dimanche 14 octobre 2012

Jésus de Nazareth, victime la plus célèbre de la censure ! (Art.79)



Autodafé de l'Opernplatz du 10 mai 1933 à Berlin
Qu’importe l’époque, la loi et le motif, l’esprit censeur est légion ! Pas que romaine, j’y reviendrai. Mais puisqu’on ne manquera jamais de motifs, nous devons nous attendre à ne jamais manquer de censeurs non plus. D’ailleurs, jamais nous n’en avons manqué, nous n’en manquons pas et nous n’en manquerons jamais d’ailleurs. La boucle est bouclée, tourner en rond est l’ultime but de tous les censeurs. Rien ne résiste aux ciseaux d’Anastasie. On ne s’embarrasse pas de motifs, pas plus que de scrupules ! L’étroitesse d’esprit du censeur lui fait oublier que le « blasphème » ne signifie rien pour un athée, la « contre-vérité » est toute subjective, la « diffamation » est l’arme favorite des antidémocrates, la « falsification des faits » est l’argument des perdants de l’Histoire, le « danger pour la paix civile » est l’excuse des totalitaires, la « menace à l’ordre public » est l’argument fétiche des fascistes et le « trouble à l’ordre social » est le prétexte des conservateurs de tout poil et en tout genre.

Socrate est sans doute la victime la plus ancienne de la censure. Accusé de blasphème et de corrompre les jeunes gens,  il fut condamné à mort par ingestion d’une plante toxique. Qu’on le veuille ou pas, pour des raisons religieuses ou non, que l’on soit chrétien ou mécréant, la victime la plus célèbre de la censure de tous les temps est Jésus de Nazareth. Quelle découverte, personne n’a abordé le sujet de cet angle auparavant ! J'en suis ravi. Arrêté par les autorités religieuses juives pour blasphème, accusé de rébellion par les autorités romaines, il fut condamné à mort, torturé et crucifié à Jérusalem. Sur le plan artistique aussi, les ciseaux de Madame Anastasie s’en sont donnés à cœur joie. Plusieurs papes demandèrent à recouvrir par un voile pudique une partie des 400 personnages nus du Jugement dernier de Michel-Ange de la chapelle Sixtine au Vatican. Même Les Mille et une Nuits ont été censurées au début du XXe siècle par les pudibonds traducteurs pour éviter l’outrage aux bonnes mœurs de la bourgeoisie occidentale et des grenouilles de bénitier. Ceux qui méritent la palme d’or de la censure, ce sont évidemment tous les régimes totalitaires contemporains, des communistes aux baassistes, qui ont fait de la liberté d’expression leur première victime. Les mollahs d’Iran ont poussé le vice encore plus loin. Ils ont offert 3,3 millions $ à qui exécutera la fatwa de l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain britannique Salman Rushdie pour avoir écrit Les Versets sataniques ! L’Arabie saoudite a remué ciel et terre pour obliger la Malaisie à extrader un jeune journaliste saoudien qui a osé critiquer Mahomet dans quelques tweets. Personne ne sait ce qu’il est devenu. Pendant longtemps, on ne s’embarrassait pas pour censurer. La forme la plus brutale de censure était l’autodafé de personnes hérétiques (par l’Inquisition), l'autodafé de livres (des Corans furent brûlés lors de la Révolution culturelle en Chine ; le plus célèbre autodafé de l’Histoire, savamment mis en scène, fut celui du 10 mai 1933 à Berlin où 25 000 ouvrages furent brûlés en public par les jeunes nazis) et même l'autodafé des objets bannis (les préservatifs en 1995 au Kenya avec des livres de prévention du Sida). Tout en déplorant la disparition de la culture islamique de l’Andalousie l’écrivain allemand Heinrich Heine prévenait déjà en 1821 : « Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes. » Prémonitoire, de 112 ans ! A propos, les nazis sont allaient jusqu’à qualifier tout ce qui ne rentrait pas dans le cadre de leur idéologie fasciste, d’« art dégénératif », leurs auteurs furent parfois envoyés dans les camps de concentration.

La censure est un peu comme un raciste qui prétend que ces allégations sont « scientifiquement prouvées », ou comme un eugéniste qui affirme que ces travaux sont « pour le bien de tous ». Désolé, rien ne justifie la censure. Cela va à l’encontre du bien commun. Les censeurs veulent que les poissons rouges prennent leur bocal pour l’océan Pacifique ! Mais qu’est-ce la censure au juste ? Il s’agit d’une « limitation de la liberté d'expression par l'interdiction totale ou partielle de la diffusion d'une œuvre, d'une publication ou d'une idée ». Je n’ai jamais rien lu de plus terrifiant ! Je pense sans exagération aucune, que nous avons là l’une des menaces les plus dangereuses pour l’espèce humaine. Je mesure parfaitement mes mots et je peux les justifier par 1001 exemples. La censure tue la liberté mais aussi la créativité et la diversité. Elle empêche l’humanité de progresser sur tous les plans où elle s’exerce, des sciences aux arts, de la technologie à la littérature, du cinéma au graphisme, de l’écriture au théâtre, de la philosophie à la politique, de la démocratie au journalisme, de la peinture à la chanson, etc. « Rien de ce qui résulte du progrès humain ne s'obtient avec l'assentiment de tous. Ceux qui aperçoivent la lumière avant les autres sont condamnés à la poursuivre en dépit des autres. » Christophe Colomb savait de quoi il parlait ! Sans la liberté, la créativité et la diversité, l’humanité serait encore avec une feuille de vigne sur le pubis, on s’appelleraient tous Adam et Eve, et on passeraient le plus clair de notre temps à manger des pommes en jouant à touche-pipi !

La déclaration des droits de l’homme et du citoyen issue de la Révolution française de 1789, précise dans son article XI que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. » Le Premier amendement de la Constitution américaine, rédigé deux plus tard va encore plus loin : « Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, (aucune loi) qui interdise le libre exercice d'une religion, (aucune loi) qui restreigne la liberté d'expression, ni la liberté de la presse, ni le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d'adresser à l'État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis. » Ce n’est nullement le fruit du hasard, si les Etats-Unis et la France, et au-delà l'Europe et tout l’Occident, ont représenté durant le XIXe et le XXe siècle, les terrains les plus propices pour assurer le progrès de l’humanité sur les plans scientifique, technique, philosophique, littéraire, artistique, politique, économique et sociale.

A tous ceux qui voudraient interdire une œuvre de l’esprit à présent et à l’avenir, il faudrait sans doute leur opposer toujours et invariablement l’implacable logique de la justice française lorsqu’une association front-nationaliste fondamentaliste chrétienne voulait censurer le film « Je vous salue Marie » de Jean-Luc Godard (1985), « le film ne peut choquer des personnes qui n'auraient pas souhaité le voir ». C'est d’une clarté absolue ! Que les faits rapportés dans une œuvre, historique, artistique, politique ou religieuse, qu’importe, soient véridiques, adaptés librement ou falsifiés, qu'importe, qui transgressent une obligation morale, sociale ou toute autre, qu’importe, cela ne doit en aucun cas justifier la censure de l'œuvre. A toute prétendue « contre-vérité ou transgression » les mécontents n’ont qu’à opposer leur « vérité ou morale » par tous les moyens que la liberté d’expression met à leur disposition. Que les auteurs des œuvres prennent une certaine liberté avec l’histoire ou la morale, qu’il y ait une volonté manichéenne manifeste ou de la provocation gratuite, ni l’une ni l’autre ni aucune raison ne justifie la censure d’une œuvre de l’esprit. Le malheur des censeurs du XXIe siècle c’est qu’internet aujourd’hui anéanti en quelques secondes, tout l’effort qu’ils peuvent déployer pendant des mois pour parvenir à leurs fins.

Au total, la censure ne se justifie pas. Pire, elle est complètement inefficace. Pire encore, c’est la meilleure publicité pour l’œuvre à censurer !


Nota Bene

1. Y a-t-il un progrès quelconque à débouter certains censeurs chrétiens libanais, en autorisant la sortie en salle au Liban de « Fetih 1453 », un film qui retrace la conquête de Constantinople par les Ottomans, l’Istanbul d’aujourd’hui, du point de vue d’un réalisateur turc ? Indéniablement oui. Lequel ? Celle de la connaissance d’autrui et de son point de vue, ainsi que de son histoire, sa culture et de son art. Censurer s’est se replier sur soi, sur ses connaissances et ses croyances, rester enfermer dans son monde, vivre en autarcie, se marginaliser, s’appauvrir et périr.


2. Dans la majorité des pays occidentaux, il existe une limitation légale de la liberté d’expression pour discrimination, contestation des crimes contre l’humanité reconnus par une juridiction internationale, incitation à la haine ou à la violence, et injure à raison d’un handicap par exemple, comme dans l’affaire May Chidiac. Selon un document qui a circulé sur internet au début du mois d'octobre, la candidature de la journaliste libanaise aux prochaines élections législatives au Kesrouane serait anticonstitutionnelle car la Constitution prévoit cinq sièges pour cette région et non « quatre et demi », allusion à l'amputation d'une jambe et d'un bras à la suite de l'attentat qui l'a visé le 25 septembre 2005. Un humour ignoble.