C’est un ancien de l’ENA (Ecole Nationale
d’Administration) et de Sciences Po (Institut d’Etudes Politiques de Paris). Il
est spécialiste du Moyen-Orient. Il dirige un cabinet de conseil en stratégie,
communication et affaires publiques. Il enseigne les relations internationales,
la philosophie politique et le management. Il
est également directeur de recherche à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), une association créée en 1991, qui est actuellement considérée comme le think tank le plus influent en France.
C’est pour vous dire que lorsque Karim Émile
Bitar dresse dans L’Orient-Le Jour d’aujourd’hui, le bilan
temporaire du second mandat du président américain, Barack Obama, ça vaut la
peine de s’y arrêter un bon moment.
A l’arrivée, on a une
excellente analyse et un tableau globalement satisfaisant, sauf sur la Syrie.
Cible ratée. « Il est incontestable
que la crise syrienne restera comme une tache indélébile sur le bilan d’Obama...
il a semblé froid, calculateur et
insensible face à l’ampleur de la tragédie syrienne. En soi,
l’hésitation n’est pas un défaut..., le problème est que le chef de la première
puissance ne peut pas se permettre d’afficher ainsi aux yeux du monde son hésitation, d’autant plus que sa
stratégie moyen-orientale manque de
lisibilité. » Désolé, mais Karim Émile Bitar se trompe de diagnostic. Même
le choix de cette photo d’Obama, pour
accompagner l’article, et surtout, pour orienter le lecteur dans cette
direction, ne pourra pas produire les effets escomptés. Hélas pour tous, la
réalité est ailleurs.
Dans les grandes lignes du bilan de l’actuel président
américain, pour se limiter à la Syrie, on
peut parler de tout sauf de cette ridicule histoire d’hésitation. Depuis deux
ans et demi, on nous rabâche les oreilles et les yeux, à longueur de journée
et de colonne, avec l’hésitation d’Obama. Pour faire court, ce n’est pas parce
que Obama n’a pas voulu produire un remake des exploits dantesques de W, George
W. Bush, le cowboy de la maison blanche entre 2000 et 2008, que l’on peut dire « il a semblé froid, calculateur et
insensible face à l’ampleur de la tragédie syrienne ». Ces propos généralistes
sont inexacts, déplacés et inadaptés au contexte. Au fait, il est étonnement curieux de constater que l’hésitation d’Obama est un
point brandit essentiellement par deux catégories de gens : les obamaphobes
sans frontières et les interventionnistes en Syrie.
La stratégie de l’administration américaine depuis le 15 mars 2011 est
claire comme l’eau de source. En voilà une
preuve. Quelques mois après le début de la révolte syrienne, le président américain a déclaré texto :
« Il appartient au peuple syrien de déterminer
son avenir... Nous avons à maintes reprises déclaré que le président Assad
devait soit mener une transition démocratique - ce qu'il n'a pas fait - soit
s'écarter de la voie. Dans l'intérêt du peuple syrien, le temps est venu, pour
le président Assad, de se retirer... Les États-Unis ne sauraient imposer cette
transition à la Syrie. Il incombe aux Syriens de choisir leurs chefs et nous
les avons entendus exprimer leur vif désir qu'il n'y ait aucune intervention
étrangère dans leur mouvement... Le peuple syrien devra s'armer de patience
pour obtenir la justice qu'il mérite. Il y aura encore des luttes et des
sacrifices. » Tout était là, limpide,
il n’y avait vraiment pas de quoi tirer des plans sur la comète. Et puis, indépendamment
de la complexité du dossier syrien, mais enfin, quelqu’un qui s’est fait élire, entre autres, sur sa promesse de
désengagement des États-Unis du bourbier irakien, n’allait quand même pas se
lancer dans le bourbier syrien, surtout après les ratés libyens ! Impensable.
Que Barack Obama ait raison ou pas dans ses choix est une chose, que cette
politique soit hésitante et manque de lisibilité en est tout autre. Dans tous
les cas, en politique comme dans toute analyse, il ne faut jamais prendre ses
désirs pour des réalités.
Au passage, je voudrais rappeler un détail sur Barack
Obama que peu de gens connaissent, mais qui permet pourtant de mieux comprendre
les choix politiques du prix Nobel de la paix. Quand les néoconservateurs américains ont décidé d’envahir l’Irak
pour des raisons idéologico-financières, appuyés plus tard même par les
démocrates, Barack Obama fut parmi les rares
personnalités américaines à prendre le risque de déclarer publiquement son opposition
à cette intervention, et Dieu sait avec quelle simplicité on peut être accusé
d’antipatriotisme aux USA quand l’Amérique entre en guerre. « Je ne suis pas opposé à toutes les
guerres. Je suis opposé à une guerre stupide. Une guerre irréfléchie. Une
guerre basée non pas sur la raison, mais sur la passion, non sur les principes,
mais sur la politique. » Eh bien, ça résume le bonhomme. C’était en octobre
2002, bien avant de découvrir que Colin Powell, le Secrétaire d’État de W avait menti devant le Conseil de sécurité et que le président irakien Saddam Hussein ne cachait aucune arme de destruction massive, Obama n’était alors qu’un sénateur de l’État de l’Illinois.
A propos de l’Irak justement, une étude conduite par des chercheurs américains, canadiens et irakiens sur les pertes humaines, sans doute la plus précise
à ce jour, et publiée à la mi-octobre dans la revue
scientifique PLOS Medecine, estime que 500 000 Irakiens sont morts entre 2003 et 2011, durant la période
d’occupation américaine de l’Irak, un tiers par les forces de la coalition
internationale et un tiers par les milices irakiennes, un peu moins de deux tiers au cours de violences diverses (combats, bombardements, attentats...) et un peu plus du tiers des conséquences indirectes de la guerre (problèmes sanitaires, manque de nourriture, choc post-traumatique, criminalité...). Près de 4 500
soldats américains sont morts durant ce conflit et 33 000 ont été blessés.
La troisième guerre du Golfe a coûté 4 000 milliards de dollars aux
contribuables américains. Depuis le retrait américain de ce pays, les Irakiens meurent
à un rythme pouvant atteindre 1 000 personnes par mois. C’est sans parler du
fait que l’Irak post-W est entièrement sous l’emprise de la République
islamique d’Iran. Bref, tout président
américain qui ne tiendrait pas compte de la désastreuse expérience américaine
en Irak, serait purement et simplement, un imbécile. « Cette étude fera réfléchir à deux fois (les États) sur les
conséquences d'une invasion et fera prendre un peu plus conscience de son coût
en vies humaines », conclut Amy Hagopian, experte en santé publique à l'université de Washington, qui a dirigé l’équipe de chercheurs.
Pour revenir au conflit syrien, il est inutile
de chercher des boucs émissaires. Je l’ai montré dans le passé, je le dis et je
le répète aujourd’hui. La brutalité et
la sauvagerie du régime syrien ne sont plus à démontrer. Il n’empêche que la militarisation et la généralisation du conflit syrien par les rebelles furent une grave erreur tactique, pour les populations syriennes et libanaises. Ni Obama,
ni la communauté internationale, n’y était pour quelque chose. La solution au conflit syrien et le
remède « à la souffrance des Syriens »
se trouvent à Genève et nulle part
ailleurs, encore moins entre les mains de Barack Obama.
Enfin, je ne
comprends pas comment on peut dresser le bilan d’Obama sans faire mention de l’engagement
du processus de destruction de l’arsenal chimique syrien. Pas un seul mot.
Le zapping total. C'est à peine croyable ! Et pourtant, grâce à la stratégie d’Obama, qui a d’une part, fixé dès l’été 2012 une ligne rouge au
régime syrien en l’avertissant que toute utilisation d’armes chimiques dans
la guerre civile entrainera de graves conséquences, et qui a d’autre part, menacé le tandem syro-russe de frappes
aériennes après le massacre chimique de Damas à l’été 2013, Bachar el-Assad
et Vladimir Poutine ont accepté sans aucune condition, étant donné la
culpabilité du régime syrien dans cette tragédie abominable, l’idée lancée par
John Kerry, le Secrétaire d’État américain, de détruire l’arsenal chimique
syrien avant le mois de juin 2014. La
semaine dernière, les inspecteurs de l'Organisation pour l'interdiction des
armes chimiques (OIAC), prix Nobel de la paix, ont placé hors d'état de nuire les
armes chimiques syriennes déclarées, produites sous le règne de la tyrannie des Assad,
père et fils. L'OIAC s’est dite «
satisfaite d'avoir inspecté, et d'avoir vu détruits, tous les équipements
déclarés essentiels à la production, à l’assemblage et au remplissage » des
installations syriennes d’armes chimiques.
Il est fort regrettable de constater qu’un grand nombre de Libanais et d’Arabes
ne mesurent toujours pas la portée de cet événement historique. La région du Moyen-Orient
a la chance inespérée aujourd’hui de se débarrasser de 1 000 000 de litres
d’armes de destruction massive. Pour bien mesurer
la portée de cette issue favorable, il faut se rappeler que quelques litres ont
suffi pour exterminer dans la nuit du 21 août 2013 plus de 1 500 Syriens, dont 400 enfants, en quelques
minutes. Cet
arsenal chimique pouvait servir non seulement contre la population syrienne de
nouveau, mais il aurait pu échappé au régime syrien, volontairement ou pas, pour tomber entre les mains des milices extrémistes et des djihadistes de tout poil, en Syrie, en Palestine et au Liban, au Hezbollah, à Jabhat al-Nosra, à l’Etat
Islamique d’Irak et du Levant, au Hamas et à al-Qaeda. Inutile de préciser que c’est un
énorme souci en moins. Certes, la vie au Moyen-Orient n’est pas rose pour
autant, la guerre civile syrienne se poursuivra avec les armes conventionnelles, mais Syriens et Libanais peuvent respirer un bon coup, le spectre d'une attaque chimique programmée par le régime syrien ou par tout autre groupe terroriste, voire d'une propagation accidentelle, s'éloigne progressivement et se retrouvera bientôt complètement écarté. Qu'on l'appelle comme on veut, il s’agit de
tout sauf « d’une tache indélébile
sur le bilan d’Obama ». On peut minimiser la portée de cet événement, mais pas l'ignorer. On était en mesure de s'attendre qu'un directeur de recherche d'un «
Institut de Relations Internationales et Stratégiques » en parle quand même. Enno walao !