vendredi 7 septembre 2018

La guerre en Syrie : le point sur la situation alors que les batailles d'Idlib et de la réhabilitation de Bachar el-Assad sont engagées (Art.556)


Alors qu'il est avachi dans son lit avec un cheeseburger et des french fries de chez McDo, tentant de s'informer à travers les breaking news qui défilent en bas des trois écrans de TV de sa chambre à coucher, le président américain apprend que Bachar el-Assad a une nouvelle fois commis un massacre. Sans hésitation, il lâche son hamburger et appelle sur le champs James Mattis, le Secrétaire à la Défense. « Mais tuons-le, putain! Qu'on y aille. Qu'on les tue tous! » Kelloun ye3né kelloun.

C'était la réaction de Donald Trump suite à l'attaque chimique du 4 avril 2017, une révélation qui figure dans le nouveau livre explosif « Fear: Trump in the White House », écrit par un des journalistes qui a révélé le Watergate, Bob Woodward, qui sort aux Etats-Unis le 11 septembre.

Un an et demi plus tard, hasard des coïncidences, j'étais amené la semaine dernière à résumer la situation en Syrie à une amie occidentale qui fait partie du corps diplomatique. Je profite de l'occasion pour partager avec vous ce point de vue sur les principaux protagonistes et leurs intérêts, à l'aube de la fin d'un chapitre important de cette interminable guerre qui a fait des centaines de milliers de morts, davantage de blessés, plusieurs millions de déplacés et un volume de destruction évalué à 400 milliards de dollars, qui fait baver tant de gens au Liban et ailleurs dans le monde.

Les discussions engagées aujourd'hui à New York, au sein du Conseil de Sécurité de l'ONU, et à Téhéran, entre la Russie, l'Iran et la Turquie, détermineront la suite des événements, le nouveau chapitre.

D'après Le Monde, suite à la bataille d'al-Ghouta
(capture d'écran, mai 2018)


 1  Bachar el-Assad


Les Assad sont l'alpha et l'oméga du problème, l'origine du mal, la pire malédiction qui frappe la Syrie et le Liban depuis cinquante ans. Assad fils a sauvé ce régime alaouite à moyen terme. Il est en pleine reconquête de la Syrie. Il gagne les batailles, une après l'autre. Mais il est loin d'avoir gagné la guerre et pacifié la Syrie. Il a sécurisé définitivement la région de Damas, donc le centre du pouvoir (bataille de Ghouta, avril 2018). La conquête de l'ouest (région de Deir el-Zour) et du sud (région de Deraa) est achevée ou presque. Il se prépare à la conquête du nord-ouest (région d'Idlib).

S'il était seul, il serait depuis belle lurette dans les poubelles de l'Histoire, comme Assad père. Il ne doit sa survie qu'au soutien déterminant de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah, par conviction, et de la Chine, par omission. A cause d'une douzaine de vetos à l'ONU, la Russie et la Chine ont permis à ce grand criminel d'avoir les coudées franches pour écraser la rébellion dans le sang, créant de ce fait, les conditions optimales pour le développement et l'épanouissement des organisations islamistes, jihadistes et terroristes.

Les enjeux actuels pour Assad sont multiples.

1. En finir avec la rébellion d'Idlib rapidement, avec le minimum de conséquences pour son régime, sachant que toute utilisation d'armes chimiques conduira forcément à des frappes aériennes occidentales (comme en avril 2018).

2. Faire oublier les humiliations répétées infligées par l'armée israélienne depuis Mathusalem, les dernières survenant lundi avant l'aube et mardi soir, obligeant le régime syrien, ses alliés iraniens et l'ensemble de leurs vassaux à attribuer la série d'explosions survenues dans un dépôt de munitions dans la région de Daraya (près de Mazzé, banlieue de Damas) à un court-circuit. Il fallait y penser. Ça change de la propagande habituelle sur la défense aérienne syrienne qui aurait réussi à intercepter les missiles israéliens et à répéter invariablement que la Syrie se réserve le droit de répondre aux agressions israéliennes au bon endroit au bon moment, blablabla et patati et patata. Remarquez des avions volant à Mach 2 au dessus de la tête de Lapin II du Golan, peuvent perturber l'activité électrique des neurones, sans avoir à lancer le moindre pétard!

3. Obtenir enfin la reconnaissance internationale, notamment occidentale, afin d'espérer finir ses jours comme Franco, et pas comme Saddam. Oh que ce n'est pas gagner!

4. Reconstruire le pays, sachant que le volume des destructions en Syrie a été évalué récemment par l'ONU à 400 milliards de dollars. Oui mais, pour reconstruire, il faut une situation stable (ce qui est loin d'être le cas) et surtout de l'argent. Or, l'argent ne viendra que des pays arabes et occidentaux bien entendu, et sans solution politique, il n'y aura rien, que dalle.

5. Retarder au maximum le retour des Syriens réfugiés à l'étranger. D'ailleurs, ce retour est le cadet des soucis d'Assad et ceci pour diverses raisons. Des millions de Syriens pris en charge par les pays d'accueil -le Liban, la Turquie et la Jordanie- c'est un grand problème en moins à gérer pour le régime, surtout que dans l'écrasante majorité des cas, ces Syriens sont sunnites, donc potentiellement contre le régime alaouite. Les rares personnes à être autorisées à rentrer sont triées sur le volet.

6. Coloniser le Liban via les réfugiés syriens et réaliser enfin, le rêve de son père, Hafez el-Assad. C'est une aubaine à ne pas rater. Humilié et obligé de quitter le Liban en 2005, l'Histoire lui donne la chance non seulement d'y revenir, mais surtout, d'y rester. Cette volonté est à peine camouflée. Bachar el-Assad l'a exprimé il y a quelques années, en parlant d'une « homogénéisation de la société syrienne » avec le départ d'une partie de la population sunnite. Pour ce faire, le régime alaouite travaille sur deux fronts. D'une part, il complique le retour des Syriens (persécuter les revenants, imposer un engagement à ceux qui retournent de ne pas se mêler de politique, changer les cadastres, ne pas reconnaitre certains enfants syriens nés à l'étranger, etc.) et en inventant l'hérésie de la coopération entre les gouvernements libanais et syriens pour que le retour soit possible (stratégie promue par les « idiots utiles » du régime syrien au Liban).


 2  Rebelles


Vaste catégorie, plutôt anti-Assad. Très affaiblis aujourd'hui. Des innombrables groupes qui ont vu le jour un peu partout au cours des huit années de guerre, il ne reste que quelques uns dispersés dans certaines zones. Justement à Idlib par exemple où se sont entassés les groupes qui ont négocié leur retrait d'autres zones de combat conquis par les troupes d'Assad. Ce sont essentiellement des groupes islamistes, qui ont été aidés au départ de la rébellion, d'une manière ou d'une autre, et pendant un certain temps, par la Turquie, l'Arabie saoudite, le Qatar, etc.

La bataille avec les forces du régime est imminente. Elle sera sans doute la dernière grande bataille du régime, probablement très meurtrière, à cause de la concentration de combattants rebelles (plusieurs dizaines de milliers de combattants) et de la population civile de la région (plusieurs millions de personnes). Elle sera longue en plus. On craint de nouveaux crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, comme l'usage d'armes chimiques, de la part du régime syrien afin d'éviter l'enlisement des combats.

On trouve également des rebelles modérés en Syrie, comme les Forces démocratiques syriennes (FDS, une coalition de combattants syriens, essentiellement kurdes, ainsi que de combattants arabes, sunnites et chrétiens), notamment dans les zones libérées de Daech, comme à Raqqa. Ils sont entrainés par les Etats-Unis. Ils assurent le maintien de l'ordre.


 3  Kurdes


Certes anti-Assad, mais la chute du régime syrien n'était pas leur objectif principal. Les forces kurdes étaient plus préoccupées par sécuriser leurs régions (nord et nord-est) des attaques de Daech (leur contribution dans l'anéantissement de Daech est importante), constituer une région autonome viable et consolider leurs acquis grâce à la guerre. Attaqués récemment par la Turquie, lâchés en quelque sorte par les Etats-Unis, ils essaient de sauver leur autonomie en renouant les contacts avec le régime d'Assad, pour négocier une autonomie large dans la Syrie de demain.


 4  Etat islamique en Irak et au Levant (Daech)


Théoriquement anti-Assad, sauf que dans la pratique, ces groupes islamistes sunnites, essentiellement syriens et irakiens (rejoints par des milliers de combattants du monde entier, notamment des ressortissants des pays arabes et des pays occidentaux, ainsi que des ex-républiques soviétiques, notamment la Russie), ont rendu les plus grands services au régime alaouite de Bachar el-Assad, surtout en ce qui concerne sa rhétorique bidon de la lutte contre les terroristes, terme utilisé depuis le premier jour de la révolte syrienne, le 15 mars 2011, bien avant la radicalisation des protestations et la naissance de Daech proprement dite, afin de justifier la répression sanglante de toute opposition au régime syrien.

Toujours est-il qu'aujourd'hui, grâce d'une part, aux Forces démocratiques syriennes et au gouvernement irakien sur le terrain, et d'autre part, aux 108 462 bombes et missiles largués par la Coalition internationale formée par les Etats-Unis (incluant le Royaume Uni et la France essentiellement, les pays arabes faisant de la figuration), au cours des 29 929 frappes aériennes menées depuis 1 487 jours (août 2014), en Syrie (52,2%) comme en Irak (47,8%), l'organisation terroriste a été totalement écrasée.

Mais l'Etat islamique garde une certaine capacité criminelle comme le montrent certaines attaques terroristes récentes en Syrie. Selon un rapport de l'ONU datant du 13 août, plus de 20 000 jihadistes sont encore présents en Syrie et en Irak (à part égale entre les deux pays) et plus de 3 000 en Libye, les nouveaux responsables de l'Etat islamique opèrent désormais d'Afghanistan.

 5  Hezbollah


Principale force pro-Assad en Syrie, le Hezbollah est une milice ouvertement islamiste chiite (favorable à l'établissement d'un Etat islamique chiite au Liban) et pro-iranienne se réclamant de wilayat el-fakih, la tutelle du Guide suprême iranien, Ali Khameneï (le seul à même de se prononcer sur les questions stratégiques concernant l'oumma chiite).

Le Hezb a un intérêt stratégique majeur en Syrie. Son implication massive dans la guerre civile syrienne, depuis 2012, a contribué à sauver le régime syrien. La milice chiite libanaise vise à garder le lien ombilical avec la République islamique chiite d'Iran et à maintenir sa base arrière syrienne où transitent les armes, les hommes et les billets. Grâce à l'Iran, le Hezbollah dispose d'une grande marge de manœuvre en Syrie. Au Liban, où son hégémonie est indéniable, mais sa capacité de manœuvre est plus limitée car la situation est beaucoup plus compliquée.

 6  République islamique d'Iran


C'est le principal allié du régime d'Assad. Davantage que le soutien russe, qui est essentiellement militaire et diplomatique, le soutien iranien est en plus et surtout, financier, et dès le premier jour de la révolte syrienne. L'Iran dépense plusieurs milliards de dollars par an, notamment depuis la levée des sanctions internationales après la signature de l'accord sur le nucléaire iranien (sans contrepartie concernant les ingérences iraniennes dans les affaires arabes!), pour maintenir Bachar el-Assad sur ses pieds.

L'intérêt stratégique de l'Iran en Syrie est majeur et double: il concerne la sauvegarde de la continuité géographique et géopolitique de l'axe chiite Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth et la préservation du lien ombilical avec sa principale force turbulente au Moyen-Orient, le Hezbollah (qui reconnaît être impliqué en Syrie, en Irak et au Yémen).

L'implication de l'Iran en Syrie est à la fois directe, à travers Faïlak al-Qods, les forces spéciales des Gardiens de la Révolution islamique (dont le commandant n'est autre que le général Qassem Souleimani), et indirecte, via la milice du Hezbollah (dont le chef est Hassan Nasrallah), les deux formations ne pouvant pas intervenir en Syrie sans le feu vert explicite de wali el-fakih, le Guide suprême de la République islamique chiite d'Iran, Ali Khameneï (le seul qui peut décider de la guerre et de la paix, concernant l'oumma chiite, de l'aveu même des dirigeants du Hezb).

C'est ce précieux soutien chiite hezbollahi-iranien au sol qui a permis au soutien aérien russe de produire l'effet escompté : sauver le soldat Bachar.


 7  Turquie


Certes, Recep Tayyip Erdogan est un farouche opposant à Bachar el-Assad, mais sans plus. Il parle, s'énerve et vocifère, mais n'a rien fait de tangible et de sérieux contre le régime syrien au cours des sept ans de ce conflit sanglant, à moins de prendre en compte le rôle ambigu de la Turquie dans la montée et l'enracinement des groupes islamistes anti-Bachar!

Par contre, la Turquie se montre depuis le départ très active sur le front kurde. Suite aux tensions grandissantes avec les Etats-Unis (bien avant l'affaire du pasteur américain emprisonné à Izmir), la Turquie tente de se rapprocher de la Russie. Elle profite du chaos de la guerre pour affaiblir les forces kurdes, en intervenant directement dans le conflit syrien, afin d'entraver les visées autonomistes des Kurdes syriens et d'éviter que l'éventuelle autonomie d'un Kurdistan syrien ne booste les autonomistes et indépendantistes kurdes en Turquie.

 8  Arabie saoudite


C'est le principale pays opposé à Bachar el-Assad et un des grands perdants du conflit syrien sur le plan géopolitique. Malgré une implication active dans ce dossier, sur les plans politique (pour assurer la relève de Bachar el-Assad), militaire et financier (fourniture d'armes et d'argent à certains groupes rebelles au début de la révolution, qui se sont révélés être d'obédience islamiste; pas à l'Etat islamique!), constat d'échec, c'est un fiasco.

Le royaume sunnite n'a réussi ni à faire tomber le régime alaouite syrien (confession islamique proche du chiisme) ni à limiter l'influence de l'Iran chiite au Moyen-Orient. Le « Croissant chiite », terme fréquemment utilisé par les Saoudiens pour désigner la sphère d'influence chiite dans la région (Iran, Irak, Syrie, Liban, Yémen, Bahrein), est en passe de devenir une « pleine lune » comme disait un des dirigeants de l'Arabie saoudite.

Et pour ne rien arranger aux affaires saoudiennes, le royaume, avec d'autres pays du Golfe, est par ailleurs enlisé dans la guerre au Yémen, incapable de limiter l'expansionnisme hezbollahi-iranien à son flanc gauche.

Maigre consolation, l'arrivée d'un président américain très hostile à l'Iran et peu regardant sur l'usage que font les Saoudiens des armes américaines. Il a d'ores et déjà saboté l'accord conclu avec l'Iran sur le dossier nucléaire et alourdi les sanctions à l'égard du régime des mollahs et de la milice chiite libanaise. En contrepartie, l'Arabie saoudite a béni le Muslim Ban de Donald Trump et a conclu avec les Etats-Unis pas moins de 380 milliards de dollars de contrats (mai 2017).

 9  Qatar


Tout faut depuis le début et toujours là où il ne faut pas être. Pas en ce qui concerne le taux d'émission de gaz à effet de serre (record mondial), ni de l'organisation de la Coupe du monde de football de 2022 (une aberration sur les plans écologique et humanitaire, qui a déjà couté la vie à des centaines de travailleurs étrangers).

Sur le plan politique, le Qatar n'en a pas fini avec ses contradictions. Il investit massivement dans les pays occidentaux et héberge le commandement central des États-Unis au Moyen-Orient, ce qui ne l'empêche pas de défendre les Frères musulmans en Egypte, une organisation considérée même par l'Arabie saoudite comme terroriste, et de fermer les yeux sur les prédicateurs islamistes présents dans le pays et les dérives déontologiques d'al-Jazeera (chaine créée par le père de l'actuel émir du Qatar, où les islamistes ont droit de cité, qui est partant pour tous les combats, sauf quand il s'agit des affaires internes qataries, comme ces centaines de morts pour rendre le caprice du Mondial une réalité).

Au début de la révolte, le Qatar s'est impliqué dans le conflit syrien, avec la contribution active de l'Arabie saoudite, de la Turquie et des Etats-Unis, en soutenant des groupes syriens ouvertement islamistes, comme l'ex Front al-Nosra (Fatah el-Cham), de l'aveu même de l'ex-Premier ministre qatari (Hamad ben Jassem al-Thani, octobre 2017). Récemment, ses tentatives de rapprochement avec la Turquie, la Russie et l'Iran, ne sont pas passées inaperçues. C'est ce qui a provoqué la colère de son voisin en mai 2017.

Des raisons économiques et gazières, ainsi qu'une rivalité idéologique et géopolitique, expliquent la tension entre le Qatar et l'Arabie saoudite. A force de vouloir de soi-disant bonnes relations avec tout le monde, la petite péninsule pourrait devenir véritablement une île, le royaume est déterminé à creuser un canal pour détacher l'émirat de la grande péninsule arabique une fois pour toutes.

 10  Irak


Alors que l'imbécile qui a fait plonger le Moyen-Orient dans le chaos, George W. Bush, coule des jours heureux dans son ranch, s'adonnant à sa passion, la peinture, offrant l'Irak à l'Iran sur un plateau en argent, aujourd'hui le pays d'entre les deux fleuves est plus préoccupé par le nettoyage des territoires autrefois contrôlés par Daech (notamment Mossoul), la stabilisation des régions libérées et la fermeture hermétique de la frontière syro-irakienne aux jihadistes.

 11  Israël


Neutre dans le conflit syrien, par rapport à la problématique pro/anti-Assad, penchant très tôt pour une Syrie mal contrôlée par Assad, que pour une Syrie bien contrôlée par les islamistes. La principale préoccupation des Israéliens en Syrie depuis le début du conflit, c'est la présence et l'enracinement, de l'Iran et du Hezbollah, et le transfert d'armes de la Syrie au Liban. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les raids menés régulièrement par l'Etat hébreux contre les positions militaires et miliciennes chiites en Syrie, la plupart du temps via l'espace aérien libanais, en violation de la souveraineté libanaise et du droit international.

D'ailleurs, dans le sillage du dernier raid israélien mené en Syrie, mardi 4 septembre, le ministre israélien du Renseignement Yisrael Katz, a fait savoir que Tsahal a mené au cours des 18 derniers mois, pas moins de 200 attaques aériennes sur des objectifs militaires iraniens en Syrie. L'info a été confirmée plus tard par une porte-parole de l'armée israélienne. Ce chiffre impressionnant est à rajouter aux 100 raids aériens menés contre des objectifs syro-hezbollahi-iraniens aux cours des premières années de la guerre syrienne, d'après un aveu de l'ex-commandant en chef de l'armée de l'air israélienne, le général Amir Eshel, fait en août 2017.

En mai dernier, après le lancement par des militaires iraniens, à partir du territoire syrien, d'une vingtaine de roquettes en direction d'Israël, l'armée israélienne avait lancé une vaste offensive aérienne, près d'une cinquantaine de raids, visant à détruire l'ensemble des infrastructures iraniennes aux quatre coins de la Syrie (ont été visés des centres de renseignement, des dépôts d’armes, des entrepôts, des postes d’observation et des centres logistiques, ainsi que des radars et une partie de la défense aérienne du régime d'Assad).

Au total, Israël a mené près de 300 raids sur le territoire syrien depuis 2013, soit une moyenne d'un raid par semaine depuis six ans. Les dernières frappes israéliennes (notamment celles de mai 2018) ont été menées par des F-35 flambant neufs, des avions de chasse américains furtifs de la 5e génération (Israël en a commandé une cinquantaine), auxquels l'Iran est réduit à opposer quelques Kowsar (présentés en grande pompe en août 2018 comme étant 100% 'Made in Iran'), des avions qui se sont révélés être rien d'autre qu'un bricolage de vieux F-5 américains datant sans doute de l'époque du Shah (années 1960).

 12  Jordanie


Comme beaucoup de pays dans le monde, notamment arabes, menacés par les groupes islamo-jihadistes et qui ne s'embarrassent pas trop de considérations éthiques, le royaume ne voit pas d'un mauvais œil le maintien d'Assad au pouvoir. Assad ou le chaos fonctionne aussi en Jordanie, qui a cherché à rester neutre à égale distance du régime syrien et des rebelles, des Américains et des Russes.

Depuis le début du conflit jusqu'à aujourd'hui, les préoccupations majeures de la Jordanie, sont de trois ordres : contrôler sa frontière avec la Syrie (fermée depuis trois ans), gérer au mieux l'afflux massif de réfugiés syriens et éviter l'infiltration des jihadistes dans le pays.

 13  Liban


Sur la Syrie, le pays du Cèdre est divisé depuis la nuit des temps. Bien avant la révolte syrienne contre Bachar el-Assad en 2011 et l'intervention du Hezbollah, bien avant l'assassinat de Rafic Hariri et la fin de l'occupation syrienne en 2005, bien avant la Pax Syriana et la terreur syrienne de 1990, bien avant l'entrée des troupes syriennes en 1976 et les déluges de fer et de feu qui l'ont accompagné, bien avant le coup d'Etat de Hafez el-Assad en 1970, bien avant l'éphémère République arabe unie en 1958 et bien avant l'indépendance du Liban en 1943.

Bien que partageant les mêmes préoccupations que la Jordanie, le Liban n'a été capable de contrôler sa frontière avec la Syrie qu'il y a tout juste un an. Et pour cause, un tel contrôle dans le passé, aurait entravé de facto la libre circulation des miliciens du Hezbollah.

Aujourd'hui le clivage politique au Liban est profond.  Il se situe entre les politiciens pro-régime et pro-Hezb (Nasrallah, Berri, Aoun, Bassil, Mikati, etc.), qui se pressent pour la normalisation des relations avec le régime syrien, et les politiciens anti-régime et anti-Hezb (Hariri, Gemayel, Geagea, etc. ; la girouette Joumblatt tourne au gré du vent comme d'habitude, pro-Assad depuis toujours, anti-Assad un moment, puis pro-Assad un laps de temps, et anti-Assad aux dernières nouvelles), opposés à une normalisation des relations avec Bachar el-Assad comme si de rien n'était.

Le Liban est surtout sans gouvernement depuis mai pour diverses raisons, dont les trois principales sont: les disputes politiciennes sur le partage du fromage gouvernemental, l'issue de la guerre en Syrie (notamment la dernière des grandes batailles, Idlib) et le verdict du Tribunal spécial pour le Liban (dans l'assassinat de l'ex-Premier ministre libanais, Rafic Hariri, où cinq membres du Hezbollah sont accusés d'avoir organisé l'attentat terroriste du 14 février 2005 ; le réquisitoire et les plaidoiries des parties sont programmés courant septembre).


 14  Russie


Pour la Russie, la Syrie représente un intérêt stratégique majeur: à la fois sur le plan régional (pour préserver ses intérêts économiques et militaires, au Moyen-Orient et en Méditerranée) et international (tourner la page de l'humiliation de l'effondrement de l'Union soviétique). Vladimir Poutine est le seul, principal et véritable parrain de Bachar el-Assad.

Grâce à une intervention massive commencée en septembre 2015, qui a essentiellement visé les forces rebelles modérées et islamistes, épargnant l'organisation terroriste Daech sauf quand cela s'est s'avéré nécessaire, Poutine a réussi en trois ans à sortir le régime syrien du pétrin dans lequel il était à l'été 2015. Assad et Poutine pouvaient s'offrir le luxe de ne pas s'occuper de l'Etat islamique sachant très bien que c'est la Coalition internationale qui s'en charge sérieusement depuis août 2014.

Toujours est-il que c'est l'obstination de la Russie, avec l'aide de la Chine, à bloquer toute résolution du Conseil de sécurité sur la Syrie (une douzaine, depuis octobre 2011), qui a permis à Assad de ne pas lâcher du leste et à écraser la révolte d'une manière impitoyable. C'est précisément ce qui a poussé les opposants au régime à commettre une triple erreur fatale, la radicalisation de la confrontation, sa généralisation et sa militarisation, avec deux conséquences majeures, l'enlisement du conflit (et son lot de morts, de blessés et de réfugiés) et l'épanouissement de Daech (assurant l'import de combattants étrangers vers la Syrie et l'export du terrorisme dans le monde).

Aujourd'hui, les préoccupations actuelles de la Russie sont de deux ordres. Sur le plan interne, mettre le régime de Bachar el-Assad définitivement à l'abri des poursuites pénales internationales pour les crimes contre l'humanité commis depuis sept ans, le blanchir de ses crimes de guerre, lui remettre un casier judiciaire vierge et le réhabiliter aux yeux des pays occidentaux. Sur le plan externe, la Russie voudrait contenir l'influence iranienne en Syrie (c'est pour cette raison que les missiles S-300 et S-400, contrôlés par les Russes, déjà déployés ou en cours de déploiement, sont restés cloués au sol, en mai comme en septembre, pendant que les avions israéliens prenaient pour cibles les régions de Tartous, Hama et Damas ; en mai 2018, les Israéliens avaient même prévenu les Russes de l'ampleur des frappes qui viseront les infrastructures iraniennes en Syrie) et obtenir le départ des troupes américaines présentes en Syrie (quelques milliers de militaires qui soutiennent les FDS, notamment à Raqqa), afin de rester seule, maitre de la situation.


 15  Coalition internationale (Etats-Unis, Royaume Uni, France, etc.)


Impliqués militairement dans le conflit depuis août 2014, pour vaincre Daech, ce qui est fait, mais surtout, pour éviter la réactivation de l'organisation terroriste en Syrie et en Irak, empêcher les combattants étrangers de retourner dans les pays occidentaux et aider le gouvernement irakien (Irak) et les forces rebelles syriennes à Raqqa (Syrie) à stabiliser les zones libérées de Daech et redonner un nouveau souffle de vie après l'Etat islamique.

Le discours des pays occidentaux est à peu près le même, c'est dit d'une manière plus ou moins directe avec quelques nuances : la fin du conflit en Syrie passe par une solution politique, aux Syriens de décider de leur avenir, Assad est la source du problème plutôt que la solution. Le dernier à affirmer ce triptyque véridique, est le président français Emmanuel Macron, le 27 août pour être précis (à partir de 17:00).

« En Syrie, la situation reste extrêmement grave et préoccupante... la solution durable à ce conflit sera politique (...) Nous abordons sans doute les derniers mois du conflit avec un défit humanitaire essentiel dans la région d'Idlib... Le régime menace de créer une nouvelle tragédie humanitaire dans la région d'Idlib et ne montre jusqu’à présent aucune volonté pour négocier la moindre transition politique. » A tous ceux d'Orient et d'Occident qui font la queue à plat ventre sur la route de Damas, le président français rajoute : « Nous voyons bien ceux qui voudraient, une fois la guerre contre Daech achevée, faciliter ce que d’aucun appelle un retour à la normale. Bachar el-Assad resterait au pouvoir, les réfugiés de Jordanie, du Liban, de Turquie, retourneraient chez eux, et l’Europe et quelques autres reconstruiraient (…) je pense qu’un tel scénario serait néanmoins une erreur funeste. Qui a provoqué ces millions de réfugiés ? Qui a massacré son propre peuple ? Il n’appartient pas à la France de désigner les futurs dirigeants de la Syrie, pas plus qu’à un autre pays. Mais c’est notre devoir et notre intérêt que de nous assurer que le peuple syrien sera bien en situation de le faire. »

Illustration de Jeffrey Smith, parue dans New York Magazine le 3 janvier 2018, à l'occasion de la sortie d'un autre livre explosif sur Donald Trump, "Feu et fureur à l'intérieur de la Maison Blanche"

Au final, l'homme qui se comporte comme un « élève de 6e » d'après Mattis lui-même, ne tuera pas le tyran de Damas, il ordonnera simplement des frappes aériennes et mangera son hamburger et ses frites avant qu'ils ne soient immangeables. 59 missiles Tomahawk seront balancés sur la Syrie. Ils feront pschitt.

Aujourd'hui, Bachar el-Assad est sur le point de lancer une des dernières plus grandes batailles de la guerre en Syrie. Khan Cheikhoun est à une cinquantaine de kilomètres au sud d'Idlib. La région sera le théâtre d'un grand massacre, conventionnel cette fois. C'est tellement conventionnel que pour le coup Donald Trump a décidé de prendre le devant pour ne pas avoir à revivre l'expérience d'avril 2017, manger froid. « Le président Bachar al-Assad de Syrie ne doit pas attaquer imprudemment la province d'Idlib. Les Russes et les Iraniens commettraient une grave erreur humanitaire en participant à cette potentielle tragédie humaine. Des centaines de milliers de personnes pourraient être tuées. Ne laissez pas cela arriver! »



Et dire que cette déclaration est celle du président du pays le plus puissant au monde, qui prévoit 689 milliards de dollars de dépenses militaires pour l'année 2019, soit 10 à 12 fois le budget militaire de la Russie ou de la France, le PIB d'un pays comme la Suisse ! Non mais qu'est-ce que l'humanité a fait au bon Dieu pour mériter cela ?