lundi 4 novembre 2013

Bilan d’Obama : les lacunes d’un directeur de recherche libanais d’un think tank français (Art.190)


C’est un ancien de l’ENA (Ecole Nationale d’Administration) et de Sciences Po (Institut d’Etudes Politiques de Paris). Il est spécialiste du Moyen-Orient. Il dirige un cabinet de conseil en stratégie, communication et affaires publiques. Il enseigne les relations internationales, la philosophie politique et le management. Il est également directeur de recherche à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), une association créée en 1991, qui est actuellement considérée comme le think tank le plus influent en France. C’est pour vous dire que lorsque Karim Émile Bitar dresse dans L’Orient-Le Jour d’aujourd’hui, le bilan temporaire du second mandat du président américain, Barack Obama, ça vaut la peine de s’y arrêter un bon moment.

A l’arrivée, on a une excellente analyse et un tableau globalement satisfaisant, sauf sur la Syrie. Cible ratée. « Il est incontestable que la crise syrienne restera comme une tache indélébile sur le bilan d’Obama... il a semblé froid, calculateur et insensible face à l’ampleur de la tragédie syrienne. En soi, l’hésitation n’est pas un défaut..., le problème est que le chef de la première puissance ne peut pas se permettre d’afficher ainsi aux yeux du monde son hésitation, d’autant plus que sa stratégie moyen-orientale manque de lisibilité. » Désolé, mais Karim Émile Bitar se trompe de diagnostic. Même le choix de cette photo d’Obama, pour accompagner l’article, et surtout, pour orienter le lecteur dans cette direction, ne pourra pas produire les effets escomptés. Hélas pour tous, la réalité est ailleurs.

Dans les grandes lignes du bilan de l’actuel président américain, pour se limiter à la Syrie, on peut parler de tout sauf de cette ridicule histoire d’hésitation. Depuis deux ans et demi, on nous rabâche les oreilles et les yeux, à longueur de journée et de colonne, avec l’hésitation d’Obama. Pour faire court, ce n’est pas parce que Obama n’a pas voulu produire un remake des exploits dantesques de W, George W. Bush, le cowboy de la maison blanche entre 2000 et 2008, que l’on peut dire « il a semblé froid, calculateur et insensible face à l’ampleur de la tragédie syrienne ». Ces propos généralistes sont inexacts, déplacés et inadaptés au contexte. Au fait, il est étonnement curieux de constater que l’hésitation d’Obama est un point brandit essentiellement par deux catégories de gens : les obamaphobes sans frontières et les interventionnistes en Syrie.

La stratégie de l’administration américaine depuis le 15 mars 2011 est claire comme l’eau de source. En voilà une preuve. Quelques mois après le début de la révolte syrienne, le président américain a déclaré texto : « Il appartient au peuple syrien de déterminer son avenir... Nous avons à maintes reprises déclaré que le président Assad devait soit mener une transition démocratique - ce qu'il n'a pas fait - soit s'écarter de la voie. Dans l'intérêt du peuple syrien, le temps est venu, pour le président Assad, de se retirer... Les États-Unis ne sauraient imposer cette transition à la Syrie. Il incombe aux Syriens de choisir leurs chefs et nous les avons entendus exprimer leur vif désir qu'il n'y ait aucune intervention étrangère dans leur mouvement... Le peuple syrien devra s'armer de patience pour obtenir la justice qu'il mérite. Il y aura encore des luttes et des sacrifices. » Tout était là, limpide, il n’y avait vraiment pas de quoi tirer des plans sur la comète. Et puis, indépendamment de la complexité du dossier syrien, mais enfin, quelqu’un qui s’est fait élire, entre autres, sur sa promesse de désengagement des États-Unis du bourbier irakien, n’allait quand même pas se lancer dans le bourbier syrien, surtout après les ratés libyens ! Impensable. Que Barack Obama ait raison ou pas dans ses choix est une chose, que cette politique soit hésitante et manque de lisibilité en est tout autre. Dans tous les cas, en politique comme dans toute analyse, il ne faut jamais prendre ses désirs pour des réalités.

Au passage, je voudrais rappeler un détail sur Barack Obama que peu de gens connaissent, mais qui permet pourtant de mieux comprendre les choix politiques du prix Nobel de la paix. Quand les néoconservateurs américains ont décidé d’envahir l’Irak pour des raisons idéologico-financières, appuyés plus tard même par les démocrates, Barack Obama fut parmi les rares personnalités américaines à prendre le risque de déclarer publiquement son opposition à cette intervention, et Dieu sait avec quelle simplicité on peut être accusé d’antipatriotisme aux USA quand l’Amérique entre en guerre. « Je ne suis pas opposé à toutes les guerres. Je suis opposé à une guerre stupide. Une guerre irréfléchie. Une guerre basée non pas sur la raison, mais sur la passion, non sur les principes, mais sur la politique. » Eh bien, ça résume le bonhomme. C’était en octobre 2002, bien avant de découvrir que Colin Powell, le Secrétaire d’État de W avait menti devant le Conseil de sécurité et que le président irakien Saddam Hussein ne cachait aucune arme de destruction massive, Obama n’était alors qu’un sénateur de l’État de l’Illinois.

A propos de l’Irak justement, une étude conduite par des chercheurs américains, canadiens et irakiens sur les pertes humaines, sans doute la plus précise à ce jour, et publiée à la mi-octobre dans la revue scientifique PLOS Medecine, estime que 500 000 Irakiens sont morts entre 2003 et 2011, durant la période d’occupation américaine de l’Irak, un tiers par les forces de la coalition internationale et un tiers par les milices irakiennes, un peu moins de deux tiers au cours de violences diverses (combats, bombardements, attentats...) et un peu plus du tiers des conséquences indirectes de la guerre (problèmes sanitaires, manque de nourriture, choc post-traumatique, criminalité...). Près de 4 500 soldats américains sont morts durant ce conflit et 33 000 ont été blessés. La troisième guerre du Golfe a coûté 4 000 milliards de dollars aux contribuables américains. Depuis le retrait américain de ce pays, les Irakiens meurent à un rythme pouvant atteindre 1 000 personnes par mois. C’est sans parler du fait que l’Irak post-W est entièrement sous l’emprise de la République islamique d’Iran. Bref, tout président américain qui ne tiendrait pas compte de la désastreuse expérience américaine en Irak, serait purement et simplement, un imbécile. « Cette étude fera réfléchir à deux fois (les États) sur les conséquences d'une invasion et fera prendre un peu plus conscience de son coût en vies humaines », conclut Amy Hagopian, experte en santé publique à l'université de Washington, qui a dirigé l’équipe de chercheurs.

Pour revenir au conflit syrien, il est inutile de chercher des boucs émissaires. Je l’ai montré dans le passé, je le dis et je le répète aujourd’hui. La brutalité et la sauvagerie du régime syrien ne sont plus à démontrer. Il n’empêche que la militarisation et la généralisation du conflit syrien par les rebelles furent une grave erreur tactique, pour les populations syriennes et libanaises. Ni Obama, ni la communauté internationale, n’y était pour quelque chose. La solution au conflit syrien et le remède « à la souffrance des Syriens » se trouvent à Genève et nulle part ailleurs, encore moins entre les mains de Barack Obama.

Enfin, je ne comprends pas comment on peut dresser le bilan d’Obama sans faire mention de l’engagement du processus de destruction de l’arsenal chimique syrien. Pas un seul mot. Le zapping total. C'est à peine croyable ! Et pourtant, grâce à la stratégie d’Obama, qui a d’une part, fixé dès l’été 2012 une ligne rouge au régime syrien en l’avertissant que toute utilisation d’armes chimiques dans la guerre civile entrainera de graves conséquences, et qui a d’autre part, menacé le tandem syro-russe de frappes aériennes après le massacre chimique de Damas à l’été 2013, Bachar el-Assad et Vladimir Poutine ont accepté sans aucune condition, étant donné la culpabilité du régime syrien dans cette tragédie abominable, l’idée lancée par John Kerry, le Secrétaire d’État américain, de détruire l’arsenal chimique syrien avant le mois de juin 2014. La semaine dernière, les inspecteurs de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), prix Nobel de la paix, ont placé hors d'état de nuire les armes chimiques syriennes déclarées, produites sous le règne de la tyrannie des Assad, père et fils. L'OIAC s’est dite « satisfaite d'avoir inspecté, et d'avoir vu détruits, tous les équipements déclarés essentiels à la production, à l’assemblage et au remplissage » des installations syriennes d’armes chimiques.

Il est fort regrettable de constater qu’un grand nombre de Libanais et d’Arabes ne mesurent toujours pas la portée de cet événement historique. La région du Moyen-Orient a la chance inespérée aujourd’hui de se débarrasser de 1 000 000 de litres d’armes de destruction massive. Pour bien mesurer la portée de cette issue favorable, il faut se rappeler que quelques litres ont suffi pour exterminer dans la nuit du 21 août 2013 plus de 1 500 Syriens, dont 400 enfants, en quelques minutes. Cet arsenal chimique pouvait servir non seulement contre la population syrienne de nouveau, mais il aurait pu échappé au régime syrien, volontairement ou pas, pour tomber entre les mains des milices extrémistes et des djihadistes de tout poil, en Syrie, en Palestine et au Liban, au Hezbollah, à Jabhat al-Nosra, à l’Etat Islamique d’Irak et du Levant, au Hamas et à al-Qaeda. Inutile de préciser que c’est un énorme souci en moins. Certes, la vie au Moyen-Orient n’est pas rose pour autant, la guerre civile syrienne se poursuivra avec les armes conventionnelles, mais Syriens et Libanais peuvent respirer un bon coup, le spectre d'une attaque chimique programmée par le régime syrien ou par tout autre groupe terroriste, voire d'une propagation accidentelle, s'éloigne progressivement et se retrouvera bientôt complètement écarté. Qu'on l'appelle comme on veut, il s’agit de tout sauf « d’une tache indélébile sur le bilan d’Obama ». On peut minimiser la portée de cet événement, mais pas l'ignorer. On était en mesure de s'attendre qu'un directeur de recherche d'un « Institut de Relations Internationales et Stratégiques » en parle quand même. Enno walao !