dimanche 26 avril 2015

Etat des lieux de la guerre en Syrie à travers l’interview de Bachar el-Assad par David Pujadas sur France 2 (Art.285)


Il y a d’abord l’anecdote à 1 piastre. Il a fallu 9 minutes et 59 secondes de tractations pour que les services de sécurité d’Assad accordent à l’équipe de Pujadas le droit d’ouvrir le coffre de la voiture qui le transportait de Beyrouth à Damas, afin que la star de France 2 récupère ses lentilles de contact et la trousse de maquillage. Il y a ensuite la question de principes à 5 piastres. « Ils n’ont pas exigé de connaître ni les questions ni les thèmes » (France TV, 20 avril). Il y a enfin les justifications à 10 piastres. « Bien sûr, il est au ban de la communauté internationale. Mais, il doit être questionné, confronté aux faits, aux éléments, sur sa répression » (20 Minutes, 20 avril). Au total, cette interview de France 2 vaut 16 piastres, les centimes n’ont pas cours dans nos contrées.

Qui suit les déclarations de « l’homme malade » de la Syrie, qui est très rusé soit dit en passant, n’apprendra rien de celles de dimanche dernier. Aucune valeur ajoutée. Certes, David Pujadas a pu poser des questions directes et dérangeantes à Bachar el-Assad, in english please, sur un ensemble de sujets sensibles concernant la guerre civile syrienne. D’où l’autosatisfaction affichée par le journaliste français à son retour. Même s’il faut reconnaitre que ce dernier n’a pas mâché ses mots en posant ses questions, il est intéressant de constater aussi que le chef du régime syrien s’est vu offrir une tribune occidentale et tout le loisir de diffuser sa propagande sans qu’il ne soit contredit, ou peu, et mis en échec, à aucun moment. Et c’est bien là où réside l’erreur professionnelle commise par le présentateur du JT de France 2. Pour s’en rendre compte, la preuve par huit, qui me permettront au passage, de faire un état des lieux de la guerre en Syrie.

I. Le début de la révolution syrienne
- David Pujadas (DP) : « Pour une grande partie de la France, vous êtes en large part responsable du chaos qui règne en Syrie à cause de la brutalité de la répression qui a été menée ici depuis quatre ans. Selon vous, quelle est votre part de responsabilité ? »
- Bachar el-Assad (BA) : « Dès les premières semaines du conflit les terroristes se sont infiltrés en Syrie avec l'appui d'états occidentaux et régionaux. Ils ont commencé à attaquer les civils et à détruire des propriétés publiques et privées... Si ce que vous dites était vrai, comment un gouvernement ou un président qui a agi de façon brutale envers sa population, tué ses concitoyens (...) aurait-il pu résister pendant quatre ans ? Est-il possible d’avoir le soutien de son peuple quand on est brutal avec lui ? »
- DP : « Au départ, il y avait des dizaines de milliers de personnes dans les rues. Il n’y avait que des djihadistes ? »
- BA : « Bien sûr que non... »

D’entrée en matière, on a donc droit à la réécriture de l’histoire de la révolution syrienne. C’est le leitmotiv du leader alaouite syrien pour faire oublier les raisons profondes du soulèvement de la communauté sunnite syrienne, qui représente 70% de la population de la Syrie, contre la dynastie tyrannique des Assad, père et fils, qui est issue de la communauté alaouite, qui ne représente que 10% de la population syrienne, mais domine tous les appareils de l’Etat syrien -notamment l’armée, ainsi que les services de sécurité et de renseignement- et qui réprime, tue et massacre depuis 40 ans, en Syrie comme au Liban, les populations syrienne et libanaise.

Pour ce qui est du conflit actuel, comme l’a confirmé la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, dans un rapport datant du 5 février 2015 (publié le 20) : « Les forces gouvernementales ont ouvert le feu sur les manifestants quand un mouvement de protestation a éclaté dans la ville de Deraa en mars 2011. Pour faire face à la propagation de ce mouvement au reste du pays, le gouvernement eu recours à la violence et, souvent, à la force meurtrière (...) Durant les premières attaques terrestres, les forces gouvernementales ont tué ou torturé des civils résidant dans ces localités ainsi que des individus armés qu’elles avaient capturés (...) Des crimes contre l’humanité sous forme de torture et de meurtres (ont été commis dans les prisons gouvernementales entre mars 2011 et janvier 2015). » Assad est donc le premier responsable du désastre en Syrie.

II. L’émergence de l’Etat islamique
- DP : « Beaucoup de journalistes et d’analystes disent que vous avez favorisez l’émergence du groupe ‘Etat islamique’ (EI) parce que c’est une opportunité pour vous d’apparaître comme un rempart, un bouclier. »
- BA : « Mais le groupe ‘Etat islamique’ a été créé en Irak en 2006 sous la supervision des Américains... quand il y a eu le chaos en Syrie, le groupe EI est venu en Syrie... »
- DP : « Donc vous n’avez aucune responsabilité dans ce qui s’est passé ces dernières années ? »
- BA : «... Chacun a une part de responsabilité (...) Mais là, je parle de ce qui a amené le groupe EI en Syrie, le chaos. Et votre gouvernement, ou si vous préférez qu’on le désigne par le terme de ‘régime’ comme ils le font pour nous, le ‘régime français’ est responsable car il a soutenu ces djihadistes en les considérant comme une opposition modérée. »
- DP : « La France soutient la Coalition National Syrienne. Sont-ils des terroristes ? »
- BA : « Ceux qui à l’heure actuelle reçoivent le soutien et possèdent des armes occidentales appartiennent au groupe EI, armé et équipé par votre Etat et d’autres pays occidentaux (...) Ceux que vous considérez comme modérés, ont diffusé en 2012, avant que le groupe EI n’apparaisse, et que l’Occident ne reconnaisse même l’existence du Front al-Nosra, une branche d’al-Qaeda, des vidéos dans lesquels ils dévoraient le cœur d’un soldat syrien, mutilaient des corps d’autres victimes, décapitaient d’autres (...) Comment pouvez-vous ignorer cette réalité puisque ce sont eux qui la diffusent ? ».
- DP : « Let’s talk about the present ».

Foutaises. Ce que les deux protagonistes ont oublié de mentionner aux téléspectateurs français -le Syrien par conviction, le Français par omission- c’est que Bachar el-Assad a tout fait pour offrir aux islamistes et aux djihadistes, d’Irak et de Syrie, les meilleures conditions qui soient, pour s’épanouir en Syrie, dans le but de saboter la révolution syrienne de l’intérieur. Durant ces quatre années de révolte, de révolution et de guerre, le régime syrien a travaillé dans trois directions en se fixant trois objectifs :
1. Maintenir la répression brutale et sanglante des opposants pacifistes sunnites, d’une part, pour les neutraliser, et d’autre part, pour favoriser leur radicalisation et justifier ainsi, la répression du régime.
2. Libérer massivement tous les islamistes sunnites emprisonnés par le régime de Bachar el-Assad avant 2011 afin que ces éléments sunnites radicalisés par la torture qui leur était infligée dans les prisons du régime alaouite, puissent infiltrer et radicaliser les opposants au régime et faire apparaitre Bachar el-Assad comme un rempart à l’expansion islamiste en Syrie.
3. Epargner les groupes extrémistes sunnites, Etat islamique et Jabhat al-Nosra, pour s’attaquer en priorité aux groupes modérés de l’Armée Syrienne Libre (ASL) et de la Coalition Nationale Syrienne (CNS), afin d’écarter du théâtre syrien les opposants respectables aux yeux des pays arabes et occidentaux, qui sont à même d’assurer la relève du pouvoir militaire et politique à Damas.

Pour la diversion cannibale, il faut savoir qu’effectivement un Syrien sans doute meurtri par toutes les horreurs qu’il avait vues, avait extrait le cœur d’un soldat mort de sa cage thoracique, mais ne l’avait pas dévoré. En tout cas, ce détail macabre de la guerre ne saurait faire oublier l’institutionnalisation barbare de la torture par le régime syrien comme le confirme l’album de César, un témoignage accablant pour Bachar el-Assad, composé de 54 000 photographies qui montrent les corps de 11 000 hommes, femmes et enfants syriens, mutilés, affamés et torturés par les services du régime. Si David Pujadas ne pouvait pas connaitre l’anecdote cannibale, il n’avait aucune excuse d’ignorer qu’il y a quelques semaines seulement, des clichés de l’album de César ont été exposés au siège de l’ONU. Pire encore, avant de prendre la route de Damas, le journaliste français aurait dû plonger dans ce rapport de 64 pages de la Commission d’enquête de l’ONU publié il y a 2 mois. Il aurait appris que « le recours à la torture était généralisé et systématique dans les locaux de plusieurs institutions (du régime)... Les informations recueillies (par la Commission d’enquête de l’ONU) dénotent l’existence d’une politique d’État mise en œuvre dans les différents gouvernorats ».

III. L’usage de barils explosifs
- DP : «  Il apparait que l’armée syrienne continue à utiliser des armes aveugles, notamment des barils explosifs (...) pourquoi poursuivez-vous cette stratégie ? »
- BA : « Nous n’avons jamais entendu parler au sein de notre armée d’armes aveugles... qui seraient inutiles de point de vue militaire... »
- DP : « Vous n’utilisez pas de barils explosifs ? »
- BA : « C’est quoi les barils explosifs ? Vous pouvez me dire ce que c’est ? »
- DP : « Il y a des documents, des vidéos ou des photos comme celle-ci où l’on peut voir un baril explosif largué d’un hélicoptère. Ceci est à Alep, ceci est à Hama (...) seule l’armée syrienne possède des hélicoptères... »
- BA : « Ce n’est pas une preuve... je n’ai jamais vu une chose de ce genre dans notre armée. »
- DP : «  Vous dites que ce sont de faux documents ? »
- BA : « Il faut que ça soit vérifié. Dans notre armée nous n’utilisons que des bombes conventionnelles qui nécessitent de viser. Nous n’avons aucun armement qui puisse être utilisé aveuglement. C’est tout. »
- DP : « Ce sont bien des hélicoptères. Seule l’armée syrienne en possède. »
- BA : « ... A quoi bon de tuer aveuglement ? Pourquoi tuer les civils ? La guerre en Syrie consiste à gagner le cœur des gens, pas à les tuer. Si vous tuez les gens, vous ne pouvez pas rester au gouvernement ou rester président. C’est impossible. »
- DP : Zapping.

On comprend que le tyran de Damas a tout intérêt à jouer au naïf concernant les barils d’explosifs. Mais, il aurait dû être ridiculisé par le journaliste français. De conception primitive, ces armements de racaille, composés de barils que les artificiers du régime bourrent de matières explosives, comme la TNT, et d’éclats d’obus ou de chlore, pour les rendre beaucoup plus meurtriers, sont lancés à l’aveugle sur les habitations par les hélicoptères de l’armée syrienne. Il y a quelques mois, Bachar el-Assad a prétendu devant un journaliste de la BBC que « c'est une histoire infantile qu’on continue à répéter en Occident ». S’il s'était donné la peine de se renseigner auprès de son ambassadeur à l'ONU, il aurait appris que dans la résolution 2139, adoptée il y a un peu plus d’un an, « Le Conseil de sécurité... exige également que toutes les parties mettent immédiatement fin à toutes attaques contre les civils, ainsi qu’à l’emploi sans discrimination d’armes dans des zones peuplées, tels que les tirs d’obus et les bombardements aériens, tels que l’emploi de barils d’explosifs, et de méthodes de guerre qui sont de nature à causer des maux superflus ou des souffrances inutiles ». L'armée de Bachar el-Assad est accusée, par le Réseau syrien des droits de l'homme, d'avoir largué 5 150 de ces armes meurtrières depuis octobre 2012, qui ont tué, pardon, « gagné le cœur » de 12 194 Syriens, 96 % des victimes étaient des civils, 50 % des femmes et des enfants.

Enfin, comme nous célébrons aujourd’hui le 10e anniversaire du retrait des troupes d’occupation syrienne du Liban, ces armements de racaille utilisés contre la population civile syrienne ne sont pas sans rappeler d’autres armements de racaille, les « orgues de Staline », utilisés au Liban entre 1976 et 1990 par les troupes de l’époque du père, Hafez el-Assad, contre les populations civiles libanaises, notamment celle des régions chrétiennes libres (Achrafieh, Metn, Kesrouan, etc.) et des régions sunnites occupées (Tripoli). En tout cas, la conclusion du rapport de février de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie est sans appel à ce sujet : « L’usage de barils d’explosifs dans des campagnes aériennes contre des zones entières est une violation du droit international humanitaire et, dans certains cas, constitue un crime de guerre qui consiste à prendre des civils pour cible. Les forces gouvernementales ont systématiquement pris pour cible des civils et des infrastructures civiles, attestant l’intention de tuer, de blesser et d’estropier. »

IV. Le recours aux armes chimiques
- DP : « Il y a deux ans, vous vous êtes engagé à ne plus utiliser d’armes chimiques. Avez-vous utilisez du gaz de chlore durant la bataille d’Idlib le mois dernier ? »
- BA : « C’est encore un mensonge raconté par les gouvernements occidentaux... »
- DP : « Je pense que vous avez lu les rapports de Human Rights Watch concernant Idlib. Il y a eu trois attaques... dans des zones sous contrôles de l’opposition armée. Est-ce que HRW ment ? »
- BA : « Nous n’avons pas utilisé de chlore. Nous n’avons pas besoin. Nous avons nos armements classiques. Nous pouvons atteindre nos objectifs sans y avoir recours. Il n’y a aucune preuve. »
- DP : « Il y a des témoins, il y a des témoignages de médecins »
- BA : « Non, non. En réponse à toutes les allégations concernant l’usage dans le passé ou à présent, d’armes chimiques, c’est nous qui demandions toujours aux institutions internationales d’envoyer des délégations pour enquêter... et pas le camp adverse. Il y a deux ans, nos soldats ont été exposés au gaz sarin. Nous avons invité l’ONU à mener une enquête. Comment aurions-nous pu le faire si c’était nous qui utilisions ce gaz ? Tout cela n’est pas vrai »
- DP : « Vous sauriez prêt à les inviter à nouveau à venir concernant Idlib ? »
- BA : « Nous l’avons déjà fait. Nous le faisons toujours. Nous n’avons aucun problème avec cela »
- DP : Zapping.

Encore un exemple de la méconnaissance de David Pujadas du dossier syrien. L’implication du régime de Bachar el-Assad dans la mort de près de 1 500 personnes en quelques minutes, le 21 août 2013 à Ghouta (banlieue de Damas), ne fait pas l’ombre d’un doute comme je l’ai détaillé dans plusieurs articles consacrés à ce sujet. Les troupes syriennes se sont retrouvées en difficulté cette nuit-là et craignaient une percée des rebelles vers une région hautement symbolique, le palais présidentiel. Après le gazage des rebelles et de la population syrienne dans la nuit du 21 aout 2013 par l’armée du régime, c’est bel et bien sous la menace du président américain Barack Obama, que le dernier tyran des Assad fut contraint de se débarrasser de son arsenal chimique (1 000 tonnes dont quelques kilos seulement ont suffi à exterminer 1 500 personnes en quelques minutes), afin d’éviter l’humiliation et les risques des frappes américaines. Le fait d’avoir accepté de livrer à l’ONU un arsenal « d’armes de destruction massive » accumulé sur plusieurs décennies par la tyrannie des Assad père et fils, sans aucune contrepartie, est une preuve absolue de la culpabilité du régime de Bachar el-Assad. Pour ce qui des dernières attaques au chlore, non seulement le rapport de Human Right Watch publié le 14 avril 2015 est accablant pour le régime mais il y a également le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU qui ne laisse aucune place au doute sur la responsabilité du régime dans les attaques au chlore : « En avril 2014, les forces gouvernementales ont largué des barils d’explosifs contenant des agents chimiques, sans doute du chlore, sur des localités des gouvernorats d’Idlib et de Hama. » Comme pour les attaques au gaz sarin de la région de Ghouta en août 2013, c’est parce que le régime de Bachar el-Assad se trouve en grande difficulté dans cette région stratégique du nord-ouest de la Syrie, dont la chute pourrait menacer le « réduit alaouite » sur les côtes méditerranéennes, que les troupes syriennes ont pulvérisé à plusieurs reprises la province d’Idlib avec du gaz de chlore.

V. Les frappes de la coalition arabo-occidentale contre l’EI
- DP : « Une coalition internationale avec à sa tête les Etats-Unis mène des bombardements aériens contre le groupe EI. Est-ce que c’est pour vous un problème ou est-ce que c’est une aide ? »
- BA : « Ni l’un ni l’autre (...) Si la coalition n’est pas sérieuse, cela ne nous aide pas. »
- DP : « Pourquoi pas sérieuse ? »
- BA : « Si on compare le nombre de frappes aériennes effectuées par les forces de la coalition composée de 60 Etats à celle que nous avons effectué nous petit Etat, vous constaterez que nous bombardons parfois 10 fois plus que la coalition en une journée (...) Ils ne sont pas sérieux. C’est la raison pour laquelle, ils n’aident personne dans cette région (...) On ne peut pas former une coalition contre le terrorisme et soutenir en même temps les terroristes... »
- DP : Zapping.

Foutaises sur toute la ligne. Pour plus de détails, voir le point II. Par ailleurs, il convient de rajouter, même si David Pujadas l’ignorait et Bachar el-Assad n’osait pas l’avouer, que « l’Etat islamique », qui contrôle aujourd’hui une grande partie de la production pétrolière de la Syrie, écoule une partie de son pétrole sur le marché du régime de Bachar el-Assad, ce qui prouve qu’il existe une certaine connivence entre les terroristes de Daech et les terroristes du régime syrien. Dans ce sillage, il faut aussi rappeler que si les troupes syriennes se sont acharnées sur Alep et Homs, aucun baril d’explosifs n’a été largué sur Raqqa la capitale de « l’Etat islamique ». Toutes les niaiseries du leader alaouite ne sauraient faire oublier que ce sont les bombardements arabo-occidentaux de cette coalition internationale constituée autour des Etats-Unis, qui ont permis de stopper la progression fulgurante de Daech en Irak comme en Syrie. Et c’est bien grâce à ces frappes internationales que les villes de Kobané (Syrie) et de Tikrit (Irak), ont été nettoyées des djihadistes et que Mossoul (Irak) pourrait être libérée prochainement.

Par contre, qui soutient et pratique le terrorisme en Syrie c’est bel et bien le dernier tyran des Assad, qui a recours à la torture de masse (voir point II), aux barils d’explosifs (voir point III) et aux armes chimiques (voir point IV). L’ironie de l’histoire a voulu qu’au même moment où Bachar el-Assad poussait des cris de vierge effarouchée sur le petit écran des Français, son ancien envoyé spécial au Liban, Michel Samaha, livrait devant le tribunal militaire libanais où il est actuellement jugé, un témoignage accablant contre le leader syrien. En effet, on a appris lundi dernier par la bouche de cet ancien ministre libanais, de la mouvance pro-régime syrien, ami personnel de Bachar el-Assad, qu’il fut chargé en 2012 par un haut officier de sécurité du régime syrien, Ali Mamelouk, de mener avec les 24 charges explosives qui lui ont été remises en main propre en Syrie (il a été pris en flagrant délit à son retour au Liban), des attentats terroristes au Liban ayant un caractère confessionnel, dont l’assassinat du patriarche maronite dans une région sunnite du Nord, afin de replonger le pays du Cèdre dans une guerre confessionnelle islamo-chrétienne.

VI. Le dialogue avec la France
- DP : « Il y a aujourd’hui des gens en France... qui disent qu’il faut renouer le dialogue avec vous... »
- BA : «  Ils doivent d’abord me convaincre qu’ils ne soutiennent pas les terroristes et qu’ils ne sont pas impliqué dans l’effusion de sang en Syrie (...) C’est vous qui avez aidé les terroristes... Votre pays, les Occidentaux, doivent nous convaincre qu’ils ne soutiennent pas les terroristes (...) Pour moi le résultat (du dialogue) serait que le gouvernement français cesse son appui aux terroristes dans mon pays. »
- DP : « Donc vous n’avez pas de message à adresser à François Hollande en vue d’un dialogue ? »
- BA : « ... Les sondages en France montrent bien le message que Hollande devrait écouter davantage, à savoir qu’il est le président le plus impopulaire depuis les années 50, il devrait s’occuper de ses citoyens et les protéger des terroristes qui viennent en France (...) Quand on parle de terrorisme, sachez qu’il y a toute une montagne sous la mer, soyez conscients que cette montagne s’en prendra à votre société. »
- DP : Zapping.

Quelle mascarade, et dire que tout cela se déroule avec la bénédiction d’une chaine publique, France 2 ! On a là un parfait exemple d’une manœuvre de diversion de la part du leader syrien, qui a échappé au journaliste français, dont les objectifs sont doubles. Faire oublier d’une part, que les Assad, père et fils, constituent une tyrannie dont le terrorisme qu’elle pratique touche aujourd’hui comme dans le passé, en Syrie comme au Liban, non seulement des civils syriens et libanais, comme on l’a vu précédemment, mais aussi des responsables syriens et étrangers. Du meurtre de l’ambassadeur de France, Louis Delamare, à l’assassinat de l’ancien Premier ministre du Liban, Rafic Hariri, tués à Beyrouth respectivement en 1981 et en 2005, les Assad ont recours au terrorisme d’Etat pour taire toute forme de menace à leur dynastie tyrannique en Syrie, même si cela doit passer par des liquidations fratricides. C’est dans ce cadre que s’inscrirait par exemple, l’élimination dans des circonstances étranges des trois « maîtres d’œuvre » de l’assassinat de Rafic Hariri, qui travaillaient pour le compte des trois « maîtres d’ouvrage » de l’assassinat, le régime syrien, le régime iranien et la milice libanaise (Ghazi Kenaan, Syrien alaouite, chef des services de renseignements syriens au Liban entre 1982 et 2002 et ministre de l’Intérieur en 2004 ; Imad Moughnieh, Libanais chiite, chef des opérations du Hezbollah ; et Rustom Ghazalé, Syrien sunnite, chef des services de renseignements syriens au Liban entre 2002 et 2005 ; les trois hommes ont été tués à Damas respectivement en 2005, 2008 et 2015, avant-hier pour être précis).

Le deuxième objectif du délire de Bachar el-Assad est de faire oublier d’autre part, que la mise du régime terroriste syrien au ban des nations par la France, n’est pas du tout appréciée. Et comment ! Devant la répression brutale du peuple syrien par le leader alaouite, la France a demandé au représentant du régime syrien à Paris il y a plus de 3 ans, le 3 mars 2012, de prendre ses cliques et ses claques et de débarrasser le plancher. Depuis le 13 novembre 2012, la France, comme la plupart des chancelleries arabes et occidentales, reconnait la Coalition nationale syrienne comme « le seul représentant légitime du peuple syrien », et de ce fait, seule habilitée à nommer un ambassadeur à Paris. C’est dans ce cadre aussi que la France a interdit la tenue sur son territoire d’une parodie de scrutin de l’élection présidentielle syrienne le 28 mai 2014.

Il faut signaler au passage que Bachar el-Assad n’est évidemment pas prêt d’encaisser les coups de massue que les ministres français et anglais des Affaires étrangères, Laurent Fabius et Philip Hammond, lui ont donné le 27 février 2015, et qui auraient dû pousser David Pujadas à mieux préparer son entretien : « Dans les médias occidentaux, il (Bachar el-Assad) tente de profiter de l’effroi suscité par les extrémistes pour se présenter en rempart contre le chaos. Certains paraissent sensibles à ce discours (...) En réalité, Bachar représente à la fois l’injustice, le désordre et la terreur. Et nous, France et Royaume-Uni, nous disons non aux trois (...) Il mène une guerre civile avec barbarie. La liste de ses crimes – crimes de guerre et crimes contre l’humanité – est longue. Ceux-ci ont prétendument été commis au nom de la lutte contre le terrorisme, mais ils l’ont été en réalité dans le cadre d’une politique systématique (...) Proposer Bachar el-Assad comme solution face à l’extrémisme, c’est méconnaître les causes de la radicalisation (...) Le maître de Damas ne peut pas être l’avenir de la Syrie. »

VII. Le soutien de l’Iran et du Hezbollah au régime syrien
- DP : « Est-ce que vous pourriez sans le soutien de l’Iran et du Hezbollah combattre le terrorisme en ce moment ? »
- BA : « ... Nous avons invité le Hezbollah, mais pas les Iraniens. Il n’y a pas de troupes iraniennes en Syrie et ils n’ont envoyé aucune force. »
- DP : « Pas d’Iraniens à vos côtés ? »
- BA : « Non, non (...) En revanche, la France et d’autres pays n’ont pas le droit de soutenir qui que ce soit dans notre pays, c’est une violation du droit international et de notre souveraineté (...) Est-ce j’ai le droit de soutenir les terroristes qui ont attaqué Charlie Hebdo par exemple ? »
- DP : «  Vous savez ce que le Premier ministre français a dit récemment de vous ? Il a dit, ‘c’est un boucher’. Que répondez-vous ? »
- BA : « Personne ne prend plus au sérieux les déclarations des responsables français, pour une simple raison c’est que la France est devenu en quelque sorte un satellite de la politique américaine dans la région... »

Oui parce que le haut gradé des Gardiens iraniens de la Révolution et la demi-douzaine de miliciens libanais du Hezbollah, dont le fils d'Imad Moughniyé, tués le 18 janvier 2015 lors d’un raid israélien sur Quneitra, faisaient du tourisme écologique dans cette ville syrienne fantôme du plateau du Golan ? Foutaises. En tout cas, le Hezbollah n’a jamais caché depuis le départ que ces miliciens meurent en Syrie « dans l’accomplissement de leur devoir djihadiste ». Comme le précise la Commission d’enquête de l’ONU dans son dernier rapport sur la Syrie, publié il y a deux mois : « Tout au long des violences en République arabe syrienne, les forces gouvernementales se sont appuyées sur des groupes paramilitaires et des milices, la chabiha initialement et la Force de défense nationale à présent. Elles ont bénéficié de l’intervention de combattants étrangers, dont des membres du Hezbollah et de milices chiites irakiennes ». Ses enfantillages sur la France trouvent leur explication dans les coups de massue donnés par Laurent Fabius et Philip Hammonde le 27 février dernier : « Bachar est plus faible qu’il y a un an et ne cesse de s’affaiblir. Son armée est exsangue, désertée de plus en plus par ses propres soldats et contrainte de recruter des mercenaires jusqu’en Asie. Il est devenu le vassal de ses parrains régionaux qui, tel le Hezbollah, font la loi dans le pays. » Hasard du calendrier, trois jours avant la déclaration commune des ministres français et anglais des Affaires étrangères, j’avais publié un article sur l’opération turque en Syrie, Chah de l’Euphrate, en l’intitulant : « Quand l’Iran, Israël, la Turquie, les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, agissent comme bon leur semble en Syrie, alors il faut croire que le régime qui prétend contrôler ce pays, est bel et bien fini. » La chute de la ville stratégique de Jisr al-Choughour, le dernier bastion du régime dans la province d’Idlib et qui se situe à 75 km de la ville côtière de Lattaquié, entre les mains des djihadistes du Front al-Nosra ce week-end, moins d’un mois après la chute de la ville d’Idlib elle-même, parachève l’isolement de « l’Etat des Alaouites », option de secours de Bachar el-Assad à la chute de Damas, et confirme l’engagement certain de l’armée syrienne dans une guerre d’usure, malgré l’aide conjointe et de plus en plus accrue du Hezbollah et de l’Iran.

VIII. Le départ de Bachar el-Assad
- DP : « ... Avec Bachar el-Assad à la tête du pays ? »
- BA : « Ce qui m’intéresse c’est ce que souhaite le peuple syrien. S’ils veulent Bachar el-Assad, il restera. S’ils ne veulent pas de lui, il partira sur le champ. Comment serait-il en mesure de gouverner sans l’appui de son peuple ? Il ne pourra pas... »
- DP : « Si vous aviez la certitude que votre départ amènerait la paix en Syrie, est-ce que vous partiriez ? »
- BA : « Sans hésitation. »
- DP : « Que vous partirez ? »
- BA : « Sans hésitation. Je quitterai le pouvoir. Si je suis la cause du conflit dans mon pays, je ne dois pas être là où je suis. C’est évident. »

Foutaises comme le prouvent l’impossibilité de mettre en œuvre « Genève 1 » et l’échec des négociations de « Genève 2 ». « Genève 1 », qui a été conclu le 30 juin 2012 entre les pays membres du groupe d’action sur la Syrie, qui rassemble entre autres, les Etats-Unis, la France et la Russie, a établi les « Principes et lignes directrices pour une transition conduite par les Syriens », qui prévoit la formation d’un gouvernement d’union nationale ayant les pleins pouvoirs exécutifs qui devait inclure l’opposition et des membres du gouvernement en place (une composition déterminée par consentement mutuel), le désarmement des milices, la démobilisation des forces armées, des réformes constitutionnelles (qui seront soumis à l’approbation du peuple syrien), des élections multipartites, libres et équitables, et des mesures pour assurer la réconciliation nationale et favoriser le pardon. A cette belle époque, si j’ose dire, on comptait près de 20 000 morts en Syrie et 25 000 réfugiés au Liban. Aujourd’hui nous sommes respectivement à 220 000 morts (10 fois plus) et 1 300 000 réfugiés (50 fois plus). Mais, l’ophtalmo de Damas n’a pas vu de bon œil cet accord, à cause du principe de transition, et l’opposition syrienne non plus, n’a pas accueilli l’accord d’une manière favorable, car il ne prévoyait pas le sort de Bachar el-Assad. Hélas, on connait la suite. Un an et demi plus tard, s’engagent les négociations de « Genève 2 », entre les rebelles syriens, la Coalition nationale syrienne présidée par Ahmad Jarba, et des représentants du régime de Bachar el-Assad. On était à 140 000 morts déjà. Elles n’ont pas abouti non plus, par la faute conjointe du régime syrien qui ne souhaitait pas engager des discussions sur une « période de transition » en Syrie et des rebelles modérés qui se trouvent toujours incapables de « combattre le terrorisme » des organisations djihadistes en Syrie, Daech / Etat islamique et Jabhat al-Nosra / al-Qaeda.

Au vu de cette réalité accablante pour le dernier tyran de Damas, on peut maintenant mieux mesurer l’amateurisme de David Pujadas et la faute de son employeur, France 2, d’avoir offert à Bachar el-Assad une tribune pour exposer sa propagande avec ruse et mauvaise foi, sans être en mesure de démonter le tissu de mensonges qu’elle véhiculait. Le fait que la chaine appartient à la sphère publique est une circonstance aggravante, bien évidemment. 

Sur le fond, le déni de la réalité de Bachar el-Assad, tel qu'il se manifeste dans ces interviews aux médias occidentaux, ne saurait faire oublier d'une part, les horreurs du passé de cette dynastie tyrannique, en Syrie comme au Liban, et d'autre part, les revers à présent du régime syrien, comme la chute d’Idlib et de Jisr al-Choughour. Si le premier point laisse toujours présager le pire avec la tyrannie des Assad, le second laisse entrevoir une lueur d'espoir. Ces revers pourraient forcer le leader alaouite à assouplir sa position intransigeante qu’il affiche depuis quatre ans et être mieux disposé pour un « Genève 3 ». Mais là, ce sont les djihadistes-jusqu’au-boutistes, beaucoup plus puissants sur le terrain que les rebelles modérés, qui refuseront certainement de mettre de l’eau dans leur vin. Tous les protagonistes de cette tragédie qui se joue actuellement sur le théâtre du Moyen-Orient  n’étant encore pas « mûrs », ils risquent de torpiller une nouvelle fois, la recherche d’une « solution politique » à l’interminable guerre civile syrienne. Et quand les chefs de guerre boivent, les populations trinquent.

lundi 20 avril 2015

Harcèlement sexiste et violences sexuelles dans les transports franciliens : les faiblesses du rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (Art.284)


« Harcèlement dans les transports en commun : aucune femme n'y échappe », « 100% des femmes ont déjà été harcelées dans les transports », « 100% des femmes victimes de harcèlement sexiste ou d'une agression sexuelle dans les transports en commun », « Toutes les femmes ont été harcelées dans les transports, selon un rapport alarmant », « Les femmes vont-elles enfin pouvoir voyager sereinement dans les transports en commun ? », « Le harcèlement de rue, ‘c’est notre quotidien’ », ont titré respectivement en ce 16 avril, Libération, L’Express, Atlantico, Madame Figaro, France Inter et Le Monde.

Ces titres alarmistes sont basés sur un rapport rédigé par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), « Avis relatif au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles dans les transports en commun », qui a été remis il y a quelques jours à Marisol Touraine, la ministre française des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. Etant donné la gravité des accusations, j’ai décidé de lire moi-même le communiqué de presse du HCEfh et d’examiner attentivement l’avis détaillé sur la question. Certes, les deux documents ont un grand intérêt. Ce sujet ne peut laisser personne indifférent. Mais, curieusement, leur lecture laisse aussi une impression de travail bâclé. Non seulement ils manquent de rigueur, mais en plus, ils sont bourrés de tournures simplistes, de raccourcis amateurs et d’extrapolations populistes. Précision utile, il n’est pas question dans cet article de remettre en cause l’existence de tels phénomènes et leur gravité, mais de souligner les faiblesses et les failles d’un rapport qui se veut officiel, un « premier Avis institutionnel sur le sujet », qui touche la société française, remis à un pouvoir exécutif qui est pressé de mettre en œuvre un « Plan national d’action » pour endiguer ces phénomènes de société.

Bien qu’il ne fasse qu’une page, le communiqué de presse du HCEfh est vraiment affligeant. Et l’on s’étonne après des titres délirants de la presse française le 16 avril ! « Toutes les utilisatrices des transports ont déjà été victimes (de harcèlement sexiste et de violences sexuelles) ». « Toutes » c’est-à-dire pas une seule n’y a échappé, comme le dit Libé. Bonjour la précision. « Mais toutes ne l’ont pas identifié comme tel » nous précise le communiqué. Tiens, tiens, heureusement que cet organisme fraichement constitué par François Hollande il y a un peu plus de deux ans, est là pour les aider et à justifier du coup, l’utilité de sa création par le président de la République. En gros, cela revient à dire que les femmes ne sont pas capables elles-mêmes de savoir qu’elles sont « harcelées ». Une précision sexiste dans un rapport sur le harcèlement sexiste, c’est la meilleure ! En tout cas, « parce qu’ils suscitent de la peur, du stress, de l’impuissance ou de la colère, les agresseurs créent une pression psychologique forte, qui peut affecter la santé des femmes ». Admettons. Le bémol, c’est qu’il n’y a aucune trace dans le rapport détaillé sur la nature de cette affection. On peut l’imaginer bien entendu sauf qu’il s’agit ici d’un rapport scientifique et non de brèves de comptoir ! « Le harcèlement sexiste et les violences sexuelles sont autant de rappels à l’ordre qui visent, consciemment ou non, à exclure les femmes de l’espace public », encore une allégation grave balancée sans preuve et à la légère, comme la conclusion démagogique du communiqué : « les transports ne doivent plus être la chasse gardée des harceleurs ». Ah bon, parce que le métro parisien est actuellement la chasse gardée des harceleurs ? Si c’était le Front national qui avait rédigé ce communiqué, on l’aurait crucifié. Affligeant, il n’y a pas d’autre mot.

L’Avis détaillé du HCEfh, qui fait 36 pages, n’est pas beaucoup plus rassurant. Selon ce rapport « 100% des utilisatrices des transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles ». Le phénomène « grave, massif et sous-appréhendé », conduit à une limitation de « la liberté de circuler des femmes ». Et pourtant, lorsqu’on fouille un peu le rapport pour savoir sur quoi ses auteurs se basent pour parvenir à ces effrayantes conclusions, on apprend que celles-ci sont tirées du témoignage de 600 femmes de Seine-Saint-Denis et de l’Essonne ! Non seulement qu’on ignore la nature des questions posées aux utilisatrices (qui peuvent être orientées), mais il est clair que la taille de cet échantillon et sa composition, qui n’est absolument pas représentative de l'ensemble des utilisatrices des transports en commun (ne serait-ce que de celles des deux départements franciliens sélectionnés, encore moins de celles de la région Ile-de-France et de la France entière !), ne permettent certainement pas de formuler une conclusion généraliste concernant les phénomènes de harcèlement sexiste et d’agressions sexuelles pour l’Hexagone tout entier ou même la région parisienne. Si on avait eu droit à une telle approximation dans une étude sur l’insécurité en France, relevée par la droite par exemple, tout le monde serait monté au créneau pour dénoncer une généralisation inappropriée de la peur.

Une grande faille de ce rapport réside dans l’approche du phénomène de société à étudier. A commencer par la définition du « harcèlement sexiste » qui s’inspire de la version américaine du « harcèlement de rue ». Dans les faits, cela conduit à tout mélanger, disons innocemment pour la bonne cause. Le « harcèlement sexiste » selon le HCEfh, englobe aussi bien le sifflement, le commentaire (sur le physique, le comportement ou la tenue), le regard et l’invitation insistants, que l’injure et la menace. Ce mélange du genre pose un problème puisque les premiers actes ne sont pas punis par la loi contrairement aux seconds qui sont punis de plusieurs mois d’emprisonnement et de dizaines de milliers d’euros d’amende.

Autre démarche contestable, c’est de mélanger dans un même lot les « harcèlements sexistes », comme le sifflement, un commentaire et un regard, avec les « violences sexuelles », qui englobent l’exhibition (dont la masturbation en public ; personne ne sait combien de mâles en rut se masturbent dans le métro à Paris, mais je ne crois pas que ça court les couloirs et les rames, et qu’il faille dans une étude sérieuse, mettre cela au même niveau que le comportement d’un bipède qui se prend pour un rossignol ou d’un homo erectus à la prose à 5 centimes !), le harcèlement sexuel (bien défini dans le Code pénal comme le fait « d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou des comportements à connotation sexuelle », des avances sexuelles ou des gestuelles à connotation sexuelle), les agressions sexuelles sans pénétration (mains aux fesses ou aux cuisses, frottements, baisers forcés) et le viol, qui sont punis de 1 à 15 ans de réclusion criminelle et de plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende.

Malgré ces failles, le HCEfh prétend que « la frontière entre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles est ténue » et « qu’une même agression peut commencer par du harcèlement sexiste et se poursuivre par des violences sexuelles ». Admettons. Quelle est la fréquence du « passage à l’acte » ? 1/100, 1/ 10 000 ou 1/100 000 ? Bien que personne au HCEfh n’ait la moindre idée, cela n’a pas empêché les auteurs de balancer ces conclusions hâtives, sans chiffres à l’appui, quitte à paniquer la gent féminine à Paris et dans la banlieue parisienne.

Toujours est-il qu’on sent dans ce rapport comme une volonté d’exagérer les faits. Ceci conduit évidemment à des incohérences flagrantes. « 100% des femmes ont déjà été harcelées dans les transports » n’empêche pas le HCEfh d’affirmer plus loin que « le phénomène est encore méconnu et mal appréhendé, en premier lieu par les victimes elles-mêmes, pour qui il peut être difficile de révéler des faits trop souvent banalisés comme ‘normaux’, allant de soi ». On sent aussi dans ce rapport comme une volonté d’amplifier le problème. « Ce continuum de violences, inacceptables socialement, survenant dès le plus jeune âge et de façon quasi quotidienne... (Les auteurs préconisent de) mesurer l’impact du harcèlement sexiste sur la mobilité des femmes, leur santé et leur vie professionnelle ». On sent également comme une volonté de criminaliser tous les comportements déviants dans les transports en commun. Le HCEfh précise par exemple que « la plupart des manifestations du harcèlement sexiste ne constituant pas des crimes ou des délits, (elles sont) donc ‘invisibles’ au regard du droit... (il convient alors de) mettre un terme à la banalisation de ces violences et à l’impunité ». Comme exemple, les auteurs du rapport nous expliquent que « la drague comprend une rencontre à deux, c’est-à-dire avec le consentement de l’autre. Sans consentement, c’est du harcèlement. Si la personne dit non, c’est non. Si elle ne dit rien, c’est toujours non. Poursuivre la discussion après un refus, c’est du harcèlement ». Soit. Alors, on fait quoi ? Encore une fois, personne n’a le droit d’importunité son entourage. Mais, faut-il pour autant demander à l’Etat d'intervenir même dans un processus de « drague » ? N’est-il pas plus convenable de laisser aux adultes eux-mêmes la faculté de gérer les interactions humaines au lieu de chercher à codifier la vie sociale à ce point ? Au final, il faut savoir où fixer la « limite », avant d’imposer des œillères et des muselières à l’ensemble des utilisateurs des transports en commun à Paris !

A ce propos, il est étonnant de constater que ce rapport officiel alarmiste ne contient non seulement pas de chiffres sur les phénomènes étudiés, alors que les auteurs ne se gênent pas pour en tirer des conclusions, mais aussi aucun sur les transports en commun en France. Pour mesurer la légèreté du HCEfh sur ce point, il est peut être utile d’en donner quelques-uns. Si on se limite à la région parisienne, l’Ile-de-France qui couvre une superficie de 12 000 km², met à la disposition des 12 millions de Franciliennes et Franciliens qui y résident et des 33 millions de visiteuses et visiteurs qui y séjournent tous les ans, 33 047 km de lignes de bus, 933 km de lignes de trains et de tramways, 600 km de RER et 218 km de métro ! Chaque année la RATP et la SNCF assurent près de 4,2 milliards de voyages et transportent près de 30 milliards de voyageurs par kilomètre et par an (2013). Ceci dit, il est évident qu’avant de recommander à l’Etat français de mettre en route un « Plan national d’action : (pour dire) stop au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles sur toute la ligne », il faut commencer déjà par chiffrer les phénomènes en question, un chiffrage absolu, en tenant compte impérativement de l’ampleur du trafic dans la région parisienne, un chiffrage relatif. Cela va de soi !

Par ailleurs, on sent dans ce rapport comme une volonté de façonner les faits, dans l’air du temps comme on dit. Ce point est particulièrement intéressant. Selon le HCEfh « il serait important, par exemple, d’étudier à l’avenir si une femme noire ou d’origine arabe serait plus exposée qu’une femme blanche, et une personne gay ou lesbienne davantage qu’une personne hétérosexuelle, comme il ressort notamment du rapport 2014 du collectif américain ‘Stop Street Harassment’ ». Notez bien dans quel sens on a posé le problème, en s'inspirant d'une étude américaine. Comme par hasard, on s’est abstenu de se demander si la femme blanche ou une blonde hétéro, serait plus exposée qu’une femme noire ou arabe ? Cette tournure biaisée m’a rappelé une autre phrase d’anthologie du rapport où le HCEfh nous apprend précieusement que « les auteurs (de ces actes) peuvent être d’origine sociale variée et d’âge très différent », seule mention de ce document de 36 pages sur les harceleurs et manière habile d’esquiver une question dérangeante. Ce que le rapport ne dit pas, mais que certains sites internet ont mentionné plus ou moins explicitement, sans chiffre à l'appui là aussi, c’est que les importuns des transports en commun seraient pour une partie un peu « colorés ». En tout cas, on ne saura pas davantage, la loi française interdit tout référentiel ethno-racial. Restons donc dans « l’origine sociale variée et d’âge très différent » des harceleurs, c’est beaucoup plus commode et ça fait moins de vagues.

Terminons par la partie tragicomique de ce rapport. Et si la solution au « harcèlement sexiste » passait par « l’apartheid sexiste » ? Vous pensez que je plaisante ? Pas le moins du monde. Les sages du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes ont jugé qu'il était utile d'examiner cette option incongrue et de justifier leur réponse. « Les membres du HCEfh rejettent la solution de moyens de transports réservés aux femmes pour deux raisons : de tels moyens rompent avec la mixité et entretiennent la construction d’une société de peur et de division ; ces wagons, bus ou taxis... placent celles qui ne pourraient ou ne voudraient pas les utiliser dans une situation de danger accru, les exposant à des violences sexistes puisqu’elles pourraient être davantage encore perçues comme ‘aguicheuses’. » Du grand n’importe quoi. Et qui sait, on entendrait peut-être un jour dans les couloirs de la RATP, après le fameux message audio « ne tentez pas les pickpockets », un grotesque « ne tentez pas les harceleurs » ? Et puisqu'on est dans l'inconvenance, délirons un peu plus et imaginons qu'au train où vont les choses, après l'avoir interdit en 2011, l'histoire ironique nous amènerait dans un proche avenir à légaliser le port du voile intégral, le niqab, comme solution républicaine radicale à certaines déviances de la gent masculine dans la sphère publique.

Trêve de plaisanterie. Au lieu d’apporter des « éclaircissements scientifiques » sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles, ce rapport populiste du HCEfh tel qu'il a été rédigé, manquant de rigueur, peut créer, entretenir et amplifier un sentiment d’insécurité chez les femmes qui utilisent les transports en commun à Paris et dans la région parisienne. Comme c'est regrettable pour un « premier Avis institutionnel » sur un sujet hautement sensible. Mais enfin, que voulez-vous, ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions ? Affaire à suivre.