dimanche 27 octobre 2013

Dans les secrets d’Allah, du Gardien des deux saintes mosquées et des Saoudiennes (Art.188)


Les dirigeants de l’Arabie saoudite sont actuellement en colère contre le Conseil de sécurité de l'ONU. Ils refusent même d'y siéger. Ils donnent des leçons en droit international au monde entier. Ils protestent vivement contre l'injustice qui frappe les populations syriennes et palestiniennes. Et pourtant, une grande injustice est là sous leurs yeux, mais ils ne la voient pas. Enfin, ils ne veulent pas la voir plutôt. Aussi incroyable que ça puisse paraître, encore en 2013, les citoyens du « sexe faible » de l’Arabie saoudite ne peuvent toujours pas conduire une voiture.

L’islam n’y est pour rien, naturellement. Le Coran n’en parle pas, évidemment. Mais, là où les choses se corsent c’est qu’il n’y a même pas de législation qui l’interdit. La meilleure ! Et donc, bien qu’il n’existe aucune loi proprement dite dans ce domaine, c’est tout simplement un décret du ministère de l’intérieur de 1990 qui a officialisé une coutume restrictive qui empêche la femme saoudienne de conduire. Les autorités du pays ne manquent pas de raisons pour se donner bonne conscience. Ils justifient le maintien de cette interdiction par des fatwas pour lutter contre la tentation. Il existe aussi des raisons sociales, bien entendu. On dit que la société saoudienne n’est pas prête pour cela. On dit aussi que la majorité des Saoudiens y est favorable. On dit également que c’est nécessaire pour éviter le chaos social. On a même fini par trouver des justifications d’ordre médical. La conduite perturberait le fonctionnement des ovaires et du bassin. C’est le dernier argument, créé de toute pièce par les zones les plus archaïques du cortex cérébral d’un cheikh saoudien, contre la protestation du 26 octobre. « Si une femme conduit une voiture, à l'exception d'une véritable nécessité, cela pourrait avoir un impact physiologique négatif, car des études médicales physiologiques et fonctionnelles montrent que cela affecte automatiquement les ovaires et relève le bassin. C'est la raison pour laquelle nous constatons que celles qui conduisent régulièrement ont des enfants marqués par des problèmes cliniques de différents degrés. » Allah wou akbar ! And last but not least, au grand dam des obsédés de l’hymen, la présence des femmes au volant signifierait « la fin de la virginité ». Wou khédo 3a zél wou té3tir ya chabeb !

Ce n’est pas la première fois que les Saoudiennes défient les autorités politico-religieuses du Royaume. Il y a eu plusieurs tentatives dans le passé. D’abord, en 1990, juste après l’instauration officielle de l’interdiction. Une campagne encouragée sans doute par la déferlante féminine au sein des troupes de la coalition militaire occidentale lors de la guerre du Golfe. Puis, il y a eu des protestations en juin 2011. La compagne Women2Drive, était motivée essentiellement par le Printemps arabe. Certaines femmes ont dû payer cet outrage par le licenciement ou l’interdiction de voyager, d’autres par la condamnation à une dizaine de coups de fouet (annulée par le roi Abdallah), voire par un emprisonnement d’une semaine. Les autorités, qui ne sont jamais à court d’argument, se vantent que les femmes peuvent conduire dans les zones rurales et désertiques du royaume. Wallah, et dans leur garage sans doute aussi. Maskhara wlo.

Tout était organisé pour faire du samedi 26 octobre le rendez-vous à ne pas manquer des femmes saoudiennes. Profitant des expériences passées, aucun rassemblement de masse n’était prévu. L’ingénieuse idée était simple. Les Saoudiennes étaient invitées à continuer leur vie normalement, mais aussi à se faire photographier ou filmer au volant, en roulant, si elle avait le permis (obtenu forcément à l’étranger), ou à l’arrêt, si elle n’en avait pas, et de poster leurs photos et leurs vidéos sur les réseaux ou de les envoyer aux organisatrices de l’événement. Aucun pays ne pouvait faire face à un phénomène aussi dispersé dans le temps et l’espace. Génial ! Un site internet fut créé pour l’occasion (Oct26driving.com). Les militantes saoudiennes notoires ont passé le mot. De Eman al-Nafjan à Manal al-Sharif et Najla al-Hariri. La jeune Loujain Hathloul a appelé courageusement ses compatriotes du sexe faible à se lever pour leurs droits. « Ahlan. C’est une nouvelle campagne pour gagner notre droit de conduire la voiture. Si vous n’avez pas pu y participer en 1991 et en 2011, il y a une nouvelle occasion le 26 octobre 2013. J’espère qu’il y aura un grand nombre de femmes qui pourront y participer cette fois-ci, pour en finir avec cette crise. Quant aux hommes qui tenteront de les arrêter, ils seront considérés comme des oppresseurs car aucune loi ne l’interdit. » Une pétition a été mise en ligne sur le site fédérateur. Elle a recueilli plus de 16 000 signataires en quelques semaines.

Ce franc succès n’a pas plu à tout le monde. A commencer par le ministre de l’Intérieur. Ses services ont contacté les principales militantes pour les dissuader « gentiment » de faire du 26 octobre, une grande journée de confrontation avec les forces de l’ordre. Pour convaincre les récalcitrantes d’abandonner cette bizarrerie -mais quelle idée de vouloir conduire, maa2oul !- le ministère a prévenu la veille, que toute personne qui soutient cette campagne sur les réseaux sociaux risque cinq ans d’emprisonnement. Allez, bonne chance les filles ! Et finalement les filles ont opté pour la raison. Pour Eman al-Nafjan, « la date était symbolique, les femmes ont commencé à conduire avant le 26 octobre et continueront de le faire après ce jour ». Pour Najla Al-Hariri, « par précaution et par respect pour les mises en garde du ministère de l'intérieur, et afin d'empêcher que la campagne ne soit exploitée par d'autres groupes, nous demandons aux femmes de ne pas conduire (samedi) et de changer l'initiative du 26 octobre en campagne ouverte pour la conduite des femmes ».

D’autres mécontents se sont manifestés avec plus de violence. Le site de protestation a finalement été hacké par ceux qui appellent à « faire tomber la suprématie des femmes saoudiennes et à ne pas permettre définitivement à la femme de conduire en Arabie saoudite ». Les hackers qui n’ont pas hésité à partager une vidéo de YouTube publié par un mystérieux « vainqueurs des libéraux », où le visage de la rayonnante Loujain Hathloul a été voilé virtuellement par les obscurantistes créateurs du clip qui prétendent que le mouvement du 26 octobre serait « à l’instigation du sioniste David Keyes », tout simplement parce l’activiste américain arabophone, fondateur de Advancing Human Rights et de Cyber Dissidents -deux organisations qui sont dédiées à la liberté individuelle, la bonne gouvernance, et la liberté d’expression démocratique des activistes arabes et iraniens sur internet- a apporté son soutien au mouvement et porte le prénom coupable de tous les maux arabes, « David ».

Et pour la suite ? Tout dépend d’un seul homme, Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud. Le roi saoudien est plutôt favorable à la levée de cette interdiction. C’est ce qu’il a laissé entendre un jour. A la prise du pouvoir en août 2005, dans sa première interview télévisée, avec une chaine étrangère de surcroit, ABC News, il a déclaré à la journaliste qui l’interviewait : « Je crois fermement aux droits des femmes. Ma mère est une femme, ma sœur est une femme, ma fille est une femme, ma femme est une femme... La question exigera de la patience... Je crois que le jour viendra où les femmes conduiront. » Et il l’a largement prouvé depuis.

Il faut bien avouer que cette prise de position est très louable. Certes, les traditions, les coutumes et le machisme sont tenaces. Il n’empêche qu’on ne pas ignorer le fait qu’en Arabie saoudite, seul le roi fait la loi. Le royaume wahhabite est une monarchie absolue où le roi est à la fois chef de l’État et du gouvernement. Il nomme les ministres, chargés de le conseiller, ainsi que les 150 membres de Majlis al-Choura, l’Assemblée nationale, dont le rôle est strictement consultatif. Le roi est donc la seule autorité à passer et à faire appliquer les lois. La véritable limitation à son pouvoir est la charia, les règles islamiques qui régissent tous les aspects de la vie religieuse, sociale et individuelle en Arabie saoudite. Ainsi, le roi Abdallah est de facto l'homme qui peut lever cette injustice héritée de ces prédécesseurs qui frappent la moitié des sujets de Sa Gracieuse Majesté.

Il faut reconnaitre aussi que les choses bougent en Arabie saoudite. Dans le domaine économique et commercial par exemple. Les autorités ont fini par comprendre que la présence obligatoire de l’homme, même au rayon lingerie, était une absurdité dans ce royaume ultraconservateur. Malgré l’opposition religieuse, le roi Abdallah a libéré ce secteur de cette pratique. Désormais, les Saoudiennes ont affaire à des femmes, qui peuvent donc travailler théoriquement, dans les rayons de lingerie, aux caisses des supermarchés et aux guichets des banques. Mais pas d’emballement, la cabine d’essayage ce n’est pas pour demain. Même si la séparation des deux sexes au travail reste de rigueur, grâce aux réformes engagées par le roi Abdallah, les Saoudiennes ont un meilleur accès au marché de l’emploi et peuvent prétendre au chômage au même titre que les Saoudiens. A propos, tout cela c’est très joli, mais au fait, comment ces jeunes travailleuses se rendront à leur travail, si elles ne peuvent pas conduire dans un pays où les transports en commun sont peu développés et peu utilisés ? Allah 3alim !

Les choses bougent également au niveau social. Certains écarts par rapport à la législation, ainsi qu’aux us et coutumes, sont tolérés. Comme par exemple, l’accompagnement familial masculin obligatoire des Saoudiennes qui partent étudier à l’étranger. Autre progrès sur le plan politique, grâce aux réformes initiées par le roi, les Saoudiennes pourront à partir de 2015 se porter candidates aux élections municipales, les seules possibles en Arabie saoudite, et voter en toute liberté, soit 153 ans après les Suédoises et 89 ans après les Libanaises ! Le royaume wahhabite se trouve ainsi, être le dernier pays au monde à accorder le droit de vote aux femmes. Mieux vaut tard que jamais. C’est sans aucun doute un progrès considérable pour les Saoudiennes. Mais, il est ternit par le fait que ces élections concernent uniquement la moitié des sièges, l’autre étant nommée par les autorités, et se déroulent dans un pays où les partis politiques n’ont pas droit de cité.

Ce bémol est largement compensé par une avancée démocratique qui ne déplaira pas aux féministes. Par la volonté du roi Abdallah, les Saoudiennes ont fait leur entrée au Majlis al-Choura en janvier 2013, à hauteur de 20 %, un taux à faire rougir tous les pays arabes, notamment le Liban (avec nos 3,1 %, Gilberte Zouein incluse, au même niveau que la République islamique d’Iran, c’est une véritable honte !), et même certains pays occidentaux (18 % aux États-Unis et seulement 12 % Japon !), soit 30 femmes sur 150 membres, toutes et tous nommés par le roi. Le hic c’est que cette Assemblée nationale reste quand même dominée par une écrasante majorité d’hommes et n’a qu’un avis consultatif, seul le roi fait la pluie et le beau temps en Arabie saoudite. De plus, ces conseillères royales, ne peuvent se prononcer que sur les questions relatives aux droits de la femme.

Toujours est-il, ces avancées positives ne sauraient cacher les conditions particulièrement discriminatoires à l’égard des femmes saoudiennes durant toute leur vie. Pour étudier, travailler, ouvrir un compte, voyager, et même subir une opération chirurgicale, toute femme saoudienne a besoin de l’autorisation de son tuteur légal de sexe masculin. Avant de pester et de s’indigner, il faut savoir que ce fut le cas dans le pays de la Révolution de 1789 aussi, il n’y a pas si longtemps que cela. Si, si ! La réforme du régime matrimonial de 1804 en France, n’est intervenue qu’en 1965 où la femme française a acquis le droit de gérer ses biens, ouvrir un compte en banque et exercer une profession sans l'autorisation de son mari. Pour l’histoire, sachez aussi que le Code Napoléon avait consacré l'incapacité juridique de la femme mariée. Étant considérée comme mineure, la femme était entièrement sous la tutelle de ses parents, puis de son époux ! En tout cas, au Liban, il n’y a pas de quoi pavoiser. Mais, c’est une autre histoire.

Et pourtant, l’Arabie saoudite a signé en l’an 2000 la « Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes » adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1979. C’est tout à son honneur, sachant que ni la République islamique d’Iran, ni le Vatican ne l’ont fait. Jisus-Krayist ! Les États signataires de cette convention s’engagent notamment dans l’article 2 à : « Inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l’égalité des hommes et des femmes... S'abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes... Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes... Prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes... » Bref, on y trouve mille et une raisons pour abolir la privation des femmes saoudiennes de son droit de conduire une voiture. C’est extraordinaire, sauf que le Royaume wahhabite a formulé des réserves qui rendent cette adhésion folklorique : « En cas de divergence entre les termes de la Convention et les normes de la loi musulmane, le Royaume n'est pas tenu de respecter les termes de la Convention qui sont divergents. » Il faut reconnaitre que d’autres pays, comme le Liban par exemple, ont eux aussi formulé des réserves sur le mariage, le patronyme, le divorce et la garde des enfants. Eh oui, hélas, il faudrait encore s’armer de beaucoup de patience pour espérer parvenir un jour à une véritable égalité homme-femme dans les pays arabes, Liban compris.

Au total, malgré les intimidations déguisées et franches des organisatrices, des Saoudiennes ont répondu à l’appel du 26 octobre et ont bravé l’interdiction pour les femmes de conduire en Arabie saoudite. Au moins treize d’entre elles furent arrêtées. Leurs voitures ont été confisquées. Il n’empêche, nul besoin d’être dans les secrets d’Allah, du Gardien des deux saintes mosquées et des Saoudiennes, pour prédire que cette interdiction ne tiendra plus longtemps.

mardi 22 octobre 2013

BB’s News: le match Wissam el-Hassan vs. les otages chiites, les enfantillages de l'Arabie saoudite, l'emballement hystérique de la France et la falsification de l'actualité au Liban (Art.187)


1. LIBAN. Le weekend s’envole et deux images restent de l’actualité libanaise de samedi dernier. La première étant celle de la commémoration de l’assassinat de l’ancien chef des renseignements libanais, Wissam el-Hassan. La deuxième est celle du retour des neufs otages chiites de Syrie, qui étaient tenus en captivité par un groupe de rebelles syriens pendant près d'un an et demi. Dans l’apparence, cette dernière image domine. Temporairement ! Le Hezbollah avait de quoi pavoiser ce weekend, pas seulement à l’aéroport international Rafic Hariri, même si cette libération est passée par des violations graves des lois libanaises, allant des coupures du trafic routier à plusieurs reprises au cours de cette longue absence forcée, au kidnapping de deux pilotes turcs l'été dernier. Samedi au Biel, l’ambiance du côté du 14 Mars était loin d’être euphorique. Non seulement, la mort de Wissam el-Hassan est une lourde perte, mais en plus, la commémoration de ce crime odieux, ainsi que les attentats qui ont eu lieu au cours de l'année écoulée aussi bien à Beyrouth qu'à Tripoli, rappellent aux Libanais la sauvagerie qui règne encore dans leur pays, 38 ans après le début de la guerre civile libanaise, toujours en cours et régulièrement mise à jour.  

Le Hezbollah, peu concerné par ce qui se passait au Biel, et vice versa, pouvait se targuer devant son public d’avoir réussi à libérer les siens, ces « chiites » victimes de la barbarie des rebelles. Mais, hélas pour lui, il n’a pas pu faire oublier aux Libanais que la « milice chiite d’Allah » est experte en kidnapping, comme le confirme le CV du Hezb des années 80. C’est sans parler aussi du fait que plusieurs éléments indiquent que le Hezbollah serait au moins complice du kidnapping des pilotes turcs le 9 août 2013, dont la libération était concomitante avec celle des otages libanais chiites, de par le témoignage des pilotes eux-mêmes, qui ont indiqué qu’ils étaient détenus pendant un moment dans un lieu où « nous pouvions entendre le vrombissement des avions », la banlieue sud de Beyrouth en toute vraisemblance, le fief du Hezbollah. Par contre, le 14 Mars ne pouvait présenter à son public il y a trois jours, pour des raisons évidentes de confidentialité, aucun élément sur la mort d’un des siens, celui qui a fait progresser l’enquête sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, celui qui a permis le démantèlement de plusieurs réseaux libanais d’espionnage au profit d’Israël et celui qui a dévoilé au grand jour le réseau terroriste de Michel Samaha (ancien ministre pro-syrien du 8 Mars, actuellement emprisonné, qui projetait à la demande de Bachar el-Assad en personne, selon ses propres aveux, de mener plusieurs attentats au Liban). 

Ce weekend, les premiers se sont réjouis, les seconds n’avaient plus que les yeux pour pleurer. Le match n’est pas terminé. Si l’adage populaire, « rira bien qui rira le dernier » est vrai, la maxime d’el-Baalbaki, « pleura bien qui pleura le dernier », est encore plus vraie !

2. ARABIE SAOUDITE. « Permettre au régime en place en Syrie de tuer son peuple et de le brûler à l'arme chimique au vu et au su du monde entier sans sanctions dissuasives est une preuve claire de l'impuissance du Conseil de sécurité à accomplir son devoir et à assumer ses responsabilités... La question palestinienne demeure depuis 65 ans sans règlement... L'Arabie saoudite n'a pas d'autre option que de refuser de devenir membre du Conseil de sécurité jusqu'à ce que ce dernier soit réformé et qu'on lui donne les moyens d'accomplir son devoir et d'assumer ses responsabilités pour préserver la paix et la sécurité dans le monde. » Ce sont les propos du ministre des Affaires étrangères du seul pays au monde où les femmes n’ont pas le droit de conduire, encore en 2013 ! Bassita, il n’est pas là le problème.

Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud ben Fayçal ben Abdelaziz Al Saoud a en partie raison dans la formulation de ce constat amer. Il n'empêche que le refus de l’Arabie saoudite de siéger au sein du Conseil de sécurité de l’ONU après son élection pour deux ans, relève plus d'un amateurisme politique complètement stérile que d’une stratégie diplomatique fertile. Mais enfin, si le fonctionnement du Conseil de sécurité laisse à désirer, ce n’est surement pas en le boudant qu’on le fera évoluer. Et si les causes arabes, syrienne et palestinienne, méritent un traitement plus juste de la part du Conseil de sécurité, motifs légitimes du mécontentement saoudien, ce n’est absolument pas en claquant la porte, qu’on les fera avancer ! Hélas pour ce ministre que j'ai toujours trouvé sympathique, le coup de gueule saoudien a toutes les chances de ne pas avoir plus d'effet qu'un coup d’épée dans l’eau.

Disons que si l’Arabie saoudite est aussi mécontente de l’impuissance onusienne, dans les dossiers arabes, syrien et palestinien, rien n'empêche la 1re puissance pétrolière au monde (qui détient 22 % des réserves mondiales de pétrole), d’agir seule ou avec ses amis du Golfe, qui, soit dit au passage, dépensent des fortunes pour s'équiper des armes les plus sophistiquées. Allons donc, ce refus ne peut pas être pris au sérieux ! Et si l’Arabie saoudite est aussi révoltée par la situation en Syrie et en Palestine, rien n'empêche les pays du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Oman, Bahreïn, Koweït et Qatar), qui ont le pouvoir de faire trembler toutes les économies du monde (en détenant 40 % des réserves mondiales de pétrole et 25% de celles de gaz), des pays prospères (on estime les avoirs extérieurs nets des monarchies du Golfe à plus de 2 150 milliards de dollars), d’entreprendre des actions unilatérales, indépendamment de l’ONU et d’exercer des pressions de lobbying, pour faire évoluer la situation au Moyen-Orient. Désolé encore, mais ce refus n'est vraiment pas sérieux !

En tout cas, il est utile de rappeler dans ce contexte que si le Moyen-Orient a la chance inouïe aujourd’hui de se débarrasser d’un arsenal aussi dangereux que les armes chimiques de la tyrannie des Assad (un million de litres) -qui je le rappelle sont considérées comme des armes de destruction massive, comme le prouve la tragédie du 21 août 2013 où près de 1 500 Syriens sont morts en quelques minutes- c’est grâce au Conseil de sécurité de l’ONU ! Et ce n’est pas parce que ce dernier ne peut pas débarrasser le Moyen-Orient de l’arsenal nucléaire israélien (estimé à 200 têtes nucléaires), qu’il faut ignorer l’avancée considérable sur le dossier chimique syrien pour toutes les populations de la région. Rappelons aussi aux dirigeants du royaume, que si on peut espérer un jour juger les assassins de leur défunt ami, Rafic Hariri, ancien Premier ministre du Liban, c’est bel et bien grâce au Conseil de sécurité de l’ONU ! Rappelons également, que l'invasion du Koweït par l'Irak de Saddam Hussein en août 1990 -et la menace de ce dernier d'envahir d'autres pays du Conseil de coopération du Golfe, notamment l'Arabie saoudite- a fait l'objet de 27 résolutions de la part du Conseil de sécurité de l'ONU. Rappelons enfin, que si les pays arabes, dont l'Arabie saoudite, avaient accepté la résolution 181 de l'Assemblée générale de l'ONU de 1947, qui partageait la Palestine en deux États (il y a donc 69 ans !), une erreur reconnue par le président palestinien Mahmoud Abbas, ils auraient épargné aux populations arabes, notamment palestinienne et libanaise, beaucoup de souffrances et de perte de temps ! Alors de grâce, dans l'intérêt de tous, soyons un tant soit peu, moins amnésiques et plus sérieux.

Et puisque les Saoudiens sont préoccupés par le sort des Syriens, au lieu de boycotter le Conseil de sécurité, ils devraient : 

- Arrêter de financer les rebelles islamistes syriens qui ont terni gravement l’image de la révolution syrienne. C’est tout aussi valable, pour la Turquie islamiste de Recep Tayyip Erdogan, bien entendu.

- Convaincre l’opposition syrienne, réticente, de rejoindre la conférence de Genève II
sur la Syrie, prévue en principe pour la fin du mois de novembre. La militarisation et la généralisation du conflit syrien par les rebelles furent des erreurs. Il est grand temps que ces derniers assument pleinement leur responsabilité en rectifiant le tir. Il en va non seulement de l'intérêt du peuple syrien mais aussi de celui du peuple libanais.

- Œuvrer au sein du Conseil de sécurité à une solution politique en Syrie car il est aussi grand temps, que les supporteurs des rebelles -notamment l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie- comprennent qu’il n’y aura pas de solution militaire au conflit syrien, sauf si on est prêt à allers vers les 300 000 morts et 4 millions de réfugiés, dont 2 millions au Liban !

- Ouvrir les vannes financières, et convaincre les autres monarchies du Golfe de faire de même, pour venir réellement en aide à la population syrienne réfugiée au Liban car la guerre en Syrie place ce pays au bord de la faillite. Mais bordel, le Liban ne saurait être le seul pays du monde à supporter jusqu'à l'épuisement économique, ce lourd fardeau humanitaire ! La Banque mondiale estime d’ores et déjà le préjudice économique de la guerre civile syrienne sur le Liban, notamment avec l’afflux massif de réfugiés syriens et palestiniens (près de 1 250 000 personnes), à plus de 7,5 milliards de dollars, l’équivalent de plus de 50 % du budget de l’État libanais ! Pour l’instant le pays du Cèdre n’a reçu que des promesses et que des miettes. C’est une honte.

3. FRANCE. Qu'importe qu'elle ait été la nature de cette affaire, j'étais étonné de constater avec quelle facilité ce fait divers a pu dominer toutes les sphères du pouvoir d’un Etat pendant plusieurs jours, à cause d’un emballement hystérique de médias en mal de vente et d'audience, de politiciens en mal d’inspiration et de population en mal de sensation. Pourtant, nous étions en France, 5e puissance du monde, où l’état de droit règne sans problème. L’affaire Leonarda, l’expulsion d’une collégienne rom-kosovare de 15 ans et de sa famille par la France pour irrégularité de séjour, aurait dû rester du ressort de l’administration, du milieu associatif et de la justice française. Enfin, il est temps quand même de revenir à des températures de saison !

4. ISRAEL-LIBAN. Je termine ce tour d'horizon par l'actualité farfelue qui me tient beaucoup à cœur. C’est fou comme une banale histoire d'aigle -pas si banale que ça, j'y reviendrai un autre jour- peut donner matière à réflexion. Certains médias, comme Lebanon Debate, ont insisté pour induire les Libanais en erreur sur cette affaire. Ils avaient beau cherché des justifications à leur délire ornithologique, allant même jusqu’à falsifier un article du quotidien anglais The Independent (lire PS4 de mon article sur le sujet), ils n’ont fait que s’enfoncer davantage dans le ridicule. Il n’a pas fallu longtemps pour comprendre que l’aigle espion israélien du weekend en huit, n’était en réalité qu’un des innombrables éléphants roses libanais qui encombrent l’espace aérien du Liban. Alors franchement, je me demande qu’en est-il du reste de l’actualité politique ?