Près
de 1500 personnes ont liké l’article sur
le site du Tayyar, 572 sympathisants ont aimé le lien sur sa page facebook
et 87 partisans l’ont partagé avec leurs amis. Certes, le site aouniste n’était
pas le seul à couvrir l’affaire ce 1er février. Il est même
le dernier à s’y engouffrer dans cette histoire. Now Lebanon
en avait parlé le 20 janvier. Le 30, le site Linga en a fait de même. C’est de là que Tayyar semble tirer son
info. Linga se présente comme « The Voice of Christians in the Holy Land ». De ces trois sources,
c’est le site aouniste qui a réussi à en
faire un buzz auprès de ses 156 329 fans. Il faut bien dire que les
« Dracula de Da3ich » et les « vampires saoudiens »
passionnent certains esprits. Achtung baby : article gore.
D’après
sa biographie Hatune Dogan est née
en Turquie en 1970. Elle y a vécu jusqu’à l’âge de 15 ans avant de se réfugier
avec sa famille en Allemagne afin de fuir les persécutions dont était victime
la communauté syro-chrétienne. Aussitôt dans son pays d’accueil, elle entre
dans l’agrégation religieuse « Saint Ephraïm le Syrien » et poursuit
des études théologiques. La jeune femme a toujours été très active sur le
terrain, en Allemagne et à l’étranger, en Asie et en Afrique, à travers les associations
« Mains tendues » et « Nous, pour les Chrétiens ». Elle a reçu plusieurs prix, pour son dévouement et son
engagement auprès des pauvres, des démunis et des personnes persécutées. Vous
l’avez compris, Hatune Dogan est tout sauf une folle à lier. Elle est respectée et écoutée. D’où la gravité
de ces propos infâmes tenus à la fin de l’année 2013.
Pour
cette histoire, le site Tayyar s’est contenté de reprendre mot à mot l’article
de Linga, en modifiant seulement un mot du titre, pour l’adapter à la mentalité
de ses lecteurs, et le rendre donc plus vendeur. « Les islamistes tuent les chrétiens » de Linga devient « el-Da3ichiyat tue les
chrétiens ». Rappelons à certains, on me l’a encore demandé récemment,
Da3ich n’est pas un homme, c’est l’acronyme en arabe de l’Etat Islamique d’Irak
et du Levant (EIIL), une organisation terroriste islamiste dont les exactions
sordides ont obligé al-Qaeda itself, de publier un communiqué il y a quelques
jours, pour annoncer urbi et orbi que l’EIIL ne faisait pas partie de l’entreprise
de Ben Laden. C’est le délire ! De Linga et du Tayyar, on apprend que la nonne syrienne a présenté les résultats d’une « enquête indépendante » sur le sort « des chrétiens de Syrie » au cours d’une conférence de presse supposée avoir été
tenue à Vienne lors de la Journée des droits de l’homme au mois de décembre. Dans
une confusion délibérée, des lieux, Turquie,
Irak et Syrie, et des dates,
certains événements remontent à 2004, la
religieuse prétend avoir interrogé 218 femmes syriennes. Il est question de
kidnappings, de viols, d’actes de torture, d’exécutions et de diverses mutilations
mammaires, génitales et cutanées. Savoir si les tarés de l’EIIL sont bien capables de
toutes ces horreurs, et de bien pire, n’est pas la question. C’est la suite qui
pose problème.
A 2min56s, la religieuse
affirme qu’un prêtre lui aurait présenté
un des tueurs de « Joseph », un chrétien de Bagdad que des islamistes
auraient égorgé (scène évoquée dans la vidéo). Par la suite, l’islamiste a eu de
graves problèmes psychologiques et s’est converti au christianisme. Admettons. Elle
l’aurait rencontré. Aucun précision, ni sur la date ni sur le lieu de cette
rencontre, la confusion comme d’habitude. « J’ai seulement demandé :
qu’est-ce que vous faites du sang que vous collectez ? ». Mais,
elle ne serait pas un peu barge la nonne ? Avouez que si vous avez eu cet
ex-islamiste sous la main, ce n’est pas la question qui vous viendrait à
l’esprit ! Mais bon, n’est pas nonne Hogan qui veut. Le repenti-converti aurait répondu : « C’est un grand business. Une petite
bouteille de sang chrétien, envoyée aux fanatiques en Arabie saoudite vaut
100 000 $ ». Non, non et non, ce n'est pas une métaphore. Wlak 1 000 dollars, on pourrait y
croire, bass mit alf dolar ya
mabhoullé ! Passons sur l’identité de ces richissimes fanatiques
saoudiens adeptes des scènes de gore, mais pourquoi diable de tels vampires
seraient prêts à payer 100 000 dollars la petite bouteille en plastique de
sang chrétien ? « D’après leur conception islamique, quand ils lavent leurs mains
avec ce sang, ils prennent part à ce sacrifice réalisé pour se rapprocher d’Allah.
Pas notre Dieu, mais leur Allah. C’est leur Allah qui demande des sacrifices
humains. » Waouh ! Et pourquoi n’a-t-elle pas recueilli ce
grave témoignage par un enregistrement vidéo, pour avoir la preuve par les
images et le son ? Alors, ça ne serait pas parce que le repenti-converti-ex-islamiste
n’existe qu’au fond de son cortex archaïque ? A ma connaissance, aucune substance stupéfiante ne permet à un esprit
sain de sortir de tels délires. Seul un esprit diabolique en est capable !
La
religieuse chrétienne n’est pas à sa première provocation. Elle sait alterner
les actes de charité, pour gagner la confiance générale, et les déclarations
sulfureuses, qui reflètent sa face sombre, tout comme les salafistes sunnites
de l’EIIL et les djihadistes chiites du Hezbollah d’ailleurs, toutes différences
gardées, charitables avec les leurs et intolérants avec les autres. Elle a déjà lancé un avertissement aux
autorités allemandes, les mettant en garde contre les réfugiés syriens de
confession musulmane, car leur religion serait dangereuse. Avec de telles
déclarations, on peut se demander sérieusement si la respectable religieuse n’est
pas une fanatique chrétienne. Dans
tous les cas, elle profite de ce sujet sensible, pour rendre service, consciemment ou pas, au régime syrien, en
terrorisant les chrétiens d’Orient et d’Occident par l’épouvante islamiste afin
de légitimer la survie de la tyrannie des Assad. C’est ce qui lui permet sans
doute de lever des fonds auprès de chrétiens naïfs émus par ses récits scabreux.
Le « grand business » ne serait alors certainement pas du côté des
djihadistes, mais de son côté plutôt.
Cette haine
viscérale des Musulmans, est non sans rappeler celle vouée par des fanatiques
chrétiens aux Juifs, accusés pendant des siècles de tuer des enfants non-juifs,
afin, disait-on entre autres, de fabriquer le pain azyme lors de la Pâque juive !
Ce
qui fait sourire dans ces fictions, c’est cette méconnaissance du judaïsme et
de l’islam, deux religions qui interdisent même la consommation du sang des
animaux abattus. En tout cas, il est intéressant de souligner, qu’on retrouvait
souvent dans ces accusations séculaires contre les Juifs, les mêmes ingrédients
que dans celles contre les musulmans de l’affaire de la nonne syrienne : le
témoin reconverti par qui le scandale arrive, le meurtre rituel et bien sûr, la
récolte du sang nécessaire aux pratiques de purification. On dénombre plus de 150 accusations officielles depuis le
Moyen-Age, et des milliers de rumeurs, notamment en terres chrétiennes,
l’Europe, mais aussi en terres musulmanes, comme par exemple en Iran (en 1910)
et en Syrie (en 1840). Plusieurs papes du Moyen-Age ont beau interdire d’accuser
les Juifs de pratiquer le meurtre rituel, sous peine d’excommunication, mais
rien à faire, ces préjugés populaires avaient la vie dure.
L’affaire
iranienne du début du 20e siècle n’a pas fait beaucoup de bruit, mais celle de
la Syrie au 19e, si. Nous sommes en 1840. Le 5 février le père Tommaso disparait. Le consul de France à Damas, puis le gouverneur égyptien de la Syrie
(bien que territoire ottoman, elle était sous domination du turco-albanais,
Méhémet Ali, le vice-roi d’Egypte, qui était en très bon terme avec la France),
accusent les Juifs de l’avoir enlevé et
tué, afin de récupérer son sang à des fins rituelles. L’affaire a pris
beaucoup d’ampleur, nécessitant l’intervention de toutes les puissances
chrétiennes, à l'exclusion de la France, pour pousser le sultan ottoman Abdul Majid
à stopper la chasse aux sorcières à l’encontre des Juifs de Damas. En réalité,
le but de ces accusations gratuites était surtout économique, favoriser dans
cet environnement musulman les marchands chrétiens au détriment des marchands
juifs. Toujours est-il, cette affaire a marqué la conscience collective juive,
poussant les communautés de différents pays, à plus de solidarité entre elles.
L’affaire de Damas a
été reprise dans un livre, L’Azyme de
Sion, signé par Moustafa Tlass, l’ancien ministre syrien de la Défense,
un fidèle de la tyrannie des Assad,
père et fils, le principal responsable de la répression sanglante des Frères
musulmans à Hama en 1982 (sur ordre de Hafez el-Assad, elle aurait fait au
moins 20 000 morts). Son fils, général de la Garde républicaine, a fait
défection à l’été 2012. Dans ce livre Moustafa Tlass, rappelle à la fois les accusations de meurtre rituel contre les Juifs,
dans l'affaire de Damas de 1840, mais aussi Les
Protocoles des Sages de Sion, un document rédigé en russe à Paris en 1901
et utilisé par Hitler dans Mein Kampf.
Dans ce livre, il est question d’un plan secret d’anéantissement de la chrétienté
et la conquête du monde, établi par les juifs et les francs-maçons. On
découvrit rapidement par la suite, que le document est l’œuvre de la police
secrète russe. Il était destiné à influencer la politique de Nicolas II, le
dernier tsar de toutes les Russies (1894-1917), qui découvrant la supercherie,
n’a pas donné suite. Bien avant l’ouverture des archives russes aux historiens,
la fausseté de ce document ne faisait plus l’ombre d’un doute, sauf pour
Moustafa Tlas et consorts. C’est dans cette culture que beaucoup d’Arabes,
notamment au Moyen-Orient, ont été élevés.
Le livre de Moustafa
Tlass a connu un grand succès. La théorie du « complot juif »
est vendeur dans le monde arabo-musulman, tout comme l’est la théorie du
« complot musulman » dans les esprits chrétiens obtus, de Hatun Dogan
et consorts. On a compté pas moins de huit impressions, plusieurs traductions, une
citation par le délégué syrien à l’ONU (1991), et des productions cinématographiques égyptienne (Un cavalier sans cheval, 2001) et syrienne (Ash-Shatat,
La diaspora, 2003). Dans cette série
composée de 29 épisodes, on présente les Juifs comme des citoyens comploteurs, œuvrant à dominer
le monde, et adeptes de meurtres rituels d’enfants chrétiens, collectant le
sang chrétien pour cuire le pain azyme lors de la fête de la Pâque juive !
La Syrie de Bachar avait interdit la diffusion de la série. Pas fou, arnab el-joulann ! C’est al-Manar, la chaine du Hezbollah, qui
accepta de la diffuser avant d’annuler à son tour la programmation, prétextant
qu’elle n’avait pas visionné l’ensemble de la série, qui sera diffusée en fin de compte en Iran (2004) et en Jordanie (2005).
Et
puisqu’on y est, notez ces deux anecdotes sur Moustafa Tlass. La soutenance de
sa thèse à la Sorbonne est annulée en 1986 dès que ses écrits furent portés à
la connaissance du public. Le général syrien est aussi l'auteur de poèmes sur
Jeane Manson et Gina Lollobrigida. Je vous jure, ce n’est pas une blague !
Il n’est pas
question dans cet article de renier le fait que des fanatiques musulmans, kidnappent,
violent et assassinent, impunément, des individus en Syrie ou en Irak, en
raison de leur appartenance religieuse chrétienne, ou de minimiser la gravité
de certaines persécutions anti-chrétiennes, de nos jours ou dans le passé. J’ai voulu plutôt dénoncer ce que certains
esprits diaboliques « chrétiens » font de ces drames, amplifiant
les faits et inventant des pratiques de fiction, dans une stratégie savamment
étudiée pour choquer et influencer l'opinion
publique chrétienne, aussi bien en Orient qu’en Occident.
Now
Lebanon est un média dont le rôle est d’informer les gens du Liban et du
Moyen-Orient. Linga est un organisme qui s’est donné comme mission de dénoncer
les violations des droits de l’homme de certaines populations chrétiennes par
des fanatiques musulmans. Tayyar est un site militant au service d’un parti
politique chrétien, le Courant Patriotique Libre, et d’un homme, Michel Aoun. Informer, dénoncer, et militer sont des
activités louables. Il n’empêche que la couverture de certaines informations,
comme le délire de cette nonne syrienne, par des sites comme Linga et Tayyar,
laisse beaucoup à désirer. Que ceci soit délibéré ou pas, qu’importe, les
répercussions sur les relations islamo-chrétiennes sont importantes. Aucune intention aussi noble soit-elle, comme
la dénonciation des persécutions anti-chrétiennes, ne justifie de diffuser une
information aussi grave, brute de brute, pire, de déformer la vérité dans un but
idéologique ou politique. La fin ne peut pas justifier les moyens sous
aucun prétexte. Un minimum de déontologie doit guider les activités humaines. A
supposer que ces sources étaient sincères dans la diffusion de cette histoire, le
but étant de faire parvenir l’information à la population, quand on a la prétention de vouloir informer les gens au Moyen-Orient,
dans une terre aussi fertile pour les rumeurs, les superstitions et le
fanatisme, il faut faire preuve de beaucoup de professionnalisme. Cela
exige par exemple, d’évaluer l’information avant de la porter à la connaissance
d’autrui.