samedi 25 juin 2016

To leave or to remain, that was the question! Now, for Hamlet, leave means leave. So Boris, keep calm, LEAVE and carry on (Art.369)



1. Les Anglais se sont exprimés en toute démocratie avec un taux de participation élevé (72,2%). La victoire est nette (près de 1,3 million d’écart), mais pas écrasante (sur près de 33,6 millions de voix exprimées). Brexit 51,9% vs. Bremain 48,1%. To leave or to remain, Hamlet a tranché. Il ne sert à rien d’accabler les sujets de Sa Majesté de tous les noms d’oiseaux, plus de 16 millions de personnes ont exprimé le souhait que leur pays reste dans l’UE quand même. Le peuple britannique est souverain. Il faut donc prendre acte. Dans moins de deux au plus tard, le Royaume-Uni ne fera plus partie de l’Union européenne.

2. On pourrait être tenté de tout mettre sur le dos de David Cameroun. Même s’il a appelé à voter pour le Bremain, le Premier ministre anglais est un eurosceptique au fond, enfin tout sauf un europhile qui a été aux confins du populisme puisqu’il ne s’est fait élire qu’en s’engageant à faire ce référendum. Mais enfin, si ce n’était pas lui, un autre l’aurait fait à sa place. Peut être qu’il vaut mieux le saluer d’avoir permis à ses concitoyens de se prononcer une fois pour toutes sur cette question existentielle qui les taraude depuis des décennies. Sa démission à l’annonce des résultats, reflète son esprit démocratique et son sens des responsabilités. Elle forge l’admiration. Ce ne sera pas forcément le cas ailleurs dans les grandes démocraties, encore moins dans le reste du monde.

3. Pour comprendre ce vote, il faut d’abord cerner le subconscient collectif des votants. Deux choses caractérisent le Royaume-Uni et façonne l’histoire et le caractère des Anglais : la situation insulaire et le passé impérial. Dans un tel contexte, il n’est pas évident pour une partie d’entre eux, de se sentir pleinement européens, de se contenter d’être membres de l’Union européenne parmi d’autres, et d’accepter de partager le pouvoir à Bruxelles avec 27 partenaires. Détail insignifiant mais ô combien révélateur, les ressortissants de 52 pays membres du Commonwealth of Nations résidant au RU, comme les Pakistanais, pouvaient participer au référendum du 23 juin, mais pas ceux de 24 pays de l’Union européenne, comme les Français. Le Royaume-Uni est plus attaché à ces anciennes colonies qu’à ses nouvelles compagnies. Il faut bien reconnaitre que c’est beaucoup moins contraignant !

4. Comment nous en sommes arrivés là ? Difficile d’y répondre. Il y a beaucoup de paramètres sans doute. Mais, il y en a un qui domine. Les Anglais voulaient partir déjà en 1975, deux ans et demi après leur adhésion. Entre 1973 et 2016, l’Union européenne n’a cessé d’accorder des exemptions d’obligations au Royaume-Uni. Ce fut une erreur, parmi d’autres, mais la plus grave. Tout le problème de la relation ambivalente entre l’UK et l’UE vient de cette adhésion indésirable (véto français du général de Gaulle en 1963) et non désirée (référendum anglais sur le maintien de l’adhésion en 1975). C’est ce qu’on peut appeler le péché originel. Par la suite, c’était un pied dedans, un pied dehors. Mais enfin, comme dans un couple, les continuels compromis, concessions et compromissions, ne servent à rien avec un partenaire qui ne veut pas rester dès le départ, qui voit l’Europe comme un marché unique libéral et non comme une entité politique forte. C’est élémentaire mon cher Watson. Ils ne le retiendront pas ! C’est la principale leçon de la mésaventure anglaise. Les règles communautaires doivent s’appliquer sans dérogations.

5. Certes, tous les partisans du « Remain » en Europe et dans le monde, ont la gueule de bois ce weekend. Mais, cette éventualité est prévue dans l’article 50 du traité de Lisbonne (entrée en vigueur le 1er décembre 2009). Il faut donc accepter le verdict du peuple anglais. C’est la règle démocratique. Pour aller de l’avant, il faut partir des certitudes et fixer un cap. Dans ce but, il faut se souvenir de deux choses. D’une part, de la raison d’être de l’UE, le rapprochement des peuples et la paix en Europe, et d’autre part, que l’Union fait la force, sans l’ombre d’un doute. La moitié des Anglais ne l’ont pas vu de cet œil, dommage. Mais, c’est leur problème, pas le nôtre. Sur le continent, nous sommes dans un autre état d’esprit. Rien ne devra arrêter la merveilleuse aventure humaine qu’est l’Union européenne, imaginé déjà par Victor Hugo, pour les raisons citées précédemment. Comme dans la vie des nations, on passe de la 1re à la 2e République, aujourd’hui nous passons à l’Union européenne 2.0, la 2e Union qui naitra du Brexit.

6. Si on ne change pas une formule qui marche, on devrait se débarrasser illico presto d’une formule qui ne marche pas et qui ne fait que grossir au fil des ans les rangs des eurosceptiques et des europhobes. Le chantier est immense. La commission européenne n’a pas à s’occuper de la forme des concombres et des carottes (c’est à peine croyable mais c’est véridique, ceux qui avaient une forme courbée ou noueuse étaient interdits d’être mis sur le marché pendant des années !), autant qu’elle devrait s’attaquer à la relance de l’emploi, à l’harmonisation fiscale et sociale, aux crises de l’euro/logement/pollution/santé publique, au renforcement du pouvoir des Parlements nationaux, à mettre un terme à l’afflux des migrants (la politique des frontières ouvertes d’Angela Merkel y est pour beaucoup dans la sortie du RU !), à l’élaboration d’une politique étrangère plus conséquente (il faut faire naitre ce sentiment de puissance chez les citoyens Européens ; seule la politique étrangère le permet), à la lutte contre le communautarisme, à l’éradication de la menace islamiste, à mettre un terme à l’élargissement tous azimuts (la plus grave erreur de son histoire ; l’élargissement de l’UE doit être stoppé net), à rejeter clairement l’adhésion de la Turquie (il est temps d’arrêter cette mascarade, qui a largement contribué au Brexit !), à se rapprocher des populations, à plus de transparence, à lutter contre les gaspillages financiers, à la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le monde, et à un tas d’autres choses comme à l’opulence de ses hauts fonctionnaires et à l’assiduité des 751 parlementaires européens par exemple. L’Union européenne en a fait beaucoup déjà. Mais il y a aussi beaucoup à faire. Il semble que le message ait été bien reçu à Paris, Rome, Bruxelles et Berlin. Un sommet européen était prévu le 28 et le 29 juin. Ca ne peut pas mieux tomber. Il marquera le début de la procédure de divorce entre l’UE et le RU.

7. A ce stade, maintenant que les dés sont jetés, il est aussi prématuré qu’inutile de se perdre dans les chiffres, les perspectives et les spéculations. Une seule précision, celle du ministère anglais des Finances : « Le Royaume-Uni serait définitivement plus pauvre s’il quitte l'UE et adopte l'un de ces modèles (alternatives à l’UE) ». Selon ses calculs, la perte nette par ménage à terme est estimée de 3 400 €/an à 6 800 €/an, selon l’alternative adoptée. L’avenir se chargera de démontrer si ce Brexit apportera la prospérité aux Anglais ou pas. Prochainement, des négociations vont s’engager entre l’UK et l’UE. Elles devraient concerner tous les domaines. Les Anglais n’auraient pas besoin d’un visa pour venir en France et vice versa. On trouvera toujours du Bordeaux à Londres, et Marks & Spencer restera à Paris. On ne va pas reboucher le tunnel sous la Manche ! Mais, il ne faut pas se leurrer, rien n’est acquis d’avance, tout sera négocié. Ces négociations seront longues, dures et sans concessions, de part et d'autre. Les partisans du Brexit veulent faire trainer les choses (possible d’aller jusqu’à 2 ans, voire 4 ans), afin de limiter les dégâts. L’UE ne doit pas l'accepter. Elle est en position de force pour cela et il y va de son intérêt. Le divorce doit être prononcé rapidement pour que les deux parties puissent se reconstruire séparément. Eh oui, leave means LEAVE, partir veut dire partir, pour de bon et au plus vite !

8. Qu’il l’ait voulu ou pas, David Cameron a ouvert la boite de Pandore. Le plus grand danger que court l’UE aujourd’hui, c’est le mimétisme des autres Etats et l’effet domino en Europe. Après avoir bu du petit lait, les partis européens d’extrême droite en France et aux Pays-Bas, via Marine Le Pen et Geert Wilders, ont réclamé la tenue de référendums dans leurs pays, semblables à celui qui a eu lieu le 23 juin au Royaume-Uni. Et comme le populisme sévit gravement dans tous les pays de l’Union, des respectables partis de gouvernement risquent de suivre les pas du Premier ministre anglais : promettre un référendum, pour gagner des élections. Ainsi, le dilemme d’Hamlet risque de nouveau de se poser ailleurs et plus vite qu’on ne le pense. Si cette exigence, somme toute démocratique, est inévitable à long terme, il faut tout faire pour l’éviter à court terme. Ce temps gagné et arraché aux europhobes d’Europe doit être mis à profit par les europhiles européens d’une part, pour expliquer aux populations du continent les bénéfices de l’Union européenne, et d’autre part, pour améliorer la construction et le fonctionnement de cette dernière. Si ce dernier point est une évidence qui s’impose d’elle-même, il ne faut pas sous-estimer le premier. Google Trends nous apprend, qu’après l’annonce des résultats vendredi matin, le top 5 des questions les plus posées sur le moteur de recherche au Royaume-Uni à propos de « l’Union européenne » comprend : « qu’est-ce que signifie de quitter l’UE, qu’est-ce l’UE et qu’est-ce qui se passera maintenant que nous avons quitté l’UE ? » Alors, elle n’est pas belle la souveraineté des citoyens ? « La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes ». C’est le constat d’un Anglais, Sir Winston Leonard Spencer-Churchill.

9. Comme l’histoire peut être ironique ! Les partisans du Brexit ont cru bien faire, mais sans se rendre compte, ils ont probablement sonné le glas de leur pays, un Royaume-Uni qui résulte comme son nom l’indique d’une union de quatre nations : l'Angleterre, l'Écosse, le pays de Galles et l'Irlande du Nord. Quitter l’Union européenne pour « reprendre le contrôle » comme ils disent, risque rapidement de conduire le Royaume-Uni à perdre le contrôle des nations qui composent son union. C’est le comble ! Eh oui, rien n’est définitif pour l’histoire, son ironie est en constante réécriture. Voyons un peu.

Le Royaume-Uni est né en 1707, par l’union des royaumes d’Angleterre (qui intégrait la Principauté de Galles depuis 1536) et d’Ecosse. Il fut rejoint en 1801 par le Royaume d’Irlande. Le premier séisme de forte amplitude qui frappa cette union paisible a eu lieu en 1922. Les dégâts étaient importants : l’Irlande du Sud fit sécession. Le deuxième séisme d’amplitude moyenne qui ébranla l’union restante s’est déroulé sur plus de 40 ans, entre 1966 et 2007, sous la forme d’un conflit armé et sanglant en Irlande du Nord. Les armes se sont tues en 1998 (avec l’accord du Vendredi Saint), mais depuis, le conflit politique perdure entre les républicains-séparatistes et les loyalistes-unionistes, la ségrégation sociale et spatiale entre les Catholiques et les Protestants s’accentue et des violences interconfessionnelles sont régulièrement signalées. Le troisième séisme de faible amplitude secoua le Royaume-Uni il y a moins de deux ans. On était sous Cameron déjà. En septembre 2014, les Ecossais étaient appelés aux urnes pour répondre à la question : « L'Écosse devrait-elle être un pays indépendant ? » Le « non » l’emporta avec 55,3% des voix.

Et comme tout le monde le sait, les séismes ont cette fichue tendance d’être suivis de répliques. A peine le Brexit était annoncé que certains protagonistes ont réclamé qu’on batte les cartes de nouveau. Il faut dire, comme par hasard, l’Irlande du Nord et l’Ecosse ont voté pour le Bremain, à 56% et 62%. Le Sinn Féin, ancien bras armé de l’IRA (Armée républicaine irlandaise), a déjà appelé à un référendum sur la réunification des deux Irlande, au sein de l’Union européenne. De son côté, le Premier ministre écossais, Nicola Sturgeon, chef du Parti national, s’est félicitée des résultats en Ecosse et a déclaré qu’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse est de nouveau sur la table. Aujourd’hui, il existe de chances sérieuses que le « Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord », tel qu’il se nomme officiellement, soit tout simplement réduit dans un avenir proche à « l’Angleterre », comme il est communément désigné par erreur. Voter n'est pas un jeu. Quand on n'est pas sûr de son choix, mieux vaut s'abstenir. Sinon, il faut savoir assumer et assurer ! N'est-ce pas Boris ? L'ancien maire de Londres est le mieux placé pour mettre en œuvre le projet « Boris Island », comme l'a titré avec sarcasme The Independent aujourd'hui. Pour paraphraser l’affiche du gouvernement britannique éditée en 1939 afin de remonter le moral de la population la veille de la guerre, dear Boris, keep calm, LEAVE and carry on.

jeudi 23 juin 2016

« To Remain » or « To Leave », that is the question! Le dilemme des Anglais par rapport à l’Union européenne (Art.368)


1. Disons d’emblée qu’au pays de Shakespeare, la formulation aurait pu être différente. Et pour cause, rien n’est plus puissant et plus explicite que l’ouverture de la tirade d’Hamlet : « To be or not to be ». Etre ou ne pas être, dans l’Union européenne ? Telle est la question que se posent les Anglais aujourd’hui.

2. Ce jeudi 23 juin, de 7h à 22h, 46 499 537 électeurs du Royaume-Uni et de Gibraltar sont invités à répondre par référendum à la question suivante : « Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l'Union européenne ou quitter l'Union européenne ? » Ils doivent cocher l’une des deux cases : « Rester membre de l’Union européenne » OU « Quitter l’Union européenne ». On a sciemment évité le classique « Oui/Non ». D’une part, pour ne pas influencer psychologiquement les électeurs, et d’autre part, pour rappeler à certains Anglais que leur pays fait partie de l’Union européenne. Je jure et je vous assure, même si j’aurais du mal à vous convaincre, ce dernier point n’est à mettre ni sur le registre de l’humour anglais ni sur celui de BB. It’s very serious. Détail important, qui résume à lui seul la relation ambivalente des Anglais avec les Européens : les ressortissants de 52 pays membres du Commonwealth, résidant au Royaume-Uni ou à Gibraltar (qu’ils soient d’Australie, de la Namibie, du Cameroun, du Canada, de l’Inde ou du Pakistan), peuvent participer au vote, mais pas ceux de 27 pays de l’Union européenne, qu’ils soient de France ou d’Allemagne, mis à part ceux qui viennent d’Irlande, mais aussi de Chypre et de Malte, membres de la communauté des nations de l’empire britannique. Hehehe, c’est un peu gauche de la part des Anglais. Mais enfin, un guide du référendum a été édité dans une dizaine de langues, dont l'anglais, le français et l'arabe. Eh oui, bienvenue en Occident ! Les résultats seront annoncés vendredi.

3. Les conservateurs, les travaillistes et même les indépendantistes écossais sont dans le camp des « Remain » car pour eux le Royaume-Uni est bien plus fort en Europe. La France, l’Allemagne et les Etats-Unis, ne sont pas favorables à un Brexit (British-Exit). Les organisations internationales, comme le FMI et l’OCDE, non plus. De l’autre côté, chez les partisans du camp des « Leave », on veut retrouver la souveraineté anglaise, soi-disant confisquée par le pouvoir de Bruxelles. En citant et en s’appuyant sur l’échec des tentatives de Napoléon et d’Hitler pour unir l’Europe, afin de fustiger l’Union européenne de l’après-guerre, le fougueux Boris Johnson, ancien maire de Londres et champion du Brexit, s’est montré tout simplement populiste. Du coup, il s’est discrédité tout seul. Dans ce camp, on retrouve bien évidemment le UKIP, UK Independence Party, le Parti de l'indépendance du Royaume-Uni de Nigel Farage, un eurosceptique jusqu’à la moelle mais député européen svp. Bon, à 35 000 €/mois en moyenne, comme enveloppe financière globale, pour exercer son mandat dans des conditions optimales, disons que c’est une proposition qui ne se refuse pas. Inquiet comme il doit bien l’être aujourd’hui, Farage saura trouver la bonne case dans l’isoloir. Elémentaire, mon cher Watson ! Sur le plan international, dans le camp du Brexit, il y a le Front national, qui a de nombreux députés européens à l’assiduité qui laisse beaucoup à désirer, et bien sûr, Donald Trump, qui a encore raté une bonne occasion de fermer sa gueule.

4. Comme l’argent est le nerf de la guerre, les finances sont au cœur de ce référendum. Oui le Royaume-Uni paie à l’Union plus qu’il ne reçoit. Mais pas autant que le laissent croire certains populistes favorables au Brexit (460 millions €/semaine!). En tout cas, on commet une erreur monumentale en réduisant toutes les conséquences du Brexit à ce bilan simpliste. En cas de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les marchés financiers seront perturbés et les investissements gravement affectés. Il y aura forcément une chute du PIB anglais de 3,4 à 9,5%, selon une analyse présentée au Parlement anglais par George Osborne, chancelier de l'Échiquier du Royaume-Uni, qui est à la tête du Trésor de Sa Majesté. Ainsi, selon le ministre anglais des Finances, en cas de Brexit, la perte globale nette pour le Royaume-Uni est estimée à 26 milliards €/an, 47 milliards €/an ou 59 milliards €/an, selon le scénario de sortie de l’Union européenne et l’alternative adoptée par la suite. Dans cette optique il y en aura trois alternatives : adhérer à l'Espace économique européen, comme la Norvège ; négocier un accord bilatéral avec l’UE, comme la Suisse, la Turquie ou le Canada (le plus probable) ; se contenter d’être membre de l’Organisation mondiale du commerce, sans accord spécifique avec l'UE, comme la Russie ou le Brésil. Le verdict du ministère des Finances est sans appel : « Le Royaume-Uni serait définitivement plus pauvre s’il quitte l'UE et adopte l'un de ces modèles (alternatives à l’UE) ». La perte nette par ménage à terme est estimée à 3 400 €/an, 5 600 €/an ou 6 800 €/an, selon l’alternative adoptée. Soyez-en sûrs, ce n’est ni Boris Johnson ni Nigel Farage qui vont en parler et en pâtir.


5. Le référendum d'aujourd'hui n’est pas le premier du genre au Royaume-Uni. Moins de deux ans et demi après son adhésion aux Communautés européennes le 1er janvier 1973, les Anglais étaient appelés aux urnes pour décider de continuer la route ou pas. Deux tiers des votants avaient répondu favorablement à l’époque. Par ailleurs, il faut savoir aussi que le Royaume-Uni bénéficie de multiples dérogations dans plusieurs domaines, comme la libre circulation des personnes (espace Schengen) et la monnaie unique (euro). Les Anglais devraient donc décider une fois pour toutes, s’ils souhaitent faire partie de l’Union ou pas. Comme l’a bien résumé Gordon Brown, l’ancien Premier ministre anglais, « nous devrions être leaders en Europe, pas la quitter ». Le Royaume-Uni n’a pas à se poser la question d’être ou de ne pas être dans l’Union, autant qu’il doit se demander effectivement comment devenir leader de l’Union européenne. C’est ce qu’on attend du pays qui fut un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais. 

6. Cela dit, l’Union européenne dans son ensemble, est pleinement responsable de l’épidémie d’euroscepticisme en Europe. Trop bureaucratie tue l’Union, on le sait. Londres est trop libérale et pro-américaine, on le sait aussi. Mais si l’Union ne séduit pas autant de nos jours, c’est aussi parce que les dirigeants européens depuis 1990 ont mal construit l’Europe. Zappons l’harmonisation du marché du travail ou de la fiscalisation des individus et des entreprises. Limitons-nous à la géographie par exemple. Oublions la Turquie, j’y reviendrais. La Roumanie et la Bulgarie étaient-ils prêts pour rejoindre l’ensemble ? L’Albanie et la Serbie ont-ils vocation à y être ? Est-ce qu’Israël et les pays du Maghreb peuvent-ils un jour faire partie de l’UE, comme certains le voudraient ? Enfin, elle va jusqu'où cette Union européenne ? Les derniers élargissements de l’UE -2004, 2007 et 2013- furent des erreurs. Il aurait fallu arrêter ou ne serait-ce que suspendre la construction européenne à quinze et instaurer des partenariats privilégiés avec les pays de l’Est. Au lieu d’élargir l’Union sans fin et sans limite, à un « rythme insoutenable » comme cela a été décidé par le Conseil européen de Copenhague en 1993 (le nombre des États membres de l'Union européenne a quasiment doublé, avec de grandes disparités régionales et des coûts d’intégration importants), il était préférable de consolider l’acquis et de renforcer l’Union existante. C’était déjà difficile à quinze. C’est ingérable à vingt-huit. Au-delà de l’économie, les dirigeants européens ont perdu de vue en cours de route et avec les années, que les motivations de l’UE étaient aussi politiques. Aujourd’hui, 59 ans après, l’Europe politique est une entité faible. Ce qui n’empêche pas les eurosceptiques de se plaindre du fonctionnement de l'UE et de la mainmise de Bruxelles sur les souverainetés nationales. En tout cas, les Anglais assument une grande part de responsabilité dans la situation actuelle de l'UE qui conduit une partie d'entre eux à vouloir partir. Au fil des ans, ils n'ont cessé de réclamer de nombreuses exemptions d'obligations et ils se sont montrés toujours très enthousiastes aux multiples élargissements.

7. L’enjeu du référendum anglais dépasse l’île britannique et même le continent européen. C’est ce qui me motive à m’exprimer sur le sujet. Je suis farouchement opposé à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Ma philosophie politique est simple, quand un « bon système » ne marche pas bien ou fonctionne mal, on milite pour l’améliorer et non pour le saboter. Certes, on peut reprocher beaucoup de choses à l’Union européenne sauf une chose fondamentale qui est à l’origine même de son existence, celle de rapprocher les peuples européens. En créant des intérêts communs entre les pays d’Europe, les Pères fondateurs de l’Union européenne ont mis un terme aux conflits sanglants qui ont ravagé le continent pendant des siècles. A chaque fois que je traverse une frontière intra-européenne, en toute simplicité, comme un hibou ou un chacal, je ne peux m’empêcher de m’arrêter sur cette merveilleuse aventure humaine et d’avoir une pensée à un des « grands Hommes » de la Patrie, Victor Hugo, grand défenseur des « Etats-Unis d’Europe ». L’écrivain français exposera ses raisons dans un remarquable discours prononcé le 21 août 1849, à l'occasion du Congrès international de la paix à Paris. Voici l'extrait le plus marquant. « Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu'elle serait impossible et qu'elle paraîtrait absurde aujourd'hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France. Un jour viendra où l'on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd'hui un instrument de torture, en s'étonnant que cela ait pu être. » Tout simplement magnifique. Sans pousser l’aventure européenne jusqu’au fédéralisme total, le principe de l’Union européenne ne peut pas cesser d’exister, avec ou sans le Royaume-Uni.

8. Hasard des coïncidences, pas très heureuses, au moment où les discussions au sujet de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne viennent d’être relancées, les Européens risquent de perdre un des piliers de cette Union et de l'histoire européenne, le Royaume-Uni. C’est insensé, c’est absurde, c’est même surréaliste ! Rappelons dans ce sillage, qu’il y a quelques mois, Recep Tayyip Erdogan, le président turc, a fait chanter l’UE carrément, en exigeant la relance du processus d’adhésion, comme condition sine qua non, afin d’accepter de conclure un accord avec les pays européens et de s’engager enfin, pour une meilleure maitrise des flux migratoires et djihadistes, de et vers l’Europe.

En tout cas, je reste persuadé que la place des héritiers de la Sublime Porte n’est pas sur la rive droite du Bosphore, mais sur la rive gauche. Son adhésion, qui est loin, même très loin, d’être acquise, comporte beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages pour l’Europe. Dans les meilleurs des cas, à court terme, elle renforcerait les partis d’extrême droite dans tous les pays de l’Union. Dans les pires des cas, à long terme, elle risquerait de faire éclater l’Union européenne. Par contre, je suis convaincu que la Turquie a un rôle fondamental à jouer dans la modernisation et la démocratisation des des pays arabo-musulmans du Moyen-Orient. Cette adhésion occidentale compromettra ce rôle oriental. Entre l’Union européenne et la Turquie, il faut plutôt développer les relations de « partenariat privilégié ».

Et comme l’histoire sait se montrer particulièrement ironique, il faut savoir que globalement, le Royaume-Uni, contrairement à la France et l’Allemagne, soutient depuis longtemps l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Ainsi, la perspective du Brexit inquiète beaucoup la Turquie. Cela l’a amené à faire un aveu à travers son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu : « nous voulons que le Royaume-Uni reste à tout prix dans l'Union européenne ». Et ce n’est pas tout. On trouve dans l’argumentation des partisans anglais du Brexit, justement, la crainte que l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ne déclenche une forte migration turque vers le Royaume-Uni. « Douze millions de Turcs disent qu'ils veulent venir au Royaume-Uni », c’était la Une du Sunday Express il y a un mois. C’est ce qui a amené le Premier ministre David Cameron, opposé au Brexit, pourtant favorable à l’adhésion de la Turquie dans le passé, a rassuré ses compatriotes. « Cela prendrait des décennies avant qu'on se retrouve face à cette éventualité. La Turquie a déposé sa candidature en 1987. Au rythme où avancent les choses, il faudra attendre l'an 3000 pour la voir adhérer à l'Union européenne. »

9. L’enjeu du ‪‎referendum anglais dépasse l’île britannique et même le continent européen. De Victor Hugo à Recep Tayyip Erdogan, tout le monde est suspendu à cette journée historique. Les vivants comme les morts. La souveraineté nationale, l’argent et l’immigration constituent la trame de l’argumentation des uns et des autres « to remain » ou « to leave ». « ‪Brexit » (British exit) or « ‪‎Bremain » (British remain) ? Quel dilemme ! Mais enfin, puisque la rime est forte, ‪#‎BritainRemain, et qu'on en finisse. Les résultats seront annoncés demain. 

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