lundi 10 février 2014

La fondue Suisse : démocratie, référendum et populisme (Art.210)


La Suisse est réputée pour beaucoup de choses: ses filles, ses paysages, son paradis fiscal et sa fondue. Mais aussi pour sa démocratie, ses référendums et un certain populisme, qui a triomphé hier.

Dimanche 9 février, à l'initiative d'un parti d'extrême droite, les Suisses devaient choisir entre les deux options ci-contre. « La démesure » de l’affiche de l’UDC, Union démocratique du centre,
le parti le plus représenté au Conseil national (la chambre basse de l'Assemblée fédérale suisse), fait référence à « l’immigration massive » en Suisse. Par « massive », l’UDC désigne l’accueil par ce pays de huit millions d’habitants, de plus de 80 000 personnes par an, alors qu’on tablait il y a une dizaine d’années sur 8 000. Par « immigration », l’UDC inclut essentiellement les ressortissants de l’Union européenne, transfrontaliers compris. Le parti suisse demande l’instauration de quotas et la renégociation de la libre circulation des personnes... Mais surtout pas des biens, et des flux d’argent dans les banques suisses, naturellement ! Normal pour un parti libéral, qui prépare un référendum, inspiré d'un film de Spielberg : « il faut sauver l'or suisse ». N'est-elle pas fascinante la malhonnêteté de certains esprits?

En tout cas, c’est avec cette affiche simpliste que ce parti populiste a invité les 5,15 millions d’électeurs Suisses à voter OUI au référendum du 9 février « Contre l’immigration de masse » (1re affiche, partie haute).

Ce référendum a eu le mérite de fédérer tous les partis suisses, ainsi que le gouvernement et le patronat, contre un projet qui pourrait « abattre la prospérité » du pays car « l’initiative de l’UDC isole la Suisse » de son environnement, l’Europe (1re affiche, partie basse).

Le « Oui » l’a emporté, bien évidemment. Mais, de justesse : 50,3 % avec une participation modérée de 56,5 % des électeurs. Qu'on ne s'y trompe pas, les thèmes populistes sont toujours vendeurs.

Par curiosité j’ai fait une petite recherche sur l'UDC. Ahurissant ! Jugez vous-mêmes par exemple, les campagnes d'affichage contre la « Naturalisation en masse » et « Pour plus de sécurité ». Le parti suisse voudrait même stopper « la naturalisation automatique des étrangers de la 3e génération ». Mais voyons, comment peut-on prouver qu'on est un bon citoyen suisse en seulement 50 ans ? C'est de la folie ce monde. Notez au passage que ce parti conservateur est non seulement contre l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne, mais il est également contre la collaboration avec l'Organisation des Nations Unies. Il dénonce même « les critiques à l'égard de la politique suisse durant la Seconde Guerre mondiale ». Eh bien, plus populiste, tu crèves !

Mais, comme à toute action il y a une contre-réaction, les opposants suisses ne se gênent pas pour marquer leurs différences avec la politique de ce parti, avec un coup de pied au cul, bien mérité.

La part des étrangers en Suisse est passée de 20 % en 2002, avec l'entrée en vigueur de l’accord sur la libre circulation des ressortissants de l’Union européenne, à 23,5 % actuellement.

Toujours est-il, je ne peux pas m’empêcher de penser à la situation du Liban, la Suisse de l'Orient. Ce pays de 4,2 millions d’habitants, accueille de nos jours 1,3 million de réfugiés syriens (depuis 2011) et 0,5 million de réfugiés palestiniens (depuis 1948). La part des étrangers au Liban se situe donc au moins à 43 %, si on se limite à ces deux nationalités, soit deux fois celle de la Suisse (et ce n'est pas la même immigration tout de même!), et quatre fois celle de la France par exemple. Si le séjour des réfugiés syriens au Liban est censé être temporaire, quoique de très longue durée, celui des Palestiniens ne l’est point, hélas. Et pourtant, malgré tous les défauts du pays du Cèdre, y compris le racisme et la xénophobie, et les tensions communautaires, qui rendent toute immigration-intégration problématique sur le plan démographique, personne au Liban ne se permettrait ou n'oserait, je vous laisse le choix, éditer de telles affiches populistes !  

Légiférer dans ce domaine est sans aucun doute une nécessité aussi bien pour la Suisse que pour le Liban. Mais pour cela, il n'est nullement besoin de recourir au populisme. Le plus important pour l'observateur libanais que je suis, c’est que tout s'est fait le 9 février dans un climat paisible et en toute démocratie. Il n’empêche qu’hier en Suisse, nous avons eu une magnifique illustration des limites de cette belle démocratie et des initiatives populaires : le triomphe du populisme !