Oui ça pourrait être un remake de « The Good, the Bad and the Ugly », mais ce n’est pas le cas. C’est sacrément plus compliqué que ça. Nul n’est au-dessus de la critique. Ni le pape, ni le patriarche maronite, ni le lascar Michel Hayek, ni les rejetons Mokdad, ni même BB himself bien sûr. Joumana Haddad non plus, Schéhérazade peut être, le marquis de Sade assurément. J’avoue que je suis assez mal placé pour défendre le pape et ses enseignements. Prêcher à longueur de journée la formule biblique « tout est vanité et poursuite de vent », ne sera sans doute pas suffisant pour me faire monter au ciel. Mais bon, ce n’est pas à l’ordre du jour et le ciel attendra un peu. Au moins la mise en ligne de cet article et la résurrection de Schéhérazade que Joumana Haddad a tué au cours d’un accès de colère et surtout, au cours d'une crise de jalousie. J'y reviendrai.
S’il
y a une chose qui m’exaspère au plus haut degré ce sont les considérations simplistes et populistes à cinq piastres, comme celles
que Joumana Haddad, la « femme à
poigne » comme elle se voit, nous
a servies dans sa lettre adressée à Benoît XVI et publiée par le site Now Lebanon à 3 jours de la visite
historique de ce dernier au Liban. Joumana Haddad n’attend pas l’arrivée du
souverain pontife « avec impatience »
et elle veut le faire savoir. C’est son droit le plus élémentaire. Elle
reproche au représentant de l’Eglise catholique romaine un tas de choses, c’est
aussi son droit le plus élémentaire. Les richesses du Vatican, la masculinité
des successeurs de Saint Pierre, l’homophobie de l’institution, la pédophilie
dans l’Eglise, ses positions sur l’avortement, la contraception, la sexualité, les
prix exorbitants exigés par les hôpitaux, les universités et les écoles
catholiques, etc. Aucun sujet n’est tabou, la journaliste a entièrement raison.
Elle a parfaitement le droit de les soulever et à juste raison. Ainsi soit-il,
on ne peut que s’en féliciter de cette extraordinaire liberté d’expression qui
règne au pays du Cèdre.
Cependant,
je le dis d’emblée et sans détour, je
fus déçu par la qualité de ce texte et la nature de ces reproches. Et « déçu » n’est qu’un euphémisme. Joumana Haddad, je la connais de nom.
Elle est responsable des pages culturelles du prestigieux quotidien Al-Nahar et dirige la revue
trimestrielle Jassad depuis 3 ans, « le premier magazine sur le corps du
monde arabo-musulman », comme on a coutume de le présenter. La Franco-Libanaise de 42 ans est l’auteur de nombreux ouvrages, traduits dans plusieurs
langues. Elle a reçu de nombreux prix également, dont celui du journalisme arabe
en 2006. La chaine CNN l’a récemment considéré comme un ténor de la culture
libanaise, aux côtés de Nadine Labaki, Danielle Arbid et Zeid Hamdan. Donc, étant
donné la réputation dont elle jouit, je m’attendais à me régaler à sa lecture. Bof, bof, c’était
plutôt bof !
Ce
qui me chiffonne dans cette lettre c’est qu’une militante notoire des droits de
la femme comme elle, aborde des sujets
aussi graves d'une manière aussi superficielle. Le
passage qui permet de bien mesurer l’abime de cette médiocrité est sans
conteste la caricature qu’elle fait des
relations sexuelles vues par l’Eglise : « We need to keep on
pretending to believe that every time a man penetrates a woman, the Holy Spirit
is there hovering above them (what a kinky voyeur that would make God); and
that sex is a “sacred” practice invented only for procreation purposes.
Catholics, behold your factory of frustrations called the Vatican. » Si Joumana Haddad est sortie traumatisée de l’éducation
de son pater familias et des bonnes sœurs, il faut qu’elle sache que ce n’est
point le cas de tout le monde. En dépit de mon éducation chrétienne et de mes études
suivies dans une école catholique -j’ai eu peut être la chance d’avoir des
parents d’une ouverture d’esprit exceptionnelle- je pense avoir une vie
sexuelle épanouie, faire l’amour pour moi n’est ni pour procréer ni un devoir
conjugal et enfin, lorsque je m’adonne à l’acte charnel je ne vois pas le
Saint-Esprit accroché au baldaquin de mon lit, Dieu merci, et je ne pense
pas être seul au monde, ouf, quel soulagement ! Certes, l’éducation sexuelle dans les familles et
les écoles chrétiennes est défaillante. Dieu sait à quel point la sexualité
au Liban est un tabou tenace, qu’il est difficile de la vivre
« normalement » et qu’il faut épurer la société libanaise de son
puritanisme excessif. Mais bordel, personne n’attend du Vatican, une version
illustrée et commentée du guide de Kamasoutra ! C’est ni son job, ni sa
prétention, ni son fonds de commerce.
Par
contre, on attend beaucoup de celle
qui s’affiche comme féministe, laïque et agnostique, et qui de surcroit a la
prétention de vouloir libérer la femme arabe de ses carcans. Passons sur
certains clichés ridicules de la militante des droits du « sexe
faible » qui veut absolument se faire passer pour une femme émancipée en
se laissant photographiée fréquemment avec un cigare de 1 inch, comme les grotesques
mecs à mocassin du Lina's de l'ABC autrefois... Ya Allah, avec la nouvelle loi
anti-tabac ces pauvres gens se retrouvent en chômage de frime ! Ils s'en remettront... Ah un
instant, j’entends des voix, sans doute le Saint-Esprit, « Ne vous égarez pas mon cher BB, continuez sur votre lancée... je
vais intercéder en votre faveur auprès du bon Dieu ». Rassuré, je
continue. Passons aussi, sur le drôle d’agnosticisme de celle qui pour
divorcer, changea de religion, grec-catholique au départ elle devint syriaque-orthodoxe,
mais tint quand même à baptiser ses enfants. Bassita, on la croit sur parole. Mais, si
elle pouvait joindre le geste à la parole, nous ne serons que plus convaincus. Cela
va de soi. Hélas, ce n’est pas le cas. Dans
une interview accordée au Monde Magazine il y a près de 2 ans, là où on a fait
connaissance, la laïque-agnostique ne s'était pas rendue compte qu’un livre du marquis de Sade, Justine ou les malheurs de la vertu, trônait
à côté d’une figurine de Sainte Rita sur un rayon de sa bibliothèque dans
son appartement sur les hauteurs de Jounieh. Non ce n’est pas une scène du nouveau
film de Kusturica, c’est véridique de vérité. Un mélange des genres pas très catholique.
Et quand la journaliste française lui a fait la remarque, la poète libanaise
expliqua à son interlocutrice que grâce à ce livre découvert à l’âge de 12 ans,
« Sade m’a émancipé du poids de ma
religion, de ma société et des tabous du langage ». Soit ! Il faut savoir que Justine raconte les
malheurs d’une vertueuse orpheline de 12 ans lâchée dans la cruauté de ce monde
où elle sera violée, violentée, abusée et maltraitée, sans connaître le moindre répit durant sa courte vie ; elle subira toutes sortes de cruautés, les méchants étant le plus souvent des hommes d’Eglise. Et pour Sainte
Rita ? La journaliste libanaise laissa entendre que la sainte figurine
n’était là que pour faire plaisir à sa mère. Drôle d’« émancipation
religieuse » quand même. Soyons indulgents, avec une mère
méditerranéenne et le poids de toute relation mère-fille, il est peut être difficile de faire
autrement, même lorsqu'on veut faire « genre », même quand on
s’appelle « Joumana Haddad » et même quand on se fixe comme mission
de « libérer la femme arabe ». Au passage, Napoléon dit de Justine que c’était « le livre le plus abominable qu’ait enfanté l’imagination la plus
dépravée ». Absolument mon général.
Le
comble dans tout cela, c’est que Joumana Haddad y croit vraiment. Dans son
livre « J’ai tué Schéhérazade. Confessions d’une femme arabe en colère »
(Saqi Books et Actes Sud 2010), elle a tenté d’assassiner -mais n’a pas réussi
malgré l’utilisation avec suffisance du passé composé- la « Schéhérazade qui existe dans l’imaginaire occidental, objet d’une
adoration écœurante de la part des adeptes de l’exotisme orientaliste » et la
« Schéhérazade locale, la femme arabe qui
geigne et ne fait rien, qui opte pour les concessions plutôt que la rébellion,
qui n’arrête pas de négocier sur ses droits basiques et qui raconte des
histoires à l’homme pour pouvoir survivre ». Du pur baratin oriental pour journaliste
occidental en quête de sensationnalisme ! Mais c'est quand même vendeur une femme arabe
qui déteste Schéhérazade et lit Sade dès l’âge de 12 ans ! Et comment elle
compte procéder ? Afin de libérer la femme arabe, son plan d’action passe
évidemment par ses livres ainsi que sa revue et prévoit justement la traduction de l’œuvre du marquis de Sade en arabe.
Stupéfiant ! Libérer la femme arabe en tuant Schéhérazade et en ressuscitant
le marquis de Sade, on aurait tout vu au Liban. Tout cela est très aguicheur pour qui connait mal et Schéhérazade et le marquis de Sade ! En y réfléchissant bien, il y a une cohérence
psychanalytique tout de même. Joumana Haddad en veut viscéralement à Schéhérazade,
l’archétype de la femme orientale pleinement épanouie, intelligente et sensuelle,
qui de ce fait lui rappelle douloureusement son éducation sévère de jeune fille. Par contre, elle est toute indulgente, en connaissance de cause ou par
ignorance, à l’encontre du marquis de Sade, emballée sans doute par les clichés
simplistes sur l’aristocrate libertin, qui lui permet de se venger de
l’éducation chrétienne sévère qu’elle a reçue, de ses parents et des bonnes sœurs,
esquivant dans ce désir de vengeance le fait que le comte parisien incarne en
chair et en os un machisme répugnant qui fornique avec un sadisme pathologique.
Pour
résumer « Sade » en trois
mots, pas le Sade des œuvres de fiction mais le Sade de la vie réelle, disons qu’au-delà du libertinage de l'aristocrate parisien du 18e siècle, le marquis était à la fois un adepte de mettre la femme sexuellement à l’entière
disposition de l’homme, quel que soit son âge, même très jeune, un adepte sans scrupule de l'abus de la crédulité de la classe pauvre, et surtout un adepte du recours à tous les
moyens pour jouir de ses partenaires, y compris ceux les plus brutaux
(flagellation, abus, torture et sodomie). Et ce n’est point par hasard s’il a
passé un tiers de sa vie en prison (27 ans au total), et sous tous les régimes
politiques (monarchie, république, consulat et empire). Quant à son œuvre
littéraire, même pour le Larousse contemporain, elle forme « le double
névrotique et subversif des philosophies naturalistes et libérales du siècle
des Lumières ». Le « sadisme » -qui fait référence aux actes de
cruauté dans ses œuvres mais aussi dans sa vie- a un pater, c’est le marquis de
Sade en personne ! Bref, défendre
les droits de la femme arabe, avec l’aide d’une figure occidentale aussi infâme
que le marquis de Sade, est ce que j’ai lu de plus absurde de toute ma vie.
Quant
à la tendre Schéhérazade, « tendre »
de par l’affection que je porte à ce personnage, il faut que la suffisante
Joumana Haddad accepte humblement l’idée que les femmes arabo-persanes dans Les
Mille et une Nuits étaient admirablement épanouies, en tout cas plus
qu’elle, contrairement à ce qu’elle laisse entendre dans sa propagande. Ce chef-d’œuvre de la littérature orientale, qui figure en première place parmi
mes livres favoris -quand Joumana Haddad lisait Justine ou les malheurs de la vertu du marquis de Sade, Bakhos
Baalbaki lisait, que dis-je, s’émerveillait, rêvait et vivait pleinement même, Les Mille et une nuits de Schéhérazade !-
mérite d’être considéré comme patrimoine littéraire de l’humanité. Et qu’au lieu de chercher désespérément à tuer Schéhérazade
pour libérer la femme arabe -qui n’est pour rien, pas plus que Benoît XVI
d’ailleurs, si elle a eu le malheur de tomber sur un père aussi conservateur au
point de l’empêcher d’aller au cinéma- elle aurait mieux fait de l’encenser, en
tout cas d’aller chasser ailleurs que sur ce terrain. Les Mille et une nuits, qui
ont près de mille ans, sont un des plus beaux témoignages de l’âge d’or des
civilisations arabe et persane, témoignages d’une époque florissante où rien,
absolument rien, n’était tabou dans la société islamique à l’arrivée des
Croisés ! Si Schéhérazade a marqué autant l’imaginaire des sociétés
arabes et occidentales, c’est justement grâce à ses histoires extraordinaires de
la vie, qui racontent les aventures et les mésaventures d’hommes et de femmes
de tous horizons et de tous les milieux sociaux. Des histoires teintées par les
intrigues et les ruses, la sagesse et la poésie, l’amour et l’eau fraîche, les
bons plats et les parfums d’Orient, la féminité et le raffinement, l’hédonisme
et l’érotisme, les fantasmes et les délires, et par tout ce que la vie porte en
elle de plus merveilleux. Des histoires où la liberté de ton ne souffrait d’aucune censure (bien
avant que l’esprit détraqué du marquis ne ponde ses obscénités à trois francs six sous), où se faire
désirer est élevé au rang d’un art de vivre, où il n’y avait pas à éprouver la moindre
culpabilité à faire l’amour, où le puritanisme n’avait pas droit de cité, où le
fanatisme ne faisait pas parti du lexique commun, et cætera, etcétéra, etc. Des
Mille et une nuits, tout le monde
connait Les Aventures de Sindbad, Ali
Baba et les quarante voleurs, Aladin et la lampe merveilleuse ! Mais
beaucoup de gens ignorent, Joumana Haddad en tête, que ce livre mythique contient sans aucun doute, les passages les plus
érotiques de la littérature mondiale. Les contes « La Tisserande de la
nuit » et « Le Portefaix et les dames »,
sont des exemples parmi tant d’autres, où les histoires olé olé s’imbriquent
les unes dans les autres, où l’érotisme vient ponctuer les aventures des personnages, où la femme orientale apparait libérée de
tous les tabous liés à la sexualité et à la religion, et qui traumatisèrent
Joumana Haddad dans sa jeunesse. D’ailleurs, je doute fort bien qu’elle
pourrait même les publier dans son magazine, sachant que l’écrasante majorité
de ses abonnées sont des saoudiennes. En tout cas, il est normal que dans
une œuvre aussi volumineuse, aussi ancienne et aux nombreux auteurs, de
retrouver ce qui peut choquer la bienséance des féministes de pacotille et de
paillettes d’aujourd’hui. Mais il n’empêche que Les Mille et une nuits est la
meilleure preuve qui soit, pour l’humanité toute entière, que la religion, musulmane
de surcroit, ne constitue pas une entrave pour jouir de la vie, n’en
déplaise à Joumana Haddad & Co ! Enfin, j’ose espérer que ces quelques
lignes convaincront la talentueuse Joumana Haddad, de changer le titre de son
livre à la prochaine édition, d’arrêter sa propagande anti-Schéhérazade et de
se consacrer à Jassad, qui a toute sa
place dans la société libanaise.
Au total, disons
que Joumana Haddad a adressé à Benoît XVI une lettre d’une banalité qui est
sans commune mesure ni avec sa réputation ni avec les enjeux de cette visite. Dans ce contexte
historique, des reproches tous azimuts à l’encontre de l’Eglise catholique, pour
régler de vieux contentieux avec de vieux démons, formulés avec une médiocrité
consternante, n’ont nullement leur place et ne sont d’aucune utilité publique. Se
contenter de balancer des généralités évasives
n’apporte absolument rien au débat, ni pour enclencher la révolution religieuse
ni pour avancer sur le terrain des droits de la femme, ni au Liban ni dans le
monde arabo-persan. Au pire, c’est de la poudre aux yeux ; au mieux, de
la mousse pour un bain médiatique !