jeudi 23 juin 2016

« To Remain » or « To Leave », that is the question! Le dilemme des Anglais par rapport à l’Union européenne (Art.368)


1. Disons d’emblée qu’au pays de Shakespeare, la formulation aurait pu être différente. Et pour cause, rien n’est plus puissant et plus explicite que l’ouverture de la tirade d’Hamlet : « To be or not to be ». Etre ou ne pas être, dans l’Union européenne ? Telle est la question que se posent les Anglais aujourd’hui.

2. Ce jeudi 23 juin, de 7h à 22h, 46 499 537 électeurs du Royaume-Uni et de Gibraltar sont invités à répondre par référendum à la question suivante : « Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l'Union européenne ou quitter l'Union européenne ? » Ils doivent cocher l’une des deux cases : « Rester membre de l’Union européenne » OU « Quitter l’Union européenne ». On a sciemment évité le classique « Oui/Non ». D’une part, pour ne pas influencer psychologiquement les électeurs, et d’autre part, pour rappeler à certains Anglais que leur pays fait partie de l’Union européenne. Je jure et je vous assure, même si j’aurais du mal à vous convaincre, ce dernier point n’est à mettre ni sur le registre de l’humour anglais ni sur celui de BB. It’s very serious. Détail important, qui résume à lui seul la relation ambivalente des Anglais avec les Européens : les ressortissants de 52 pays membres du Commonwealth, résidant au Royaume-Uni ou à Gibraltar (qu’ils soient d’Australie, de la Namibie, du Cameroun, du Canada, de l’Inde ou du Pakistan), peuvent participer au vote, mais pas ceux de 27 pays de l’Union européenne, qu’ils soient de France ou d’Allemagne, mis à part ceux qui viennent d’Irlande, mais aussi de Chypre et de Malte, membres de la communauté des nations de l’empire britannique. Hehehe, c’est un peu gauche de la part des Anglais. Mais enfin, un guide du référendum a été édité dans une dizaine de langues, dont l'anglais, le français et l'arabe. Eh oui, bienvenue en Occident ! Les résultats seront annoncés vendredi.

3. Les conservateurs, les travaillistes et même les indépendantistes écossais sont dans le camp des « Remain » car pour eux le Royaume-Uni est bien plus fort en Europe. La France, l’Allemagne et les Etats-Unis, ne sont pas favorables à un Brexit (British-Exit). Les organisations internationales, comme le FMI et l’OCDE, non plus. De l’autre côté, chez les partisans du camp des « Leave », on veut retrouver la souveraineté anglaise, soi-disant confisquée par le pouvoir de Bruxelles. En citant et en s’appuyant sur l’échec des tentatives de Napoléon et d’Hitler pour unir l’Europe, afin de fustiger l’Union européenne de l’après-guerre, le fougueux Boris Johnson, ancien maire de Londres et champion du Brexit, s’est montré tout simplement populiste. Du coup, il s’est discrédité tout seul. Dans ce camp, on retrouve bien évidemment le UKIP, UK Independence Party, le Parti de l'indépendance du Royaume-Uni de Nigel Farage, un eurosceptique jusqu’à la moelle mais député européen svp. Bon, à 35 000 €/mois en moyenne, comme enveloppe financière globale, pour exercer son mandat dans des conditions optimales, disons que c’est une proposition qui ne se refuse pas. Inquiet comme il doit bien l’être aujourd’hui, Farage saura trouver la bonne case dans l’isoloir. Elémentaire, mon cher Watson ! Sur le plan international, dans le camp du Brexit, il y a le Front national, qui a de nombreux députés européens à l’assiduité qui laisse beaucoup à désirer, et bien sûr, Donald Trump, qui a encore raté une bonne occasion de fermer sa gueule.

4. Comme l’argent est le nerf de la guerre, les finances sont au cœur de ce référendum. Oui le Royaume-Uni paie à l’Union plus qu’il ne reçoit. Mais pas autant que le laissent croire certains populistes favorables au Brexit (460 millions €/semaine!). En tout cas, on commet une erreur monumentale en réduisant toutes les conséquences du Brexit à ce bilan simpliste. En cas de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les marchés financiers seront perturbés et les investissements gravement affectés. Il y aura forcément une chute du PIB anglais de 3,4 à 9,5%, selon une analyse présentée au Parlement anglais par George Osborne, chancelier de l'Échiquier du Royaume-Uni, qui est à la tête du Trésor de Sa Majesté. Ainsi, selon le ministre anglais des Finances, en cas de Brexit, la perte globale nette pour le Royaume-Uni est estimée à 26 milliards €/an, 47 milliards €/an ou 59 milliards €/an, selon le scénario de sortie de l’Union européenne et l’alternative adoptée par la suite. Dans cette optique il y en aura trois alternatives : adhérer à l'Espace économique européen, comme la Norvège ; négocier un accord bilatéral avec l’UE, comme la Suisse, la Turquie ou le Canada (le plus probable) ; se contenter d’être membre de l’Organisation mondiale du commerce, sans accord spécifique avec l'UE, comme la Russie ou le Brésil. Le verdict du ministère des Finances est sans appel : « Le Royaume-Uni serait définitivement plus pauvre s’il quitte l'UE et adopte l'un de ces modèles (alternatives à l’UE) ». La perte nette par ménage à terme est estimée à 3 400 €/an, 5 600 €/an ou 6 800 €/an, selon l’alternative adoptée. Soyez-en sûrs, ce n’est ni Boris Johnson ni Nigel Farage qui vont en parler et en pâtir.


5. Le référendum d'aujourd'hui n’est pas le premier du genre au Royaume-Uni. Moins de deux ans et demi après son adhésion aux Communautés européennes le 1er janvier 1973, les Anglais étaient appelés aux urnes pour décider de continuer la route ou pas. Deux tiers des votants avaient répondu favorablement à l’époque. Par ailleurs, il faut savoir aussi que le Royaume-Uni bénéficie de multiples dérogations dans plusieurs domaines, comme la libre circulation des personnes (espace Schengen) et la monnaie unique (euro). Les Anglais devraient donc décider une fois pour toutes, s’ils souhaitent faire partie de l’Union ou pas. Comme l’a bien résumé Gordon Brown, l’ancien Premier ministre anglais, « nous devrions être leaders en Europe, pas la quitter ». Le Royaume-Uni n’a pas à se poser la question d’être ou de ne pas être dans l’Union, autant qu’il doit se demander effectivement comment devenir leader de l’Union européenne. C’est ce qu’on attend du pays qui fut un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais. 

6. Cela dit, l’Union européenne dans son ensemble, est pleinement responsable de l’épidémie d’euroscepticisme en Europe. Trop bureaucratie tue l’Union, on le sait. Londres est trop libérale et pro-américaine, on le sait aussi. Mais si l’Union ne séduit pas autant de nos jours, c’est aussi parce que les dirigeants européens depuis 1990 ont mal construit l’Europe. Zappons l’harmonisation du marché du travail ou de la fiscalisation des individus et des entreprises. Limitons-nous à la géographie par exemple. Oublions la Turquie, j’y reviendrais. La Roumanie et la Bulgarie étaient-ils prêts pour rejoindre l’ensemble ? L’Albanie et la Serbie ont-ils vocation à y être ? Est-ce qu’Israël et les pays du Maghreb peuvent-ils un jour faire partie de l’UE, comme certains le voudraient ? Enfin, elle va jusqu'où cette Union européenne ? Les derniers élargissements de l’UE -2004, 2007 et 2013- furent des erreurs. Il aurait fallu arrêter ou ne serait-ce que suspendre la construction européenne à quinze et instaurer des partenariats privilégiés avec les pays de l’Est. Au lieu d’élargir l’Union sans fin et sans limite, à un « rythme insoutenable » comme cela a été décidé par le Conseil européen de Copenhague en 1993 (le nombre des États membres de l'Union européenne a quasiment doublé, avec de grandes disparités régionales et des coûts d’intégration importants), il était préférable de consolider l’acquis et de renforcer l’Union existante. C’était déjà difficile à quinze. C’est ingérable à vingt-huit. Au-delà de l’économie, les dirigeants européens ont perdu de vue en cours de route et avec les années, que les motivations de l’UE étaient aussi politiques. Aujourd’hui, 59 ans après, l’Europe politique est une entité faible. Ce qui n’empêche pas les eurosceptiques de se plaindre du fonctionnement de l'UE et de la mainmise de Bruxelles sur les souverainetés nationales. En tout cas, les Anglais assument une grande part de responsabilité dans la situation actuelle de l'UE qui conduit une partie d'entre eux à vouloir partir. Au fil des ans, ils n'ont cessé de réclamer de nombreuses exemptions d'obligations et ils se sont montrés toujours très enthousiastes aux multiples élargissements.

7. L’enjeu du référendum anglais dépasse l’île britannique et même le continent européen. C’est ce qui me motive à m’exprimer sur le sujet. Je suis farouchement opposé à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Ma philosophie politique est simple, quand un « bon système » ne marche pas bien ou fonctionne mal, on milite pour l’améliorer et non pour le saboter. Certes, on peut reprocher beaucoup de choses à l’Union européenne sauf une chose fondamentale qui est à l’origine même de son existence, celle de rapprocher les peuples européens. En créant des intérêts communs entre les pays d’Europe, les Pères fondateurs de l’Union européenne ont mis un terme aux conflits sanglants qui ont ravagé le continent pendant des siècles. A chaque fois que je traverse une frontière intra-européenne, en toute simplicité, comme un hibou ou un chacal, je ne peux m’empêcher de m’arrêter sur cette merveilleuse aventure humaine et d’avoir une pensée à un des « grands Hommes » de la Patrie, Victor Hugo, grand défenseur des « Etats-Unis d’Europe ». L’écrivain français exposera ses raisons dans un remarquable discours prononcé le 21 août 1849, à l'occasion du Congrès international de la paix à Paris. Voici l'extrait le plus marquant. « Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu'elle serait impossible et qu'elle paraîtrait absurde aujourd'hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France. Un jour viendra où l'on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd'hui un instrument de torture, en s'étonnant que cela ait pu être. » Tout simplement magnifique. Sans pousser l’aventure européenne jusqu’au fédéralisme total, le principe de l’Union européenne ne peut pas cesser d’exister, avec ou sans le Royaume-Uni.

8. Hasard des coïncidences, pas très heureuses, au moment où les discussions au sujet de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne viennent d’être relancées, les Européens risquent de perdre un des piliers de cette Union et de l'histoire européenne, le Royaume-Uni. C’est insensé, c’est absurde, c’est même surréaliste ! Rappelons dans ce sillage, qu’il y a quelques mois, Recep Tayyip Erdogan, le président turc, a fait chanter l’UE carrément, en exigeant la relance du processus d’adhésion, comme condition sine qua non, afin d’accepter de conclure un accord avec les pays européens et de s’engager enfin, pour une meilleure maitrise des flux migratoires et djihadistes, de et vers l’Europe.

En tout cas, je reste persuadé que la place des héritiers de la Sublime Porte n’est pas sur la rive droite du Bosphore, mais sur la rive gauche. Son adhésion, qui est loin, même très loin, d’être acquise, comporte beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages pour l’Europe. Dans les meilleurs des cas, à court terme, elle renforcerait les partis d’extrême droite dans tous les pays de l’Union. Dans les pires des cas, à long terme, elle risquerait de faire éclater l’Union européenne. Par contre, je suis convaincu que la Turquie a un rôle fondamental à jouer dans la modernisation et la démocratisation des des pays arabo-musulmans du Moyen-Orient. Cette adhésion occidentale compromettra ce rôle oriental. Entre l’Union européenne et la Turquie, il faut plutôt développer les relations de « partenariat privilégié ».

Et comme l’histoire sait se montrer particulièrement ironique, il faut savoir que globalement, le Royaume-Uni, contrairement à la France et l’Allemagne, soutient depuis longtemps l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Ainsi, la perspective du Brexit inquiète beaucoup la Turquie. Cela l’a amené à faire un aveu à travers son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu : « nous voulons que le Royaume-Uni reste à tout prix dans l'Union européenne ». Et ce n’est pas tout. On trouve dans l’argumentation des partisans anglais du Brexit, justement, la crainte que l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ne déclenche une forte migration turque vers le Royaume-Uni. « Douze millions de Turcs disent qu'ils veulent venir au Royaume-Uni », c’était la Une du Sunday Express il y a un mois. C’est ce qui a amené le Premier ministre David Cameron, opposé au Brexit, pourtant favorable à l’adhésion de la Turquie dans le passé, a rassuré ses compatriotes. « Cela prendrait des décennies avant qu'on se retrouve face à cette éventualité. La Turquie a déposé sa candidature en 1987. Au rythme où avancent les choses, il faudra attendre l'an 3000 pour la voir adhérer à l'Union européenne. »

9. L’enjeu du ‪‎referendum anglais dépasse l’île britannique et même le continent européen. De Victor Hugo à Recep Tayyip Erdogan, tout le monde est suspendu à cette journée historique. Les vivants comme les morts. La souveraineté nationale, l’argent et l’immigration constituent la trame de l’argumentation des uns et des autres « to remain » ou « to leave ». « ‪Brexit » (British exit) or « ‪‎Bremain » (British remain) ? Quel dilemme ! Mais enfin, puisque la rime est forte, ‪#‎BritainRemain, et qu'on en finisse. Les résultats seront annoncés demain. 

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