dimanche 2 juin 2013

D’Istanbul à Beyrouth : de la colère populaire à la colère BCBG, du sang à la sauce tomate ! (Art.151)



A Istanbul, comme à Ankara et à Izmir, la Turquie est en ébullition. Les Turcs sont descendus massivement dans la rue pour manifester leur colère.

1. Colère contre la politique globale du Premier ministre islamo-conservateur, Racep Tayyip Erdogan, de moins en moins laïque et démocratique, de plus en plus islamique et autocratique. Les motifs ne manquent pas : gaspillage de l’argent public dans des projets nationalistes et mégalomaniaques, atteinte à la liberté d’expression, atteinte aux libertés individuelles, restriction de la consommation et de la vente d’alcool, la
« moralisation » de la société, limitation des « manifestations amoureuses » dans la rue, brutalité policière, clientélisme, règne sans fin d’Erdogan sur la municipalité d’Istanbul alors qu’il n’est plus le maire de la ville, complaisance face à la folie des promoteurs, ottomania, le déni des contestations, etc.

2. Colère tout particulièrement contre un projet d’aménagement urbain, et le début de la destruction du parc Gezi, qui a déclenché les émeutes, et la disparition de 600 arbres, un grand espace vert considéré par les Stambouliotes comme un mini Central Park, pour construire un énième centre commercial à Istanbul, qui en compte une soixantaine, et des casernes néo-ottomanes détruites en 1940, ottomania oblige!

Je ne peux m’empêcher de faire un parallélisme très intéressant entre ce qui se passe en Turquie et nos petites affaires au Liban.

 
1. Le Conseil municipal de Beyrouth a sorti des cartons poussiéreux des années 50, un projet d’aménagement urbain, et lui a déjà alloué 60 millions de dollars, qui prévoit le passage d’une autoroute en plein cœur d’Achrafieh. Cette autoroute constituera  un préjudice important pour le patrimoine et l’identité de la ville, et une atteinte à l’âme de Beyrouth et au cadre de vie des Achrafiotes. Non seulement, il s’agit d’un gaspillage manifeste de l’argent public, mais en plus, et c’est un comble, elle ne résoudra pas le cauchemar des embouteillages dans la capitale, bien au contraire. Nous étions nombreux à s’y opposer, mais peu, si on tient compte du potentiel humain de Beyrouth et de ses environs.

2. Tous les jours nous constatons que l’Etat libanais se désagrège, la prorogation du mandat du Parlement libanais avant-hier, n’étant qu’un des nombreux symptômes de cette désagrégation.
Nous sommes nombreux à râler, -
mais peu, si on tient compte du potentiel humain du pays- en toute sincérité ou en toute hypocrisie, jusqu’à balancer des tomates sur les portraits des députés de la nation et sur deux ou trois voitures parlementaires, une première quand même. Et pourtant, tout le monde sait qu’il en restera ainsi tant que la majorité du peuple libanais -notamment certains hypocrites défenseurs de la démocratie libanaise de la dernière pluie- acquiesce que la souveraineté de l’Etat libanais soit piétinée par un parti milicien théocratique, comme le Hezbollah, inféodé à un Etat totalitaire théocratique, comme la République islamique d'Iran. Les hypocrites doivent savoir que si la souveraineté libanaise est maltraitée autant, qu'ils ne doivent pas s'étonner après, que la démocratie dans ce pays soit aussi malmenée ! Ma3lé.

La colère populaire turque
a déjà fait 1000 blessés et conduit à 1000 arrestations ! Ces jeunes Stambouliotes montrent au monde entier qu'ils sont attachés autant que les Parisiens à l'écologie, à la laïcité et à la démocratie. Même s’ils ont déjà obligé le Premier ministre turc à retirer la police de la place Taksim, le déni de la réalité de la protestation populaire par Erdogan est digne d’une autruche. Il est allé jusqu’à accuser ce peuple qui est descendu "spontanément" dans la rue -grâce aux réseaux, Facebook et Twitter, encore une fois- d’être manipulés par « l’étranger ». Lol. Tiens, tiens, il pourrait trouver un terrain d’entente avec son voisin syrien ! Rien n’indique que nous allons vers un apaisement sur les rives du Bosphore. Dans tous les cas, la gestion de la colère de la rue par Racep Tayyip Erdogan, avec mépris et brutalité, n’est pas à la hauteur de ce que l’on attend du leader d’un pays laïc et démocratique comme la Turquie, et d’un pays phare du monde musulman, encore moins d’un pays candidat à l’Union européenne.

Dans nos contrées, nous en sommes à des années-lumière. Force est de constater que la colère populaire libanaise prend un caractère BCBG, bon chic bon genre, somme toute civilisée, même si quelques tomates ont fusé sur les portraits des 128 grassouillets de la nation et sur quelques voitures parlementaires, quand elle ne revêt pas un caractère schizophrénique, faussement motivée par l'atteinte à la démocratie libanaise. Faut-il s’en réjouir ? Je ne le pense pas. Peut-on espérer plus ? Je ne le crois pas. En tout cas, pas pour l’instant. Beaucoup de compatriotes se demandent quand le peuple libanais va agir dans la rue ? Difficile d'y répondre. Peut-être quand les poules auront des dents ; aux calendes grecques pour être précis !

Pour agir, il convient de bien informer les gens d’abord
, ce qui est loin d’être le cas au Liban. Dans notre pays, l’information est biaisée et partisane, la malhonnêteté intellectuelle règne et la littérature politique a beaucoup d’adeptes ! Bien communiquer est la condition sine qua non pour toute action sur le terrain. Si les gens sont bien informés des risques et de l’enjeu, la partie la plus difficile sera de leur faire prendre conscience au niveau collectif qu'il faut agir d’une manière désintéressée pour un idéal commun qui dépasse les clivages, et non pour des intérêts claniques et politiciennes à 5 piastres. Pour mobiliser il faudrait arrêter les interminables palabres et les baratins à la mords-moi-le-noeud, puis établir des objectifs politiques clairs, réalistes et ambitieux. Il faudrait donner espoir aux gens et fixer un cap, pour avoir une chance de susciter l’enthousiasme de la masse populaire et le désir d’agir.

En d’autres termes, le peuple libanais agira quand le nombre d’idéalistes dépassera le nombre de réalistes-fatalistes-opportunistes. On ne descend pas dans la rue si on n’a pas un brin d’idéalisme, mélangé parfois avec de l’extrémisme, mais de l’idéalisme quand même. C'est l'ingrédient principal pour une colère populaire saine, et non une colère BCBG ou une colère hypocrite, aussi passagère l’une que l’autre. Donc, il faut informer sans cesse et efficacement et surtout, parvenir à injecter une dose d'espoir et d'idéalisme dans les veines de nos compatriotes, qui les poussera à agir. Pour l’instant, contentons-nous d'un bon tabboulé en ce dimanche, ya di3an hal banadourét !, notre révolution peut bien attendre. Min lé7é2na, wou chou sayir 3leina ! D'Istanbul à Beyrouth, du sang à la sauce tomate, des affaires à suivre.