Ça
a beau débuté par un « k », la phonétique ne suffit évidemment
pas. Pour y voir plus clair, commençons par énoncer les deux grands
principes qui régissent la vie commune des nations. D'un côté, il
faut admettre que tout manquement au respect des lois en vigueur par
une frange de la population est regrettable car cela reflète le
rejet délibéré par cette dernière des règles du jeu et du contrat qui lie les enfants de la patrie. De l'autre
côté, il faut admettre également que tout recours à la violence est
tout aussi regrettable quel qu'en soit le contexte. Cela signifie que
les voies non violentes de la raison n'ont pas permis de résoudre
les différends entre les enfants de la patrie. A partir de là, force est de constater que la vie des nations n'est vraiment pas un long
fleuve tranquille.
1 L'IRRESPONSABILITÉ DES AUTORITÉS DE LA CATALOGNE
Le
référendum qui a eu lieu dimanche dernier dans la région de
Catalogne en Espagne, dans des conditions chaotiques, est de l'avis
de la majorité des experts en droit, illégal. Demander aux 5,3
millions d'Espagnols de cette région, « Voulez-vous que la
Catalogne soit un Etat indépendant sous forme de république ? »,
était donc une violation délibérée de la Constitution espagnole.
Pour le légitimer, il aurait fallu se mettre d'accord avec le
gouvernement espagnol à organiser dans un premier temps un
référendum national, pour savoir si la nation espagnole permet
l'organisation dans un second temps, un référendum régional. Le
Premier ministre espagnol Mariano Rajoy, a parfaitement raison sur le
plan légal de dire « qu'il n'y a pas eu de référendum en
Catalogne aujourd'hui (dimanche) ».
Certes,
on peut déplorer l'usage excessive de la force dans certains cas,
mais on ne peut pas reprocher à l'Etat espagnol souverain de prendre
les mesures jugées nécessaires pour faire respecter la loi et
mettre un terme à cette dangereuse « farce »:
fermeture des bureaux de vote, confiscation des urnes, blocage des
connexions internet du centre télécom du gouvernement catalan,
interdiction des manifestations, etc. Région riche avec un taux de
chômage inférieur au taux national (à plus de 13% quand même ; on
est loin des 9,5% de la France et même très loin des 4,3% des
Etats-Unis et 3,9% de l'Allemagne), touristique (victime de son
succès tout de même) et dynamique (au niveau de l'industrie, de
l'innovation et de l'art), la Catalogne est aussi gravement endettée.
Et il est là le nœud du problème. Par la faute de qui? Du reste de
l'Espagne, des régions du Sud, bien évidemment, on connait la
chanson. C'est l'une des plus répandues dans le monde. Pas qu'en
Italie ou en France. Au Liban même, Beyrouth vs. Liban-Sud,
Kesrouane vs. Bekaa, etc.
Certes,
le Premier ministre espagnol a raison d'affirmer que « la
démocratie a prévalu parce que la Constitution a été respectée ».
Mais à quel prix et pour combien de temps? En utilisant la force,
pour faire respecter la loi, le gouvernement espagnol a pris le
risque d'exacerber le ressentiment et la détermination des
indépendantistes catalans. Si la mémoire de l'eau existe pendant un
laps de temps, celle du sang est éternelle. Il fallait tout faire
pour éviter de tomber dans le piège des indépendantistes. Mais que
pouvait faire vraiment le gouvernement espagnol quand les adversaires
sont aussi déterminés à en découdre?
.
En insistant sur la tenue de ce référendum illégal, les
autorités indépendantistes catalanes ont fait preuve d'immaturité
politique. Et ce ne sont pas les preuves qui manquent. La
Catalogne bénéficie déjà d'un statut spécial et d'une autonomie. Oui, ils ont été revus et corrigés récemment, mais ce n'est pas une raison suffisante
pour détruire le temple sur la tête de tout le monde. Le premier
référendum tenu en 2014, considéré comme illégal par la Cour
constitutionnelle, n'a passionné qu'un tiers de la population locale
et n'a récolté que 80% des voix exprimées. Ce n'est guère
beaucoup mieux aujourd'hui. La Cour constitutionnelle a suspendu la
loi régionale sur la base de laquelle devait se tenir ce second
référendum du 1er octobre 2017, il y a plus de trois semaines. C'est pour cela que le roi d'Espagne a accusé les autorités catalanes d'avoir "ébranlé les principes démocratiques de tout Etat de droit".
.
Plus grave encore, le gouvernement catalan a fait preuve
d'irresponsabilité historique. Dans un pays où les
blessures de la guerre civile sont encore dans toutes les mémoires,
taper sur la corde identitaire et lancer un sujet aussi passionné et
clivant (près d'un tiers des municipalités catalanes n'ont pas
participé à la consultation populaire ; la majorité des Espagnols
ne peut être que contre l'indépendance de la Catalogne), une
quarantaine d'années seulement après la fin de l'interminable
dictature de Franco, ne peut être apprécier autrement. C'est ce qui a amené le roi Felipe VI à dire que "les autorités catalanes ont miné l'harmonie et la coexistence dans la société catalane".
.
Le pire c'est que les indépendantistes ont fait preuve
d'amateurisme consternant. Primo, parce qu'ils étaient
conscients que le gouvernement espagnol ne pouvait pas regarder
l'Etat espagnol s'écrouler sans réagir. Secundo, parce qu'ils se
doutaient aussi que la République catalane ne pourra jamais, au
grand jamais, adhérer à l'Union européenne. Ça sera la
balkanisation désastreuse de l'Europe ! C'est le cadet des soucis
des indépendantistes, il n'empêche que l'économie de la région et
la prospérité de ses habitants en pâtiront forcément. Pour le roi d'Espagne, Felipe VI, "les autorités catalanes mettent en danger la stabilité économique et sociale de la Catalogne et de toute l'Espagne". Tertio, et
sans doute le point le plus important, parce qu'ils devraient savoir
que la Catalogne ne sera pas reconnue comme Etat indépendant par
l'Organisation des nations unies et par l'écrasante majorité de ses
membres. Aucune chance. Sinon, c'est la porte ouverte à la balkanisation du
monde.
2 LE SÉPARATISME EST LE FANTASME LE PLUS PARTAGÉ DANS LE MONDE
Quasi aucun
pays au monde ne peut se targuer de n'avoir pas connu ou qu'il ne
connaîtra pas de problèmes identitaires et indépendantistes.
L'Espagne a des soucis en Catalogne ainsi qu'en Andalousie, à
Grenade et aux Canaries. Pour la France, la liste est longue : la
Corse évidemment, mais aussi l'Alsace, la Bretagne, la Normandie, la
Franche-Comté, la Picardie, la Provence, le Roussillon, la Savoie et
même le Pays Niçois, ainsi que qu'en Guadeloupe, Martinique, Guyane
et Réunion. L'Italie n'est pas en reste : la vallée d'Aoste, la
Padanie (souvenez-vous des visées séparatistes puis fédéralistes
de la Ligue du Nord), Haut-Adige, la Sardaigne, la Sicile et même la
Vénétie. Rajoutez aussi la Belgique et le Royaume Uni
naturellement, en Wallonie et dans la Flandre pour le premier, en
Irlande du Nord et en Ecosse pour le second. Et vous croyez que
l'Allemagne et la Suisse sont à l'abri? Niet, ça gronde en Bavière
et dans le Jura. Et c'est sans parler des problèmes transfrontaliers
posés par le Pays Basque (Espagne-France) et l'Occitanie
(Espagne-France-Italie).
Ailleurs,
ce n'est guère mieux. Sont concernés, la Suède, le Danemark
(Groenland, Féroé), l'Ukraine (Crimée), la Bosnie-Herzégovine
(Serbes), l'Algérie (Kabylie), le Maroc (Sahara occidental), le Nigeria
(Biafra), le Pakistan, le Sri Lanka (les célèbres Tamouls),
l'Indonésie, les Philippines (mouvement d'Abou Sayyaf), la Birmanie
(Etat d'Arakan d'où sont originaires les Rohingyas), l'Inde, la
Chine (le Tibet et Hong Kong), la Russie, le Japon, le
Mexique (Chiapas) et le Canada svp (Alberta, Acadie et Québec). Et
si vous croyez que les Etats-Unis d'Amérique échappent à la règle
c'est que vous ignorez ce qui se passe en Alaska, à Hawaï, dans le
Vermont, and last but not least, dans les Etats du Sud, où l'organisation La Ligue du Sud milite depuis 1994 pour
regrouper les anciens Etats confédérés d'Amérique de 1861-1865 en
une grande République du Sud, et surtout, en Californie, où le
mouvement Sovereign California, créé en 2014, rebaptisée
Yes California Independence Campaign en 2015, et Calexit
depuis l'élection de Donald Trump, veut organiser un référendum en
2019 pour détacher le plus riche, le plus peuplé et le plus
progressiste des Etats américains de la Mère-Patrie.
3 MÊME LA CALIFORNIE NE VEUT PLUS RESTER RATTACHÉE AUX ÉTATS-UNIS
Le
cas de la Californie est très intéressant à étudier car il
représente un modèle simplifié qui résume très bien le fantasme
des indépendantistes des temps modernes, surtout en Occident. Les
désidératas des séparatistes se forment au cours de trois actes.
.
Acte I, on part d'un constat. « Les États-Unis représentent
bien des choses qui sont en contradiction avec les valeurs
californiennes ». Le problème est donc profondément
identitaire, par conséquent, il est insoluble.
.
Acte II, sur ce constat se greffe un déclic. « Faire partie des
États-Unis ne sert plus les intérêts de la Californie dans des
domaines comme la paix, la sécurité, les ressources naturelles et
l'environnement ». Nos intérêts sont donc sérieusement
menacés, par conséquent, il faut agir tout de suite.
.
Acte III, du déclic nait l'espoir. « En tant que sixième
puissance économique du monde, la Californie est plus puissante
économiquement que la France et a une population plus importante que
la Pologne ». Le projet est donc viable sur le plan économique,
condition sine qua non pour éviter que l'indépendance n'apparaisse
comme un suicide collectif.
L'épilogue
peut s'écrire ainsi : nous n'avons pas le choix, nous ne pouvons pas
continuer ensemble, le divorce s'impose. En Californie comme en
Catalogne, et ailleurs en Occident et en Orient, du Nord au Sud, on
retrouve toujours les mêmes ingrédients dans ses référendums
séparatistes, à des nuances
près et dans diverses déclinaisons: le constat identitaire, l'urgence du divorce et l'attractivité
économique du projet.
Les
problèmes commencent quand on passe à la réalité. Ils sont
toujours de deux ordres, internes et externes. Reprenons le cas de la
Californie. Même si les indépendantistes réussissent à organiser
un référendum en 2019 et que le « oui » l'emporte d'une
manière franche et massive, comme en Catalogne, ce référendum ne
conduira les Californiens nulle part, comme celui des Catalans, à
part à flatter des égos identitaires. Pour qu'il soit exploitable
sur le plan légal, il faudra modifier la Constitution des
Etats-Unis, ce qui nécessite la bénédiction des deux-tiers du
Congrès et des parlements fédéraux de 38 des 50 Etats américains.
Donc, faut pas rêver ! Mais, il n'y a pas que cela. Prendre son
indépendance, c'est bien, rester seul au monde, c'est pas terrible.
4 « LE DROIT À L'AUTODÉTERMINATION » N'EST PAS DONNÉ À TOUT LE MONDE
Le
« machin qu'on appelle l'ONU » tant décrié par les
isolationnistes de tous bords, essaie d'avoir une approche
responsable, équilibrée et juste des visées indépendantistes.
Justement, pour éviter la balkanisation du monde ! La résolution
2625 adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU en 1970, affirme
que « tous les peuples ont le droit de déterminer leur
statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure »,
la difficulté étant bien sûr de déterminer qui constitue un
peuple. Les décolonisations se sont faites en se basant sur ce
principe. La création de l'Etat d'Israël, lui aussi, même si on
n'a pas tenu compte de la colonisation massive de la Palestine par
des ressortissants juifs de diverses nationalités, entre 1897 et
1948. La réunification de l'Allemagne et du Yémen également, ainsi
que la reconnaissance des ex-républiques de la Yougoslavie et de
l'URSS, de l'Erythrée, du Kosovo et du Soudan du Sud.
Cependant,
pour la communauté internationale, « toute tentative visant à
rompre partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité
territoriale d'un Etat ou d'un pays ou à porter atteinte à son
indépendance politique, est incompatible avec les buts et principes
de la Charte ». L'ONU tient à préciser que « rien
dans les paragraphes précédents (résolution 2625) ne sera
interprété comme autorisant ou encourageant une action, quelle
qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou
partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de
tout Etat souverain et indépendant ». Voilà pourquoi le
référendum portant sur l'indépendance de la Crimée de l'Ukraine,
et son rattachement à la Russie, organisé au printemps de 2014, n'a
pas été reconnu, d'autant plus qu'il s'est fait sous l'ingérence
directe des Russes. Pour résumer, disons que le droit des peuples à
« l'autodétermination » n'est reconnu par la communauté
internationale en pratique que dans deux contextes bien identifiés :
la colonisation-occupation et la répression-persécution. Ni la
Californie ni la Catalogne ne sont ni dans l'une ni dans l'autre
situation. Par contre, les Palestiniens des Territoires occupés par
Israël qui sont hélas, dans l'une et dans l'autre situation, ne
bénéficient toujours pas du droit à l'autodétermination.
5 « BIENVENUE AU KURDISTAN », LE RÊVE PARTAGÉ PAR 46 MILLIONS DE PERSONNES
On
ne peut pas évoquer le référendum de la Catalogne dimanche 1er octobre, sans parler de
celui qui l'a précédé en début de semaine dans le Kurdistan
irakien, le lundi 25 septembre. Là aussi on retrouve le triptyque
habituel de tout projet indépendantiste : l'identité kurde est
forte ; l'urgence du divorce avec l'Etat irakien est dictée par
l'écroulement imminent de l'Etat islamique en Irak ; étant riche en
hydrocarbures, la création du Kurdistan constitue un projet
économiquement viable. Comme pour d'autres référendums du même
genre et en dépit de son caractère démocratique, cette
consultation populaire constitue une violation de la Constitution
irakienne. De ce fait, il est voué à l'échec, sur le plan
théorique, comme ceux de la Catalogne et de la Californie.
Cela
étant dit, ce référendum oriental a trois particularités.
.
Primo, bien qu'il ne concerne que l'Irak, tous les pays de la région
avaient les regards tournés vers Erbil. Et pour cause, ils ont tous une importante communauté kurde. De ce fait, la Turquie, l'Iran et la Syrie,
suivaient de près la consultation populaire dans le Nord de l'Irak.
Ils craignent le mimétisme et l'effet domino, ce qui leur serait
préjudiciable. Entre 26 et 34 millions de Kurdes vivent à cheval
entre ces quatre pays du Moyen-Orient : 12-15 millions en Turquie, 6-9
millions en Iran, 5-7 millions en Irak et 3 millions en Syrie. La
diaspora kurde compte une dizaine de millions de personnes, dont un
million en Allemagne, 300 000 en France, 150 000 en Israël et 80 000
au Liban. Ainsi, au total, 46 millions de Kurdes, enfin la majorité d'entre eux, partagent a priori un même rêve, le Kurdistan.
.
Secundo, contrairement, aux Catalans, Criméens ou Californiens, les
Kurdes du Moyen-Orient constituent un peuple d'une même ethnie
(kurde et non arabe) et d'une même confession (musulman sunnite),
réparti dans quatre pays et surtout remplissant les conditions de
l'ONU pour le droit à l'autodétermination, du fait de la répression
dont ils font l'objet dans ces quatre pays depuis la nuit des temps.
En Irak précisément, ils l'ont été sous le régime de Saddam
Hussein (arabe sunnite) et sous le régime de Nouri el-Maliki (arabe
chiite).
.
Tertio, le timing du référendum survient à un moment où les
Kurdes d'Irak comme ceux de Syrie, qui sont de confession sunnite,
ont été d'une aide précieuse pour stopper l'Etat islamique
(sunnite), le faire reculer et le vaincre. Ils profitent de ce moment
opportun pour imposer l'émergence du Kurdistan en Orient.
Par
conséquent, du fait de ces trois facteurs déterminants, le
référendum du Kurdistan irakien, a toute les chances de ne pas
rester lettre morte, malgré l'hostilité des autorités irakiennes, syriennes, iraniennes et turques. Au mieux, de point de vue kurde, ce référendum
conduira vers l'indépendance de jure et la séparation totale de
l'Irak, en attendant que les autres Kurdistan de Turquie, de l'Iran
et de Syrie emboitent le pas. Au pire, il conduira vers une très
grande autonomie, l'indépendance de facto.
6 L'INDÉPENDANCE ET LE SÉPARATISME AU LIBAN, NOUS EN SOMMES OÙ ?
Ce
n'est pas à l'ordre du jour. Personne n'en parle. Mais tout le monde
y pense. Dans l'Orient compliqué, tout est compliqué, même de débattre de la
tenue de ce genre de consultation populaire. Les référendums
d'indépendance sont en général demandés et organisés par un
groupe humain qui désire séparer un territoire homogène et bien
délimité, sur le plan ethnique, religieux, linguistique ou
historique, du pays auquel il est rattaché. Ce cas de figure
n'existe pas au Liban, pas plus qu'il n'a existé dans le passé, à moins qu'on ne
considère que le pays du Cèdre qui est actuellement dominé par le
Hezbollah, n'est finalement qu'une partie du Hezbollahistan, et
qu'une frange de Libanais, voudraient s'en séparer ! On a quand même le droit d'imaginer, hein? Dans une telle éventualité, on y est
alors, dans les cas de figure de la Catalogne, de la Californie et du
Kurdistan.
L'attribution
aux Chrétiens, notamment les maronites, durant la guerre civile
libanaise, une volonté de faire du « réduit chrétien » une entité indépendante, relevait plus de la propagande que de la
réalité. Certes, pendant un certain temps, fin des années 1980, le
fédéralisme avait le vent en poupe dans les milieux chrétiens,
mais le séparatisme pur ne fut jamais adopté. De l'autre côté,
l'attribution aux Musulmans, notamment sunnites, au cours de la
guerre civile, la volonté de fusionner le Liban avec la Syrie,
relevait aussi de la propagande. Certes, pendant un certain temps,
fin des années 1950 et début des années 1960, ce courant a existé,
mais le contexte était particulier. Au déclenchement de la guerre
en 1975, ce n'était plus le cas.
Toujours
est-il que la guerre libanaise qui s'est achevée en 1990, a laissé
la place à une période de terreur. Instaurée par la tyrannie des
Assad, père et fils, celle-ci n'a pris fin qu'avec le retrait des
troupes d'occupation syriennes du Liban. Depuis 2005, la donne
politique au Liban a fondamentalement changé. On peut dire beaucoup
de chose sur le clivage politique 8-Mars vs. 14-Mars. Une chose est sûre, cette parenthèse historique n'a pas pu franchir la barre
décennale. Aujourd'hui, la vie politique libanaise est principalement
marquée par la double « anomalie » que constitue la situation du
Hezbollah au Liban, un parti milicien armé qui dit et redit, haut et
fort, urbi et orbi, en violation de la Constitution libanaise, dans
les écrits et les interviews de son Secrétaire général adjoint,
cheikh Naim Qassem: « Nous appelons à fonder un Etat islamique
(chiite au Liban) et nous encourageons les autres (communautés) à
l’accepter en tant que source de bonheur pour l’être humain
(...) Nous croyons que l'application de l'islam (chiite) est la
solution aux problèmes des êtres humains, en tout temps et en tout
lieux. »
Toute
la question est donc de savoir, comment le Hezbollah compte procéder
pour créer un « Etat islamique » chiite dans un pays
composé de 18 communautés ? Je vois deux stratégies.
.
Par la force, comme certains le croient naïvement. C'est peu
probable, car ça sera une déclaration de guerre à tout le monde. Pas seulement aux
Libanais laïcs ou de confession chrétienne, mais aussi aux
compatriotes sunnites, druzes, alaouites, et même chiites qui
n'approuvent pas les dérives idéologiques d'un parti qui prétend
défendre leurs intérêts en les ramenant dans une époque révolue.
.
Par la ruse, c'est le procédé en cours, selon la technique que
certains appellent « la cuisson du homard ». Au lieu de
plonger le crustacé vivant, le Liban, directement dans l'eau
bouillante, Etat islamique, il suffit de le mettre à froid et
d'augmenter progressivement la température, de l'islamisation.
L'instant où le homard, notre Liban, s'en rendra compte, il est déjà
cuit, au sens propre comme au sens figuré !
Il
est donc évident que la marge de manœuvre de notre homard est très
étroite, surtout avec des cuistots comme Samir Geagea et Saad
Hariri, qui n'ont rien trouvé de mieux que d'élire comme président
de la République et garant de la Constitution, Michel Aoun, un homme
qui a sans doute beaucoup de qualités mais qui reste quand même
celui qui a conclu un « document d'entente » avec
le Hezbollah, et de mettre une option sur Sleiman Frangié, un autre
homme de qualité qui considère quand même Hassan Nasrallah, comme
le « souverain de tous ». Dans ce contexte, est-ce
qu'il reste un espoir de sauver notre homard avant que l'eau
n'atteigne le point d'ébullition ? Oui bien sûr ! Justement, par le
référendum, sauf que le nôtre ne sera pas comme les autres. Au
Liban, on fera la démarche inverse, puisque le Hezbollah contrôle
déjà des territoires qui n'appartiennent plus à l'Etat libanais, et souhaite même, faire du Liban un Etat islamique sous l'emprise de
Wali el-fakih (comme je l'ai expliqué en long et en large dans mon
dernier article, « Je crains que Michel Aoun, ainsi que Saad Hariri et Samir Geagea aussi, ne soient très mal informés au sujet des visées du Hezbollah au Liban! L'interview choc du président libanais au Figaro »). Par conséquent, on peut désigner par le Hezbollahistan l'entité réelle, sur le plan territorial, et virtuelle, sur le plan hégémonique, qu'une partie des Libanais voudraient quitter. Alors, pour y voir plus clair, pourquoi nous n'organisons pas un référendum dans ce but ?
Ainsi,
les leaders libanais sont appelés à cesser 2art el7aké wou ta2
el7anak, les palabres et le papotage, et à travailler pour
l'organisation d'un tel référendum qui permettra au peuple
souverain du pays du Cèdre, de toutes tendances politiques et
appartenances communautaires confondues, de répondre à une question
existentielle, en choisissant l'une des deux options:
« Voulez-vous
que le Liban soit un Etat indépendant sous forme d'une république
régi par une application stricte de la Constitution, en mettant fin
à l'anomalie du Hezbollah, en tant que milice armée et en tant que
parti islamiste qui projette instaurer une 'jamhouriyat islamiya' au
Liban dépendante de 'wali el-fakih' »
ou
« Souhaitez-vous
que le Liban reste sous l'emprise du Hezbollah et se transforme
progressivement en un Etat islamique chiite dépendant du Guide
suprême de la République islamique d'Iran ? »
Tout le monde saura enfin, à quoi s'en tenir ! Dernier signe de
cette hégémonie au centre de ce référendum, les propos abjectes
tenus par Hassan Fadlallah un soi-disant député de la nation issu
des rangs du Hezbollah, cette organisation classée terroriste par la
majorité des pays arabes et occidentaux. « Vouloir célébrer
la proclamation du Grand Liban (par la France en 1920) pose la
question de savoir quelles sont aujourd'hui les frontières (du
Liban) ». Cette énième attaque contre ce qui constitue le
fondement historique de notre pays, fait partie de la « cuisson
du homard » évoquée précédemment. Hélas, seul le homard
Farès Souhaid, a encore le réflexe de dénoncer le chef cuisinier du
Hezbollah. Silence radio du côté des homards, Michel Aoun, Saad
Hariri et Samir Geagea, qui semblent apprécier l'eau chaude dans
laquelle ils baignent et ne comprennent pas qu'il faut réagir à
temps avant qu'il ne soit trop tard. Cette consultation populaire
dictée par notre triple devoir historique, de préserver
le Liban millénaire, patriotique, de sauver le Liban
multiconfessionnel, et universel, de protéger le Liban message, est
aussi un « référendum séparatiste ». En tirant
abusivement sur l'élastique qui lient les 19 communautés
laïco-islamo-chrétiennes libanaises ensemble, le Hezbollah s'exclue
de facto lui-même de la vie commune de la nation et pousse le peuple
libanais inévitablement, tôt ou tard, à confirmer de jure son
exclusion.
7 AH SI TOUT LE MONDE POUVAIT AVOIR LA CHANCE DE VIVRE D'AMOUR ET D'EAU FRAICHE COMME EN CHRISTANIA
Il
m'est impossible de terminer cet article sur un constat aussi grave.
Alors, attachez votre ceinture et cap vers le Nord. Je vous emmène
au Danemark, pour vivre la plus incroyable des expériences
libertaires humaines, avant qu'elle ne disparaisse. Respirez à fond,
« it's in the air ». Comme ça sent bon, la marie-jeanne
! Ah, au pire, prenez ça pour de l'encens et contentez-vous d'une
sucette ou d'un brownie au cannabis. En tout cas, pas de drogues
dures et pas de photo là-bas, vous serez exclus. Fristaden Christiania
est un quartier de Copenhague de 340 000 m2, ce qui fait à peu près
la superficie du Bois des Pins à Beyrouth, une fois et demi le
Jardin du Luxembourg à Paris. Près de mille personnes y résident.
On y rencontre même des Inuits. Ce quartier s'autoproclame depuis
1971, la « ville libre de Chritiania ». Le gouvernement
danois a tenté à plusieurs reprises d'en finir avec cette
communauté anarchiste. En vain, pour l'instant.
Vous
avez entendu parler de cette sénatrice australienne qui allaita son
bébé au Parlement, en 2017, comme deux députées islandaise et
argentine en 2016 et en 2015? Figurez-vous que ces trois élues
nombrilistes n'ont rien inventé. Tine Schmedes, une Christianite l'a
fait déjà en 1974 au Conseil municipal de Copenhague. De nombreuses
assemblées gèrent divers aspects de la vie en communauté en
Christiania. Les décisions sont prises par consensus, ce qui est le
cas en principe au Liban, sauf qu'à Christiania, les voitures ainsi que
les armes sont expressément interdits, ce qui demeure pour les
Libanais, comme pour les Américains, le rêve inaccessible.
L'intérêt du cas Christiania, surtout pour un Libanais, c'est son
drapeau. Il est composé de trois ronds jaune sur un fond orange. Des couleurs qui raviront les partisans du Hezbollah et de son allié, le Courant
patriotique libre. Pour tous les autres, ils pourront méditer la devise de Christiania : « I kan ikke slå os
ihjel », « vous ne pouvez pas nous tuer ». Pour la mettre en oeuvre, une seule façon, organiser un référendum sur le Hezbollah au
Liban.