1. Les Anglais se sont exprimés en toute démocratie avec un taux de participation élevé (72,2%). La victoire est nette (près de 1,3 million d’écart), mais pas écrasante (sur près de 33,6 millions de voix exprimées). Brexit 51,9% vs. Bremain 48,1%. To leave or to remain, Hamlet a tranché. Il ne sert à rien d’accabler les sujets de Sa Majesté de tous les noms d’oiseaux, plus de 16 millions de personnes ont exprimé le souhait que leur pays reste dans l’UE quand même. Le peuple britannique est souverain. Il faut donc prendre acte. Dans moins de deux au plus tard, le Royaume-Uni ne fera plus partie de l’Union européenne.
2. On pourrait être tenté de tout mettre sur le dos de David Cameroun.
Même s’il a appelé à voter pour le Bremain, le Premier ministre anglais est un eurosceptique au fond, enfin tout sauf
un europhile qui a été aux confins du populisme puisqu’il ne s’est fait élire qu’en
s’engageant à faire ce référendum. Mais enfin, si ce n’était pas lui, un autre
l’aurait fait à sa place. Peut être qu’il vaut mieux le saluer d’avoir permis à ses concitoyens de se prononcer une fois
pour toutes sur cette question existentielle qui les taraude depuis des
décennies. Sa démission à l’annonce des résultats, reflète son esprit
démocratique et son sens des responsabilités. Elle forge l’admiration. Ce ne
sera pas forcément le cas ailleurs dans les grandes démocraties, encore moins dans
le reste du monde.
3. Pour comprendre ce vote, il faut d’abord
cerner le subconscient collectif des
votants. Deux choses caractérisent le Royaume-Uni et façonne l’histoire et
le caractère des Anglais : la
situation insulaire et le passé impérial. Dans un tel contexte, il n’est
pas évident pour une partie d’entre eux, de se sentir pleinement européens, de
se contenter d’être membres de l’Union européenne parmi d’autres, et d’accepter
de partager le pouvoir à Bruxelles avec 27 partenaires. Détail insignifiant
mais ô combien révélateur, les ressortissants de 52 pays membres du
Commonwealth of Nations résidant au RU, comme les Pakistanais, pouvaient
participer au référendum du 23 juin, mais pas ceux de 24 pays de l’Union
européenne, comme les Français. Le
Royaume-Uni est plus attaché à ces anciennes colonies qu’à ses nouvelles
compagnies. Il faut bien reconnaitre que c’est beaucoup moins
contraignant !
4. Comment nous en sommes arrivés là ?
Difficile d’y répondre. Il y a beaucoup de paramètres sans doute. Mais, il y en
a un qui domine. Les Anglais voulaient
partir déjà en 1975, deux ans et demi après leur adhésion. Entre 1973 et 2016, l’Union européenne n’a
cessé d’accorder des exemptions d’obligations au Royaume-Uni. Ce fut une erreur, parmi d’autres, mais
la plus grave. Tout le problème de la relation ambivalente entre l’UK et l’UE
vient de cette adhésion indésirable (véto français du général de Gaulle en 1963)
et non désirée (référendum anglais sur le maintien de l’adhésion en 1975). C’est
ce qu’on peut appeler le péché originel.
Par la suite, c’était un pied dedans, un pied dehors. Mais enfin, comme dans un couple, les continuels compromis,
concessions et compromissions, ne servent à rien avec un partenaire qui ne veut
pas rester dès le départ, qui voit l’Europe comme un marché unique libéral et
non comme une entité politique forte. C’est élémentaire mon cher Watson.
Ils ne le retiendront pas ! C’est la principale leçon de la mésaventure
anglaise. Les règles communautaires doivent s’appliquer sans dérogations.
5. Certes, tous les partisans du
« Remain » en Europe et dans le monde, ont la gueule de bois ce weekend.
Mais, cette éventualité est prévue dans l’article 50 du traité de Lisbonne (entrée en vigueur le 1er décembre 2009). Il
faut donc accepter le verdict du peuple anglais. C’est la règle démocratique. Pour aller de l’avant, il faut partir des
certitudes et fixer un cap. Dans ce but, il faut se souvenir de deux
choses. D’une part, de la raison d’être
de l’UE, le rapprochement des peuples et la paix en Europe, et d’autre
part, que l’Union fait la force,
sans l’ombre d’un doute. La moitié des Anglais ne l’ont pas vu de cet œil,
dommage. Mais, c’est leur problème, pas le nôtre. Sur le continent, nous sommes
dans un autre état d’esprit. Rien ne devra
arrêter la merveilleuse aventure humaine qu’est l’Union européenne, imaginé
déjà par Victor Hugo, pour les raisons citées précédemment. Comme dans la vie
des nations, on passe de la 1re à la 2e République, aujourd’hui
nous passons à l’Union européenne
2.0, la 2e Union qui naitra
du Brexit.
6.
Si on ne change pas une formule qui marche, on devrait se débarrasser illico presto d’une formule qui ne marche pas et qui ne
fait que grossir au fil des ans les rangs des eurosceptiques et des europhobes.
Le chantier est immense. La
commission européenne n’a pas à s’occuper de la forme des concombres et des
carottes (c’est à peine croyable mais c’est véridique, ceux qui avaient une
forme courbée ou noueuse étaient interdits d’être mis sur le marché pendant des
années !), autant qu’elle devrait s’attaquer à la relance de l’emploi, à l’harmonisation fiscale et sociale, aux
crises de l’euro/logement/pollution/santé publique, au renforcement du pouvoir des Parlements nationaux, à mettre un terme à l’afflux des migrants
(la politique des frontières ouvertes d’Angela Merkel y est pour beaucoup dans
la sortie du RU !), à l’élaboration
d’une politique étrangère plus conséquente (il faut faire naitre ce
sentiment de puissance chez les citoyens Européens ; seule la politique
étrangère le permet), à la lutte contre le
communautarisme, à l’éradication de la menace islamiste, à mettre un terme à l’élargissement tous
azimuts (la plus grave erreur de son histoire ; l’élargissement de l’UE
doit être stoppé net), à rejeter
clairement l’adhésion de la Turquie (il est temps d’arrêter cette mascarade,
qui a largement contribué au Brexit !), à se rapprocher des populations, à plus de transparence, à lutter
contre les gaspillages financiers, à la
défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le monde, et
à un tas d’autres choses comme à l’opulence
de ses hauts fonctionnaires et à l’assiduité des 751 parlementaires
européens par exemple. L’Union européenne en a fait beaucoup déjà. Mais il y a
aussi beaucoup à faire. Il semble que le message ait été bien reçu à Paris,
Rome, Bruxelles et Berlin. Un sommet européen était prévu le 28 et le 29 juin.
Ca ne peut pas mieux tomber. Il marquera le début de la procédure de divorce
entre l’UE et le RU.
7. A ce stade, maintenant que les dés sont
jetés, il est aussi prématuré qu’inutile de se perdre dans les chiffres, les
perspectives et les spéculations. Une seule précision, celle du ministère anglais
des Finances : « Le Royaume-Uni serait définitivement plus
pauvre s’il quitte l'UE et adopte l'un de ces modèles (alternatives à l’UE) ».
Selon ses calculs, la perte nette par ménage à terme est estimée de 3 400 €/an
à 6 800 €/an, selon l’alternative adoptée. L’avenir se chargera de démontrer si
ce Brexit apportera la prospérité aux Anglais ou pas. Prochainement, des négociations vont s’engager entre l’UK
et l’UE. Elles devraient concerner tous les domaines. Les Anglais n’auraient
pas besoin d’un visa pour venir en France et vice versa. On trouvera toujours du
Bordeaux à Londres, et Marks & Spencer restera à Paris. On ne va pas
reboucher le tunnel sous la Manche ! Mais, il ne faut pas se leurrer, rien n’est acquis d’avance, tout sera
négocié. Ces
négociations seront longues, dures et sans concessions, de part et d'autre. Les partisans du Brexit
veulent faire trainer les choses (possible d’aller jusqu’à 2 ans, voire 4 ans), afin
de limiter les dégâts. L’UE ne doit pas l'accepter. Elle est en position de force pour cela et il
y va de son intérêt. Le divorce doit être prononcé rapidement pour que les
deux parties puissent se reconstruire séparément. Eh oui, leave means LEAVE, partir veut dire partir, pour de bon et au plus vite
!
8. Qu’il l’ait voulu ou pas, David Cameron a ouvert la boite de Pandore.
Le plus grand danger que court l’UE
aujourd’hui, c’est le mimétisme des autres Etats et l’effet domino en Europe.
Après avoir bu du petit lait, les partis
européens d’extrême droite en France et aux Pays-Bas, via Marine Le Pen et Geert
Wilders, ont réclamé la tenue de référendums dans leurs pays, semblables à
celui qui a eu lieu le 23 juin au Royaume-Uni. Et comme le populisme sévit
gravement dans tous les pays de l’Union, des respectables partis de
gouvernement risquent de suivre les pas du Premier ministre anglais : promettre un référendum, pour gagner des
élections. Ainsi, le dilemme d’Hamlet risque de nouveau de se poser
ailleurs et plus vite qu’on ne le pense. Si cette exigence, somme toute
démocratique, est inévitable à long terme, il
faut tout faire pour l’éviter à court terme. Ce temps gagné et arraché aux europhobes
d’Europe doit être mis à profit par les europhiles européens d’une part, pour expliquer aux populations du continent les bénéfices
de l’Union européenne, et d’autre part, pour améliorer la construction et le fonctionnement de cette dernière. Si
ce dernier point est une évidence qui s’impose d’elle-même, il ne faut pas
sous-estimer le premier. Google Trends
nous apprend, qu’après l’annonce des résultats vendredi matin, le top 5 des
questions les plus posées sur le moteur de recherche au Royaume-Uni à propos de
« l’Union européenne » comprend : « qu’est-ce que signifie de quitter l’UE, qu’est-ce l’UE et qu’est-ce qui se passera maintenant que
nous avons quitté l’UE ? » Alors, elle n’est pas belle la souveraineté
des citoyens ? « La démocratie
est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes ».
C’est le constat d’un Anglais, Sir Winston Leonard Spencer-Churchill.
9. Comme l’histoire peut être ironique !
Les partisans du Brexit ont cru bien faire, mais sans se rendre compte, ils ont
probablement sonné le glas de leur pays, un Royaume-Uni qui résulte comme son
nom l’indique d’une union de quatre nations : l'Angleterre, l'Écosse, le
pays de Galles et l'Irlande du Nord. Quitter
l’Union européenne pour « reprendre
le contrôle » comme ils disent, risque rapidement de conduire le
Royaume-Uni à perdre le contrôle des nations qui composent son union. C’est
le comble ! Eh oui, rien n’est définitif pour l’histoire, son ironie est
en constante réécriture. Voyons un peu.
Le Royaume-Uni est né en 1707, par l’union
des royaumes d’Angleterre (qui intégrait la Principauté de Galles depuis 1536) et
d’Ecosse. Il fut rejoint en 1801 par le Royaume d’Irlande. Le premier séisme de forte amplitude qui frappa
cette union paisible a eu lieu en 1922. Les dégâts étaient importants : l’Irlande du Sud fit sécession. Le deuxième séisme d’amplitude moyenne qui
ébranla l’union restante s’est déroulé sur plus de 40 ans, entre 1966 et 2007, sous
la forme d’un conflit armé et sanglant
en Irlande du Nord. Les armes se
sont tues en 1998 (avec l’accord du Vendredi Saint), mais depuis, le conflit
politique perdure entre les républicains-séparatistes et les loyalistes-unionistes,
la ségrégation sociale et spatiale entre les Catholiques et les Protestants
s’accentue et des violences interconfessionnelles sont régulièrement signalées.
Le troisième séisme de faible amplitude
secoua le Royaume-Uni il y a moins de deux ans. On était sous Cameron déjà. En
septembre 2014, les Ecossais étaient appelés aux urnes pour répondre à la
question : « L'Écosse devrait-elle être un pays indépendant ? » Le
« non » l’emporta avec 55,3% des voix.
Et comme tout le monde le sait, les séismes
ont cette fichue tendance d’être suivis de répliques. A peine le Brexit était
annoncé que certains protagonistes ont réclamé qu’on batte les cartes de
nouveau. Il faut dire, comme par hasard, l’Irlande
du Nord et l’Ecosse ont voté pour le Bremain, à 56% et 62%. Le Sinn Féin, ancien bras armé de l’IRA
(Armée républicaine irlandaise), a déjà appelé à un référendum sur la réunification des deux Irlande, au sein de
l’Union européenne. De son côté, le Premier
ministre écossais, Nicola Sturgeon, chef du Parti national, s’est félicitée
des résultats en Ecosse et a déclaré qu’un
nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse est de nouveau sur la table.
Aujourd’hui, il existe de chances sérieuses que le « Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord », tel qu’il se nomme
officiellement, soit tout simplement réduit
dans un avenir proche à « l’Angleterre », comme il est
communément désigné par erreur. Voter n'est pas un jeu. Quand on n'est pas sûr de son choix, mieux vaut s'abstenir. Sinon, il faut savoir assumer et assurer ! N'est-ce pas Boris ? L'ancien maire de Londres est le mieux placé pour mettre en œuvre le projet « Boris Island », comme l'a titré avec sarcasme The Independent aujourd'hui. Pour paraphraser l’affiche du gouvernement
britannique éditée en 1939 afin de remonter le moral de la population la veille de
la guerre, dear Boris, keep calm, LEAVE and carry on.