vendredi 16 décembre 2016

Assad et Poutine ont gagné la bataille d'Alep, mais pas la guerre en Syrie (Art.406)


Il y a des convictions qui ne se discutent pas. Vous me diriez qu'il est abusif dans un tel cas de désigner cet état d'esprit par ce terme. Soit. Disons alors, qu'elles ne sont pas négociables. Bachar el-Assad ne mourra pas dans son lit. Il mourra peut-être par l'une des méthodes de guerre et de torture utilisées par ses hommes pour vaincre Alep et les Aleppins, mais pas dans son sommeil. Il mourra dans un déluge de fer et de feu, enseveli sous les décombres, gazé par du chlore, déchiqueté par un baril d'explosifs, étouffé dans une pièce de 10 mètres carrés avec 65 autres personnes, coincé dans un pneu et battu par des câbles, suspendu au plafond par ses poignets avec ses orteils touchant à peine le sol et frappé avec des bâtons, violé, électrocuté, noyé, ongles arrachés, pénis scotché, peau brûlée avec des cigarettes ou à l'acide, de froid, de chaud, de faim, de peur, de chagrin ou par manque de soins, mais une chose est sûre et certaine, ce grand criminel de l'histoire contemporaine ne mourra pas de sa belle mort.

Certes, on peut rapprocher la guerre de Syrie (depuis 2011; 400 000 morts) de la guerre d'Espagne (1936-1939; 400 000 morts), Assad de Franco, le soutien de Poutine-Khamenei de celui d'Hitler-Mussolini, les djihadistes des brigades internationales, les ingérences arabes des aides de l'Union soviétique, la chute d'Alep de celle de Guernica, et j'en passe et des meilleurs. Ce ne sont pas les éléments qui manquent pour cela. Mais, la guerre civile syrienne se distingue de la guerre civile espagnole par l'étendue de la dévastation, ainsi que par l'ampleur de la déshumanisation. Alep en est la preuve vivante.

Peu de gens pleureront les jihadistes d'Alep, à part leurs familles et leurs frères d'armes. Et encore ! Et pourtant, peu de gens aussi se réjouiront du retour des troupes de Bachar el-Assad dans la 2e ville de Syrie, à part les partisans du régime syrien et de la Russie. Pour comprendre ce qui peut apparaître comme un paradoxe, il faut dire et redire certaines vérités.

La première vérité de toutes les vérités, concerne l'étincelle qui a mis le feu aux poudres, le début de cette descente en enfer à Alep. C'était le 13 avril 2011. Des étudiants syriens de la faculté de lettres manifestent pacifiquement pour réclamer plus de liberté et exprimer leur solidarité avec les victimes de la répression à Deraa et Banyas. La ville ne sera véritablement prise par la fièvre révolutionnaire qu'après la tragédie du 3 mai 2012. Sentant que le campus universitaire bouillonnait de plus en plus, et que la marmite estudiantine devenait incontrôlable, les services de sécurité du régime de Bachar el-Assad décident d'intervenir ce jour-là avec la brutalité qui leur sied. Quatre étudiants trouveront la mort, dont un par défenestration, deux cents seront arrêtés et torturés. Bienvenue dans l'école de la tyrannie des Assad. Deux semaines plus tard, manifestation monstre et des gens en colère qui réclament cette fois, la chute du régime de Bachar el-Assad. Cette vérité est immuable, elle résume tout le drame de la Syrie : la révolte syrienne était pacifique, c'est la répression barbare de la tyrannie des Assad qui l'a poussé dans le précipice de la militarisation de la révolte, la généralisation du conflit et la radicalisation de la révolution. Une triple erreur fatale.

La deuxième vérité est celle que les vainqueurs essaient de cacher sous leurs rangers et leurs sandales. Terroristes, islamistes, jihadistes, miliciens, résistants, rebelles, insurgés ou aventuriers de l'extrême, appelez-les comme vous voulez, les combattants d'Alep font partie de tout ce qui est possible et imaginable, sauf de l'Etat islamique. Depuis janvier 2014, càd depuis près de trois longues années, Daech n'est pas présente à Alep. Pas parce qu'elle ne le souhaite pas, mais parce qu'elle en fut chassée. Il n'est peut-être pas nécessaire aux yeux de certains de faire la moindre distinction dans la galaxie islamiste. Toutefois, il faut tout de même rappeler, que la communauté internationale s'est fixée comme objectif prioritaire depuis août 2014, l'anéantissement de Daech. Par cette vérité, nous avons une preuve de plus, comme s'il en fallait !, que l'intervention russe en Syrie, comme l'intervention iranienne et celle du Hezbollah libanais, vise depuis le départ à sauver le régime syrien de Bachar el-Assad qu'à écraser les terroristes de Daech, l'organisation responsable des attaques odieuses du 13-Novembre (Paris, 2015).

La troisième vérité apparaît comme la plus embarrassante. Au moment où les forces de l'axe Assad-Nasrallah-Khamenei-Poutine resserraient leur étau sur Alep, Daech entrait triomphalement dans Palmyre. Et encore, l'humiliation ne se limite pas à cela. Les quelques centaines de terroristes qui ont repris cette cité antique, n'ont rencontré aucune résistance sérieuse. Les forces d'Assad avaient pris la fuite laissant derrière eux des chars et de nombreuses caisses de munition, dont des équipements de défense anti-aérienne (des canons, voire des missiles). Ils n'ont même pas eu la présence d'esprit et le temps de les faire exploser à défaut de les embarquer, comme l'exigent les usages militaires. Même topo du côté des forces de Poutine, les livres en cyrillique sont restés ouverts sur les tables. Les militaires russes n'ont pas pu emporter l'aigle royal de leur campement, ils ont à peine eu le temps de tirer la chasse d'eau. D'après les dernières nouvelles, Daech aurait même tenté une offensive contre la plus importante base aérienne du régime syrien en Syrie, T4, située à Tiyas, à mi-chemin entre Palmyre et Homs. Certes, la débâcle de Palmyre ne vaut pas celle d'Alep sur le plan militaire. Mais, sur le plan de la propagande des uns et des autres, il y a bien un détail à relever et qui a son importance : Daech n'a pas perdu à Alep et il a gagné à Palmyre, alors que le régime syrien a gagné à Alep mais il a perdu à Palmyre.

Les autres vérités découlent des précédentes. Il y en a un paquet. Primo, il est clair que Bachar el-Assad n'est plus capable de contrôler toute la Syrie, malgré un soutien maximal de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah. Il doit faire des choix militaires lourds de conséquences. Secundo, la priorité d'Assad est de reprendre le contrôle de la Syrie vitale, les grandes villes (Alep, Homs, Hama, etc.), et de mieux sécuriser le centre du pouvoir à Damas et le territoire de repli, le réduit alaouite de Lattaquié. Tertio, la stratégie de l'axe Assad-Nasrallah-Khamenei-Poutine est de plus en plus claire: laisser à la coalition arabo-occidentale la mission d'anéantir l'Etat islamique - Daech (c'est encore la coalition constituée par les Etats-Unis qui est intervenue pour détruire une partie de l'armement repris par Daech à Palmyre et non l'aviation russe !), afin de pouvoir se focaliser sur tous les groupes armés anti-régime, notamment les rebelles modérés, pour qu'à la fin de la nuit, seule la tyrannie des Assad reste en place, au milieu des ténèbres. Revenir à la case de départ -on n'en est pas encore là, Dieu merci!- est non seulement pas dans l'intérêt du peuple syrien, mais c'est une menace pour la sécurité du monde entier.

Justement, parlons-en, cela nous permettra de dégager deux vérités fondamentales sur la guerre en Syrie.

« A Maghayir, un quartier jadis résidentiel de la
vieille ville d’Alep. Ce jour-là, 35 immeubles furent
détruits, tuant 18 civils »
(21 juillet 2015). 

Extrait de l'album de Karam al-Masri, étudiant
en droit, puis photographe. Emprisonné et torturé
par le régime syrien, puis kidnappé par Daech.
Il collabore avec l'AFP. Il a filmé sa ville, Alep,
entre 2013 et 2016. L'Obs, 8 oct. 2016

Quelque soit l'issue des batailles ici ou là, à Alep ou à Palmyre, il y a une équation simple qui n'est plus du tout viable en Syrie, depuis longtemps et encore moins aujourd'hui. Il faut vraiment descendre des autruches, pour ne pas voir une vérité aussi éclatante et prétendre comme l'a fait hier Bachar el-Assad, dans une vidéo filmée par un téléphone portable, pour faire du dictateur et du boucher, un homme cool et branché : « Je pense qu'après la libération d'Alep, on dira que non seulement la situation syrienne, mais aussi celle aux niveaux régionale et internationale, est différente ». Différente certes, mais pas comme il l'entend. Un tyran sanguinaire comme Bachar el-Assad, issu d'une communauté alaouite qui ne représente que 10% de la population syrienne, le principal responsable d'une guerre aussi atroce qui a fait 400 000 morts et a jeté sur les routes la moitié de la population syrienne, laissant un pays dévasté pour les 50 prochaines années et deux générations d'êtres humains traumatisées à vie, ne peut absolument plus faire partie de l'avenir de la Syrie et continuer à dominer 70% de la communauté sunnite syrienne. Impossible, fin de la discussion. Qui ne veut pas voir cela, Vladimir Poutine, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen compris, n'a qu'à se préparer à enfoncer longtemps et profondément sa tête dans la bourbe de la guerre en Syrie.

Le destin d'Alep est scellé à moyen terme. Il a fallu quatre ans et demi au régime syrien, quand même, et un soutien irano-hezbollahi-russe conséquent, tout de même, pour permettre à l'armée syrienne cantonnée seulement dans la partie ouest de la ville, de reprendre la partie est, au prix de destructions massives et de milliers de morts. L'évacuation des civils qui y vivaient toujours et des combattants qui tenaient ces quartiers, prendra encore quelques jours. Elle fait craindre le pire pour les survivants : des massacres de civils et des exécutions sommaires de combattants. En dépit de ce qu'en dit la propagande syro-hezbollahi-irano-russe, le co-vainqueur de cette offensive est hélas, l'organisation terroriste « Etat islamique ». En reprenant Palmyre des forces syriennes (au même moment de la chute d'Alep), en menaçant la plus importante base aérienne du régime syrien à Tiyas, et en résistant à Mossoul aux forces irakiennes qui sont appuyées pourtant par la coalition internationale (depuis deux mois déjà!), sachant qu'elle n'était pas présente à Alep, Daech ne manquera pas d'attirer des islamistes affligés par le martyre de cette ville, qu'ils viennent de Syrie, d'Europe ou du reste du monde, et de siphonner les vaincus des fractions jihadistes rivales. La chute d'Alep pourrait fédérer certains groupes jihadistes sous la bannière de l'Etat islamique, gonfler les rangs de Daech par de nouvelles recrues subjuguées par sa puissance et pousser l'organisation terroriste à d'interminables actions de harcèlement contre les troupes du tyran de Damas. Si Bachar el-Assad et Vladimir Poutine ont gagné la bataille d'Alep, ils sont loin, très loin, d'avoir gagné la guerre de Syrie. Et encore, à quel prix ils l'ont fait ! La honte.

dimanche 4 décembre 2016

Les destins croisés de François Hollande et de François Fillon (Art.405)


François Hollande renonce à participer à la primaire du Parti socialiste au même moment où François Fillon remporte la primaire organisée par le parti Les Républicains. Voici les destins croisés de deux hommes qui ont gouverné la France au cours des dix dernières années.

I. La primaire, de droite ou de gauche, est une mascarade démocratique

Comme au 1er tour, tout le monde se réjouit de l'engouement des Français pour une présélection à laquelle pourtant, 90% des citoyens n'ont pas jugé utile de prendre part. Pour se rendre compte du ridicule du processus des primaires, de droite ou de gauche, il faut savoir que l'élection présidentielle en France attire jusqu'à 87% des électeurs inscrits, à l'inverse des primaires. Sur les 14 tours des 7 dernières élections présidentielles, il n'y a qu'une seule fois où la participation était en dessous des 78%. Entre 1974 et 2012, la moyenne du 1er tour de l'élection présidentielle française s'est située à 80%, celle du 2e tour à 83%. La primaire de la droite en 2016 n'a même pas pu franchir la barre symbolique des 10% de participation, ni au 1er tour ni au 2e, malgré le battage médiatique et un clivage significatif entre les candidats qui se présentaient. Avec un si faible taux de participation, près de 4,38 millions de votants sur 44,8 millions d'électeurs inscrits, comme avec la Primaire de la gauche organisée pour la première fois en France en 2012 (avec 2,86 millions de votants, elle a vu triompher François Hollande), la présélection des candidats par la base, en France comme aux Etats-Unis, considérée comme une grande avancée pour la démocratie dans le monde, est une mascarade électorale.

II. Quelle légitimité pour les candidats des primaires, sachant que 95% des Français ne les ont pas mandaté ?

Avec 2 votes contre 1, la victoire de François Fillon sur Alain Juppé est nette, il peut en être fier. Et pourtant, il n'y a pas de quoi pavoiser. En réalité, le gagnant n'a récolté que 2,9 millions des voix. Avec des scores à hauteur de 4,2% de tous les électeurs inscrits sur les listes électorales au premier tour et 6,5% au deuxième tour, on ne peut pas esquiver la question qui fâche à quelques mois de l'élection présidentielle : quelle légitimité peut avoir un candidat présidentiel -Fillon, Juppé, Hollande ou Valls, qu'importe- pour imposer son programme politique, sachant que près de 95% des 66 millions de Français ne l'ont pas mandaté pour cela au moment de sa présélection?

III. Tout reste à faire pour François Fillon : unir son camp et convaincre les Français

Pour que François Fillon, le candidat de 6,5% des électeurs parvient à se faire élire lors de l'élection présidentielle, il faudra d'une part, qu'il unisse son camp après la bataille fratricide de la Primaire qui a laissé beaucoup d'amertume, du côté des juppéistes, comme du côté des sarkozystes, ex-anti-fillonistes, à qui il doit sa victoire. D'autre part, il faudra qu'il convainque un plus grand nombre d'électeurs au cours des cinq prochains mois. La tache sera difficile tellement le programme du candidat de la droite est ultralibéral, conservateur, austère et pro-poutinien : suppression des 35 heures, hausse du temps de travail dans le secteur privé (dans la limite de 48h/semaine), hausse du temps de travail dans le secteur public (sans augmentation de salaire), suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, hausse de l'âge de départ à la retraite à 65 ans, hausse de la TVA, suppression de l'encadrement des loyers à Paris, suppression de la dégressivité des allocations-chômage, restriction du champ d'action de la Sécurité sociale, suppression du principe de précaution, menaces de retrait de la France de la Cour européenne des droits de l'homme, suppression de l'adoption plénière par les homosexuels, vote d'une loi anti-burkini contre l'avis du Conseil d'Etat, renvoi des terroristes français dans les autres pays en violation du droit international, alignement de la politique étrangère de la France sur l'axe Poutine-Assad-Khamenei, etcétéra, et cetera, etc. On voit bien que c'est loin d'être gagné.

IV. Le programme de la droite est une aubaine pour la gauche

Etant donné l'état d'esprit des Français aujourd'hui, qui seraient favorables à une alternance politique, les gauches, les écologistes et les centres, divisés, n'ont aucune chance de s'engager efficacement dans la bataille présidentielle que si d'une part, les trois entités politiques parviennent, ensemble ou séparées, à désigner un candidat unique (Manuel Valls, Emmanuel Macron, etc.), et si d'autre part, ils le mandatent d'appliquer une vraie politique de gauche, écologique et du centre. La marge de manœuvre est très étroite. La gauche, l'écologie et le centre doivent donner de l'espérance aux Français en leur proposant un modèle de société épanouissant pour les individus, responsable sur le plan environnemental et qui préserve le modèle social de la France, tout en évitant de tomber dans le populisme, comme la droite sur certains points. Un tel programme politique se doit d'être juste, réaliste et crédible. Reprendre le programme de Fillon et proposer aux Français exactement le contraire, point par point, c'est la seule voie qui permettra à la gauche, à l'écologie et au centre, d'être au second tour de l'élection présidentielle et de battre François Fillon.

V. Hollande-Valls (2012-2017) vs. Sarkozy-Fillon (2007-2012)

Depuis 2012, le pouvoir exécutif Hollande-Ayrault-Valls a fait des choix politiques difficiles afin de freiner l'augmentation de la dette publique, diminuer le déficit budgétaire, relancer la croissance, diminuer le chômage et préserver le modèle social progressiste de la France (dans les domaines de la santé, la retraite, le travail, l'éducation, etc.). Il faut dire qu'on revenait de loin. La droite guidée par Nicolas Sarkozy et François Fillon a laissé une France lourdement endettée. C'est un fait indiscutable. A leur arrivée en 2007, la dette publique était un peu plus de 1 250 milliards d'euros, soit près de 65% du PIB (produit intérieur brut). A leur départ en 2012, donc à l'arrivée de François Hollande, la dette avait explosé pour passer à 1 870 milliards d'euros, soit près de 90% du PIB. Sous le tandem Sarkozy-Fillon, la dette publique a donc augmenté de près de 620 milliards d'euros, soit près de 50% de sa valeur initiale.

On peut disserter longtemps sur les choix économiques des uns et des autres, mais une chose est sûre et certaine pour tous les experts dans ce domaine, on peut encore bien gérer une dette publique à 65% du PIB, mais à 90%, le point de non-retour est franchi. Plus un pays est endetté, plus sa marge de manœuvre est étroite, voire inexistante. Pour avoir une idée de ce fardeau économique, sachez que dans la loi de finances pour l'année 2016, la charge de la dette (les intérêts payés par l'Etat français) s'élève à 44,5 milliards d'euros, soit 10,7% du budget de l'Etat français. C'est le 4e poste de dépense de la France.

Alors, lorsque François Fillon répète incessamment que la France est en faillite, on est pleinement dans le surréalisme politique, aux confins du grotesque et de la tragi-comédie, comme le prouvent ces chiffres effrayants qui résume l'ère désastreuse du mandat Sarkozy-Fillon. Le Fillon nouveau du millésime 2016 cherche d'une part, à faire oublier qu'il est le principal responsable de l'état financier du pays (millésimes 2007-2012, 620 milliards d'euros de plus), et d'autre part, à conditionner les Français pour accepter l'américanisation du modèle social (ses projets concernant la Sécurité sociale par exemple).

Rien que pour cela, le duo Sarkozy-Fillon aurait dû être banni de la sphère public à vie. Hélas 6,5% de Français, ont décidé autrement et de la manière la plus incompréhensible qui soit : on a congédié l'un et félicité l'autre. Punition pour le premier, promotion pour le second. De l'autre côté, le trio Hollande-Ayrault-Valls a réussi à freiner la progression vertigineuse de la dette publique sous Sarkozy-Fillon et à faire baisser le déficit budgétaire de la France. François Hollande quittera le pouvoir en 2017 avec une dette publique estimée à 96% du PIB et un déficit budgétaire sous la barre des 3% du PIB respectant les critères européens. Dire ou faire croire que la droite est forcément une meilleure gestionnaire de l'argent public que la gauche est faux et relève du fantasme et de la mythologie dans le cas de Sarkozy-Fillon.

VI. Environnement, sécurité intérieure et affaires étrangères : heureusement que la France avait François Hollande et non François Fillon entre 2012 et 2017

Au-delà de la dette publique et du déficit budgétaire, il y a trois domaines où il faut remercier une majorité d'électeurs français d'avoir eu la sagesse en 2012 de congédier la droite et de porter la gauche au pouvoir.

Message de l'ancien gouverneur de
la Californie au président de la République
:
« François, félicitations pour votre décision.
Vous êtes le champion du peuple et de
l'environnement. On vous aime.
Arnold (Schwarzenegger) » 
Le premier concerne l'environnement. Alors que la planète est menacée par une véritable catastrophe écologique dû au changement climatique induit par l'insouciance de l'homme et ses activités irresponsables, le trio Hollande-Valls-Fabius a su conduire avec un succès indéniable l'une des négociations les plus difficiles de l'histoire humaine, qui a conduit 195 pays du monde lors de la COP21 à s'engager à prendre toutes les mesures nécessaires pour limiter la hausse de température de la Terre d'ici l'an 2100 entre 1,5°C et 2°C. Alors là, chapeau! Par comparaison, la droite de François Fillon envisage si elle revient au pouvoir de supprimer purement et simplement le « Principe de précaution » de la Constitution, une contrainte juridique qui impose en cas d'absence de certitudes scientifiques, de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les éventuels risques graves et irréversibles pour l'environnement.

Le deuxième concerne la sécurité intérieure. Alors que la France était la cible de plusieurs attaques terroristes particulièrement odieuses, le duo Hollande-Valls a su prendre les mesures nécessaires pour combattre efficacement le terrorisme, protéger la population française et préserver l'unité nationale, sans tomber dans les amalgames islamophobes entre islam et islamisme, sans céder à la tentation de tout sécuritaire et sans procéder à des violations graves des libertés fondamentales en France. Alors là, chapeau! Si c'était la droite qui était au pouvoir, je ne suis pas sûr qu'un duo comme Sarkozy-Fillon aurait réagi avec autant d'efficacité et de sagesse, comme le prouve la gestion de l'affaire Mohammad Merah.

Le troisième concerne les affaires étrangères. Alors que la France était confrontée à l'un des conflits les plus complexes et les plus déshumanisés de l'histoire contemporaine, la guerre en Syrie, le quatuor Hollande-Ayrault-Valls-Fabius a su intervenir efficacement contre l'organisation terroriste Daech (Etat islamique), débarrasser le Moyen-Orient des armes de destruction massive (l'arsenal chimique du régime syrien), tenter de faire voter des résolutions au Conseil de sécurité (bloquées par la Russie et la Chine), soutenir la révolte du peuple syrien contre son tyran, sans légitimer Bachar el-Assad, le principal responsable de la dégénérescence d'une révolution pacifique en une guerre civile, sans s'allier avec Vladimir Poutine, le principal responsable de l'enlisement sanglant de la guerre civile. Alors là, chapeau! Si c'était la droite au pouvoir, il est sûr et certain qu'un trio comme Sarkozy-Fillon-Juppé aurait envenimé la situation , comme le prouve sa guerre irréfléchie en Libye (2011) et le chaos qu'elle a engendré (installation de Daech, ouverture de la route des migrants vers l'Europe via l'Italie, dissémination des armes en Afrique, etc.) ou la nouvelle alliance prônée par Fillon, qui aboutira à l'alignement de la France sur l'axe Poutine-Assad-Khameneï, principaux responsables de la transformation de l'organisation terroriste « Etat islamique d'Irak » en « Etat islamique en Irak et au Levant », Daech.

VII. Les destins comparables de François Hollande, Nicolas Sarkozy et Lionel Jospin

Il y a à l'égard de l'actuel président de la République une hollandophobie, comme il y en a eu à l'encontre de l'ancien chef d'Etat, une sarkophobie. On peut ne pas être d'accord avec ces deux hommes, force est de constater qu'une partie du rejet dont ils font l'objet, est déterminé par leur caractère et leur comportement. Ce qui a agacé dans la performance politique de Sarkozy c'est son omniprésence et son arrogance, dans celle de Hollande, c'est sa discrétion et sa normalité. En renonçant à se représenter, le président de la République a su mettre son ego en sourdine, privilégier l'intérêt général et tirer sa révérence au bon moment. Pour comprendre le mérite de Hollande, il faut simplement se rendre compte que Sarkozy a fait exactement le contraire. Voilà pourquoi son renoncement forge le respect.

En prenant sa décision, François Hollande a pensé également à l'ironie du destin qui a frappé Lionel Jospin. Avec un bilan respectable après cinq ans passés à Matignon, le Premier ministre sortant se voyait déjà au 2e tour de l'élection présidentielle de 2002, face au président sortant, Jacques Chirac, dont la vacuité du bilan faisait de lui le perdant tout désigné de la bataille. Mais, la bêtise des leaders des gauches, qui ont multiplié les candidatures, et la volonté non moins stupide de certains électeurs de gauche, de donner une belle claque au candidat du Parti socialiste, qui n'aurait pas été suffisamment à gauche à leurs yeux, a conduit à l'élimination pur et simple du Lionel Jospin dès le premier tour. Ce fut le choc du 21 avril. François Hollande a sans doute voulu éviter une telle humiliation, dès la Primaire dans son cas.

VIII. Le clivage droite-gauche au cœur de la bataille présidentielle de 2017

Il est clair dès aujourd'hui que la bataille présidentielle de 2017 se déroulera sous les étendards d'une « droite décomplexée » et d'une « gauche authentique ». Ce clivage profond de la société française soulèvera beaucoup de question sur l'avenir du pays. Quel sera le nouveau cap du navire France? Faut-il virer à tribord (droite) ou à bâbord (gauche)? Que feront les gens du centre, de l'écologie et de l'extrême gauche? S'il est tôt pour parler de la gauche et de ses entités politiques apparentées, pour la droite les choses sont claires. Elle a un candidat unique qui a été mandaté par 6,5% des électeurs inscrits sur les listes électorales en France. Dans un contexte tendu, quelle perspective pour l'avenir? Pour y répondre, il faut se pencher sur les élections présidentielles où le clivage droite-gauche était aussi important qu'aujourd'hui. Il y en a eu deux. En 2007, se sont affrontés, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou, Jean-Marie Le Pen et d'autres candidats. En 2012, se sont affrontés, François Hollande, Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou et d'autres candidats. De la plongée dans les chiffres on apprend que pour passer le 1er tour d'une élection présidentielle clivante, il faut convaincre près de 10,24 millions d'électeurs français, et pour être élu, la barre des 18,49 millions d'électeurs doit être atteinte.

Pour finir cet article en beauté et l'achever avec sarcasme, je m'autorise à paraphraser l'échange historique entre Louis XVI et le duc de La Rochefoucauld, à l'aube de ce 15 juillet 1789, afin de rappeler une évidence oubliée par le vainqueur au lendemain de sa victoire. Dimanche dernier, ce n'était pas l'élection. Non Sire Fillon, c'était une primaire ! Le plus dure pour François Fillon reste donc à faire. Une élection présidentielle avec 44,8 millions d'électeurs appelés aux urnes et une participation qui dépassera les 80% des inscrits, c'est une tout autre paire de manches. C'est dans cinq mois. En politique, c'est une éternité.

IX. Pour être élu président de la République, il faut pouvoir convaincre 18,5 millions de Français

Parlons peu, parlons bien. La Primaire de la droite, organisée à la fin du mois de novembre, a donné le véritable coup d'envoi de la course présidentielle. Dans les starting-blocks il n'y a pour l'instant que François Fillon qui est assuré de courir toute la distance de la campagne électorale. La gauche elle, n'est qu'au stade de la présélection des candidats. Elle doit pour gagner défendre le bilan du quinquennat et se présenter unie derrière un programme politique progressiste anti-Fillon, point par point. Seul le désistement de François Hollande permettait de relever ce triple défi. L'actuel président de la République pouvait faire autrement. Il ne l'a pas fait. Que ça soit une première de l'histoire de la Ve République, qu'un président sortant ne se représente pas à l'élection présidentielle, ne saurait occulter une autre première où un leader politique privilégie à ce point l'intérêt général de sa famille politique à son ego.

Pour franchir le 1er tour de l'élection présidentielle française prévue le 23 avril 2017, Sire Fillon doit passer de 1,88 million d'électeurs (score du 1er tour de la Primaire) à 10,24 millions d'électeurs (moyenne des deux candidats arrivés en tête lors du 1er tour des élections présidentielles de 2007 et 2012). Il doit donc convaincre 8,36 millions d'électeurs en plus, que son programme ultralibéral, austère, conservateur et propoutinien, est dans leur intérêt. Eh bien, disons que ça ne sera pas facile. Et pour être élu au 2e tour président de la République française le 7 mai 2017, lors d'une élection aussi clivante que celle qui s'annonce, Sire Fillon doit passer de 2,9 millions d'électeurs (score du 2e tour de la Primaire, soit 6,5% des électeurs inscrits) à 18,49 millions de votants (moyenne du candidat élu lors du 2e tour des élections présidentielles de 2007 et 2012, soit 41,3% des électeurs inscrits).

Ainsi, pour passer de l'hôtel Matignon au palais de l'Elysée, il ne suffit pas de connaître l'adresse des lieux, de gagner la Primaire de la droite, de traverser la Seine, de s'essuyer les pieds et de rentrer. François Fillon doit convaincre 15,59 millions d'électeurs français en plus, le 7 mai 2017, sans perdre les 2,9 millions qui lui ont fait confiance le 27 novembre 2016 au cours des cinq prochains mois d'une campagne électorale clivante, que son programme ultralibéral, austère, conservateur et propoutinien, est dans leur intérêt et dans l'intérêt de la France et des Français. L'ironie de l'histoire c'est qu'il est le premier à savoir qu'une élection n'est pas gagnée d'avance. Et pour cause, ce qui lui a fait gagner la Primaire de la droite, justement ce programme, pourrait lui faire perdre l'élection présidentielle.

mercredi 23 novembre 2016

François Fillon, une aubaine ou un danger public pour la France et le Moyen-Orient? (Art.404)


"En mars 2013, le président russe invite
François Fillon, qui n'est plus que député de
Paris, dans sa datcha près de Moscou"
(Reuters/Alexei Druzhinin/RIA Novosti)
L'Express, 29 janvier 2014
Selon le bon vieux dicton français, au premier tour, on choisit, et au deuxième, on élimine. C'est chose faite, en partie. Sauf qu'il ne s'agit pas d'une élection, mais d'une présélection à laquelle 90% des Français n'ont pas jugé utile de participer. Ayons la présence d'esprit de s'en souvenir quand même ! Le tiercé gagnant de la soirée électorale de dimanche n'a surpris personne en France. Ce qui surprend réside ailleurs.

1. Les Français qui « partageant les valeurs républicaines de la droite et du centre » et qui ont accepté de participer à la Primaire organisée par le parti « Les Républicains » pour désigner le candidat à l'élection présidentielle de 2017, ont choisi de qualifier François Fillon, l'outsider, et Alain Juppé, longtemps favori, pour le second tour. Nicolas Sarkozy a été éliminé dès le premier tour. A vrai dire, il n'avait aucune chance de revenir sur le ring, il aurait été éliminé au second tour. L'ancien président de la République traine beaucoup de casseroles derrière lui qui rendaient son discours totalement inaudible pour l'écrasante majorité des Français.

2. Le grand perdant de la Primaire, le troisième homme, bénéficie tout de même d'un lot de consolation. Par son ordre d'arrivée et son score (20,6 %), il est devenu en réalité le faiseur de roi de ce scrutin. En décidant de voter pour Fillon (44,1 %), il fait de son ancien Premier ministre, le nouveau favori du second tour, au détriment de l'ancien favori, Alain Juppé (28,5 %). Ce soutien, tout à fait prévisible, est pourtant un cadeau empoisonné pour l'intéressé. Il rappelle à tous les Français, particulièrement ceux de droite, que le couple Sarkozy-Fillon a été uni par les liens d'un mariage politique conclu entre 2007 et 2012. C'est le désaveu des Français en 2012 qui les a poussé au divorce.

3. Depuis lundi, tout le monde disserte sur l'engouement des Français pour les Primaires. A droite, on se targue d'avoir battu le seul record de participation existant, et à gauche, on s'enorgueillit d'avoir été les premiers à ouvrir la voie en 2012. Il a échappé à tout ce beau monde, qu'avec 4,3 millions de votants sur plus de 44,8 millions d'électeurs inscrits, on n'a même pas pu franchir la barre symbolique des 10 % de participation. Fillon, ce grand vainqueur de la Primaire (44,1 % des votants), qui arrive en tête avec des sourcils en bataille, n'a obtenu que 1 881 857 voix. Pour mesurer la gravité de ce résultat, il faut se projeter au-delà de la Primaire. Ce n'est qu'un secret de Polichinelle, la France pourrait opter pour l'alternance en mai. Le vainqueur de ce premier tour de primaire est donc en pole position pour remporter la course présidentielle. Ainsi, dimanche 20 novembre, on a pratiquement décidé que François Fillon, qui n'a récolté que 4,24 % des voix des Français inscrits sur les listes électorales, mérite d'être le 25e président de la République française. Stupéfiant ! Quelle légitimité peut bien avoir un Fillon qui a été désigné par un scrutin privé pour courir l'élection présidentielle auquel près de 90 % des électeurs n'ont pas pris part ? C'est absurde. Plus grave encore, dire que cet homme veut imposer à la France un programme ultra-libéral et changer radicalement le positionnement de la France sur la scène internationale, sachant que près de 96 % des Français ne l'ont pas mandaté pour ça ! C'est tout simplement consternant. Les primaires, qu'elles soient de droite ou de gauche, en France ou aux Etats-Unis, sont une mascarade électorale, inventée pour biaiser l'expression démocratique des peuples. Elles n'ont aucune justification démocratique et ne feront que favoriser le populisme dans le monde à l'avenir. Il faut y mettre un terme au plus vite.

4. François Fillon, le candidat pressenti pour devenir le futur président de la République, comme l'ont décidé 4,24 % des électeurs français, est un extraordinaire prestidigitateur. Il a réussi à redorer ses 5 années passées à Matignon, il y a à peine 5 ans, où il a mené conjointement avec Nicolas Sarkozy une politique qui a été sanctionnée par les Français en 2012, où la dette de la France avait augmenté de près de 600 milliards d'euros, soit plus de 50% par rapport à 2007. Du jamais vu ! Ce bilan désastreux n'a pas empêché l'ex-Premier ministre de se commander un costard présidentiel sur mesure pour se représenter aux Français comme un homme nouveau, le réformateur providentiel, le seul homme politique capable de redresser une France au bord de « la faillite ». Bienvenue dans le surréalisme politique français et longue vie à l'hypnotiseur candidat illusionniste. Tout cela est merveilleux sauf que l'habit ne fait pas le moine. Si en 5 ans, il n'a pas su redresser la France, il est illusoire de croire qu'il pourra réussir en 10 ans. Si en 5 ans, il a fait passer la dette publique de 65% du PIB de la France (2007) à 90% du PIB (2012), le pire est à venir sous une présidence Fillon. On raille la présidence socialiste qui a pris la relève du duo Sarkozy et Fillon, sauf que sous Hollande et Valls, la dette publique de la France a été limitée à 96% du PIB du pays (2017). Dans tous les cas, mettre toute la faute de la sévère sanction de 2012 sur le dos de Sarkozy, est encore pire pour Fillon. Cela signifie que l'ex-Premier ministre était un exécutant qui n'a jamais eu le cran de s'opposer à l'ex-président de la République. Il n'a donc pas la carrure pour assumer les hautes fonctions d'un chef d'Etat. Pour résumer la situation de de François Fillon, je reprendrai le réquisitoire de l'ancien Premier ministre socialiste, Laurent Fabius, contre Nicolas Sarkozy en 2012 : « Votre bilan, c'est votre boulet... Pourquoi voulez-vous que ce qui n'a pas marché pendant cinq ans fonctionne maintenant ? »

5. Quelque soit l'heureux élu, pour gouverner, il devra s'appuyer principalement sur son camp, « Les Républicains ». L'élection présidentielle aura lieu en deux temps, le 23 avril et le 7 mai 2017. Les élections législatives se dérouleront le 11 et 18 juin 2017. En attendant, la bonne nouvelle du 1er tour de la Primaire de la droite et du centre, c'est qu'enfin, un vrai débat d'idées peut s'engager. Dans ce cadre, rappelons quand même et d'emblée, que Fillon et Juppé font partie de la même famille politique, oui la même famille politique, la droite. Leurs programmes se rejoignent, eh oui, et sur beaucoup de points svp.

- Impôts et Taxes : hausse de la TVA ; suppression de l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune) ; baisse des droits sur les donations ; baisse de l'impôt sur les sociétés ; baisse des cotisations patronales et salariales ; réduction des dépenses publiques ;
- Emploi : faciliter les modalités de licenciement ; organiser des référendums d'entreprise en cas de blocage syndical ; reformer le code du travail ;
- Retraite : hausse de l'âge de départ à la retraite de 62 à 65 ans ; alignement des retraites du secteur public sur celles du secteur privé, avec suppression des régimes spéciaux de retraite ;
- Fonctionnaires : suppression de postes de fonctionnaires (250 000 pour Juppé, 500 000 pour Fillon) ; rétablissement des jours de carence dans la fonction publique ;
- Ecole : autonomie pour les collèges et les lycées ;
- Sécurité : création de nouvelles places de prison ; déchéance de nationalité des seuls terroristes binationaux ; double peine ;
- Immigration : établissement de quotas annuels pour l'immigration par le Parlement ; négociation d'un nouveau traité pour remplacer Schengen ;
- Divers : opposition à la PMA (procréation médicalement assistée) pour les couples homosexuels et à la GPA (gestation pour autrui).

6. Comme on vient de le voir,François Fillon et Alain Juppé se rejoignent donc sur l'essentiel. L'un et l'autre défendent des programmes nettement marqués à droite. Ainsi, si vous êtes de sensibilité de gauche, circulez, il n'y a rien à voir dans cette Primaire, encore moins à espérer. Quoiqu'en lisant jusqu'au bout, vous risquez de changer d'avis. Et si vous êtes de sensibilité de droite ou du centre, décidés ou indécis, n'oubliez surtout pas, le diable se cache dans les détails. Il existe de différences claires et nettes entre les deux candidats. Qui veut voter d'une manière responsable et citoyenne, se doit de les connaître.

7. François Fillon mérite largement le tire de l'éditorial du journal Le Monde, « Droite thatchérienne contre droite chiraquienne » et sa caricature dans Libération, où on le présente sous les traits de son idole, Margaret Thatcher. L'ex-Premier ministre de Nicolas Sarkozy, un détail qu'il ne faut pas perdre de vue, défend des idées inquiétantes à juste titre et raison. Sa politique est :

- ultra-libérale sur le plan économique (suppression des 35 heures, la durée de travail devra être fixée par les entreprises dans la limite de 48 heures/semaine ; rendre les allocations chômages dégressives sans minimum garanti ; suppression de l'encadrement des loyers, comme à Paris) ;
- ultra-libérale sur le plan de la santé (focaliser l'assurance-maladie sur les affections graves ou de longue durée, pour le reste, « malades, débrouillez-vous! », dans le privé pour ceux qui en ont les moyens, sans même proposer un encadrement des tarifs des mutuelles ; selon l'actuel ministre de la Santé, « chaque foyer paiera en moyenne 3 200 euros de plus par an pour se soigner »; introduction d'une franchise universelle ; suppression de la généralisation du tiers payant ; suppression de l'aide médicale d'Etat ; 
- peu soucieuse des risques pour l'environnement (suppression du principe de précaution ! ; prolongation de l'exploitation des centrales nucléaires de 40 à 60 ans) ;
- conservatrice sur les questions de société (suppression de l'adoption plénière pour les couples homosexuels ; rappelons que François Fillon est opposé à l'avortement et a voté en 1982 contre la dépénalisation symbolique de l'homosexualité en France) ;
- irréaliste (suppression de 500 000 postes de fonctionnaires; augmentation de la durée hebdomadaire de travail des fonctionnaires sans augmentation de salaire) ;
- conflictuelle (« passer le statut de la fonction publique à la paille de fer »)
- populiste (voter une loi anti-burkini, comme si le Conseil d'Etat ne s'est jamais prononcé contre cette dérive juridique qui viole plusieurs des libertés fondamentales en France) ;
- méprisante pour les petits pays (« déchéance de la nationalité française des jihadistes et interdiction de retour en France pour les combattants terroristes partis en Syrie ou en Irak » ; c'est une violation du droit international; comme si c'est aux autres pays du monde de s'encombrer des Français terroristes, nés, élevés et éduqués en France !);
- déshonorante pour la France : pro-Poutine, pro-mollahs et pro-Bachar (lever l'embargo contre la Russie ; renforcer le dialogue avec l'Iran ; coopérer avec Poutine en Syrie)

8. Alain Juppé lui, défend clairement des idées de droite, comme on l'a vu précédemment (ex. suppression du compte pénibilité). Toutefois, sa politique se distingue de celle de Fillon sur plusieurs points. Elle apparait quand même plus :

- réaliste (suppression de 200 000 à 250 000 postes de fonctionnaires ; augmentation du temps de travail hebdomadaire à 39 heures/semaine, négociable selon les besoins des entreprises ; pas question de faire travailler les fonctionnaires plus, sans les payer plus) ;
- centriste (baisse de l'impôt sur le revenu ; rendre les allocations chômages dégressives si la situation économique s'améliore, avec un minimum de 870 euros/mois ; pas question de dégressivité sans aucune garantie et quelque soit le contexte économique) ;
- modérée (moderniser la gestion de la fonction publique ; pas question de paille de fer!) ;
- rassurante (maintien d'un taux de prise en charge des dépenses de santé à 75%, pas question de limiter le champ de la Sécurité sociale aux maladies graves seulement ; conduire des recherches agronomiques, en gardant le principe de précaution, pas question d'ouvrir la boite de Pandore) ;
- réfléchi (pas question de loi sur le burkini car il faut « résister à la tentation d'exiger des lois de circonstance au fil des polémiques médiatiques ») ;
- progressiste (adoption par les couples homosexuels) ;
- ferme (conditionner le droit du sol à la régularité du séjour ; isoler les détenus radicalisés ; mettre en œuvre tous les outils de l’état d’urgence ; redéployer 4500 policiers et gendarmes ; rétablir les peines planchers pour certains condamnés; 
- respectueuse du droit international (pas question de laisser les "terroristes français", nés et élevés en France, aux autres pays du monde) ;
- honorable pour la France : clairement anti-Daech et anti-Assad ; pas question de s'aligner sur l'axe Moscou-Téhéran-Damas.

9. Il y a une différence majeure entre les deux candidats de droite qui mérite d'être traitée à part. C'est celle portant sur la politique étrangère de la France, notamment en ce qui concerne la Russie et le Moyen-Orient. En optant pour la realpolitik, qu'il justifie par les impératifs de combattre le terrorisme et protéger les Chrétiens d'Orient, François Fillon se place clairement aux côtés de Vladimir Poutine et de Bachar el-Assad. Qu'il le veuille ou pas, ce positionnement déshonore la France et la rend complice des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité qui sont commis en Syrie. On peut combattre Daech sans légitimer pour autant le tyran de Damas. Telle est la position d'Alain Juppé. Elle honore la France.

10. Si l'Amérique de Bush a permis la création de Daech, l'Etat islamique en Irak et au Levant, par le biais d'une invasion et d'une occupation stupides de l'Irak (2003-2011), la Russie de Poutine a offert à l'organisation terroriste les conditions nécessaires pour se développer et menacer le monde, par le biais d'un soutien infaillible à la tyrannie des Assad et d'une intervention non moins stupide en Syrie (2011-2016). Poutine a bloqué cinq résolutions du Conseil de sécurité sur la Syrie, c'est pour dire. Bachar el-Assad est certes un grand criminel de l'histoire, mais il est aussi un pragmatique. La preuve, son retrait inespéré du Liban en 2005, après une occupation du pays du Cèdre de 29 ans, sous une double pression interne (manifestation monstre du 14 mars 2005) et externe (le forcing Chirac-Bush et des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, notamment la résolution 1559, adoptée le 2 septembre 2004). La pression interne existait en Syrie, via les manifestations pacifiques durant l'année 2011. Il ne manquait que la pression externe. Ça n'a jamais été possible à cause de Poutine. Il est clair aujourd'hui, avec le recul dont on dispose, que si les pays occidentaux avaient pu imposer la 1ère résolution sur la Syrie en octobre 2011 ou même la deuxième en février 2012, la France était gouvernée par François Fillon soit dit au passage (on venait à peine de dépasser le seuil des 5 000 morts en Syrie et 5 000 réfugiés syriens au Liban ; Daech n'était pas encore installée en Syrie, elle n'existait même pas en tant que telle, il n'y avait que l'organisation « Etat islamique d'Irak »!), avant la militarisation et la généralisation du conflit (en 2012), le tyran de Damas se serait plié, « l'Etat islamique d'Irak » n'aurait jamais pu s'étendre vers la Syrie et donner naissance à « l'Etat islamique en Irak et au Levant », Daech, le sinistre acronyme que tout le monde connait aujourd'hui. Il était possible d'éviter les 300 000 morts en Syrie, le déplacement de 2 millions de ressortissants syriens au Liban, l'afflux de jihadistes au Moyen-Orient, des millions de migrants vers l'Europe et des dizaines d'attaques terroristes dans le monde. Mais c'était sans compter sur la détermination de Poutine et la mollesse des pays occidentaux, notamment de la France de Sarkozy-Fillon !

11. Plus grave encore, en s'aventurant sur le terrain des « Chrétiens d'Orient », François Fillon ne se rend même pas compte à quel point il menace la pérennité de la présence chrétienne en Orient. En juin dernier, lors de sa visite au Liban, il s'est montré soucieux sur ce problème. « Les tentatives d’élimination de la présence chrétienne au Moyen-Orient mèneront à des affrontements et un avenir dangereux ». Et alors, que faire ? La réponse est tombée quelques semaines plus tard où il a prôné « une alliance militaire et tactique avec Bachar el-Assad ». Et nous n'avons qu'à fermer les yeux sur les 300 000 morts qu'il a provoqués, n'est-ce pas ? Idem pour sa porte-parole, Valérie Boyer, l'une des cinq députés républicains qui ont eu l'indécence au printemps dernier, d'aller acheter des mugs-souvenirs dans les souks de Damas à l'effigie de Bachar el-Assad, à quelques kilomètres seulement des zones gazées au sarin par le dernier tyran des Assad (21 août 2013 ; 1429 morts, dont 426 enfants). Après avoir affirmé que « Mon devoir était d'être auprès des minorités, auprès des Chrétiens d'Orient », elle a le culot d'asséner à la suite de la rencontre avec ce dernier que « Bachar el-Assad est serein... Il va gagner la guerre ». Les positions de Fillon et de Boyer sont avant tout indignes des enseignements de Jésus-Christ et du christianisme. Leur solidarité empoisonnée est d'une part, honteuse car sélective, ne prenant pas en compte la souffrance des communautés musulmanes, et d'autre part, méprisable car élective, en faisant du tyran de Damas, le sauveur de ses opprimés.

12. Toujours est-il que c'est au cours du dernier débat télévisé que le champion de la Primaire a bien montré à quel point ses connaissances sur le Moyen-Orient étaient primaires. « Si Bachar al-Assad est toujours là, c'est parce qu'il a un soutien populaire (...) c'est-à-dire les alaouites, les chiites et les chrétiens pour une large part, les chrétiens d'Orient ». Admettons. Mais, il faudra qu'Alain Juppé explique à son adversaire d'une part, que tout ce beau monde réuni, ne constitue même pas 25% de la population syrienne et d'autre part, que si Assad est toujours au pouvoir c'est grâce à la tyrannie et à la barbarie familiales, mises en place en 1970 et qui se sont illustrées à d'innombrables reprises depuis, en Syrie comme au Liban. Et puisqu'il y est, qu'il lui explique aussi ce qu'il voulait dire par « il n'y aura pas de retour à la paix en Syrie avec Bachar el-Assad ». Les Assad sont sans l'ombre d'un doute l'une des pires malédictions de l'histoire contemporaine du Moyen-Orient.

13. La naïveté de Fillon l'a même poussé l'autre soir à avancer des justifications simplistes à ses choix politiques. « Ils le défendent (voir point 12) parce qu'ils savent qu'en cas de chute du régime, ce sont les sunnites qui prendront le pouvoir, et si les sunnites prennent le pouvoir, pour les chrétiens c'est la valise ou le cercueil ». Notez bien que selon ce prétendant à la présidence de la République française, « les sunnites », tous les sunnites, vont foncer sur « les chrétiens », tous les chrétiens, pour les foutre dehors et les massacrer. Roi de la finesse et de la dentelle Fillon ! Il est indigne d'un présidentiable de tenir des propos aussi grotesques, malhonnêtes et islamophobes. En tout cas, de grâce que le candidat républicain et sa porte-parole s'abstiennent une fois pour toutes de parler en mon nom, en nos noms et au nom des Chrétiens d'Orient, ça serait mieux. L'histoire du Liban prouve à quel point la tyrannie des Assad, père et fils, a joué un rôle fondamental dans l'affaiblissement des communautés chrétiennes du pays du Cèdre et dans leur martyre depuis 1976 jusqu'à nos jours. Libre à eux de jouer aux « idiots utiles » pour Poutine et Assad. Mais avant d'engager la France, ils devraient savoir que tout ce qui renforce le régime alaouite de Bachar el-Assad, qui est issu d’une communauté minoritaire qui ne représente que 10% de la population syrienne, renforcera les islamistes de Daech & Co, qui sont issus d’une communauté majoritaire sunnite qui représente 70 % de la population syrienne et de dizaines de milliers de combattants étrangers sunnites sensibles à l’agonie du peuple syrien et réceptifs à la propagande jihadiste. Assad va de pair avec Daech. Il faut se débarrasser des deux. A défaut, le monde aura les deux.

14. Parlons peu, parlons bien. En s'alliant avec Vladimir Poutine et en soutenant Bachar el-Assad, qu'importe les prétextes, François Fillon renforcera le pouvoir tyrannique de ce dernier, qui s'est révélé au fil des décennies être particulièrement nuisible pour les peuples syrien et libanais en général, et pour les communautés sunnite et chrétienne en particulier. Par une démarche de réhabilitation de ce régime criminel, en décidant de rouvrir l'ambassade de France à Damas, François Fillon renforcera les alliés de ce dernier, les extrémistes chiites, comme le Hezbollah et la République islamique d’Iran, dont l’objectif reste l’établissement d’une République islamique chiite au Liban, comme l’a rappelé le numéro deux du Hezbollah, cheikh Naïm Qassem, en début d’année. Pire encore, en soutenant Assad, François Fillon poussera une frange de personnes anti-Bachar de confession sunnite, de Syrie et du monde arabe, comme de France et d’ailleurs, à se radicaliser pour venir grossir les rangs de ces organisations terroristes. Pour justifier l'injustifiable dans la politique étrangère qu'il concocte pour la France, François Fillon prétend qu'on a tout essayé en Syrie, cela a échoué et qu'il est temps de changer de tactique. Il a raison sur toute la ligne. Mais au fait, qu'a-t-on essayé au juste depuis 2011 ? Eh bien, tout ce que la communauté internationale a réussi à faire durant les six dernières années c'est de laisser Bachar el-Assad, Ali Khameneï et Vladimir Poutine, régler par le fer, le feu et le sang, le problème en Syrie ! Six ans plus tard, nous sommes à 300 000 morts, une Syrie vidée de la moitié de ses habitants et un pays dévasté. 

15. Ainsi, la politique étrangère irresponsable prônée par François Fillon, menacera l’ensemble des populations syrienne et libanaise, les chrétiens et les musulmans en Orient, prolongera le conflit syrien ad vitam aeternam, jettera davantage de migrants syriens sur les routes de l’Europe et menacera la sécurité du monde. Assad et Daech sont deux formes différentes de fascisme, d’une barbarie comparable. Que ça plaise à François Fillon ou pas, les deux sont condamnés à disparaitre. En attendant, il s'est mis du mauvais côté de l’histoire. Bachar el-Assad et Vladimir Poutine portent une très lourde responsabilité dans le chaos qui règne au Moyen-Orient. Il est déshonorant à la France de s'y associer. Pour l'éviter, il faut tout faire pour barrer la route à François Fillon, même en votant Alain Juppé. Avis aux peuples de gauche et du centre. Il vaut mieux le faire à la Primaire que lors de l'élection présidentielle proprement dite. Car là, on risque de ne pas avoir le choix. Il y aura peut-être Marine Le Pen en face. A bon entendeur, salut !

jeudi 10 novembre 2016

Triomphe de Donald Trump ou l'histoire d'une farce prévisible mais inavouable (Art.401)


Hélas, la majorité du peuple américain n'a pas fait preuve de maturité démocratique et de dextérité politique dans l'élection présidentielle. Ce n'est pas la première fois diraient certains. Mais enfin, le devoir citoyen exigeait des 231 millions d'Américains qui étaient appelés aux urnes mardi, d'assurer à Hillary Clinton un franc succès et d'infliger à Donald Trump une défaite cuisante, afin d'épargner aux Etats-Unis, au monde et à l'histoire une présidence qui s'annonce pour le moins inquiétante. C'est l'inverse qui s'est produit.



I. Le stage obligatoire de Donald Trump chez Barack Obama

Il est trop tôt pour disserter sur « Le monde selon Trump », le président élu ne prendra ses fonctions que le 20 janvier 2017. On ne sait jamais, d'ici là, il pourra être rappelé par le Créateur pour le Jugement dernier. En attendant, il devra effectuer un stage obligatoire mais non rémunéré à la Maison Blanche. Barack Obama tentera d'expliquer au stagiaire-septuagénaire la fonction présidentielle avant de lui remettre les codes des 4 717 têtes nucléaires dont disposent les Etats-Unis avec le mode d'emploi bien entendu, en lui faisant bien comprendre à quel point c'était irresponsable de sa part de se demander il y a quelques mois, « Pourquoi les Etats-Unis fabriquent-ils des armes nucléaires si ce n'est pas pour les utiliser? », et encore plus crétin de laisser entendre qu'il pourra être amené à larguer une arme nucléaire sur le Moyen-Orient comme sur l'Europe. Eh oui, c'est ce bouffon qui va « Make America great again ». Wait & see, hein?

Donc, ce qui est intéressant en cette période transitoire, c'est d'essayer de comprendre comment le peuple américain fut contraint et forcé d'élire un président aussi controversé que Donald Trump?

II. L'usure du pouvoir : facteur déterminant de l'élection du candidat républicain

Parlons d'emblée de ce paramètre négligé, mais qui explique en partie comment un homme pas sérieux, peut se retrouver à la tête du pays le plus puissant au monde. Figurez-vous qu'un de ces paramètres déterminants dans l'arrivée du candidat républicain dans le bureau ovale, est un paramètre que personne ne peut contrôler, il découle de l'usure du pouvoir. Ce n'est pas parce que le pouvoir sortant a été mauvais comme le pensent certains. Barack Obama est un grand président. Le problème ce sont les deux mandats présidentiels démocrates. Si on exclut le contexte particulier de la Seconde guerre mondiale, qui a amené les Américains à recourir à un gouvernement d'union nationale (eh oui, il n'y a pas qu'au Liban!) et à élire le candidat démocrate Franklin Roosevelt à quatre reprises (1933-1945, dont deux durant la guerre), la dernière fois que les Démocrates ont conservé la présidence plus de huit ans, remonte à 1829, à la création du parti démocrate moderne. Depuis que les deux partis rivaux s'affrontent dans l'élection présidentielle (1857), et hormis le cas particulier de Roosevelt pour les Démocrates (mort en 1945 un mois avant la fin de la Seconde guerre ; c'est un autre démocrate qui lui succédera, son vice-président Harry Truman ; il sera reconduit à son poste lors des élections de 1948, permettant aux Démocrates de garder la présidence pendant 20 ans, 1933-1953), ce sont les Républicains qui ont réussi à quatre reprises svp, à se maintenir à la Maison Blanche plus de huit années consécutives. Autre élément intéressant qui explique le bol de pendu de Donald Trump, réside dans le fait que depuis 1857, les Américains ont élu 12 présidents démocrates pour 72 ans et 18 présidents républicains pour 88 ans. Les différences étant significatives, on peut conclure que l'usure du pouvoir est un paramètre déterminant dans les alternances politiques des présidences américaines.

III. La revanche raciale : un autre facteur déterminant dans l'élection de Trump

Un autre paramètre n'a pas été évoqué avec franchise, alors qu'il était tout aussi déterminant dans cette élection, c'est la « revanche raciale ». Beaucoup d'Américains ont été indisposés par l'élection d'un président noir à la tête des Etats-Unis, Barack Obama, qui a de surcroit, un second prénom arabo-musulman, Hussein, deux couleuvres qu'ils n'ont pas pu avaler en huit ans de mandat. Les campagnes de calomnie auxquelles a participé activement Donald Trump, sont allées jusqu'à présenter le 44e président des Etats-Unis comme étant né à l'étranger et de confession musulmane. Trump connaissait très bien ce précepte de propagande d'auteur inconnu et attribué à Hitler: « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge ; répété dix mille fois, il devient une vérité ». Encore en 2015, la moitié des Républicains et un peu moins du tiers des Américains pensaient qu'Obama était un Musulman né à l'étranger. Pire encore, près de 2/3 des partisans de Trump croient ces allégations. Et à l'arrivée on apprend, d'un côté, que 55% des Américains blancs qui se sont exprimés mardi, ont voté pour Trump (41% seulement pour Clinton), et de l'autre côté, 65% des Américains hispaniques et asiatiques, ainsi que 88% des Américains noirs, ont voté pour Clinton (8% seulement pour Trump). Il est donc évident que le vote Donald Trump représente en partie une revanche raciste, xénophobe, anti-noir et islamophobe.

IV. Est-ce la faute de la démocratie, du suffrage universel et du peuple américains?

Cela étant dit, certaines personnes ont pointé du doigt la faute de la démocratie, du suffrage universel et du peuple américains. Eh oui, comme l'a dit Winston Churchill, « le meilleur argument contre la démocratie est fourni par une conversation de cinq minutes avec l'électeur moyen ». La preuve par dizaines de millions, hein ? Bon, ce n'est pas parce que l'électeur moyen pour l'ancien Premier ministre britannique est un imbécile qui s'ignore -quoique, rien ne l'interdit- mais plus parce que celui-ci n'a pas une approche globale et approfondie des problèmes. Il est par nature égocentrique et isolationniste. Il veut des solutions simples et rapides. Pour le séduire, la meilleure stratégie électorale reste incontestablement le populisme. Et dans ce domaine, Donald Trump excelle. D'ailleurs, d'après les enquêtes d'opinion réalisées à la sortie des urnes, 51,5% des Américains non diplômés ont voté pour Trump contre 44% pour Clinton. Par contre, chez les Américains diplômés de l'enseignement supérieur, le candidat républicain ne séduit que 37% à 45%, alors que la candidate démocrate rafle 49% à 58% des voix. Dans le même sens, les électeurs des grandes villes ont préféré Hillary Clinton à 59% (contre 35% pour Trump), alors que ceux issus des campagnes ont fait exactement l'inverse: 62% ont choisi le candidat républicain et 34% la candidate démocrate. Les électeurs type de Trump sont des hommes blancs, peu diplômés, qui habitent dans des milieux ruraux, alors que les électeurs type de Clinton sont diplômés et résident dans des milieux urbains. Bon, on s'en doutait. 

Ceci dit, je partage l'avis de Churchill, encore lui : « Personne ne prétend que la démocratie est parfaite ou omnisciente... On a pu dire qu'elle était la pire forme de gouvernement à l'exception de toutes celles qui ont été essayées au fil du temps ». Néanmoins, le suffrage universel indirect, avec des disparités entre les Etats, pose problème: Hillary Clinton a obtenu plus de voix au niveau nationale (48%), mais grâce au système électoral, c'est son rival, Donald Trump, qui remporte la majorité des « grands électeurs » (306 sur 538 pour Trump, contre 232 pour Clinton), qui éliront officiellement le nouveau président américain le 19 décembre. C'est la 5e fois que ce paradoxe électoral arrive dans l'histoire américaine. Il est donc évident que ce mode de scrutin ancien, selon le principe "winner-takes-all" (où le gagnant remporte tous les délégués prévus pour l'Etat), n'a plus de raison d'être de nos jours. Il privilégie les petits Etats ruraux, qui votent traditionnellement pour les Républicains. Il peut se justifier dans le cas de la composition d'une Assemblée législative, afin de dégager des majorités nettes pour gouverner. Pour une élection présidentielle, les Américains devraient opter plutôt pour un système plus juste et plus simple, comme par exemple le suffrage universel direct, comme cela se fait dans beaucoup de démocraties du monde : les électeurs s'expriment et on comptabilise les voix.

Ainsi, ce n'est pas tant la démocratie et le peuple qui ont posé problème. C'est plutôt une grande partie des médias qui ont fait défaut, qui n'ont pas vraiment fait leur boulot ou pire encore, qui l'ont mal fait. Un seul exemple pour l'illustrer. Lorsqu'à deux mois du scrutin, et pendant 24 heures svp, le seul thème de campagne était la pneumonie d'Hillary Clinton et son malaise vagal, comment pouvait-on espérer le triomphe du politique sur le populisme mardi ? Il y a quinze ans, on n'aurait consacré que trois lignes sur une info inutile, qu'on aurait reléguée d'ailleurs, en bas de la 13e page du journal ! Hélas, les médias sont tombés facilement dans le piège de Donald Trump. Le candidat républicain est celui qui a dépensé le moins d'argent au cours de cette course présidentielle, les deux camps confondus. Il n'en avait pas besoin pour faire parler de lui. Il était omniprésent dans les journaux, les radios et les télés, grâce à des polémiques populistes savamment choisies et naïvement relayés par les médias.

V. Les casseroles de la candidate démocrate

A ce propos, il est évident que la façon dont le FBI s'est immiscé indirectement dans la campagne présidentielle et les fuites orchestrées par les services de Poutine via Wikileaks, ont joué un rôle important dans la défaite d'Hillary Clinton. Mais là aussi, le vrai coupable n'est pas le FBI ou Wikileaks, mais la candidate démocrate elle-même. Certes, elle n'a pas été poursuivie par la justice dans les deux affaires des emails. Mais enfin, on ne peut pas faire avaler au peuple américain la couleuvre qu'envoyer des milliers d'emails -2 000 estampillés « confidentiel », 65 estampillés « secret » et 22 estampillés « top secret »- d'une messagerie privée et non gouvernementale, quand on est Secrétaire d'Etat du pays le puissant au monde, n'est pas une « négligence extrême », comme l'a précisé le rapport du FBI. Mais quoi encore, elle n'avait qu'à utiliser Hotmail et Gmail comme tout le monde! Idem, on ne peut pas non plus faire avaler au peuple américain la couleuvre que recevoir à l'avance les questions qu'on allait lui poser lors de débats face à Bernie Sanders, disposer de la stratégie confidentielle de son rival pour séduire l'électorat afro-américain et savoir que la direction du Parti démocrate et ses « super délégués » n'étaient pas neutres au cours des primaires et roulaient pour elle, enfin, que toutes ces manigances politiciennes, ne s'inscrivaient pas dans le registre de la malhonnêteté !

Et puisqu'on y est, comment pouvait-on espérer qu'à l'heure où le monde n'a toujours pas fini avec la menace terroriste de Daech (Etat islamique), le fait qu'elle ait soutenu et autorisé George W. Bush à ouvrir la boîte de Pandore au Moyen-Orient via l'invasion et l'occupation de l'Irak par l'armée américaine en 2003, sans jamais manifester de regrets et présenter des excuses francs et sincères, soit effacé de son CV comme si de rien n'était, faisant de l'ex-Secrétaire d'Etat une candidate crédible ?

Ainsi, il était évident que les casseroles d'Hillary Clinton allaient faire beaucoup de bruits durant cette campagne, la rendant inaudible pour une frange d'Américains. Pire encore, ces casseroles semaient le doute dans les esprits sur sa capacité à prendre des hautes responsabilités. Or, il ne faut pas beaucoup pour pour perdre une élection, 1% d'électeurs qui s'abstiennent, votent blanc ou votent pour un adversaire, c'est un total de 2,3 millions de voix de moins à l'échelle nationale.

VI. Hillary Clinton, la candidate du système, vs. Donald Trump, le candidat illusionniste

Faisons maintenant des zoom in & out et regardons un peu nos deux candidats. D'une part, on avait Hillary Clinton, une candidate du système, ayant une longue carrière politique, comme Première dame, sénatrice et Secrétaire d'Etat, proche des milieux financiers, dont le passage au pouvoir est marqué par des erreurs. De l'autre côté, se tenait Donald Trump, un candidat illusionniste, qui n'a jamais eu à assumer la moindre responsabilité politique, une star de reality show pendant dix ans, un homme d'affaires à ses perdues, un self made man né avec une cuillère en argent dans la bouche, un fils à papa qui a bénéficié d'une cagnotte d'un million de dollars pour démarrer dans la vie, un piètre businessman avec quatre banqueroutes à son actif dont le désastreux projet "Trump Taj Mahal". Le candidat républicain se présente comme étant un homme hors du système, se voyant même comme anti-système alors qu'il est en réalité dans le système et qu'il ne doit sa survie financière que grâce aux lois américaines sur les faillites et aux banques. En un mot, il est le milliardaire sans scrupules (une fortune estimée à 4,5 milliards de dollars), qui a réussi à faire croire qu'il est proche du peuple américain et de ses préoccupations de base. Une chose est sûre et certaine, sans l'émission de télé-réalité The Apprentice ("L'apprenti", un titre ironique prémonitoire pour assumer la fonction présidentielle!), diffusée sur la chaine NBC (longtemps n°1), dans laquelle il a joué son propre rôle d'homme d'affaires entre 2004 et 2015, ce qui lui a permis d'entrer dans tous les foyers américains à moindre frais et sans effort (avec une audience pouvant se situer entre 20 et 40 millions de téléspectateurs), Donald Trump n'aurait jamais, au grand jamais, pu décrocher l'investiture républicaine. Eh bien, nous pouvons remercier les dirigeants visionnaires de NBC pour ce service rendu aux peuples du monde entier. On se serait bien passé !

Ce sont des étiquettes peut-être, mais en politique, les étiquettes sont souvent indécollables. En tout cas, c'est comme ça que tous les deux étaient perçus par beaucoup d'électeurs américains. Certes, sur tous les thèmes de campagne (économie, emploi, santé, sécurité, immigration, politique étrangère, etc.),
Hillary Clinton apparaissait plus responsable pour la classe intellectuelle. Mais que pouvait-on faire face à un populiste de la trempe de Trump quand on traine autant de casseroles comme Clinton? Rien, absolument rien. C'était le combat de David contre Goliath. Son issue était prévisible.

Le magnat de l'immobilier est un opportuniste démagogue sans vergogne qui a tout fait pour devenir président, en essayant même d'y parvenir à travers le Parti démocrate, c'est pour vous dire. On peut dire même que son parcours politique est à la limite de l'imposture : il a même financé la campagne d'investiture démocrate d'Hillary Clinton en 2008, afin de barrer la route à Barack Obama. Toujours dans l'imposture, même son slogan, « Make America great again », est emprunté à l'ancien président américain, Ronald Reagan. 

Donald Trump succédant à Abraham Lincoln, c'est sans doute l'histoire d'une farce qui a mal tourné. Que peuvent avoir en commun, le 16e président des Etats-Unis d'Amérique, un des grands présidents américains, qui a su préserver l'union des Etats-Unis et a mis fin à l'esclavage, et ce 45e président, qui sème la haine dans les esprits et divise profondément la société américaine et le monde ? L'Histoire le dira. Dans tous les cas, Donald Trump semble avoir mieux compris qu'Hillary Clinton, ce qu'Abraham Lincoln voulait dire par « la démocratie c'est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».

VII. Pour battre un populiste comme Donald Trump, il fallait l'antidote du populisme, Bernie Sanders

Après le blocage de la campagne présidentielle au début du mois de septembre sur le malaise vagal de la candidate démocrate, et son exploitation par le candidat républicain, j'avais écrit dans l'article, « Bernie Sanders, au secours : il y a deux 'malades' dans la course à la Maison Blanche », que ce qui s’était passé ce weekend était un signe du destin. « L’ignorer comme si de rien n’était et il sera forcément de mauvais augure. Pour gagner face à un démagogue de la trempe de Trump, il faut soit être plus populiste que lui, soit avoir son antidote ». Ainsi, pour fermer la parenthèse Trump, nous n'avions que deux options: « soit Hillary Clinton devient plus populiste que Donald Trump, soit elle doit passer le relais à Bernie Sanders, son antidote ». Il était évident pour moi que « l'homme qui veut humaniser les Etats-Unis et le monde, Bernie Sanders, est le mieux armé pour battre Donald Trump ». Il était le candidat préféré des jeunes. Or, on sait que mardi, le vote des moins de 45 ans a beaucoup pesé dans la balance. Certes, la performance de Clinton était bonne, mais 37% des 18-29 ans et 42% des 30-44 ans ont quand même fait confiance à un réactionnaire inconsistant comme Trump. Un autre paramètre a pesé aussi dans la balance, et qui aurait dû pousser les démocrates à choisir Bernie Sanders, c'est le revenu des électeurs. Plus de la moitié des électeurs qui ont voté mardi et qui gagnent moins de 50 000 $/an (52%), ont choisi la candidate démocrate, sauf que Bernie Sanders avait la capacité de faire probablement mieux en mobilisant beaucoup d'abstentionnistes jeunes et de la classe moyenne.

Dans ce sillage rappelons que le taux de participation à l'élection présidentielle américaine était modeste. Seulement 55,6% des 231,6 millions d'électeurs américaines se sont donnés la peine de voter. C'est un idéaliste comme Bernie Sanders, hors du pouvoir et du système, investi et soutenu pleinement par les démocrates, qui avait la capacité de galvaniser les jeunes de 18-34 ans, qui représentent près du tiers de l'électorat américain (autant que les 52-70 ans), dont la participation à l'élection 2008 n'était que de 50% (contre 69% pour les Baby Boomers). 1% de mobilisation en plus, ça aurait été 2,3 millions de voix dans les urnes et Donald Trump renvoyé dans sa tour hideuse. Dommage.

VIII. La faute des électeurs démocrates, du Parti démocrate et de Barack Obama

Par conséquent, ceux qui portent une lourde responsabilité dans cette défaite prévisible et inavouable - mis à part les médias élitistes des Etats-Unis et d'ailleurs qui se sont obstinés à ne pas prendre la candidature de Trump au sérieux, et quand ils l'ont fait, c'était déjà trop tard! - ce sont les électeurs démocrates pro-Clinton, le Parti démocrate dans son ensemble et Barack Obama lui-même. Les premiers, en choisissant un mauvais cheval, le second en privilégiant le mauvais cheval et le troisième en soutenant ce mauvais cheval. L'ex-Secrétaire d'Etat n'aurait même pas dû se présenter aux primaires. Le fait qu'elle soit une « femme », qui a pesé beaucoup dans sa sélection, n'a même pas donné l'effet escompté dans les urnes. Hillary Clinton n'a réussi à séduire que 54% des femmes qui ont voté, alors que 42% d'entre elles se sont reportées sur Trump malgré ses innombrables déclarations sexistes stupides : « Quand tu es une star, elles te laissent faire (les embrasser). Tu peux tout faire, les attraper par la chatte, tout faire. » ; « Ce qu'elles disent n'est pas important, tant qu'elles ont un joli petit cul »; « Oui, elles (les femmes qui avortent) doivent être punies et l'avortement doit être interdit »; « Changer les couches des bébés, c'est le travail d'une épouse ».

En tout cas, les trois entités ont sous-estimé l'allergie que suscite Hillary Clinton chez une frange de la population anti-Trump. Il y a un chiffre qui reflète bien un manque d'enthousiasme pour Hillary Clinton, c'est le taux de participation dans les fameux « swing states », ces Etats indécis qui peuvent basculer d'un côté ou de l'autre. Dans l'Etat du Nevada, remporté par Hillary Clinton, la participation était de 58,4%, près de 3% de plus que la moyenne nationale. Par contre, en Floride, Ohio et Caroline du Nord, remportés par Donald Trump, la participation était respectivement de 64%, 61,7% et 63,5%. Eh oui, qui arrive à mobiliser 1% des électeurs, s'assure de disposer de plusieurs milliers de voix en plus. A l'échelle nationale, ce sont 2,3 millions de voix, c'est pour dire.

IX. La Terre passe par une ère de réchauffement populiste

La suite, tout le monde la connait. Comme l'a dit un autre grand président américain, Thomas Jefferson : « Une démocratie n'est rien de plus que la loi de la foule, suivant laquelle 51% des gens peuvent confisquer les droits des 49 autres ». Ainsi, nous autres anti-Trump de par le monde, nous devons prendre notre mal en patience. Chaque Américain devra assumer son vote ou son abstention. Il est regrettable de n'avoir parfois que des choix politiques décevants, aux Etats-Unis comme au Liban, en France et ailleurs. Donald Trump, président des Etats-Unis. Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie. Michel Aoun, président de la République libanaise. Recep Tayyip Erdogan, président de la République de Turquie. Rodrigo Duterte, président de la République des Philippines. Et j'en passe et des meilleurs. Il semble que la Terre passe par une nouvelle ère de réchauffement populiste. C'est un des nombreux défis du 21e siècle, les réseaux sociaux aidant, les leaders politiques dans le monde, sont de plus en plus tentés par la démagogie pour accéder facilement au pouvoir et y rester. Nous devons prendre acte. Qui n'est pas satisfait de ce constat et de la situation politique dans son pays, que l'on appartient à de prestigieux médias ou que l'on soit de simples citoyens, doit s'impliquer en politique, d'une façon ou d'une autre, et s'engager sérieusement tous les jours de l'année pour l'améliorer, ne serait-ce qu'en s'informant bien et en diffusant la bonne information. Le populisme ne peut proliférer que dans les esprits où règnent la peur et l'ignorance.