lundi 23 juillet 2018

Alexandre Benalla, une « affaire d'Etat » qui risque de faire « pschitt » (Art.548)


Il n'a pas eu beaucoup de temps pour mettre à profit la victoire de la France à la Coupe du monde de football. Moins de 48 heures après l'accueil triomphal des champions à l'Elysée, Emmanuel Macron est happé malgré lui, par la plus grave crise de sa carrière politique, l'affaire Alexandre Benalla. C'est l'histoire d'un chargé de sécurité d'Emmanuel Macron, candidat et président, accusé d'avoir violenté un couple lors des manifestations du 1er mai. Dix réflexions à chaud.

Emmanuel Macron, candidat à la présidence de la République, au Salon de l'Agriculture, avec à droite Richard Ferrand, et à gauche, Alexandre Benalla (photo perso, 1er mars 2017)

 1  L'affaire a été révélée par Le Monde le 18 juillet. L'homme a été identifié dans des vidéos filmées le 1er mai. Il fut un temps, où un nombre de quotidiens français étaient accusés par la droite, d'une part, de s'être acharnés sur François Fillon, leur souffre-douleur, et d'autre part, d'avoir fait d'Emmanuel Macron une bulle électorale, leur chouchou. L'affaire Benalla a aujourd'hui le mérite de nous prouver qu'ils avaient tort. Les journaux ne font que leur boulot, parfois mal et d'autres fois intéressés, sachant que les préoccupations financières n'étant jamais très loin. On ne comptait plus les articles sur Penelope et Fillon. Il en sera de même sur Benalla et Macron.

 2  Sur les vidéos qui l'accusent, on voit Alexandre Benalla violenter deux manifestants. C'est abjecte. Ce point ne fait pas débat. Mais il faut tout de même commencer par reconnaître, comme « bavure policière », on en a connu bien pire et plus d'une, avec mort d'homme et relaxe policière ! Il a fallu 14 ans de batailles judiciaires pour qu'Abdelkader Ghedir, un jeune Français de 21 ans, obtienne enfin gain de cause et réparation, après avoir été passé à tabac par des policiers. Paralysé à 95% et pourtant, ses bourreaux n'ont jamais été inquiétés en France. Il a fallu passer par la Cour européenne des droits de l'homme, pour se voir accorder 6,5 millions d'euros de dédommagement. C'était il y a à peine deux mois.

Certes, Alexandre Benalla a eu un comportement violent. C'est encore une fois ignoble, mais rien d'extraordinaire en somme, pour une journée des manifestations parisiennes placées sous haute tension avec 1 200 black blocs en cavale. Mais encore, ses deux victimes présumées aussi ont été violentes, puisque sur une autre vidéo diffusée aujourd'hui par France 3, on les voit tous les deux clairement jetant des objets en verre sur les CRS, tout en leur lançant des invectives. Ils n'étaient pas du tout "extrêmement pacifiques" comme l'a fait croire un journaliste de France Info. Les deux victimes d'ailleurs n'ont pas eu d'arrêt de travail. Elles n'avaient même pas porté plainte à l'époque.

Si la « violence » du 1er mai était aussi grave qu'on le dit, on n'aurait pas attendu près de trois mois pour en entendre parler. A l'heure du portable, les réseaux sociaux auraient été inondés par les images, le jour même. Ça était diffusé, mais c'est resté limité. Et pour cause, il n'y avait rien d'extraordinaire. Si je mets en lumière ce point précis, ce n'est certainement pas pour justifier le comportement inqualifiable d'Alexandre Benalla, mais pour établir les faits, leur donner leur juste valeur et surtout, prouver qu'il y a bel et bien de la part de certains, une volonté nette et claire d'aggraver artificiellement la situation, dans un but bien précis, en faire une « affaire d'Etat ».

 3  En cette belle journée du 1er mai, Alexandre Benalla était en civil, portait un casque de CRS un talkie-walkie et un brassard de la police. Les premières questions qui viennent à l'esprit sont de savoir pourquoi il était présent et qui l'avait envoyé? Il s'est trouvé là-bas en tant « qu'observateur », ses accessoires étaient imposés par le contexte de ces protestations « anti-Macron ». Dans une manif à risque qui peut déraper à tout instant, au moment où les CRS chargent, il faut être en mesure de reconnaître tout de suite ceux qui font partie de la maison. Maintenant la question est de savoir, est-ce que c'est Macron qui l'a envoyé en mission? Officieusement, oui. Officiellement, non. C'est le directeur de cabinet du Président de la République qui l'a fait. Et pourquoi faire? Justement en tant « qu'observateur », pour lui faire remonter des éléments précis sur l'ampleur et la nature des protestations, peut-être en vue de passer rencontrer des manifestants, voire boire un café avec les jeunes révolutionnaires sur cette charmante petite place de la Contrescarpe, qui se situe derrière le Panthéon à Paris. Certainement pas pour tabasser les manifestants! Benalla était en congé d'ailleurs, il était censé agir avec décontraction et ne pas prendre partie. Cela étant dit, ce que Benalla a fait ou n'a pas fait, n'engage que sa propre responsabilité civile et pénale, et celle de personne d'autre. Surement pas celle du président de la République! La France dispose de près de 150 000 policiers, dont 15 000 CRS, elle n'a vraiment pas besoin d'un de plus, pour ramener l'ordre dans la capitale!

 4  Alexandre Benalla a été sanctionné, moins de 48 heures après les faits, le 3 mai. Il a été « mis à pied » pendant quinze jours avec suspension de salaire. C'est peut être pas à la hauteur de son acte, et il a même repris du service. Avec 10 000 euros de salaire, un logement au frais de la princesse au palais de l'Alma, une voiture avec chauffeur, bref, pour certains, c'était encore la belle vie comme si de rien n'était. On l'a même vu pavoiser avec les Bleus, soi-disant « chargé des bagages ». Il n'empêche qu'il est très malhonnête de qualifier la sanction qu'il a eue comme insuffisante, légère et banale. Dans le droit français, la « mise à pied » constitue un avertissement de l'employeur, en cas de faute lourde ou grave, qui peut conduire au licenciement.

En tout cas, contrairement à ce qu'a pu affirmer le directeur de l'ordre public à la préfecture de police de Paris, Alain Gibelin, devant la commission d'enquête parlementaire aujourd'hui, l'Elysée a confirmé le fait qu'Alexandre Benalla n'a participé à aucune réunion pendant sa mise à pied. C'est peut-être parole contre parole, en tout cas, tel est l'état des choses jusqu'à nouvel ordre. Aux dernières nouvelles, mardi après-midi, Alain Gibelin est revenu sur sa déclaration la veille, il avait mal compris la question, croyant qu'elle concernait la période allant du 2 mai au 18 juillet. Ainsi, non seulement une sanction a été prise à l'encontre de Benalla, mais elle a été bel et bien appliquée.

 5  A ce stade de l'exposé, une question vient rapidement à l'esprit : pourquoi avoir attendu l'éclatement de l'affaire pour licencier Benalla, fallait-il le faire sèchement dès le départ? Oui et non, pas facile de trancher, ça se discute. Mais le pus grave est ailleurs. En ne saisissant pas la justice, tout responsable ayant eu connaissance des faits graves qui étaient reprochés à Benalla, s'est rendue coupable de non-dénonciation d'un délit au procureur de la République, une violation de l'article 40 du Code de procédure pénale. Disons-le franco, toute la question est donc de savoir qui était au courant de ces faits? Pas de doute, le préfet de police, le ministre de l'Intérieur, le chef de cabinet du président de la République et le président lui-même. Moralement c'est grave. Pénalement, ça ne l'est pas. C'est la loi qui le dit, via la jurisprudence dans des cas similaires.

 6  On ne peut pas bien comprendre un aspect de l'affaire Benalla, si on n'est pas conscients des menaces sécuritaires auxquelles sont exposées les hauts responsables politiques. Il ne fait pas de doute qu'entre Emmanuel Macron et Alexandre Benalla, il y a de la loyauté et de la reconnaissance mutuelles. Est-ce que celles-ci ont permis au jeune homme de 26 ans de bénéficier de privilèges indus? Peut-être bien, mais pas à l'examen des faits.

La presse répétait en boucle qu'il recevait 10 000 €/mois comme rémunération, un salaire astronomique. En vérité, c'est 5 000 € nets, d'après le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. Et là, c'est peu pour quelqu'un qui est chargé de la sécurité du président de la République française! Il ne faut pas oublier quand même que c'était le salaire du coiffeur de son prédécesseur, François Hollande. La résidence cossue ? Tiens, parlons-en. C'est là où logeait Mazarine, la fille de François Mitterrand. La presse (Le Monde, L'Express, etc.) a dit, des révélations!, que le jeune homme habitait quai Branly, dans un logement de 200 et même 300 m2 et qu'on avait engagé des travaux à hauteur de 180 000 € pour réunir deux apparts et en faire un duplex. Foutaises sur toute la ligne. Alexandre Benalla n'habite pas encore, l'appart fait 80 m2, les travaux concernent quatre appartements en "mauvais état" propriétés de l'Etat français, ils ont été décidé en novembre 2017! Parole de porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. « Tout cela, c'est beaucoup de fantasmes pour construire un personnage et une affaire qui n'en est pas une. »

Toujours est-il que des hommes dignes de confiance, ça ne court pas les rues et on ne les trouve pas par annonce sur le Bon coin ou à Pôle emploi. Alors, quand on a repéré quelqu'un dans les parages, surtout avant de passer pleinement sous les feux de la rampe, on fait tout pour le garder, allant même jusqu'à sous-estimer peut-être le risque encouru, en cas de faute grave de la part de l'heureux élu.

 7  Comme dans tous les scandales, complexes et aux nombreuses ramifications, on trouve tout et n'importe quoi sur la toile au sujet de l'affaire Benalla. Un vive débat agite même des milieux d'extrême droite, la fachosphère, ainsi que les islamophobes et les antisémites en herbe: Benalla, c'est arabe ou juif? Le savoir n'apporte rien au débat. Quant au fait qu'il s'appellerait Lahcène Benahlia et aurait francisé son nom, il s'agit d'une fake news fabriquée dans les officines citées précédemment.

 8  Parlons peu, parlons bien. Il ne faut pas se leurrer, il y a de la part de tout un tas de gens (la Ligue des revanchards de François et Penelope, les orphelins de Nicolas Ier et dernier, les soumis du comandante Mélenchon, les walking dead de Hollande, les journaux Le Monde, L'Express, etc.), chacun ses raisons!, une détermination de faire d'un fait divers, grave sans aucun doute, une affaire d'Etat. El-comandante n'a pas hésité à évoquer un "Watergate" français, demandant même l'audition du président de la République. Il n'a toujours pas digéré sa défaite et cherche encore à faire oublier son désire inavouable de voir Marine Le Pen à l'Elysée, afin de dynamiter la Ve République. Benoit Hamon est plus modeste, il n'a réclamé pour l'instant que la démission de Gérard Collomb. A droite, ce n'est guère mieux. Les députés Les Républicains vont déposer une motion de censure contre Edouard Philippe, même si Christian Jacob, le président du groupe parlementaire, reconnait que ça ne fera pas tomber le gouvernement. Quelle stratégie impressionnante de reconquête du pouvoir ! Le député LR des Alpes-Maritimes, Eric Pauget, a même demandé un "audit complet" par les parlementaires sur le fonctionnement de l'Elysée, après avoir découvert que "Benalla avait les codes nucléaires", info diffusée par Nordpresse, un site humoristique belge ! Comme l'a fait remarquer le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, « c'est évidemment un comportement inacceptable qui doit être durement sanctionné (…), mais ça n'est pas une affaire d'État, malgré ce qu'essaient de construire nos oppositions ». Au cours de la séance de question au gouvernement mardi, le Premier ministre Edouard Philippe est allé dans le même sens : « une dérive individuelle de la part de ce chargé de mission ne fait pas une affaire d’Etat ».

Ainsi, un homme et un seul est visé depuis le début, Emmanuel Macron. Ses ennemis sont nombreux. Ils sont aux abois et prêts à tout pour le faire tomber de son piédestal. Soit. Jusqu'où ira-t-on? A mon avis, nulle part, concernant le président de la République, bien évidemment. Pour le reste, des erreurs ont été commises. Mais aucune n'est éliminatoire. Alexandre Benalla a été sanctionné par l'Elysée. Pas assez, mais sanctionné, 48 heures après les faits. La sanction a été appliquée. Il a été licencié. Tardivement, mais licencié. La justice n'a pas été saisie à temps. Mais, elle l'est maintenant. Elle jugera les coupables, Alexandra Benalla en tête. Deux commissions d'enquête sont mises sur pied, à l'Assemblée et au Sénat, pour établir la vérité. Elles détermineront la nature et l'ampleur des défaillances.

 9  Le seule élément consistant de l'affaire Benalla c'est la non saisine de la justice malgré des faits de violence. Qui aurait dû le faire? Emmanuel Macron, le président de la République? Il faut être sérieux un moment, surement pas. Gérard Collomb, le ministre de l'Intérieur? Il l'a fait savoir devant la commission d'enquête ce matin, « ce n'est pas au ministre qu'il appartient de le faire et je m'inscris dans la lignée de mes prédécesseurs ». Il ne reste que deux personnes dans le box : le directeur de cabinet de Macron, Patrick Strzoda, dont dépendait Benalla en général et qui l'a autorisé à se rendre place de la Contrescarpe (officiellement Benalla était "adjoint au chef de cabinet"; officieusement, il s'occupait de la sécurité du président et de sa femme, ainsi que de l'agenda privée d'Emmanuel Macron), et le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, dont dépendait Benalla le 1er mai et qui avait accepté de le prendre sous ses ails. Aucun des deux n'est responsable de la bavure elle-même, mais les deux responsables ont été informés de l'incident et n'ont pas jugé utile de saisir la justice. Elle est là leur faute. Et encore, quelle est la force d'une loi qui les appelle à le faire dans une telle situation, mais qui ne prévoit aucune sanction s'ils ne le font pas? Aucune. Avant de reprendre la réforme de la Constitution, il est clair que l'article 40 du Code de procédure pénal doit être revu et corrigé. Quand le président de la République décidera de s'exprimer, le moment venu, il est évident qu'il évoquera ce point précis.

 10  Ça n'a sans doute rien à voir, mais bon, l'info s'est glissée le même jour dans les fils d'actualité. Les grèves de la SNCF organisés aux mois d'avril, mai et juin (à raison de deux jours de grève et trois jours de fonctionnement normal), pour protester contre la réforme ferroviaire voulue par Emmanuel Macron, auraient coûté à la société, donc à la France et aux Français, 790 000 000 euros (pertes de chiffres d'affaires, mesures commerciales, bus supplémentaires, indemnisations, etc.), soit 21 000 000 € pour chacun des 37 jours de grève. Tout le bénéfice net de l'entreprise pour l'année 2017 a été englouti, plus 111 millions d'euros de plus. On est pas loin du milliard d'euros et ce n'est une « affaire d'Etat » pour personne. Aucune commission d'enquête ne verra le jour pour faire la lumière sur le plus grand gaspillage d'argent public du siècle et le sabotage d'un des fleurons de la France. Et comble de l'absurde, pour rien, absolument rien, la réforme a été adoptée. Pour l'instant, nombreux sont ceux qui s'accrochent à l'affaire Benalla, dans une tentative désespérée d'égratigner "Jupiter", faute de le mettre KO sur le terrain politique.