vendredi 16 décembre 2016

Assad et Poutine ont gagné la bataille d'Alep, mais pas la guerre en Syrie (Art.406)


Il y a des convictions qui ne se discutent pas. Vous me diriez qu'il est abusif dans un tel cas de désigner cet état d'esprit par ce terme. Soit. Disons alors, qu'elles ne sont pas négociables. Bachar el-Assad ne mourra pas dans son lit. Il mourra peut-être par l'une des méthodes de guerre et de torture utilisées par ses hommes pour vaincre Alep et les Aleppins, mais pas dans son sommeil. Il mourra dans un déluge de fer et de feu, enseveli sous les décombres, gazé par du chlore, déchiqueté par un baril d'explosifs, étouffé dans une pièce de 10 mètres carrés avec 65 autres personnes, coincé dans un pneu et battu par des câbles, suspendu au plafond par ses poignets avec ses orteils touchant à peine le sol et frappé avec des bâtons, violé, électrocuté, noyé, ongles arrachés, pénis scotché, peau brûlée avec des cigarettes ou à l'acide, de froid, de chaud, de faim, de peur, de chagrin ou par manque de soins, mais une chose est sûre et certaine, ce grand criminel de l'histoire contemporaine ne mourra pas de sa belle mort.

Certes, on peut rapprocher la guerre de Syrie (depuis 2011; 400 000 morts) de la guerre d'Espagne (1936-1939; 400 000 morts), Assad de Franco, le soutien de Poutine-Khamenei de celui d'Hitler-Mussolini, les djihadistes des brigades internationales, les ingérences arabes des aides de l'Union soviétique, la chute d'Alep de celle de Guernica, et j'en passe et des meilleurs. Ce ne sont pas les éléments qui manquent pour cela. Mais, la guerre civile syrienne se distingue de la guerre civile espagnole par l'étendue de la dévastation, ainsi que par l'ampleur de la déshumanisation. Alep en est la preuve vivante.

Peu de gens pleureront les jihadistes d'Alep, à part leurs familles et leurs frères d'armes. Et encore ! Et pourtant, peu de gens aussi se réjouiront du retour des troupes de Bachar el-Assad dans la 2e ville de Syrie, à part les partisans du régime syrien et de la Russie. Pour comprendre ce qui peut apparaître comme un paradoxe, il faut dire et redire certaines vérités.

La première vérité de toutes les vérités, concerne l'étincelle qui a mis le feu aux poudres, le début de cette descente en enfer à Alep. C'était le 13 avril 2011. Des étudiants syriens de la faculté de lettres manifestent pacifiquement pour réclamer plus de liberté et exprimer leur solidarité avec les victimes de la répression à Deraa et Banyas. La ville ne sera véritablement prise par la fièvre révolutionnaire qu'après la tragédie du 3 mai 2012. Sentant que le campus universitaire bouillonnait de plus en plus, et que la marmite estudiantine devenait incontrôlable, les services de sécurité du régime de Bachar el-Assad décident d'intervenir ce jour-là avec la brutalité qui leur sied. Quatre étudiants trouveront la mort, dont un par défenestration, deux cents seront arrêtés et torturés. Bienvenue dans l'école de la tyrannie des Assad. Deux semaines plus tard, manifestation monstre et des gens en colère qui réclament cette fois, la chute du régime de Bachar el-Assad. Cette vérité est immuable, elle résume tout le drame de la Syrie : la révolte syrienne était pacifique, c'est la répression barbare de la tyrannie des Assad qui l'a poussé dans le précipice de la militarisation de la révolte, la généralisation du conflit et la radicalisation de la révolution. Une triple erreur fatale.

La deuxième vérité est celle que les vainqueurs essaient de cacher sous leurs rangers et leurs sandales. Terroristes, islamistes, jihadistes, miliciens, résistants, rebelles, insurgés ou aventuriers de l'extrême, appelez-les comme vous voulez, les combattants d'Alep font partie de tout ce qui est possible et imaginable, sauf de l'Etat islamique. Depuis janvier 2014, càd depuis près de trois longues années, Daech n'est pas présente à Alep. Pas parce qu'elle ne le souhaite pas, mais parce qu'elle en fut chassée. Il n'est peut-être pas nécessaire aux yeux de certains de faire la moindre distinction dans la galaxie islamiste. Toutefois, il faut tout de même rappeler, que la communauté internationale s'est fixée comme objectif prioritaire depuis août 2014, l'anéantissement de Daech. Par cette vérité, nous avons une preuve de plus, comme s'il en fallait !, que l'intervention russe en Syrie, comme l'intervention iranienne et celle du Hezbollah libanais, vise depuis le départ à sauver le régime syrien de Bachar el-Assad qu'à écraser les terroristes de Daech, l'organisation responsable des attaques odieuses du 13-Novembre (Paris, 2015).

La troisième vérité apparaît comme la plus embarrassante. Au moment où les forces de l'axe Assad-Nasrallah-Khamenei-Poutine resserraient leur étau sur Alep, Daech entrait triomphalement dans Palmyre. Et encore, l'humiliation ne se limite pas à cela. Les quelques centaines de terroristes qui ont repris cette cité antique, n'ont rencontré aucune résistance sérieuse. Les forces d'Assad avaient pris la fuite laissant derrière eux des chars et de nombreuses caisses de munition, dont des équipements de défense anti-aérienne (des canons, voire des missiles). Ils n'ont même pas eu la présence d'esprit et le temps de les faire exploser à défaut de les embarquer, comme l'exigent les usages militaires. Même topo du côté des forces de Poutine, les livres en cyrillique sont restés ouverts sur les tables. Les militaires russes n'ont pas pu emporter l'aigle royal de leur campement, ils ont à peine eu le temps de tirer la chasse d'eau. D'après les dernières nouvelles, Daech aurait même tenté une offensive contre la plus importante base aérienne du régime syrien en Syrie, T4, située à Tiyas, à mi-chemin entre Palmyre et Homs. Certes, la débâcle de Palmyre ne vaut pas celle d'Alep sur le plan militaire. Mais, sur le plan de la propagande des uns et des autres, il y a bien un détail à relever et qui a son importance : Daech n'a pas perdu à Alep et il a gagné à Palmyre, alors que le régime syrien a gagné à Alep mais il a perdu à Palmyre.

Les autres vérités découlent des précédentes. Il y en a un paquet. Primo, il est clair que Bachar el-Assad n'est plus capable de contrôler toute la Syrie, malgré un soutien maximal de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah. Il doit faire des choix militaires lourds de conséquences. Secundo, la priorité d'Assad est de reprendre le contrôle de la Syrie vitale, les grandes villes (Alep, Homs, Hama, etc.), et de mieux sécuriser le centre du pouvoir à Damas et le territoire de repli, le réduit alaouite de Lattaquié. Tertio, la stratégie de l'axe Assad-Nasrallah-Khamenei-Poutine est de plus en plus claire: laisser à la coalition arabo-occidentale la mission d'anéantir l'Etat islamique - Daech (c'est encore la coalition constituée par les Etats-Unis qui est intervenue pour détruire une partie de l'armement repris par Daech à Palmyre et non l'aviation russe !), afin de pouvoir se focaliser sur tous les groupes armés anti-régime, notamment les rebelles modérés, pour qu'à la fin de la nuit, seule la tyrannie des Assad reste en place, au milieu des ténèbres. Revenir à la case de départ -on n'en est pas encore là, Dieu merci!- est non seulement pas dans l'intérêt du peuple syrien, mais c'est une menace pour la sécurité du monde entier.

Justement, parlons-en, cela nous permettra de dégager deux vérités fondamentales sur la guerre en Syrie.

« A Maghayir, un quartier jadis résidentiel de la
vieille ville d’Alep. Ce jour-là, 35 immeubles furent
détruits, tuant 18 civils »
(21 juillet 2015). 

Extrait de l'album de Karam al-Masri, étudiant
en droit, puis photographe. Emprisonné et torturé
par le régime syrien, puis kidnappé par Daech.
Il collabore avec l'AFP. Il a filmé sa ville, Alep,
entre 2013 et 2016. L'Obs, 8 oct. 2016

Quelque soit l'issue des batailles ici ou là, à Alep ou à Palmyre, il y a une équation simple qui n'est plus du tout viable en Syrie, depuis longtemps et encore moins aujourd'hui. Il faut vraiment descendre des autruches, pour ne pas voir une vérité aussi éclatante et prétendre comme l'a fait hier Bachar el-Assad, dans une vidéo filmée par un téléphone portable, pour faire du dictateur et du boucher, un homme cool et branché : « Je pense qu'après la libération d'Alep, on dira que non seulement la situation syrienne, mais aussi celle aux niveaux régionale et internationale, est différente ». Différente certes, mais pas comme il l'entend. Un tyran sanguinaire comme Bachar el-Assad, issu d'une communauté alaouite qui ne représente que 10% de la population syrienne, le principal responsable d'une guerre aussi atroce qui a fait 400 000 morts et a jeté sur les routes la moitié de la population syrienne, laissant un pays dévasté pour les 50 prochaines années et deux générations d'êtres humains traumatisées à vie, ne peut absolument plus faire partie de l'avenir de la Syrie et continuer à dominer 70% de la communauté sunnite syrienne. Impossible, fin de la discussion. Qui ne veut pas voir cela, Vladimir Poutine, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen compris, n'a qu'à se préparer à enfoncer longtemps et profondément sa tête dans la bourbe de la guerre en Syrie.

Le destin d'Alep est scellé à moyen terme. Il a fallu quatre ans et demi au régime syrien, quand même, et un soutien irano-hezbollahi-russe conséquent, tout de même, pour permettre à l'armée syrienne cantonnée seulement dans la partie ouest de la ville, de reprendre la partie est, au prix de destructions massives et de milliers de morts. L'évacuation des civils qui y vivaient toujours et des combattants qui tenaient ces quartiers, prendra encore quelques jours. Elle fait craindre le pire pour les survivants : des massacres de civils et des exécutions sommaires de combattants. En dépit de ce qu'en dit la propagande syro-hezbollahi-irano-russe, le co-vainqueur de cette offensive est hélas, l'organisation terroriste « Etat islamique ». En reprenant Palmyre des forces syriennes (au même moment de la chute d'Alep), en menaçant la plus importante base aérienne du régime syrien à Tiyas, et en résistant à Mossoul aux forces irakiennes qui sont appuyées pourtant par la coalition internationale (depuis deux mois déjà!), sachant qu'elle n'était pas présente à Alep, Daech ne manquera pas d'attirer des islamistes affligés par le martyre de cette ville, qu'ils viennent de Syrie, d'Europe ou du reste du monde, et de siphonner les vaincus des fractions jihadistes rivales. La chute d'Alep pourrait fédérer certains groupes jihadistes sous la bannière de l'Etat islamique, gonfler les rangs de Daech par de nouvelles recrues subjuguées par sa puissance et pousser l'organisation terroriste à d'interminables actions de harcèlement contre les troupes du tyran de Damas. Si Bachar el-Assad et Vladimir Poutine ont gagné la bataille d'Alep, ils sont loin, très loin, d'avoir gagné la guerre de Syrie. Et encore, à quel prix ils l'ont fait ! La honte.

dimanche 4 décembre 2016

Les destins croisés de François Hollande et de François Fillon (Art.405)


François Hollande renonce à participer à la primaire du Parti socialiste au même moment où François Fillon remporte la primaire organisée par le parti Les Républicains. Voici les destins croisés de deux hommes qui ont gouverné la France au cours des dix dernières années.

I. La primaire, de droite ou de gauche, est une mascarade démocratique

Comme au 1er tour, tout le monde se réjouit de l'engouement des Français pour une présélection à laquelle pourtant, 90% des citoyens n'ont pas jugé utile de prendre part. Pour se rendre compte du ridicule du processus des primaires, de droite ou de gauche, il faut savoir que l'élection présidentielle en France attire jusqu'à 87% des électeurs inscrits, à l'inverse des primaires. Sur les 14 tours des 7 dernières élections présidentielles, il n'y a qu'une seule fois où la participation était en dessous des 78%. Entre 1974 et 2012, la moyenne du 1er tour de l'élection présidentielle française s'est située à 80%, celle du 2e tour à 83%. La primaire de la droite en 2016 n'a même pas pu franchir la barre symbolique des 10% de participation, ni au 1er tour ni au 2e, malgré le battage médiatique et un clivage significatif entre les candidats qui se présentaient. Avec un si faible taux de participation, près de 4,38 millions de votants sur 44,8 millions d'électeurs inscrits, comme avec la Primaire de la gauche organisée pour la première fois en France en 2012 (avec 2,86 millions de votants, elle a vu triompher François Hollande), la présélection des candidats par la base, en France comme aux Etats-Unis, considérée comme une grande avancée pour la démocratie dans le monde, est une mascarade électorale.

II. Quelle légitimité pour les candidats des primaires, sachant que 95% des Français ne les ont pas mandaté ?

Avec 2 votes contre 1, la victoire de François Fillon sur Alain Juppé est nette, il peut en être fier. Et pourtant, il n'y a pas de quoi pavoiser. En réalité, le gagnant n'a récolté que 2,9 millions des voix. Avec des scores à hauteur de 4,2% de tous les électeurs inscrits sur les listes électorales au premier tour et 6,5% au deuxième tour, on ne peut pas esquiver la question qui fâche à quelques mois de l'élection présidentielle : quelle légitimité peut avoir un candidat présidentiel -Fillon, Juppé, Hollande ou Valls, qu'importe- pour imposer son programme politique, sachant que près de 95% des 66 millions de Français ne l'ont pas mandaté pour cela au moment de sa présélection?

III. Tout reste à faire pour François Fillon : unir son camp et convaincre les Français

Pour que François Fillon, le candidat de 6,5% des électeurs parvient à se faire élire lors de l'élection présidentielle, il faudra d'une part, qu'il unisse son camp après la bataille fratricide de la Primaire qui a laissé beaucoup d'amertume, du côté des juppéistes, comme du côté des sarkozystes, ex-anti-fillonistes, à qui il doit sa victoire. D'autre part, il faudra qu'il convainque un plus grand nombre d'électeurs au cours des cinq prochains mois. La tache sera difficile tellement le programme du candidat de la droite est ultralibéral, conservateur, austère et pro-poutinien : suppression des 35 heures, hausse du temps de travail dans le secteur privé (dans la limite de 48h/semaine), hausse du temps de travail dans le secteur public (sans augmentation de salaire), suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, hausse de l'âge de départ à la retraite à 65 ans, hausse de la TVA, suppression de l'encadrement des loyers à Paris, suppression de la dégressivité des allocations-chômage, restriction du champ d'action de la Sécurité sociale, suppression du principe de précaution, menaces de retrait de la France de la Cour européenne des droits de l'homme, suppression de l'adoption plénière par les homosexuels, vote d'une loi anti-burkini contre l'avis du Conseil d'Etat, renvoi des terroristes français dans les autres pays en violation du droit international, alignement de la politique étrangère de la France sur l'axe Poutine-Assad-Khamenei, etcétéra, et cetera, etc. On voit bien que c'est loin d'être gagné.

IV. Le programme de la droite est une aubaine pour la gauche

Etant donné l'état d'esprit des Français aujourd'hui, qui seraient favorables à une alternance politique, les gauches, les écologistes et les centres, divisés, n'ont aucune chance de s'engager efficacement dans la bataille présidentielle que si d'une part, les trois entités politiques parviennent, ensemble ou séparées, à désigner un candidat unique (Manuel Valls, Emmanuel Macron, etc.), et si d'autre part, ils le mandatent d'appliquer une vraie politique de gauche, écologique et du centre. La marge de manœuvre est très étroite. La gauche, l'écologie et le centre doivent donner de l'espérance aux Français en leur proposant un modèle de société épanouissant pour les individus, responsable sur le plan environnemental et qui préserve le modèle social de la France, tout en évitant de tomber dans le populisme, comme la droite sur certains points. Un tel programme politique se doit d'être juste, réaliste et crédible. Reprendre le programme de Fillon et proposer aux Français exactement le contraire, point par point, c'est la seule voie qui permettra à la gauche, à l'écologie et au centre, d'être au second tour de l'élection présidentielle et de battre François Fillon.

V. Hollande-Valls (2012-2017) vs. Sarkozy-Fillon (2007-2012)

Depuis 2012, le pouvoir exécutif Hollande-Ayrault-Valls a fait des choix politiques difficiles afin de freiner l'augmentation de la dette publique, diminuer le déficit budgétaire, relancer la croissance, diminuer le chômage et préserver le modèle social progressiste de la France (dans les domaines de la santé, la retraite, le travail, l'éducation, etc.). Il faut dire qu'on revenait de loin. La droite guidée par Nicolas Sarkozy et François Fillon a laissé une France lourdement endettée. C'est un fait indiscutable. A leur arrivée en 2007, la dette publique était un peu plus de 1 250 milliards d'euros, soit près de 65% du PIB (produit intérieur brut). A leur départ en 2012, donc à l'arrivée de François Hollande, la dette avait explosé pour passer à 1 870 milliards d'euros, soit près de 90% du PIB. Sous le tandem Sarkozy-Fillon, la dette publique a donc augmenté de près de 620 milliards d'euros, soit près de 50% de sa valeur initiale.

On peut disserter longtemps sur les choix économiques des uns et des autres, mais une chose est sûre et certaine pour tous les experts dans ce domaine, on peut encore bien gérer une dette publique à 65% du PIB, mais à 90%, le point de non-retour est franchi. Plus un pays est endetté, plus sa marge de manœuvre est étroite, voire inexistante. Pour avoir une idée de ce fardeau économique, sachez que dans la loi de finances pour l'année 2016, la charge de la dette (les intérêts payés par l'Etat français) s'élève à 44,5 milliards d'euros, soit 10,7% du budget de l'Etat français. C'est le 4e poste de dépense de la France.

Alors, lorsque François Fillon répète incessamment que la France est en faillite, on est pleinement dans le surréalisme politique, aux confins du grotesque et de la tragi-comédie, comme le prouvent ces chiffres effrayants qui résume l'ère désastreuse du mandat Sarkozy-Fillon. Le Fillon nouveau du millésime 2016 cherche d'une part, à faire oublier qu'il est le principal responsable de l'état financier du pays (millésimes 2007-2012, 620 milliards d'euros de plus), et d'autre part, à conditionner les Français pour accepter l'américanisation du modèle social (ses projets concernant la Sécurité sociale par exemple).

Rien que pour cela, le duo Sarkozy-Fillon aurait dû être banni de la sphère public à vie. Hélas 6,5% de Français, ont décidé autrement et de la manière la plus incompréhensible qui soit : on a congédié l'un et félicité l'autre. Punition pour le premier, promotion pour le second. De l'autre côté, le trio Hollande-Ayrault-Valls a réussi à freiner la progression vertigineuse de la dette publique sous Sarkozy-Fillon et à faire baisser le déficit budgétaire de la France. François Hollande quittera le pouvoir en 2017 avec une dette publique estimée à 96% du PIB et un déficit budgétaire sous la barre des 3% du PIB respectant les critères européens. Dire ou faire croire que la droite est forcément une meilleure gestionnaire de l'argent public que la gauche est faux et relève du fantasme et de la mythologie dans le cas de Sarkozy-Fillon.

VI. Environnement, sécurité intérieure et affaires étrangères : heureusement que la France avait François Hollande et non François Fillon entre 2012 et 2017

Au-delà de la dette publique et du déficit budgétaire, il y a trois domaines où il faut remercier une majorité d'électeurs français d'avoir eu la sagesse en 2012 de congédier la droite et de porter la gauche au pouvoir.

Message de l'ancien gouverneur de
la Californie au président de la République
:
« François, félicitations pour votre décision.
Vous êtes le champion du peuple et de
l'environnement. On vous aime.
Arnold (Schwarzenegger) » 
Le premier concerne l'environnement. Alors que la planète est menacée par une véritable catastrophe écologique dû au changement climatique induit par l'insouciance de l'homme et ses activités irresponsables, le trio Hollande-Valls-Fabius a su conduire avec un succès indéniable l'une des négociations les plus difficiles de l'histoire humaine, qui a conduit 195 pays du monde lors de la COP21 à s'engager à prendre toutes les mesures nécessaires pour limiter la hausse de température de la Terre d'ici l'an 2100 entre 1,5°C et 2°C. Alors là, chapeau! Par comparaison, la droite de François Fillon envisage si elle revient au pouvoir de supprimer purement et simplement le « Principe de précaution » de la Constitution, une contrainte juridique qui impose en cas d'absence de certitudes scientifiques, de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les éventuels risques graves et irréversibles pour l'environnement.

Le deuxième concerne la sécurité intérieure. Alors que la France était la cible de plusieurs attaques terroristes particulièrement odieuses, le duo Hollande-Valls a su prendre les mesures nécessaires pour combattre efficacement le terrorisme, protéger la population française et préserver l'unité nationale, sans tomber dans les amalgames islamophobes entre islam et islamisme, sans céder à la tentation de tout sécuritaire et sans procéder à des violations graves des libertés fondamentales en France. Alors là, chapeau! Si c'était la droite qui était au pouvoir, je ne suis pas sûr qu'un duo comme Sarkozy-Fillon aurait réagi avec autant d'efficacité et de sagesse, comme le prouve la gestion de l'affaire Mohammad Merah.

Le troisième concerne les affaires étrangères. Alors que la France était confrontée à l'un des conflits les plus complexes et les plus déshumanisés de l'histoire contemporaine, la guerre en Syrie, le quatuor Hollande-Ayrault-Valls-Fabius a su intervenir efficacement contre l'organisation terroriste Daech (Etat islamique), débarrasser le Moyen-Orient des armes de destruction massive (l'arsenal chimique du régime syrien), tenter de faire voter des résolutions au Conseil de sécurité (bloquées par la Russie et la Chine), soutenir la révolte du peuple syrien contre son tyran, sans légitimer Bachar el-Assad, le principal responsable de la dégénérescence d'une révolution pacifique en une guerre civile, sans s'allier avec Vladimir Poutine, le principal responsable de l'enlisement sanglant de la guerre civile. Alors là, chapeau! Si c'était la droite au pouvoir, il est sûr et certain qu'un trio comme Sarkozy-Fillon-Juppé aurait envenimé la situation , comme le prouve sa guerre irréfléchie en Libye (2011) et le chaos qu'elle a engendré (installation de Daech, ouverture de la route des migrants vers l'Europe via l'Italie, dissémination des armes en Afrique, etc.) ou la nouvelle alliance prônée par Fillon, qui aboutira à l'alignement de la France sur l'axe Poutine-Assad-Khameneï, principaux responsables de la transformation de l'organisation terroriste « Etat islamique d'Irak » en « Etat islamique en Irak et au Levant », Daech.

VII. Les destins comparables de François Hollande, Nicolas Sarkozy et Lionel Jospin

Il y a à l'égard de l'actuel président de la République une hollandophobie, comme il y en a eu à l'encontre de l'ancien chef d'Etat, une sarkophobie. On peut ne pas être d'accord avec ces deux hommes, force est de constater qu'une partie du rejet dont ils font l'objet, est déterminé par leur caractère et leur comportement. Ce qui a agacé dans la performance politique de Sarkozy c'est son omniprésence et son arrogance, dans celle de Hollande, c'est sa discrétion et sa normalité. En renonçant à se représenter, le président de la République a su mettre son ego en sourdine, privilégier l'intérêt général et tirer sa révérence au bon moment. Pour comprendre le mérite de Hollande, il faut simplement se rendre compte que Sarkozy a fait exactement le contraire. Voilà pourquoi son renoncement forge le respect.

En prenant sa décision, François Hollande a pensé également à l'ironie du destin qui a frappé Lionel Jospin. Avec un bilan respectable après cinq ans passés à Matignon, le Premier ministre sortant se voyait déjà au 2e tour de l'élection présidentielle de 2002, face au président sortant, Jacques Chirac, dont la vacuité du bilan faisait de lui le perdant tout désigné de la bataille. Mais, la bêtise des leaders des gauches, qui ont multiplié les candidatures, et la volonté non moins stupide de certains électeurs de gauche, de donner une belle claque au candidat du Parti socialiste, qui n'aurait pas été suffisamment à gauche à leurs yeux, a conduit à l'élimination pur et simple du Lionel Jospin dès le premier tour. Ce fut le choc du 21 avril. François Hollande a sans doute voulu éviter une telle humiliation, dès la Primaire dans son cas.

VIII. Le clivage droite-gauche au cœur de la bataille présidentielle de 2017

Il est clair dès aujourd'hui que la bataille présidentielle de 2017 se déroulera sous les étendards d'une « droite décomplexée » et d'une « gauche authentique ». Ce clivage profond de la société française soulèvera beaucoup de question sur l'avenir du pays. Quel sera le nouveau cap du navire France? Faut-il virer à tribord (droite) ou à bâbord (gauche)? Que feront les gens du centre, de l'écologie et de l'extrême gauche? S'il est tôt pour parler de la gauche et de ses entités politiques apparentées, pour la droite les choses sont claires. Elle a un candidat unique qui a été mandaté par 6,5% des électeurs inscrits sur les listes électorales en France. Dans un contexte tendu, quelle perspective pour l'avenir? Pour y répondre, il faut se pencher sur les élections présidentielles où le clivage droite-gauche était aussi important qu'aujourd'hui. Il y en a eu deux. En 2007, se sont affrontés, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou, Jean-Marie Le Pen et d'autres candidats. En 2012, se sont affrontés, François Hollande, Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou et d'autres candidats. De la plongée dans les chiffres on apprend que pour passer le 1er tour d'une élection présidentielle clivante, il faut convaincre près de 10,24 millions d'électeurs français, et pour être élu, la barre des 18,49 millions d'électeurs doit être atteinte.

Pour finir cet article en beauté et l'achever avec sarcasme, je m'autorise à paraphraser l'échange historique entre Louis XVI et le duc de La Rochefoucauld, à l'aube de ce 15 juillet 1789, afin de rappeler une évidence oubliée par le vainqueur au lendemain de sa victoire. Dimanche dernier, ce n'était pas l'élection. Non Sire Fillon, c'était une primaire ! Le plus dure pour François Fillon reste donc à faire. Une élection présidentielle avec 44,8 millions d'électeurs appelés aux urnes et une participation qui dépassera les 80% des inscrits, c'est une tout autre paire de manches. C'est dans cinq mois. En politique, c'est une éternité.

IX. Pour être élu président de la République, il faut pouvoir convaincre 18,5 millions de Français

Parlons peu, parlons bien. La Primaire de la droite, organisée à la fin du mois de novembre, a donné le véritable coup d'envoi de la course présidentielle. Dans les starting-blocks il n'y a pour l'instant que François Fillon qui est assuré de courir toute la distance de la campagne électorale. La gauche elle, n'est qu'au stade de la présélection des candidats. Elle doit pour gagner défendre le bilan du quinquennat et se présenter unie derrière un programme politique progressiste anti-Fillon, point par point. Seul le désistement de François Hollande permettait de relever ce triple défi. L'actuel président de la République pouvait faire autrement. Il ne l'a pas fait. Que ça soit une première de l'histoire de la Ve République, qu'un président sortant ne se représente pas à l'élection présidentielle, ne saurait occulter une autre première où un leader politique privilégie à ce point l'intérêt général de sa famille politique à son ego.

Pour franchir le 1er tour de l'élection présidentielle française prévue le 23 avril 2017, Sire Fillon doit passer de 1,88 million d'électeurs (score du 1er tour de la Primaire) à 10,24 millions d'électeurs (moyenne des deux candidats arrivés en tête lors du 1er tour des élections présidentielles de 2007 et 2012). Il doit donc convaincre 8,36 millions d'électeurs en plus, que son programme ultralibéral, austère, conservateur et propoutinien, est dans leur intérêt. Eh bien, disons que ça ne sera pas facile. Et pour être élu au 2e tour président de la République française le 7 mai 2017, lors d'une élection aussi clivante que celle qui s'annonce, Sire Fillon doit passer de 2,9 millions d'électeurs (score du 2e tour de la Primaire, soit 6,5% des électeurs inscrits) à 18,49 millions de votants (moyenne du candidat élu lors du 2e tour des élections présidentielles de 2007 et 2012, soit 41,3% des électeurs inscrits).

Ainsi, pour passer de l'hôtel Matignon au palais de l'Elysée, il ne suffit pas de connaître l'adresse des lieux, de gagner la Primaire de la droite, de traverser la Seine, de s'essuyer les pieds et de rentrer. François Fillon doit convaincre 15,59 millions d'électeurs français en plus, le 7 mai 2017, sans perdre les 2,9 millions qui lui ont fait confiance le 27 novembre 2016 au cours des cinq prochains mois d'une campagne électorale clivante, que son programme ultralibéral, austère, conservateur et propoutinien, est dans leur intérêt et dans l'intérêt de la France et des Français. L'ironie de l'histoire c'est qu'il est le premier à savoir qu'une élection n'est pas gagnée d'avance. Et pour cause, ce qui lui a fait gagner la Primaire de la droite, justement ce programme, pourrait lui faire perdre l'élection présidentielle.