mardi 15 mai 2018

La politique d'Israël et des Etats-Unis au Moyen-Orient nourrit l'antisémitisme et l'antiaméricanisme dans le monde (Art.527)


La « Grande marche du retour » est une édition spéciale de la « Marche du retour », une manifestation palestinienne organisée le 15 mai de chaque année pour commémorer la Nakba, la catastrophe qui a frappé les Palestiniens de la Palestine, au lendemain de la création par des Juifs venus des quatre coins d'Europe de l'Etat d'Israël au Proche-Orient.


Pour 2018, les organisateurs avaient prévu des rassemblements quotidiens frontaliers étalés sur six semaines. La célébration a commencé le 30 mars dans un bain de sang qui a fait 17 morts et 1 400 blessés. Elle s'est terminée le 14 mai par un massacre, 59 morts, dont 7 enfants et 1 bébé de huit mois, tous exécutés par l'armée israélienne, et 2 400 blessés, la majorité avec des balles réelles. C'est un crime odieux. Aucun autre mot ne peut décrire le comportement abjecte de l'Etat hébreux, au nom de sa sacro-sainte sécurité, comme le prétend l'actuel Premier ministre israélien, Benjamin Netanhayou, avec indécence : « Tout pays a l'obligation de défendre son territoire ».

L'armée israélienne a estimé le nombre de manifestants palestiniens de la journée de lundi à 35 000 personnes, chiffre gonflé volontairement afin de cacher une réalité sordide. Disons que 25 000 Palestiniens ont répondu à l'appel hier. Cela signifie que la soi-disant « armée la plus morale du monde » a visé à balles réelles, 1 manifestant sur 10. Si on se base sur le chiffre de Tsahal, c'est 1 manifestant sur 14. C'est hallucinant.

Du premier jour au dernier jour, Israël s'est permis une répression sanglante des Palestiniens qui manifestaient près de sa frontière. On compte plus d'une centaine de morts au total et plusieurs milliers de blessés. L'Etat hébreux est d'autant plus coupable que les manifestants protestaient en territoire palestinien, ils étaient essentiellement pacifiques et désarmés, personne n'avait franchi la frontière israélo-palestinienne. C'est le triptyque qui bat en brèche toute la propagande israélienne pour justifier le massacre.


Si les pays occidentaux devaient suivre la logique de l'Etat d'Israël, en appliquant les règles d'engagement urbain de l'armée israélienne, toutes les manifestations occidentales se termineraient dans un bain de sang. Quel leader occidental peut se permettre une telle dérive fasciste sur son sol? Aucun. Les gouvernements occidentaux vacillent avec quelques blessés graves. Alors pourquoi une telle modération pour condamner les crimes d'Israël contre les manifestants palestiniens, quand on ne les justifie pas carrément? « La France appelle de nouveau les autorités israéliennes à faire preuve de discernement et de retenue dans l’usage de la force », ministère français des Affaires étrangères de Jean-Yves Le Drian. « Nous attendons de tous qu'ils agissent avec la plus grande retenue pour éviter de nouvelles pertes de vie », Federica Mogherini, haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, poste qui ne sert à pas grand-chose à part gaspiller l'argent des contribuables européens. « La responsabilité de ces morts tragiques repose entièrement sur le Hamas », Raj Shah, porte-parole adjoint de la Maison Blanche. Le pyromane du Bureau ovale, Donald Trump lui-même, s'est contenté en ce 14 mai d'un « Grand jour pour Israël. Félicitations! ». Quant au secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, il était « particulièrement inquiet » hier. C'est tout simplement consternant. La question aujourd'hui est celle de savoir pourquoi en l'an de grâce 2018, la vie d'un Palestinien ne vaut toujours pas celle d'un Européen ou d'un Américain?

Plus grave encore, imaginons pour le besoin du débat et ne serait-ce qu'un instant seulement, la situation inverse. Ce sont des soldats palestiniens qui tirent et tuent en l'espace de quelques heures des dizaines de manifestants israéliens désarmés, et blessent plus ou moins gravement des milliers d'autres. Alors, est-ce nous aurions les mêmes réactions tièdes de la France, de l'Europe, de l'Amérique et de l'ONU, pour éviter de condamner sans ambiguité les crimes palestiniens? Non, indiscutablement. C'est qu'apparemment la vie d'un Israélien vaut toujours plus que celle d'un Palestinien. Cherchez l'erreur. Tout aussi consternant.

Dans ce contexte, la réaction courageuse d'Emmanuel Macron ne peut qu'être saluée. Il a clairement condamné « les violences des forces armées israéliennes contre les manifestants ». Voilà une déclaration qui a le grand mérite de désigner qui sont les coupables et qui sont les victimes. La gauche française, de Jean-Luc Mélenchon à Benoit Hamon, a elle aussi dénoncé les coupables, la droite française s'enferme dans le silence.


Plus que le retour proprement dit, les Palestiniens veulent surtout rappeler au monde l'injustice qui les frappe depuis 70 ans càd depuis la création de l'Etat d'Israël par la force des armes, avec la bénédiction du monde occidental. Certains ont tendance à l'oublier avec les années, mais aujourd'hui, on dénombre 5 millions de « réfugiés palestiniens » dans le monde, descendants inclus. Pour mieux comprendre la tragédie et l'injustice des plus vieux réfugiés du monde, il faut imaginer deux cas de figure.

. Si le projet juif d'implanter Israël au Moyen-Orient avait échoué, et que le « foyer national pour le peuple juif » s'était implanté au Kenya ou en Argentine comme c'était aussi envisagé par les premiers sionistes à la fin du 19e siècle, 3 millions de Palestiniens de Cisjordanie (2,07 millions), de Syrie (517 000) et du Liban (447 000), mèneraient une vie paisible en Palestine, au lieu de vivre dans des conditions misérables dans 31 « camps », installés depuis 70 ans pour certains.

. Si Israël n'avait pas vu le jour en ce 14 mai 1948 et que les milices juives n'avaient pas tout fait pour expulser les autochtones palestiniens de leurs terres (via les massacres et le nettoyage ethnique) et rendre leur retour impossible (via la contrainte, la terreur et la destruction systématique de leurs villages), 2 millions de Palestiniens de Cisjordanie (754 000) et de Gaza (1,2 million) mèneraient eux aussi une vie paisible en Palestine, loin de des 27 « camps » qui leur sont réservés, dont huit sont situés justement dans cette minuscule bande de terre de 6 km sur 12 km, 5 398 habitants par km2, soumise à un embargo décrété par les Israéliens depuis une douzaine d'années.

Au même moment où les snipers de l'armée israélienne tiraient lâchement sur les manifestants palestiniens, un incontestable crime de guerre, Israéliens et Américains étaient rassemblés pour célébrer le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem-Ouest et la reconnaissance de la ville comme capitale d'Israël, une énième violation des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU. Dans une déclaration schizophrénique inouïe, le nouveau secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, a le culot d'affirmer « l’engagement américain pour une paix globale et durable entre Israël et les Palestiniens ». Non mais, quel paix peut sortir de ce chaos ? Dans ce contraste nauséabond des images, Jérusalem vs. Gaza, certains trouveront tout ce qu'il faut pour nourrir l'islamisme, l'antisémitisme et l'antiaméricanisme, d'autres auront beaucoup de mal à trouver des éléments en faveur d'une paix juste et durable.


Il y a plus de sept ans une révolte a éclaté en Syrie, contre la tyrannie des Assad. Pour diverses raisons, elle s'est transformée en guerre civile. Pour d'autres raisons, celle-ci a permis à l'Etat islamique d'Irak de muer en Etat islamique en Irak et au Levant, Daech. Aujourd'hui, la tragédie est immense : des centaines de milliers de morts en Syrie, des centaines de morts dans le monde, de millions de réfugiés syriens dans les pays limitrophes et en Europe, une menace terroriste mondiale permanente, etc. Il y a un facteur qui aurait pu changer toute la donne et qui nous aurait permis d'écrire l'histoire différemment : la Russie. Si Vladimir Poutine n'avait montré un soutien infaillible au régime syrien et n'avait pas opposé son veto à une douzaine de projets de résolutions sur la Syrie au Conseil de sécurité de l'ONU, depuis octobre 2011, on ne serait probablement pas là -ni en Syrie, ni au Liban, ni en Europe- pour une simple raison, Bachar el-Assad aurait été contraint de réagir différemment.

Une trentaine d'années après la mise en œuvre du projet sioniste de colonisation de la Palestine à la fin du 19e siècle, Arthur Balfour, Secrétaire d'Etat des Affaires étrangères, a fait savoir à Walter Rothschild, banquier britannique et financier du mouvement sioniste, il y a 100 ans exactement, que « le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». Comme l'a bien résumé avec sarcasme l'ancien député arabophone et arabophile britannique, George Galloway: c'est l'histoire d'un premier peuple qui promet à un deuxième peuple la terre d'un troisième peuple! Tout le monde connait la suite : immigration juive d'Europe vers la Palestine, colonisation massive de la Palestine, tension communautaire entre les Juifs et les Arabes, conflit armé, guerre civile, plan de partage de la Palestine, retrait britannique, proclamation de l'Etat d'Israël, al-Nakba. Le conflit israélo-palestinien est né officiellement en 1948 et depuis, il ne cesse de se compliquer. Aujourd'hui, la tragédie est immense.

Depuis 70 ans, nous passons au Moyen-Orient :
. de guerre en guerre, des Six Jours (1967) au Kippour (1973), de Suez (1956) à Juillet (2006) ;
. d'opération en opération, de la Paix en Galilée (1982) aux Raisins de la colère (1996) et aux Pluies d'été (2006), avec toujours le même bilan, 1 contre 10 (1 mort israélien contre 10 morts arabes, 1 blessé israélien contre 10 blessés arabes); 100, 10, 7 ou 5, c'est selon les conflits armés, il n'y a aucune exception à cette règle, le nombre de victimes arabes est toujours un multiple du nombre de victimes juives ;
. de résolution en résolution, toutes restées lettre morte ;
. d'intifada en intifada, toutes réprimés dans le sang ;
. de plan de paix en plan de paix, tous morts prématurément ;
. d'occupation en colonisation des Territoires palestiniens et en violation du droit international ;
. d'espoir en désespoir et de mal en pis.

Et pourtant, là aussi, il y a un facteur qui aurait pu changer toute la donne et qui nous aurait permis d'écrire l'histoire différemment : les Etats-Unis. Si les différents présidents américains en place depuis 1967, Nixon, Ford, Carter, Reagan, Bush père, Clinton, Bush fils, Obama et Trump, n'avaient pas montré un soutien politico-militaire infaillible à l'Etat d'Israël, opposant leur veto à plusieurs projets de résolutions sur le conflit israélo-arabe, nous ne serions probablement pas là -ni en Palestine, ni en Israël, ni au Liban, ni au Moyen-Orient- pour une simple raison, Israël aurait été contraint de réagir différemment.

Pour se faire une idée, il faut savoir que la première fois que les Américains ont bloqué une résolution concernant Israël, c'était en 1972 sous Nixon. La dernière fois c'était en 2017 sous Trump, justement pour éviter la condamnation de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël. Sans remonter à Mathusalem, depuis la signature des Accords de paix israélo-palestiniens d'Oslo en 1993, les Etats-Unis ont utilisé leur droit de veto au Conseil de sécurité pour bloquer 14 résolutions sur le conflit israélo-palestinien, dont le seul but de protéger Israël : trois fois sous Clinton (en 1995 et 1997), neuf fois sous W. Bush (2001, 2002, 2003, 2004 et 2006 ; le plus grand imbécile de l'histoire contemporaine, principal responsable du chaos qui règne au Moyen-Orient depuis l'invasion américaine de l'Irak en 2003; aujourd'hui, il coule des jours heureux dans son ranch du Texas, s'adonnant à sa passion, la peinture!) et une seule fois sous Obama (2011).


Il est clair que l'immunité accordée à Israël par les pays occidentaux en général, et les Etats-Unis en particulier, est responsable du pourrissement de la situation dans le conflit israélo-palestinien en général, et du massacre qui endeuille la « Grande marche du retour » des Palestiniens vers la terre de leurs ancêtres en particulier.

Le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem est un non-événement en soi, car il constitue une violation flagrante du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU. Or, comme une loi nationale ne peut être annulée que par une autre loi nationale, une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU ne peut être annulée que par une autre résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. D'ici là, la décision du bouffon de la Maison Blanche, Donald Trump, ne changera rien à la donne : Israël est une puissante occupante des Territoires palestiniens occupés en 1967 et Jérusalem ne peut pas être la capitale éternelle d'Israël, elle appartient aux deux peuples, son statut devant être décidé d'un commun accord.

Le risque de la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d'Israël et du transfert effectif de l'ambassade américaine, réside ailleurs. Il est de deux ordres.

. D'une part, cette double décision est une confirmation de l'immunité accordée à l'Etat d'Israël, et même, une sorte de récompense pour l'ensemble de son œuvre : l'occupation, la colonisation et la répression. C'est comme si les Américains disaient aux Israéliens: bravo, continuez comme ça.

. D'autre part, il faut être sacrément naïf, voire un idiot utile de Trump et de Netanyahu, pour ne pas comprendre que cette double décision, et l'immunité accordée systématiquement à Israël depuis des décennies, quelle que soit la nature des crimes qu'il commet, de guerre ou contre l'humanité, ne fera que nourrir la haine, l'extrémisme, l'islamisme, l'antisémitisme et l'antiaméricanisme, aux quatre coins du monde.

Donald Trump, 14 mai. Très bavard dès 2h du matin sur l'attaque terroriste au couteau, survenue à Paris le 12 mai, et qui a fait 1 mort et 4 blessés : "Très triste... A un moment donné, les pays doivent ouvrir les yeux et voir ce qui se passe réellement." Très solennel en milieu d'après-midi sur l'ouverture de l'ambassade américaine à Jérusalem : "Un grand jour pour Israël. Félicitations!" Rien de rien, pas un seul mot, ni avant ni après ni entre ces deux tweets, sur le bilan terrible de la journée à Gaza : 59 Palestiniens tués et 2 400 blessés par des snipers de l'armée israélienne. Non mais, qu'est-ce que l'humanité a fait au bon Dieu pour mériter ça? Quel bouffon!



Pour limiter ces risques et circonscrire les conséquences des décisions irresponsables de Donald Trump et de Benjamin Netanyahou, il n'y a qu'une option: l'Union européenne doit reconnaître la Palestine et commencer à prendre des sanctions appropriées contre Israël. Des pays arabes, il n'y a rien à espérer, leur léthargie légendaire est désespérante. En tout cas, le temps de l'immmunité et de l'impunité doit cesser. Israël doit être traiter comme il se doit : un pays qui viole allègrement une dizaine de résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, le droit international et les droits de l'Homme. Et de ce fait, il doit répondre de ses actes devant la communauté internationale comme les autres pays du monde. Comme l'Iran et la Corée du Nord par exemple.

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Post scriptum

Roger Waters (16 mai, 2:34): "Israël, comment tu as pu oublier?"


Réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU (15 mai). Pour l'ambassadrice des Etats-Unis, Nikki Haley, "Israël a fait preuve de retenue" la veille. On la voit sur cette photo quittant la salle au moment où le représentant de la Palestine prend la parole. Une image très forte qui reflète bien le grand mépris de l'administration américaine de Donald Trump pour les victimes palestiniennes