Quand
Barack Obama m’a contacté par télépathie, le moyen de communication le plus protégé
à ce jour, afin que je me charge d’expliquer
l’enjeu de l’accord conclu ce week-end à Genève, je n’étais pas disposé au
départ à répondre favorablement à sa requête, me trouvant haut perché, pour
m’adonner à une activité amusante qui me permet de joindre l’utile à
l’agréable, aérer mon esprit, délester mes neurones, élaguer mes arbres!
Eh oui, les arbres ont besoin d’être élagués régulièrement, les esprits aussi,
les actualités plus que tout. Avec certaines analyses d’entrée de gamme, il y a
de quoi perdre le nord et son arabe au Moyen-Orient.
Il
faut sans doute aller au-delà de la brièveté insignifiante d’un tweet pour
comprendre ce qui s’est réellement passé à Genève, après la conclusion de
l’accord sur le dossier nucléaire iranien. « We have reached an agreement »
de Mohammad Javad Zarif, ne permet pas du tout de saisir la nouvelle donne orientale.
Son grand sourire non plus. La propagande de ses alliés libanais, Hassan
Nasrallah et Michel Aoun, encore moins. Certes, le ministre iranien des
affaires étrangères et ses alliés libanais sont soulagés par cette entente, qui évite l’humiliation
de nouvelles sanctions contre l’Iran, mais ce soulagement est sans doute proportionnel
à l’importance de l’étranglement que vit la République islamique d’Iran depuis
quelques années.
Le
programme nucléaire iranien a commencé sous le Shah en 1953. La Révolution
islamique, puis la guerre Iran-Irak l’a relégué au second plan. Sa reprise et
son orientation militaire furent découvertes en 2002. Et depuis cette date, le régime des mollahs n’a cessé de mentir sur
ses recherches atomiques. Sans l’ombre d’un doute, tout le monde sait que le programme nucléaire de l’Iran n’est pas
civil comme le prouvent, entre autres, son stock de 186 kg d’uranium enrichi
à 20 % et les 19 000 centrifugeuses qu’il détient, deux chiffres qui vont
bien au-delà de ce qu’exige une exploitation civile de l’uranium pour la production
électrique et l’usage médical.
L’accord
de ce week-end est historique. Il faut dire que l’enjeu du dossier nucléaire
iranien est colossal. On peut le résumer en une question toute simple. Est-ce que le monde peut assister passivement
à l’acquisition un jour de l’arme atomique par la République islamique d’Iran ?
La réponse est incontestablement, NON. Et ce ne sont pas les raisons qui
manquent. J’en vois essentiellement trois.
D’abord,
parce que le régime iranien est un
régime théocratique à tendance fasciste. Il sera donc dangereux pour la sécurité internationale, notamment
pour le Moyen-Orient, de laisser ce régime fanatique, détenir une arme de
destruction massive. D’autant plus que l’Iran est inscrit par les États-Unis
depuis 1992 sur la liste noire des pays soutenant le terrorisme.
Ensuite,
parce que le programme nucléaire iranien
n’est pas entrepris dans un but dissuasif. L’Iran des mollahs veut détenir
l’arme nucléaire pas pour dissuader Israël de l’attaquer, encore moins pour attaquer
Israël, mais tout simplement pour
accroitre sa capacité d’ingérence et de nuisance dans les pays arabes.
Ainsi, l’arme nucléaire pour l’Iran est un moyen de s’imposer comme un acteur
incontournable dans tous les pays arabes ayant une communauté chiite ou
apparentée (alaouite). Du Liban à l’Arabie saoudite, en passant par l’Irak, la
Syrie, le Yémen et le Bahreïn, les ingérences iraniennes dans les affaires du
monde arabe ne sont plus à démontrer. La plus ostentatoire étant celle du
double soutien militaire et financier au régime syrien, une assistance qui
allonge l’espérance de vie du régime alaouite de Bachar el-Assad.
Enfin,
parce que l’acquisition de l’arme
nucléaire par l’Iran, poussera inévitablement les pays arabes du Golfe à la
course aux armements de destruction massive, faisant de la région explosive
du Moyen-Orient, déjà avec les armes conventionnelles, la zone la plus
dangereuse du monde. Et même avec des dirigeants responsables et de bonnes
intentions, le risque d’accidents graves, involontaires ou pas, ne sera jamais
écarté pour toutes les populations de la région.
Voilà
pourquoi le programme nucléaire iranien préoccupait le monde entier, notamment
les pays arabes, depuis une dizaine d’années. Et le fait qu’Israël possède des centaines de têtes nucléaires,
n’était pas une raison convaincante pour laisser produire dans la région des
centaines d’autres têtes nucléaires, et les placer entre les mains d’un régime
fanatique qui n’a jamais caché son soutien direct et indirect au terrorisme
dans le monde (régime syrien, Hezbollah libanais, Hamas palestinien, etc.). En
tout cas, il est prématuré et sans doute illusoire d’espérer que les braves
pays permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne, vont un jour se pencher avec
la même ardeur qu’ils ont montré dans le dossier chimique syrien et le dossier
nucléaire iranien, sur les dossiers nucléaires, chimiques et bactériologiques israéliens,
un arsenal d’armes de destruction massive qui constituent une très grave menace
pour tous les pays du Moyen-Orient. Les
pays occidentaux devraient œuvrer comme le demandent les pays arabes, notamment
l’Arabie saoudite, à l’élimination des armes de destruction massive du
Moyen-Orient. En pratique, il faudrait déjà commencer par obliger Israël
dans un premier temps, à reconnaître être probablement la
3e puissance nucléaire au monde après la Russie et les États-Unis, et détenir
autant d’ogives nucléaires que la Chine, la France ou la Grande-Bretagne (soit
80 à 400 au total ; l’État hébreux produirait une quinzaine de nouvelles
bombes par an), et dans un deuxième temps, à signer le Traité sur la
Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP).
L’accord de Genève n’aurait
jamais pu avoir lieu sans les sanctions. Et des sanctions, il y en a de plus en
plus depuis le début de la révolution islamique de Khomeiny en 1979, à cause du programme nucléaire, mais aussi pour
des raisons liées aux violations des droits de l’homme en Iran et au soutien au
terrorisme dans le monde. Elles ont touché notamment les domaines
pétroliers et financiers, là où ça devait faire le plus mal. Elles étaient
prises soit unilatéralement par divers arabes et occidentaux, notamment les États-Unis et l’Union européenne, soit par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Cela va du gel des avoirs iraniens à toutes sortes d’interdiction, échange de
biens et de services, commerce de pétrole et investissement dans l’industrie
pétrolière iranienne. Le pays est même exclu du réseau SWIFT ce qui a restreint
les transactions interbancaires entre les banques iraniennes et celles du reste
du monde. L'Iran est privé de l'accès à pratiquement toutes les transactions
avec la plus grande économie du monde. Les
années 2012 et 2013 ont été deux années noires pour l’Iran qui a vu les
sanctions américaines, européennes et onusiennes, toutes renforcées,
notamment en ce qui concerne la monnaie iranienne (mesure prise par les États-Unis), ainsi que l’embargo pétrolier et le gel des avoirs de la Banque
centrale iranienne (mesures prises par le Conseil européen). Ainsi, il faut
bien comprendre que l’accord de ce week-end ne tombe pas du ciel et n’est pas
un acte de bienfaisance unilatéral des Iraniens. Il est le fruit de mesures
imposées à l’Iran, qui croulent sous le poids des sanctions. Elles ont fini par
pousser ce pays belliqueux à mettre de l’eau dans son vin.
Cet accord n’aurait
jamais pu avoir lieu sans le soutien de Vladimir Poutine et sans
l’intransigeance de François Hollande, non plus. Autant les Russes
s’en foutaient de l’arsenal chimique de leur lointain allié syrien, qui ne
représentait aucune menace pour leur sécurité, autant ils n’avaient aucun
intérêt d’avoir un voisin peu commode détenir des missiles balistiques
nucléaires. Quant à la France, sans l’intraitable ministre français des
Affaires étrangères, Laurent Fabius, le secrétaire d’État américain John Kerry,
était prêt à pavoiser avec un accord incomplet, il y a déjà une dizaine de
jours. Cependant, nul ne peut nier que l’accord d’aujourd’hui est avant tout l’œuvre personnel de Barack
Obama. « Depuis que j'ai pris mes
fonctions, j'ai dit clairement ma détermination à empêcher l'Iran d'obtenir
l'arme nucléaire. » C’est clair, et pourtant cela a échappé aux petits
esprits médisants.
L’accord
établi ce week-end est incontestablement une avancée importante pour l’humanité.
Toutes les populations du Moyen-Orient peuvent s’en féliciter. Cette bonne nouvelle renvoie naturellement
à l’autre bonne nouvelle pour la région, le processus d’élimination de
l’arsenal chimique syrien, après l’acceptation du tandem Assad-Poutine de
s’en débarrasser pour éviter l’humiliation des frappes militaires occidentales.
Sachez au passage que l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques
(OIAC) a validé à la mi-novembre le plan de destruction des 1 000 000
de litres d’agents chimiques syriens d’ici le 30 juin 2014, dont quelques litres
ont suffi au régime syrien pour exterminer 1 500 civils en quelques
minutes, le 21 août 2013, dans la banlieue de Damas (massacre de Gouta).
Les négociations de
Genève opposaient la République islamique d’Iran aux P5+1, les membres permanents du Conseil de
sécurité de l’ONU en plus de l’Allemagne (États-Unis, France, Grande-Bretagne,
Chine, Russie, Allemagne). Qu’on ne s’y trompe pas, bala tahwajé wala man ya7zarounn, comme l’a précisé la Maison Blanche qui a publié les termes de l’accord
historique, « l’objectif (des
négociations) était de parvenir à une solution diplomatique vérifiable qui
empêcherait l'Iran d'obtenir une arme nucléaire ».
Dans ce but, selon
les termes de cet accord préliminaire, l’Iran s’engage à :
- arrêter tout enrichissement
de l’uranium supérieur à 5 % et à démanteler les processus techniques
qui le permettent (l’uranium naturel ne contient que 0,7 % d’uranium 235,
fissile, l’isotope nécessaire à l’usage civil et militaire ; selon l’AIEA,
l’Iran possède déjà plus de 6 774 kg d’uranium enrichi à 3,5 %);
- ne pas installer
de nouvelles centrifugeuses pour l’enrichissement (qui permettent de
concentrer l’uranium 235); rendre inutilisable la moitié des centrifugeuses du
site Natanz et les trois quarts de celles de Fordow ; ne pas utiliser de centrifugeuses
de nouvelles générations ; limiter la production de centrifugeuses à
celles nécessaires au remplacement des machines endommagées (au grand mécontentement
d’Israël) ;
- ne pas accroitre son stock d’uranium
enrichi à 3,5 % ;
- diluer la totalité de son stock d’uranium
enrichi à plus de 20 % pour descendre en-dessous de 5 % (exigé par la
France ; une fois l’enrichissement atteint les 20%, processus long, il est
plus rapide de passer à un enrichissement de 90 %, nécessaire pour fabriquer
une bombe nucléaire)
- arrêter son projet
de développement du réacteur nucléaire au plutonium d’Arak (exigé par la
France ; ce projet démarré en 2004, pouvait à terme constituer une
alternative à l’uranium pour fabriquer une bombe nucléaire) ;
- se soumettre aux contrôles et vérifications
nécessaires de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), dont
les visites quotidiennes des sites de Natanz et Podow, l’accès aux sites
d’assemblage des centrifugeuses, l’accès aux mines et usines d’uranium, la
fourniture des informations sur le réacteur d’Arak.
En contrepartie, les
P5+1, s’engagent à :
- ne pas imposer de
nouvelles sanctions contre l’Iran au cours des six prochains mois si l’Iran
respecte ses engagements ;
- alléger certaines
sanctions concernant
le commerce des métaux précieux, le secteur de l’automobile, les exportations
pétrochimiques dégageant 1,5 milliard de dollars ;
- garder les achats de
pétrole iranien au niveau très réduit actuellement (60 % de moins qu’il y a deux
ans) ;
- débloquer 4,2
milliards de dollars d’avoirs provenant de ces ventes si l’Iran respecte
ses engagements ;
- autoriser le
transfert de 400 millions de dollars à des organismes iraniens pour couvrir les
frais de bourses d’étude des étudiants iraniens à l’étranger ;
- faciliter les
opérations humanitaires qui sont déjà autorisés, notamment les achats
alimentaires et médicaux.
Il
convient de préciser que si certaines mesures
coercitives seront levées, toutes les sanctions imposées par le Conseil de
sécurité de l’ONU resteront en place (on compte quatre résolutions à ce
jour), ainsi que la « grande majorité » de celles imposées par les pays
occidentaux (Etats-Unis, Union européenne, Canada, etc.) et les pays négociateurs, P5+1. Comme celles contre les
banques et les organismes financiers iraniens, y compris la banque centrale
iranienne, notamment le gel des avoirs de certains ressortissants iraniens
à l’étranger (plusieurs centaines de personnes), l’embargo sur les armes, les sanctions
financières, les restrictions commerciales, les sanctions contre plusieurs
secteurs de l’économie iranienne, les restrictions de la liberté de circulation
de certaines personnes, les inspections des navires et des avions iraniens, j’en
passe et des meilleures. Comme l’a précisé la Maison Blanche, « Toutes
nos sanctions ciblées liées à l'état de soutien de l'Iran au terrorisme, son
rôle déstabilisateur dans le conflit syrien, et son bilan catastrophique des
droits de l’homme, entre autres préoccupations, demeurent en vigueur... Les P5+1
continueront à les appliquer vigoureusement ». On dit que l’argent
est le nerf de la guerre, et pour cause ! Pour mesurer le poids des
sanctions qui resteront en place, deux chiffres. Le premier, en
apéro : 100 milliards de dollars en réserves de change demeurent
inaccessibles au régime iranien. Le second, le plat de résistance : les sanctions pétrolières seules
entraineront un manque à gagner pour l’Iran de 30 milliards de dollars pour
cette période de test, soit 5 milliards
$ /mois, par rapport aux chiffres de 2011 (avant l’entrée en vigueur de ces
sanctions).
Les négociations
continueront durant les six mois de test afin de trouver « une solution qui nous donne suffisamment de confiance que le
programme iranien est pacifique ». Selon les P5+1, la solution complète
devra « limiter le programme
nucléaire de l'Iran sur le long terme, fournir des garanties vérifiables à la
communauté internationale que les activités nucléaires de l'Iran seront
exclusivement pacifiques, et veiller à ce que toute tentative de l'Iran de
poursuivre une arme nucléaire serait détectée rapidement... Dans le cadre d'une
solution globale, l'Iran doit également entrer en pleine conformité avec ses
obligations au titre du TNP et de ses obligations envers l’AIEA. » En deux mots : « rien n'est convenu tant que tout n'est pas convenu. »
Ainsi, l’Iran se
trouve devant un choix fatidique. Soit la République islamique prouve d’ici
six mois qu’elle est de bonne foi, pour négocier et signer une solution globale
juste à son programme nucléaire, et « assurer
à la communauté internationale que ses activités nucléaires resteront
pacifiques », ce qui lui permettra de rompre son isolement, soit il y
aura de nouvelles sanctions qui renfonceront son isolement de la communauté
internationale. Pour l'instant, tout se passe dans un esprit d'ouverture et dans la concertation entre Hassan Rohani, le nouveau président de la République islamique d'Iran et le Guide suprême, wali el-fakih, Ali Khamenei. Jusqu'où et jusqu'à quand, nul ne le sait. Dans tous les cas, les deux hauts personnages du régime des mollahs sont conscients des mises en garde de la communauté internationale. « Si l'Iran ne peut pas répondre à nos préoccupations, nous (P5+1)
sommes prêts à augmenter les sanctions et la pression. » Que
personne ne s’y trompe, le monde entier, des États-Unis à la Russie,
n’acceptera pas que l’Iran détienne l’arme atomique un jour. « En tant que président (des États-Unis) et
commandant en chef (des forces armées américaines), je ferai ce qui est
nécessaire pour empêcher l'Iran d'obtenir l'arme nucléaire. Mais, j'ai une
grande responsabilité pour tenter de résoudre nos différends de façon pacifique,
plutôt que de se précipiter vers le conflit. Aujourd'hui, nous avons une réelle
opportunité de parvenir à un règlement pacifique et global, et je crois que
nous devons le tester. » Et ce n'est pas pour
rien que Barack Obama est prix Nobel de la paix. Rideau, jusqu'au prochain acte.