Autodafé de l'Opernplatz du 10 mai 1933 à Berlin |
Socrate est sans doute la
victime la plus ancienne de la censure. Accusé de blasphème et de corrompre les
jeunes gens, il fut condamné à mort par
ingestion d’une plante toxique. Qu’on le veuille ou pas, pour des raisons
religieuses ou non, que l’on soit chrétien ou mécréant, la victime la plus
célèbre de la censure de tous les temps est Jésus de Nazareth. Quelle découverte, personne n’a abordé le
sujet de cet angle auparavant ! J'en suis ravi. Arrêté par les autorités religieuses juives pour blasphème,
accusé de rébellion par les autorités romaines, il fut condamné à mort, torturé
et crucifié à Jérusalem. Sur le plan artistique aussi, les ciseaux de Madame
Anastasie s’en sont donnés à cœur joie. Plusieurs papes demandèrent à recouvrir
par un voile pudique une partie des 400 personnages nus du Jugement dernier de
Michel-Ange de la chapelle Sixtine au Vatican. Même Les Mille et une Nuits
ont été censurées au début du XXe siècle par les pudibonds
traducteurs pour éviter l’outrage aux bonnes mœurs de la bourgeoisie occidentale
et des grenouilles de bénitier. Ceux qui méritent la palme d’or de la
censure, ce sont évidemment tous les régimes
totalitaires contemporains, des communistes aux baassistes, qui ont fait de
la liberté d’expression leur première victime. Les mollahs d’Iran ont poussé le
vice encore plus loin. Ils ont offert 3,3 millions $ à qui exécutera la fatwa de
l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain britannique Salman Rushdie pour avoir écrit Les
Versets sataniques ! L’Arabie saoudite a remué ciel et terre pour
obliger la Malaisie à extrader un jeune journaliste saoudien qui a osé critiquer
Mahomet dans quelques tweets. Personne ne sait ce qu’il est devenu. Pendant
longtemps, on ne s’embarrassait pas pour censurer. La forme la plus brutale de
censure était l’autodafé de personnes
hérétiques (par l’Inquisition), l'autodafé de
livres (des Corans furent brûlés lors de la Révolution culturelle en Chine ; le plus célèbre autodafé de l’Histoire, savamment mis en scène,
fut celui du 10 mai 1933 à Berlin où 25 000 ouvrages furent brûlés en public par les
jeunes nazis) et même l'autodafé des objets bannis (les
préservatifs en 1995 au Kenya avec des livres de prévention du Sida). Tout
en déplorant la disparition de la culture islamique de l’Andalousie l’écrivain
allemand Heinrich Heine prévenait déjà en 1821 : « Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes. » Prémonitoire,
de 112 ans ! A propos, les nazis sont allaient jusqu’à qualifier tout ce
qui ne rentrait pas dans le cadre de leur idéologie fasciste, d’« art dégénératif », leurs
auteurs furent parfois envoyés dans les camps de concentration.
La
censure est un peu comme un raciste qui prétend que ces allégations sont
« scientifiquement prouvées », ou comme un eugéniste qui affirme que
ces travaux sont « pour le bien de tous ». Désolé, rien ne justifie
la censure. Cela va à l’encontre du bien commun. Les censeurs veulent que les poissons rouges prennent leur bocal pour l’océan
Pacifique ! Mais qu’est-ce la censure au juste ? Il s’agit d’une « limitation de la liberté d'expression
par l'interdiction totale ou partielle de la diffusion d'une œuvre, d'une
publication ou d'une idée ». Je n’ai jamais rien lu de plus terrifiant
! Je pense sans exagération aucune, que nous avons là l’une des menaces les
plus dangereuses pour l’espèce humaine. Je mesure parfaitement mes mots et je
peux les justifier par 1001 exemples. La
censure tue la liberté mais aussi la créativité et la diversité. Elle
empêche l’humanité de progresser sur tous les plans où elle s’exerce, des sciences
aux arts, de la technologie à la littérature, du cinéma au graphisme, de l’écriture
au théâtre, de la philosophie à la politique, de la démocratie au journalisme,
de la peinture à la chanson, etc. « Rien
de ce qui résulte du progrès humain ne s'obtient avec l'assentiment de tous.
Ceux qui aperçoivent la lumière avant les autres sont condamnés à la poursuivre
en dépit des autres. » Christophe Colomb savait de quoi il parlait ! Sans
la liberté, la créativité et la diversité, l’humanité serait encore avec une
feuille de vigne sur le pubis, on s’appelleraient tous Adam et Eve, et on
passeraient le plus clair de notre temps à manger des pommes en jouant à
touche-pipi !
La déclaration des droits
de l’homme et du citoyen issue de la Révolution française de 1789, précise
dans son article XI que « La libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux
de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à
répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. » Le Premier amendement de la Constitution
américaine, rédigé deux plus tard va encore plus loin : « Le Congrès ne fera aucune loi pour
conférer un statut institutionnel à une religion, (aucune loi) qui interdise le
libre exercice d'une religion, (aucune loi) qui restreigne la liberté
d'expression, ni la liberté de la presse, ni le droit des citoyens de se réunir
pacifiquement et d'adresser à l'État des pétitions pour obtenir réparation de
torts subis. » Ce n’est nullement le fruit du hasard, si les Etats-Unis et
la France, et au-delà l'Europe et tout l’Occident, ont représenté durant le XIXe et le XXe
siècle, les terrains les plus propices pour assurer le progrès de l’humanité
sur les plans scientifique, technique, philosophique, littéraire, artistique,
politique, économique et sociale.
A
tous ceux qui voudraient interdire une œuvre de l’esprit à présent et à
l’avenir, il faudrait sans doute leur opposer toujours et invariablement
l’implacable logique de la justice française lorsqu’une association
front-nationaliste fondamentaliste chrétienne voulait censurer le film « Je vous salue Marie » de Jean-Luc
Godard (1985), « le film ne peut choquer des personnes qui n'auraient pas souhaité le
voir ». C'est d’une clarté absolue ! Que les faits rapportés dans une œuvre,
historique, artistique, politique ou religieuse, qu’importe, soient véridiques,
adaptés librement ou falsifiés, qu'importe, qui transgressent une obligation morale,
sociale ou toute autre, qu’importe, cela ne doit en aucun cas justifier la censure de l'œuvre.
A toute prétendue « contre-vérité ou
transgression » les mécontents n’ont qu’à opposer leur « vérité ou morale » par
tous les moyens que la liberté d’expression met à leur disposition. Que les
auteurs des œuvres prennent une certaine liberté avec l’histoire ou la morale,
qu’il y ait une volonté manichéenne manifeste ou de la provocation gratuite, ni
l’une ni l’autre ni aucune raison ne justifie la censure d’une œuvre de l’esprit.
Le malheur des censeurs du XXIe siècle c’est
qu’internet aujourd’hui anéanti en quelques secondes, tout l’effort qu’ils
peuvent déployer pendant des mois pour parvenir à leurs fins.
Au
total, la censure ne se justifie pas.
Pire, elle est complètement inefficace. Pire encore, c’est la meilleure
publicité pour l’œuvre à censurer !
Nota
Bene
1.
Y a-t-il un progrès quelconque à débouter certains censeurs chrétiens libanais,
en autorisant la sortie en salle au Liban de « Fetih 1453 », un film
qui retrace la conquête de Constantinople par les Ottomans, l’Istanbul
d’aujourd’hui, du point de vue d’un réalisateur turc ? Indéniablement oui.
Lequel ? Celle de la connaissance
d’autrui et de son point de vue, ainsi que de son histoire, sa culture et de
son art. Censurer s’est se replier sur soi, sur ses connaissances et ses
croyances, rester enfermer dans son monde, vivre en autarcie, se marginaliser, s’appauvrir
et périr.
2.
Dans la majorité des pays occidentaux, il existe une limitation légale de la
liberté d’expression pour discrimination, contestation des crimes
contre l’humanité reconnus par une juridiction internationale, incitation à
la haine ou à la violence, et injure à raison d’un handicap par exemple,
comme dans l’affaire May Chidiac. Selon un document qui a circulé sur internet au début du mois d'octobre, la candidature de la journaliste libanaise aux prochaines élections législatives au Kesrouane serait anticonstitutionnelle car la Constitution prévoit cinq sièges pour cette région et non « quatre et demi », allusion à l'amputation d'une jambe et d'un bras à la suite de l'attentat qui l'a visé le 25 septembre 2005. Un humour ignoble.