwe. 
Photo : Brent Stapelkamp.
Les faits divers se suivent, mais ne se ressemblent pas. Certes, il y en a tous les jours aux quatre coins de la Terre. Mais, allez savoir pourquoi, certains vous interpellent plus que d’autres, malgré toute la répulsion qu’on peut avoir pour ce genre d’information. Je voudrais vous en parler de deux d’entre eux, qui m’ont particulièrement révolté ces derniers jours.

Dimanche 26 juillet, un commandant de la cinquième brigade d'intervention des forces armées du Liban, les commandos de l'armée libanaise, un dénommé Rabih Kahil, est tué dans le caza d’Aley, alors qu’il était en route pour rendre visite aux siens. Ce crime odieux qui intervient seulement quelques semaines après le crime barbare du Neandertal d’Achrafieh, est révoltant. Rabih Kahil est l’archétype du héros. Naher el-Bared, Tripoli et Ersal, il a combattu les terroristes de la pire espèce aux quatre coins du territoire libanais. Il a fallu que sa route croise celle de deux jeunes racailles, Hicham Daou et Elie Daou, à la cervelle de la taille d’un pois chiche et au QI d’une huitre, pour que sa vie et celle de sa famille basculent. Ça n’a pas plu aux deux énergumènes que l’officier se soit arrêté au bord de la route et descendu de sa voiture pour passer un appel. C’était trop suspect pour les chiens de garde. Après quelques échanges verbaux et malgré le fait que l’officier ait décliné son identité et son grade, le combattant aguerri ne s'est pas suffisamment méfié de ces deux petites crapules, lâche, un d'eux sort un revolver équipé d'un silencieux et tire quatre balles sur ce héros. Grièvement blessé, Rabih Kahil meurt à l’hôpital trois jours plus tard, loin des champs de bataille, victime d’une poussée de testostérone et d’un ego démesuré.

Que le criminel se balade dans la nature avec une arme à feu, n’a rien de surprenant dans un pays comme le Liban. Il aurait d’ailleurs un permis de port d’armes. Pourquoi avait-il ce permis et pourquoi un silencieux, allez savoir ! L'enquête devra déterminer les raisons. En attendant, et pour la énième fois nous dirons, tant que la souveraineté libanaise est privatisée, l’Etat est démissionnaire, le port d’armes n’est pas strictement interdit, et qu’on n’ait pas donné 6 mois aux excités de la gâchette, gorilles de personnalités ou racaille de bidonvilles, pour échanger leurs joujoux contre des pistolets à eau, des meurtres de ce genre auront lieu. Mais que peut-on espérer de dirigeants qui ne sont même pas fichus d’organiser d’une manière professionnelle et responsable le ramassage des ordures dans un pays, et qui ne cherchent qu’à les foutre sous les ponts autoroutiers et dans tel ou tel village ? Il y a pire encore, et c’est sans doute la meilleure occasion d’en parler.

Ce qui m’a toujours frappé en suivant l’actualité du pays du Cèdre via les chaines de télévision et la presse écrite libanaises, c’est le peu de place accordée à la « justice » dans les médias libanais. Qui suit les infos du Liban, a vraiment l’impression que la « justice » n’existe pratiquement pas dans ce pays. Certes, notre système judiciaire n’est pas une référence internationale, mais il existe, il fonctionne et il fait son boulot tant bien que mal. Evidemment qu’il est soumis au lobbying politique et économique, et peut-être même à la corruption. Il a un tas de défauts aussi. Mais, les tribunaux sont bel et bien une réalité libanaise. Ils rendent la justice au nom du peuple libanais. Or, si les médias au Liban consacrent beaucoup de temps d’antenne et de colonne aux délits et aux crimes, effet sensationnel assuré, donc audience, ils zappent en général les procès qui les concernent. Ce qui n’est absolument pas le cas dans les pays occidentaux. Tout Français par exemple est au courant de tous les détails des grands procès en cours, pas les Libanais. On a parfois le verdict, et encore pour de rares affaires très médiatisées. Cette défaillance des médias au Liban a comme conséquence principale de nourrir le sentiment des Libanais, que la justice n’existe pas dans leur pays, ce qui peut faire croire à des racailles comme Tareq Yatim (meurtrier de Georges el-Rif) et Hicham Daou (meurtrier de Rabih Kahil), qu’ils sont au-dessus des lois. A bon entendeur, salut !

Il semble que le meurtrier et ses complices soient de confession chrétienne, l’un d’eux est le fils du président du conseil municipal du village de Bdédoun, et la victime de confession chiite (originaire de Nabatiyé), à l’inverse de ce qui sort du meurtre d’Achrafieh, ce qui prouve qu’en matière de faits divers, il ne faut pas aller vite en besogne et en conclusion. Une dernière chose sur cette tragédie, je voudrais saluer le frère de la victime, qui a appelé simplement et calmement à ce que justice soit rendue, ce qui contraste avec les appels massifs de certains pour appliquer la peine de mort après chaque fait divers qui secoue la société libanaise. Rabih Kahil laisse une jeune veuve et un nourrisson d’un mois. Lâche jusqu’au bout, le meurtrier a pris la fuite.

L’autre info qui m’a mis en grande colère aussi c’est la mort gratuite de Cecil. Pour ceux qui n’ont pas suivi cette affaire qui a émue tous les amoureux de la vie sauvage et des animaux du monde entier, Cecil est un lion, il était célèbre, c’était la vedette du Zimbabwe. Il était majestueux comme tous les grands félins, reconnaissable à sa crinière noire. Le malheur a voulu que le chemin de ce noble félin d’Afrique croise celle d’une racaille américaine, dentiste de métier. Cecil ne craignait pas les hommes, ça lui a été fatal. On le dit et redit, et on vient d’avoir une énième confirmation de ce fait : l’homme est le plus ignoble prédateur sur Terre. Vous croyez que c’était l’alligator ? Absolument pas, c’est un animal de compagnie à côté. Dans certaines circonstances, le reptile peut rester plusieurs mois sans se nourrir. Il ne mange en moyenne qu’une fois par semaine.

Docteur Walter Palmer, le tueur fugitif de 
Cecil et de 43 autres grands animaux, 
dont ce léopard (Zimbabwe, 2010).
Cecil vivait paisiblement depuis treize ans dans le parc national Hwange, jusqu’au jour où Walter Palmer débarque dans le pays. L’homme ne résigne pas sur les moyens pour assouvir ses pulsions criminelles en prévoyant 55 000 $ à cette opération. Avec ce budget, il n’a pas été difficile de trouver deux braconniers locaux pour l’aider dans sa sale besogne. La traque débute le 1er juillet. Pour ce faire, Palmer attache la carcasse d’un animal à son véhicule. Le but étant d’obliger Cecil à le suivre, afin de le sortir du parc national où il est strictement interdit de tirer sur quoi que ce soit. Le dentiste commence la mise à mort en envoyant une flèche de son arc sur le félin. Celle-ci le blesse mais n’est pas suffisante pour venir à bout d’un animal puissant comme Cecil. Du coup, la racaille américaine et ses deux complices zimbabwéens sont obligés de suivre ce noble félin pendant 40 heures. Epuisé après avoir perdu beaucoup de sang, Cecil peut alors être approché par les trois braconniers. Il sera abattu à bout portant par Walter Palmer. Les trois criminels ont tenté par la suite de récupérer la balise GPS, qui permettait à un groupe de scientifiques de l’Université d’Oxford de le suivre, afin qu’on ne puisse pas retrouver le corps.

Certes, ce n’est qu’un animal et tant d'êtres humains meurt aux quatre coins de notre planète. Mais, le comportement de Walter Palmer est tout de même révoltant pour diverses raisons.

D’abord, parce que cette histoire est indigne d’un être humain. On croyait ces pratiques européennes et américaines du XIXe et du XXe siècles, révolues, disparues à jamais et sans regret. L’intelligence devrait rendre les humains plutôt soucieux de leurs responsabilités à l’égard de la nature et de ses habitants, que l’inverse, insouciants et irresponsables. Peu de gens sont conscients aujourd’hui que les grands félins sont des animaux vulnérables, ils peuvent disparaitre un jour de la surface de la Terre à cause de l’homme, de son mode de vie et de ses caprices. Le nombre de lions sur le sol africain est passé en un siècle, de 200 000 individus à moins de 30 000. D’où la campagne de l’organisation National Geographic pour récolter des dons qui serviront à financer des programmes de préservation des populations félines dans les milieux sauvages, et les mettre à l’abri des primates de l’espèce Walter Palmer.

Ensuite, parce que cette chasse est cruelle. Les éléments contre le meurtrier américain sont accablants. Cecil était un animal protégé. Il a été victime d’un traitement cruel et dégradant. Non seulement il a tué avec une grande lâcheté, après une agonie qui a duré 40 heures, mais son meurtre est gratuit et prémédité. Circonstance aggravante, il a été commis de sang-froid par un multirécidiviste, qui a déjà tué 43 animaux, dont un lion, un léopard, un puma, un rhinocéros, un éléphant, un bison, un mouflon, un buffle, un caribou et un cerf et même un ours brun aux Etats-Unis, qui lui a valu une condamnation pour braconnage (2008).

Enfin, parce que ce crime est particulièrement barbare et les regrets exprimés par le criminel n’y changeront rien. On peut être indifférent à l’égard des animaux. On peut aussi chasser certains. C’est même nécessaire pour la régulation des espèces nous dit-on. Admettons. Mais, il y a des choses qui sont communément admises. La place des chats et des chiens dans toutes les cultures humaines, loin des pratiques culinaires abjectes en Chine, est à part. De tout temps et en tous lieux, les humains ont eu en général, un regard bienveillant et une grande tendresse pour ces petits félins et ces canidés. Ce sont des fidèles et de précieux compagnons. Et par extension, nous avons aussi développé une fascination pour les grands félins et les canidés sauvages. Lions, tigres et léopards, mais aussi chacals, renards et loups nous subjuguent depuis la nuit des temps. De grands félins font partie des œuvres de la Chapelle Sixtine de l’art pariétal, la Grotte de Lascaux (Dordogne, -17 000 ans). On en a fait des dieux et des déesses dans l’Egypte antique. Bastet, la déesse de la joie du foyer, de la chaleur du soleil et de la maternité, avait des traits félins. Oupouaout, dieu de la ville d’Assiout, avait les traits d’un chien sauvage. Le sphinx de Gizeh, représente la tête du pharaon Khéphren et le corps d’un lion. C’est la sculpture monumentale monolithique la plus grande de tous les temps, elle est constituée d’un seul bloc qui fait 74m de long, 14m de large, 20m de haut (- 2 500 ans ; à l’époque le plateau de Gizeh était une savane !). Il y a plus de 300 mots en arabe qui se rattachent au lion, « el-assad ». Le prénom « Ariel » en hébreux, désigne le « lion de Dieu ». Louis VIII, roi de France (1223-1226) était surnommé « le Lion », Richard 1er, roi d’Angleterre (1189-1199), « Cœur de Lion » et le commandant Massoud, le chef afghan (1978-2001), « Lion du Pandjchir ». Même Bakhos Baalbaki est du signe du Lion. Seule exception à la règle, où l’attribution du mot a été un raté notoire, c’est avec la famille Assad en Syrie, père et fils sont connus à Antioche et dans tout l’Orient comme étant les « lapins du Golan ». La force tranquille, l’élégance du mouvement, l’organisation sociale, le courage combatif et la tendresse de ces mammifères, a forgé la crainte mais aussi et surtout, le respect des êtres humains. Ces grands prédateurs chassent pour se nourrir et non par plaisir ou par sadisme. Ceci dit, avec toutes ces connaissances, allez imaginer à quel point l’esprit de Walter Palmer doit être dérangé, pour non seulement tué un lion avec cruauté, mais pour qu’il soit capable ensuite de le décapiter et de le dépecer ! Non mais quoi encore, Daech représente la barbarie (islamique) et Walter Palmer, la civilisation (américaine) ? Foutaises.

Par sa mort, Cecil laisse six lionceaux qui se trouvent dans une situation précaire après la mort de leur père, car l’héritier du trône de la savane zimbabwéenne ne tolérera probablement pas ces jeunes rivaux s'ils ne font pas partie de sa progéniture. Lâche jusqu’au bout, le meurtrier de Cecil a pris la fuite. Alors que les deux braconniers zimbabwéens comparaissent devant un tribunal de Victoria Falls, personne ne sait où se trouve le braconnier américain. Etant donné la colère qu’il a suscité dans le monde entier, du Zimbabwe jusqu’aux confins des Etats-Unis, merci les réseaux sociaux, il aura du mal à reprendre une vie normale, ainsi que ses activités criminelles, et ça ne sera qu’un juste retour des choses. Aux dernières nouvelles, Jericho le frère d'armes de Cecil, vice-roi de la savane, a réussi à sécuriser le territoire du défunt félin. Au grand soulagement de tous ceux qui se sont passionnés pour cette histoire animalière, il semble accepter les petits. A priori, les lionceaux de Cecil sont sauvés.  

Cecil n’est évidemment pas le premier animal emblématique d’Afrique à être sacrifié pour satisfaire des primates à la recherche d’une virilité perdue ou qu’ils n’ont jamais connue. Il y a eu un cas célèbre qui a défrayé la chronique et choquer le monde entier, l’Espagne en particulier. C’était en avril 2012, Juan Carlos se fracture la hanche au Botswana. On y regardant de plus près, on découvre que le roi d’Espagne était en safari dans ce pays d’Afrique australe, où il a déversé l’équivalent de 37 000 euros pour tuer un éléphant. Il n’était pas à son premier caprice sénile, lui non plus. Dans tous les cas, la faute n’incombe pas uniquement à ces frustrés occidentaux, complexés et égocentriques, en mal de sensation. Les pays africains portent une lourde responsabilité, puisque certains d’entre eux encouragent cette chasse de luxe, qui constitue une manne financière très appréciée. Hasard du calendrier l’assassinat de Cecil coïncide avec la sortie du film Blood Lions, un documentaire accablant contre l’Afrique du Sud, qui révèle l’existence d’une industrialisation de la chasse des grands félins dans ce pays. Des centaines de lions sont élevés dans des conditions abominables uniquement dans le but d’être tués par des chasseurs de trophées européens et américains. Certains sont abattus, leurs squelettes envoyés en Asie pour nourrir de stupides croyances populaires. Il y aurait plus de 200 fermes et 7 000 lions condamnés à mort. La battue se déroule dans des enclos d’où l’animal ne peut pas échapper. Elle rapporte 14 000 $ à 30 000 $ pour un mâle et 7 000 $ pour une femelle. Pour un après Apartheid, c’est très réussi, chapeau les gars ! La mort tragique d’un lion-vedette du Zimbabwe aura peut-être le mérite d’attirer l’attention du monde sur le sort de centaines de ses cousins en Afrique du Sud, tués pour satisfaire le plaisir sadique de misérables bipèdes en quête de virilité. En attendant que les pays occidentaux, ainsi que les pays asiatiques et africains, se décident enfin à mettre un terme à la chasse ignoble des gros animaux, la plus grande compagnie aérienne au monde, les Emirats, a interdit à partir du 15 mai 2015, tout transport de ces « trophées de chasse » sur ses vols.

Je me sens déjà mieux, d’avoir écrit ces quelques lignes. Mais, je ne serai pas vraiment apaisé que lorsque justice sera rendue pour ce lion du Liban, Rabih Kahil, et pour ce héros du Zimbabwe, Cecil. Je les ai associés exprès dans un même article, car ils sont tous les deux à la fois lions et héros, dans deux pays différents et chacun à sa manière. Quant aux deux êtres primitifs, Hicham Daou et Walter Palmer, qui se sont octroyés le droit d’ôter la vie à un héros de l’armée libanaise et au roi des animaux, ils doivent être jugés, condamnés et emprisonnés selon les lois en vigueur au Liban et au Zimbabwe. L’Etat libanais doit donc tout faire pour retrouver Hicham Daou, et prouver qu’il est encore souverain au Liban. Il en va de l’honneur de l’armée libanaise. Idem pour les Etats-Unis. Je soutiens sans réserve la demande d’extradition de Walter Palmer, vers le Zimbabwe. Un petit geste qui prouvera que la souveraineté des pays en voie de développement est vraiment respectée par les pays qui se considèrent développés.