L'abandon des Kurdes, l'afflux de réfugiés ou le retour des jihadistes, il va falloir choisir avec le risque d’avoir les trois à la fois et encore des milliards d'euros à payer à la Turquie.
Et dire que Jacques Chirac était pour l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne. Ce n'est pas demain la veille ! Pour comprendre les nouvelles complications au Moyen-Orient, provoquées par l’offensive militaire turque dans le Nord de la Syrie, il faut d’emblée avoir trois détails en tête.
Offensive de la Turquie en Syrie, bombardement de Ras el Aïn. Photo de Delil Souleiman, AFP |
1. Depuis le début du conflit syrien, en mars 2011, Erdogan n’a rien fait d’effective et d’efficace, ni contre le régime syrien ni contre Daech & Co. Pire encore, il a permis à divers groupes islamistes de bien s’épanouir dans l’espoir d’affaiblir les Kurdes syriens, car justement, la principale préoccupation de la Turquie en Syrie, n’est pas la survie de Bachar el-Assad mais l’autonomie grandissante des régions contrôlées par les rebelles kurdes syriens.
2- Les diverses fractions kurdes de Syrie, rejointes tout au long de la guerre par des fractions kurdes de Turquie et d'Irak, se sont opposées aux troupes du régime syrien. Certes, il y a eu des arrangements lors de l'évacuation des troupes du régime syrien des régions kurdes du Nord au cours de l'année 2012, afin de mieux protéger la Syrie utile, notamment Damas et les régions alaouites de la Méditerranée. Il n'empêche que le régime d'Assad avait totalement perdu sa souveraineté sur ces régions, de gré ou de force, au point qu'il était obligé d'acheter le pétrole aux Kurdes ! Mais ce qui restera dans l'histoire, ce sont surtout les durs combats des forces kurdes contre les divers groupes islamistes, notamment l’organisation terroriste « État islamique ». Sans leur courage sur le terrain, la coalition formée par les États-Unis en 2014 aussi puissante soit-elle, n’aurait jamais pu réussir à débarrasser le monde de la menace de Daech. On leur doit la chute de Raqqa comme de Deir el-Zour et la fin du califat en toc. Les Kurdes ont perdu 11 000 hommes contre les jihadistes sur les différents champs de batailles. Les abandonner à leur sort est le signe d'une ingratitude qui ne peut que faire honte aux dirigeants arabes et occidentaux.
3. L’Union européenne s’est engagée en mars 2016, à la suite de l’afflux massif de réfugiés vers l’Europe et les lourdes conséquences de l’ouverture des frontières par la chancelière allemande Angela Merkel, à octroyer deux fois trois milliards d’euros au nouveau gardien de la Sublime porte, afin de maitriser l’afflux de réfugiés, pas que syriens.
Cela étant dit, 48 heures à peine après le début des combats dans les régions du nord de la Syrie, contrôlées actuellement par les Kurdes, les pays occidentaux, notamment européens, et les pays arabes, notamment le Liban, se trouvent devant un choix :
. D’un côté, si l’offensive turque en Syrie est entravée, Erdogan menace d’ouvrir ses frontières et de laisser filer à l'anglaise 3,6 millions de réfugiés. « Ô Union européenne, reprenez-vous. Je le dis encore une fois, si vous essayez de présenter notre opération comme une invasion, nous ouvrirons les portes et vous enverrons 3,6 millions de migrants. » Hélas, ce n'est ni la première fois, ni la dernière d'ailleurs que le dirigeant turc tombe aussi bas.
. D'un autre côté, si l’offensive turque se déroule comme prévu, les forces kurdes ont averti, étant donné les impératifs militaires, elles ne seraient plus en mesure d’assurer le contrôle des camps de prisonniers, 70 000 personnes au total avec près de 12 000 combattants jihadistes de Daech & Co (essentiellement Syriens), dont 2 000 étrangers (450 Français que la France ne souhaite pas rapatrier!), pourraient se retrouver libres comme l’air.
Notez la nuance dans le choix des mots, très révélatrice : Erdogan menace, les Kurdes avertissent. Voici donc le chantage et le dilemme auxquels le monde est confronté à la suite de l'offensive turque en Syrie : 3,6 millions de réfugiés dans la nature ou 10 000 jihadistes libres comme l’air ?
*
Si nous sommes arrivés là c’est évidemment par la faute d’un grand imposteur résidant à la Maison Blanche et répondant au nom de Donald Trump. Le bouffon de Washington a décidé de retirer les quelques milliers de militaires américains de la région et de donner son feu vert au projet militaire d’Erdogan pour des raisons aussi confuses que surréalistes. « Les Kurdes se battent pour leur terre, il faut que vous compreniez (...) Nous avons dépensé énormément d’argent pour aider les Kurdes, que ce soit en munitions, en armes ou en argent. » Et alors ? Aussi invraisemblable que l'histoire des batailles d'aéroports au cours de la Révolution américaine au 18e siècle, le président des Etats-Unis a déclaré texto: « (Mais) Ils ne nous ont pas aidés pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ne nous ont pas aidés en Normandie, par exemple ». Vérifiez-le vous-même ! Et ça ne l'a pas empêché de conclure : « Cela étant dit, nous aimons les Kurdes ».
Officiellement, l’opération turque « Source de Paix » vise à lutter contre les « groupes terroristes kurdes » et créer une « zone de sécurité » au nord de la Syrie. Officieusement, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, de confession sunnite, est déterminé à affaiblir les forces kurdes, de confession sunnite aussi, et à construire des camps pour les réfugiés syriens de Turquie, de confession essentiellement sunnite, en plein territoire syrien.
A ce propos, notez que lorsque l'actuel président de la République libanaise, Michel Aoun, et Gebrane Bassil, le ministre libanais des Affaires étrangères, tous deux chrétiens, avaient fait une proposition comparable pour résoudre le casse-tête de la présence de 1,5 million de déplacés syriens au Liban, un quart de la population dont l’essentiel est présente depuis cinq ans, on les avaient crucifiés. Là, silence radio dans les milieux pro-turcs au Liban !
Le président Erdogan est pressé, même très pressé, pour au moins trois raisons :
. Primo, la nature ayant horreur du vide, si le parapluie américain placé jusqu’alors au-dessus des Kurdes est refermé et mis au placard, un des protagonistes de la scène syrienne doit bien en profiter : le régime d’Assad, l’Iran, la Russie ou la Turquie. Tout le monde le fera. Mais pour les Turcs, c’est maintenant ou jamais et l’occasion rêvée de s’attaquer aux épines kurdes : les troupes du parti de l’Union démocratique kurde (PYD, proche du PKK turc), appelées les Unités de Protection du Peuple (YPG), et depuis 2015, les Forces démocratiques syriennes (FDS). Celles-ci regroupent aussi des combattants syriens arabes, de confession chrétienne syriaque pour certains. Il faut comprendre, Erdogan n’a qu’une obsession, les Kurdes. Il n'évoque le terme de Daech qu'en l'associant à ce dernier, afin de créer la confusion dans les esprits et pour que les deux mots soient liés au terrorisme.
. Secundo, ce n’est qu’un secret de Polichinelle, il ne fait pas bon d’être Syrien en Anatolie depuis un moment déjà ! La population turque gronde à cause de la concurrence déloyale et d’autres conséquences de cette longue et massive présence. Ah si, il vaut mieux être Syrien à Beyrouth qu’à Istanbul, mais cela beaucoup de mauvaises langues au Liban et dans les pays arabes, où Erdogan a un important fan club, ne vous le diront pas. Donc il est temps de faire bouger les choses de ce côté-là, d’autant plus que l’accord sur les réfugiés conclu avec l’Union européenne en mars 2016 risque de prendre fin et de ne pas être renouveler.
. Tertio, faute de solution politique, de pacification du terrain, de stabilisation de la situation et de moyens financiers, la reconstruction de la Syrie n’est pas pour demain. Or, les années passent. La guerre en Syrie rentrera bientôt dans sa dixième année. La présence syrienne en Turquie commence à poser problème pour la population locale et les opposants politiques, d’où l’urgence pour Erdogan de bousculer la donne sur le terrain en créant cette « zone de sécurité » de 3 600 km2 (120 km de long et 30 km de large, soit 1/3 du Liban), en Syrie, afin de pouvoir réinstaller les Syriens réfugiés en Turquie, sur le territoire syrien.
Erdogan s’en sortira à tous les coups. Au mieux, même si c’est improbable, il réussira à exécuter son plan comme il l’a prévu. Au pire, il obtiendra des compensations financières au sujet des réfugiés comme en 2016.
*
Mais il ne fait pas de doute que le grand gagnant du nouveau chapitre de l’interminable guerre en Syrie est encore une fois, hélas, Bachar el-Assad. L’entrée en guerre de la Turquie oblige les Kurdes syriens à mettre de l’eau dans leur vin et à se rapprocher du régime syrien, pour sauver le précieux acquis de la guerre, leur autonomie. Si Erdogan réussit son plan, les Kurdes seront affaiblis, ce qui n’est pas si mal pour Assad. De plus, la Turquie, ennemie du régime d'Assad, sera forcément sous pression de la part de la communauté internationale, pour occupation illégale d’un fragment du territoire syrien. A moyen terme la situation est intenable, la zone occupée par les Turcs risque de passer rapidement sous la souveraineté du tyran de Damas, en échange de quelques garanties, pas de Kurdistan en Syrie comme en Irak, sous quelle que forme que ce soit.
Il y a beaucoup d’incertitudes à présent, mais il est clair que dans l’état actuel du monde, mieux vaut avoir comme allié Vladimir Poutine que Donald Trump. Vlad est fiable, solide et fidèle, un allié sur lequel on peut vraiment compter, pour le meilleur et pour le pire. Autre certitude, personne ne souhaite voir Daech renaitre de ses cendres autant que Bachar el-Assad. L’organisation terroriste ne constituera plus une menace pour le régime, mais pourrait justifier sa réhabilitation sur la scène internationale. D’ailleurs, les signes de réintégration ne manquent pas comme en témoigne l’accueil chaleureux réservé par Ahmed Aboul Gheit, Secrétaire général de la Ligue arabe, à Walid Mouallem, ministre syrien des Affaires étrangères, à l'occasion de la réunion de l'Assemblée générale de l'ONU il y a quelques semaines : « Bonsoir ! Incroyable. Comment vas-tu ? » Qu'il le veuille ou pas, Erdogan risque d’accélérer le processus.
Mais il ne fait pas de doute que le grand gagnant du nouveau chapitre de l’interminable guerre en Syrie est encore une fois, hélas, Bachar el-Assad. L’entrée en guerre de la Turquie oblige les Kurdes syriens à mettre de l’eau dans leur vin et à se rapprocher du régime syrien, pour sauver le précieux acquis de la guerre, leur autonomie. Si Erdogan réussit son plan, les Kurdes seront affaiblis, ce qui n’est pas si mal pour Assad. De plus, la Turquie, ennemie du régime d'Assad, sera forcément sous pression de la part de la communauté internationale, pour occupation illégale d’un fragment du territoire syrien. A moyen terme la situation est intenable, la zone occupée par les Turcs risque de passer rapidement sous la souveraineté du tyran de Damas, en échange de quelques garanties, pas de Kurdistan en Syrie comme en Irak, sous quelle que forme que ce soit.
Maintenant si Erdogan échoue et met à exécution ses menaces, c’est tout bénéf aussi. De nouveaux réfugiés syriens renvoyés en Europe et forcément au Liban, cela s’intègre parfaitement dans les projets de Bachar el-Assad, rendre le nettoyage ethnique de la composante sunnite de la Syrie et la colonisation du pays du Cèdre via les déplacés syriens, des réalités difficilement réversibles. Et si des jihadistes sont relâchés dans la nature à cause des combats, c’est du pain béni, l’occasion inespérée pour l'adoubement et la réhabilitation d'Assad sur la scène internationale, le régime pouvant se présenter comme le seul rempart face au terrorisme islamiste et une assurance inestimable pour l'élevage de lapins sur le plateau du Golan, occupé puis annexé par Israël.
Il y a beaucoup d’incertitudes à présent, mais il est clair que dans l’état actuel du monde, mieux vaut avoir comme allié Vladimir Poutine que Donald Trump. Vlad est fiable, solide et fidèle, un allié sur lequel on peut vraiment compter, pour le meilleur et pour le pire. Autre certitude, personne ne souhaite voir Daech renaitre de ses cendres autant que Bachar el-Assad. L’organisation terroriste ne constituera plus une menace pour le régime, mais pourrait justifier sa réhabilitation sur la scène internationale. D’ailleurs, les signes de réintégration ne manquent pas comme en témoigne l’accueil chaleureux réservé par Ahmed Aboul Gheit, Secrétaire général de la Ligue arabe, à Walid Mouallem, ministre syrien des Affaires étrangères, à l'occasion de la réunion de l'Assemblée générale de l'ONU il y a quelques semaines : « Bonsoir ! Incroyable. Comment vas-tu ? » Qu'il le veuille ou pas, Erdogan risque d’accélérer le processus.
*
L’offensive turque en Syrie a provoqué un tollé au niveau international. Malgré cela, elle continue pour le deuxième jour, comme si de rien n’était. Si elle n’est pas stoppée, hélas, nous risquons d’avoir et des millions de réfugiés et des milliers de jihadistes, de toutes nationalités. C’est pour dire qu’il est nécessaire que l’Union européenne et le Conseil de sécurité de l’ONU infligent un camouflet aux plans de Recep Tayyip Erdogan. Non seulement, il faut se montrer reconnaissants à l'égard des Kurdes syriens pour l'élimination de Daech, mais en plus, il faut faire savoir à ce dernier, que ses manoeuvres sont nulles et non avenues pour deux raisons.
D'une part, parce que la Turquie est obligée d'assurer un contrôle hermétique de ses frontières avec l'Union européenne, son pays abritant près de 4 millions de réfugiés (87% d'origine syrienne). D'autre part, parce que les réfugiés, arrivés en Grèce, dont la situation ne demande pas une protection internationale, doivent être reconduits à leurs points de départ, en Turquie. Ce sont les termes de l’accord conclu par l’Union européenne avec la Turquie en mars 2016, pour six milliards d’euros svp.
« À ce jour l’Union européenne a alloué 5,6 des 6 milliards d’euros approuvés » a annoncé en septembre la porte-parole de la Commission européenne, Natasha Bertaud. Comme le reste sera versé « prochainement » et marquera la fin du contrat UE-Turquie, le bouffon d'Ankara a décidé de mettre le feu aux poudres et de placer le monde face à un chantage et un dilemme abjects, les réfugiés et les jihadistes. Quant au bouffon de Washington, il est vraiment à l'ouest, on ne peut pas compter dessus non plus. Du devenir des jihadistes justement, voici ce qu'en dit le commandant en chef des forces armées américaines : « Ils vont aller en Europe. C’est là qu’ils veulent aller. Ils veulent rentrer chez eux... L’Europe aurait pu les traduire en justice, ils auraient pu en faire ce qu’ils voulaient, mais ils ne l’ont pas voulu (...) Nous avons dit à plusieurs pays: on aimerait que vous repreniez vos gens. Personne n’en veut, ils sont méchants (...) Peut-être que les Kurdes... ou sinon la Turquie pourrait s’occuper des combattants de l’Etat islamique... Laissons les Turcs le faire. »
Si l'Europe ne réagit pas avec force et fermeté, elle risque d'être devant le fait accompli : elle aura des réfugiés, des jihadistes et encore des milliards d'euros à payer au maitre chanteur du Bosphore. Et belote et rebelote.
L’offensive turque en Syrie a provoqué un tollé au niveau international. Malgré cela, elle continue pour le deuxième jour, comme si de rien n’était. Si elle n’est pas stoppée, hélas, nous risquons d’avoir et des millions de réfugiés et des milliers de jihadistes, de toutes nationalités. C’est pour dire qu’il est nécessaire que l’Union européenne et le Conseil de sécurité de l’ONU infligent un camouflet aux plans de Recep Tayyip Erdogan. Non seulement, il faut se montrer reconnaissants à l'égard des Kurdes syriens pour l'élimination de Daech, mais en plus, il faut faire savoir à ce dernier, que ses manoeuvres sont nulles et non avenues pour deux raisons.
D'une part, parce que la Turquie est obligée d'assurer un contrôle hermétique de ses frontières avec l'Union européenne, son pays abritant près de 4 millions de réfugiés (87% d'origine syrienne). D'autre part, parce que les réfugiés, arrivés en Grèce, dont la situation ne demande pas une protection internationale, doivent être reconduits à leurs points de départ, en Turquie. Ce sont les termes de l’accord conclu par l’Union européenne avec la Turquie en mars 2016, pour six milliards d’euros svp.
« À ce jour l’Union européenne a alloué 5,6 des 6 milliards d’euros approuvés » a annoncé en septembre la porte-parole de la Commission européenne, Natasha Bertaud. Comme le reste sera versé « prochainement » et marquera la fin du contrat UE-Turquie, le bouffon d'Ankara a décidé de mettre le feu aux poudres et de placer le monde face à un chantage et un dilemme abjects, les réfugiés et les jihadistes. Quant au bouffon de Washington, il est vraiment à l'ouest, on ne peut pas compter dessus non plus. Du devenir des jihadistes justement, voici ce qu'en dit le commandant en chef des forces armées américaines : « Ils vont aller en Europe. C’est là qu’ils veulent aller. Ils veulent rentrer chez eux... L’Europe aurait pu les traduire en justice, ils auraient pu en faire ce qu’ils voulaient, mais ils ne l’ont pas voulu (...) Nous avons dit à plusieurs pays: on aimerait que vous repreniez vos gens. Personne n’en veut, ils sont méchants (...) Peut-être que les Kurdes... ou sinon la Turquie pourrait s’occuper des combattants de l’Etat islamique... Laissons les Turcs le faire. »
Si l'Europe ne réagit pas avec force et fermeté, elle risque d'être devant le fait accompli : elle aura des réfugiés, des jihadistes et encore des milliards d'euros à payer au maitre chanteur du Bosphore. Et belote et rebelote.