Nous survolions la Méditerranée à 10 000 m d'altitude. L'avion fuyait la
nuit qui s'abattait sur l'Orient, à plus de 900 km/h, en direction de l'Ouest.
Le temps semblait plus clément que cet Allah au nom de qui des
usurpateurs de l'islam et du califat font régner la terreur. Je suis
confortablement installé dans cet univers feutré de la 1re classe, où l'on m'a
mis lorsque j'ai invoqué mes droits de consommateur européen bafoués par la
politique de surbooking de la compagnie aérienne. L'écran affichait -55ºC
dehors. L'horizon était dégagé. Cela faisait un long moment que nous avions
quitté le beige des terres arides. La traversée du Grand Bleu m'a permis de
refaire ce monde arabe en long et en large avec mon voisin de fortune,
originaire d'un pays du Golfe. Profitant d'un moment de flottement dans la
conversation, je me suis esquivé comme subjugué
par la palette des couleurs qui s'étalaient sous mes yeux. Tout semblait si serein vu du ciel.
J'ai fait part à mon voisin combien vu de là-haut tout sur Terre n’est que vanité
et poursuite de vent. Il acquiesça par un hochement de tête, jeta un regard par
le hublot sur la blancheur immaculée des Alpes et me dit: « les Occidentaux ont de beaux pays, mais Allah ne les a pas gratifiés
par l'or noir ». Sourire narquois, je lui répondis: « oui mais on dirait qu'Allah maudit les Orientaux, pour l'usage qu'ils en ont fait ».
Pour que cette mer au milieu des terres reste un
carrefour des civilisations, Barack Obama a annoncé le 10 septembre, un plan
d'actions concertées pour anéantir « l'Etat islamique » (EI). Après avoir
débarrassé le Moyen-Orient de l’arsenal chimique syrien, les Etats-Unis et
leurs alliés s’attaquent à une autre arme de destruction massive, le fanatisme
djihadiste. « Notre objectif est
clair: nous affaiblirons, et à terme, détruirons l’Etat islamique en Irak et au
Levant (EIIL). » Si le président américain n’a pas prononcé le mot
« guerre », le porte-parole de la Maison Blanche l’a fait deux jours
plus tard : « Les Etats-Unis
sont en guerre contre l'Etat islamique ». Ça sera donc la « quatrième guerre du Golfe ». Ce moment
historique impose quelques réflexions.
II. L’ORIGINE DU MAL
(DE L’ETAT ISLAMIQUE)
« L’EIIL constitue une menace pour le peuple d'Irak et de la Syrie, et pour l'ensemble du Moyen-Orient... Si rien n'est fait, ces terroristes
pourraient constituer une menace grandissante au-delà de cette région, y
compris pour les États-Unis... Nos renseignements estiment que des milliers
d'étrangers, des Européens et des Américains, les ont rejoints. Formés et
aguerris, ces combattants essaieront de revenir dans leur pays d'origine et de mener des attaques meurtrières. » C’est l'état des lieux établi par Barack Obama.
Si on en est arrivés là, c'est pour
diverses raisons. Les trois principales regroupent: primo, l'expédition imbécile
d’un néoconservateur chrétien, George W.
Bush (2003), qui a permis à la branche d’al-Qaeda en Irak de créer « l’Etat islamique d’Irak »
(13 octobre 2006), comme une « résistance » à l’occupation américaine; secundo, la
politique d’exclusion stupide des sunnites menée par le chiite Nouri
al-Maliki en Irak (2006-2014), qui a permis à « l’Etat islamique d’Irak »
de se développer; et tertio, la barbarie du régime alaouite de Bachar el-Assad en Syrie (depuis 2011), qui est conduite avec la
participation active du régime chiite iranien d’Ali Khamenei et de la milice chiite libanaise de Hassan Nasrallah, qui ont permis conjointement
à « l’Etat islamique d’Irak » de s’épanouir pour devenir « l'Etat islamique en Irak et
au Levant » (9 avril 2013), puis « l'Etat islamique » tout court (29 juin 2014), une organisation connue
sous les acronymes EIIL ou EI en français, ISIS ou ISIL en anglais, et Daech en arabe.
Au niveau des responsabilités secondaires, on retrouve d'abord, l'Armée
syrienne libre (sunnite), qui a fermé les yeux sur l'islamisation précoce de
la Révolution syrienne et l'émergence du phénomène djihadiste (sunnite). On
retrouve ensuite, les pays du Golfe, notamment le Qatar (sunnite), suspect d’avoir été généreux avec les islamistes,
et la Turquie (sunnite), qui a facilité
la libre-circulation des armes et des hommes en Syrie. On retrouve enfin l'Arabie saoudite (sunnite), qui, aveuglée
par son desiderata d’en finir avec l’alliance alaouito-chiite de l’axe syro-iranien,
n’a pas saisi suffisamment tôt le danger du phénomène djihadiste.
De toutes les
raisons, il convient de distinguer le triple veto de
la Russie à l’ONU. Le soutien militaire infaillible de Vladimir Poutine au régime syrien et son blocage de trois
résolutions du Conseil de sécurité sur la Syrie, ont permis à Bachar el-Assad de
s’offrir le luxe de l’intransigeance et d’avoir les coudés franches dans la
répression sanglante du soulèvement populaire syrien. Il en résulta, d’une
part, un durcissement de la Révolution syrienne, avec la militarisation et la généralisation
du conflit, et d’autre part, un enlisement de la guerre civile syrienne, qui
ont permis à « l'Etat islamique en Irak et au Levant » de se développer
et de s’épanouir. On peut aussi reprocher à Barack Obama de ne pas avoir su agir dans le passé. C'est bien méconnaitre la complexité de la donne syrienne. La question n'est pas de savoir, mais de pouvoir. Non, ça
ne pouvait pas se faire plus tôt. Les choses ont besoin de temps pour
mûrir, surtout quand il s'agit de la guerre, spécialement quand ce sont
des dirigeants responsables qui décident de la conduire et en particulier
quand on a affaire à divers « acteurs pestiférés ».
III. LES ARABES ET
LES ENGAGEMENTS AMERICAINS
Alors qu’il s’est
fait élire sur l’engagement de mettre fin à deux aventures désastreuses des
Etats-Unis en Afghanistan et en Irak, Barack Obama se trouve aujourd’hui contraint
et forcé d’engager la puissance militaire américaine pour détruire « l'Etat
islamique ». Hasard du calendrier, l’annonce
s’est faite à treize ans pratiquement jour pour jour du 11 Septembre. Voilà
pourquoi je voudrais qu'on s'y arrête un instant sur cet événement tragique qui a coûté la vie à près de 3 000 personnes, et qu'on se souvienne de ces personnes de par le monde
arabo-perso-musulman, mais aussi des Occidentaux originaires de ces pays, qui
se sont sentis plus proches des ignobles terroristes d'al-Qaeda qui ont frappé
l'Amérique que du peuple américain meurtri, dix ans à peine après la
libération d’un pays arabo-musulman, le Koweït, par la coalition internationale
formée par les Etats-Unis. Il faut peut-être se rappeler aussi la réjouissance de certains du monde arabo-perso-musulman
après la double attaque terroriste organisée par l'Iran et le Hezbollah contre
le QG des marines américaines et des parachutistes français, et qui a couté
la vie à près de 320 soldats occidentaux qui se trouvaient au Liban pour aider
le gouvernement libanais et à sa demande svp, et dont la mémoire n’est pas
honorée par l’Etat libanais.
Certes, c’est de
l’histoire ancienne. Mais, à un moment
où le nombre d’étrangers qui font le « djihad » en Syrie se compte en dizaines
de milliers de personnes -dont l’écrasante majorité viendrait des pays
arabes, avec une grande partie d’Occidentaux d’origine arabo-musulmane (900
Français !)- et à l’heure où les Américains
s’engagent de nouveau dans une guerre qui nous concerne, contre les djihadistes
arabes, une réflexion s’impose sur nos réactions en tant qu’Arabes, chrétiens libanais compris, envers les
pays occidentaux en général, et les Etats-Unis en particulier.
Les USA ne sont ni
une puissance bienfaitrice ni une puissance satanique. Ils fonctionnent par
intérêt comme tous les pays du monde. Leur engagement pour anéantir « l'Etat
islamique » est total alors que celui-ci représente une grave menace pour
tous les pays de la région sans exception, davantage que pour les Etats-Unis
eux-mêmes. Rien que sur la question des djihadistes sunnites étrangers, il n’y
a que 70 djihadistes américains, contre 3 000 tunisiens, 2 500
saoudiens, 2 000 jordaniens, 1 500 marocains, 1 000 libanais (à
noter que plusieurs milliers de « djihadistes chiites » combattent du
côté d’Assad). Si je me donne la peine d’évoquer les événements tragiques
du 23 octobre 1983 à Beyrouth et du 11 septembre 2001 à New York, c’est pour
dire que la veille de cette
« guerre » où les Etats-Unis engagent leurs forces armées pour
défendre leurs intérêts mais aussi les nôtres, il est sans doute opportun pour
nous autres Arabes, Libanais compris, de remplacer la haine et l’ingratitude, systématiques, historiques
et maladives, envers les Etats-Unis, que l’on retrouve chez une frange des
populations arabes, musulmanes mais aussi chrétiennes, par un minimum de reconnaissance.
IV. LA QUATRIEME
GUERRE DU GOLFE
Une coalition d'une quarantaine de pays se met
actuellement en place autour des Etats-Unis, dans le but d’anéantir
« l’Etat islamique ». Elle regroupera entre autres, le Royaume
Uni, la France, l’Allemagne, l’Australie, le Canada, le Japon, la Turquie et dix
pays arabes dont l’Irak, le Liban, l’Egypte, la Jordanie, le Qatar et l’Arabie
saoudite. Les grandes lignes ont été fixées
par Barack Obama lors d’une conférence de presse le 10 septembre. « Nous
allons traquer les terroristes qui menacent notre pays, où qu'ils se trouvent.
Cela signifie que je ne vais pas hésiter à prendre des mesures contre l’EIIL en
Syrie, ainsi qu’en Irak. »
Gare aux illusions,
cette lutte sera longue et complexe. L’affaiblissement
de cette organisation terroriste peut être atteint aisément grâce aux frappes
aériennes. Depuis le 8 août les Américains ont bombardé plus de 150 cibles
de l’Etat islamique en Irak. Les Français ont commencé avant-hier leurs vols de
reconnaissance au-dessus de l’Irak. Des frappes ont touché hier matin les
environs de Bagdad. Il faut s’attendre à une extension et une intensification
des raids aériens dans les prochains jours. C’est sans l’ombre d’un doute, la
partie la plus facile de cette guerre. La coalition internationale possède une
supériorité technologique militaire qui peut nous laisser supposer que cette
phase sera réalisée en quelques semaines à quelques mois.
Et puisque l’argent
est le nerf de la guerre, les frappes aériennes seront accompagnées de mesures pour tarir les sources de
financement de l’EI. Sur le plan interne, on sera amenés à détruire
les puits de pétrole qui sont passés entre les mains des djihadistes, ainsi que leurs QG où ils lèvent les impôts et gèrent ce soi-disant "Etat" par
exemple. Sur le plan externe, il y
a encore beaucoup à faire, malgré la résolution du Conseil de sécurité de
la mi-août qui considère toute transaction directe ou indirecte avec l’Etat
islamique comme un appui financier au terrorisme. Les pays du Golfe portent dans ce domaine une certaine responsabilité.
Afin de financer la lutte contre le régime syrien, ils ont contribué pendant un
moment à assurer une croissance confortable de l’organisation djihadiste par
des donations privées ou étatiques, spécifiques à l’EIIL ou générales à tous
les rebelles syriens sans discernement.
Seul bémol, les frappes aériennes seront menées
exclusivement par les pays occidentaux, les Etats-Unis essentiellement, avec l’aide de la
France et de l’Angleterre, les pays
arabo-sunnites, comme l’Arabie saoudite, l’Egypte et la Turquie, se
limitent à l’appui logistique, humanitaire et financier à cette entreprise.
A part une nette implication du royaume
saoudien dans cette guerre -qui a débloqué 500 millions de dollars à l’Agence
des Nations Unies pour les réfugiés, afin de venir en aide aux populations chassées
par les djihadistes, et 100 millions de dollars pour le Centre des Nations Unis
pour la lutte contre le terrorisme- l’attitude
des autres pays arabosunnites est timide : le Koweït a jugé que 10
millions de dollars d’aides humanitaires suffisent, la Turquie prévoit une
centaine de camions d’aides humanitaires, l’Egypte se cache derrière la belle
excuse d’une résolution de l’ONU pour y participer, alors qu’ils savent
parfaitement qu’elle sera de nouveau bloquée par la Russie. En tout cas, comme l’a précisé le président américain, « nous ne pouvons pas prendre la place
des partenaires arabes dans la sécurisation de leur région ». Ce
constat est déterminant. Certes, tout appui quel qui soit est capital pour
anéantir « l’Etat islamique ». Mais, à l’heure où des hordes barbares commettent au nom de « l’islam
sunnite » les pires horreurs en Irak et en Syrie, la désignation de
l’EI par le grand mufti d’Arabie saoudite comme « ennemi numéro un de l'islam », ne suffira pas à faire le
contrepoids. Un engagement actif des
« pays sunnites », notamment des pays arabes du Golfe et de la
Turquie, comme lors de la 2e guerre du Golfe en 1990, est vivement recommandé, pour couper
l’herbe sous les pieds des terroristes sunnites, qui ne manqueront pas, comme
leurs ancêtres d’al-Qaeda, de présenter cette guerre contre le terrorisme,
comme une énième confrontation entre les « pays occidentaux
chrétiens » et les « pays orientaux musulmans ».
Toujours est-il que
les frappes aériennes occidentales présenteront rapidement leurs limites. L’anéantissement de Daech exige des troupes
au sol. Or on sait que les Occidentaux
n’enverront pas de soldats se (dé)battre dans le bourbier moyen-oriental. La
participation occidentale au sol se limitera à la formation, au renseignement
et à l’équipement des forces locales. Alors, la question qui se pose dans les
états-majors des pays de la coalition est de savoir à qui reviendra la tâche de reconquérir les territoires de
« l’Etat islamique »?
V. ROLE DE L’IRAK
En IRAK, cette mission incombe à deux
entités irakiennes. Au cours de sa dernière conférence de presse, Barack Obama a fait une mise au point
d’une haute importance à ce sujet. « La puissance américaine peut
constituer une différence décisive, mais nous ne pouvons pas faire pour les
Irakiens ce qu'ils doivent réaliser pour eux-mêmes. » Sur le
terrain, il va falloir compter en premier lieu sur l’armée irakienne. Oui mais, la chute de Mossoul laisse perplexe.
Malgré tout l’argent gaspillé sur l’armée irakienne depuis plus de dix ans,
25 000 soldats ont pris la fuite devant 1 000 djihadistes. C’est donc
de très mauvais augure pour la suite. La communication de la terreur de Daech
avait bien fonctionné sur les soldats irakiens. Mais, si elle a fonctionné dans
un sens, elle fonctionnera dans l’autre. La traque impitoyable des terroristes par
les avions des Etats-Unis et de leurs alliés terroriseront les terroristes.
C’est l’arroseur arrosé et ça ne sera que justice rendue. Plusieurs pays de la coalition prévoient la livraison d’armes et
l’envoi de conseillers militaires. Néanmoins, tout enthousiasme doit rester mesurer à cause de trois
bémols issus de la politique stupide de Nouri al-Maliki: l’armée irakienne est aujourd’hui dominée
par les Chiites irakiens (et iraniens par ricochet), elle a été épurée des éléments sunnites (pas uniquement des partisans
de Saddam Hussein) et elle laisse
évoluer à ses côtés diverses milices chiites irakiennes, tout en combattant
les milices sunnites irakiennes. Le
nouveau Premier ministre irakien, Haïdar Al-Abidi, doit donc remédier au
plus vite à ces points provocateurs, qui pourraient faire échouer cette 4e guerre du Golfe en nourrissant gracieusement le ressentiment de la population sunnite
envers le « pouvoir chiite ». Il s’est engagé à le faire. D’ailleurs,
c’est grâce aux soulèvements de tribus sunnites contre « l’Etat islamique », que
l’armée irakienne a pu avancer sur certains fronts au Nord du pays.
Dans la lutte contre
Daech, il faut compter aussi sur les Peshmergas.
Malgré leurs divisions, par leur organisation, leur gestion et leur tolérance, les
forces kurdes qui tirent leurs épingles du jeu, au prix d’un renforcement accru
de leur autonomie par rapport au pouvoir central irakien, sont aujourd’hui incontournables. Ils bénéficieront des
livraisons d’armes et de l’envoi de conseillers militaires. Les Américains frapperont par les airs « l’Etat
islamique » où qu’il se trouve, à charge des Kurdes d’attaquer les
djihadistes où qu’ils soient au sol. C’est ce qui a permis d’ailleurs de
reprendre le barrage de Mossoul aux djihadistes vers la mi-août. Le fait qu’ils
soient de confession sunnite, empêchera l’EI de faire passer la coalition
internationale pour une agression délibérée du monde sunnite.
VI. ROLE DE LA SYRIE
Comme « l’Etat
islamique » s’étend également en amont de l’Euphrate, il est évident qu’on n’anéantira pas cette organisation terroriste sans
attaquer ses positions en SYRIE. Là aussi Barack Obama a été très clair. « Dans
la lutte contre l’EIIL, nous ne pouvons pas compter sur le régime d’Assad qui
terrorise son propre peuple, un régime qui ne retrouvera jamais la légitimité
qu'il a perdue. » Parlons peu, mais parlons bien : le succès de la 4e guerre du
Golfe est conditionné à l’exclusion du régime de Bachar el-Assad de la
coalition internationale, puisque celui-ci constitue la source principale
qui nourrit « l’Etat islamique », ainsi que la mise à l’écart de l'Iran (et du Hezbollah), les
complices actifs de la sale guerre de Bachar el-Assad en Syrie et de la
politique stupide de Nouri al-Maliki en Irak. Dans ce contexte, il est clair que les frappes aériennes occidentales
doivent viser en priorité les positions de « l’Etat islamique » qui
menacent directement celles de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Dans un
premier temps, on devrait donc laisser ce face-à-face entre l’organisation terroriste
et le régime terroriste. Bachar el-Assad a tout fait pour épargner
« l’Etat islamique ». Ce n’est que récemment qu’il a commencé à
s’attaquer aux positions djihadistes à Raqqa, dans une tentative désespérée de
retrouver une certaine respectabilité. Inclure la Syrie et l’Iran, deux régimes
au ban des nations, revient à reconnaitre la véracité de la propagande syro-irano-hezbollahi-russe qui a misé de tout son poids sur
l'épouvantail djihadiste, depuis la militarisation et la généralisation du
conflit en 2012, et l’angoisse suscitée dans les pays occidentaux, pour redorer le blason de ceux qui sont
perçus comme des « pestiférés » par les rebelles syriens.
Ainsi, pour ne pas
donner de l’eau au moulin djihadiste, et faire basculer encore des rebelles
syriens dans les bras de « l’Etat islamique », la coalition internationale veillera non seulement à l’exclusion des « pestiférés »
de ses rangs, mais aussi à l’armement et
à l’encadrement, de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Les Etats-Unis et la
France sont prêts à le faire. « En Syrie,
nous avons intensifié notre aide militaire à l'opposition syrienne... Je
demande au Congrès de nous donner à nouveau le pouvoir et les ressources
supplémentaires pour former et équiper ces combattants... Nous devons renforcer l'opposition comme le meilleur contrepoids aux
extrémistes comme l’EIIL, tout en poursuivant la solution politique
nécessaire pour résoudre la crise de la Syrie une fois pour toutes. »
Ces précisions du président américain signifieront que désormais, l’ASL devra faire face à deux fronts
conjointement, le régime syrien et « l’Etat islamique », en assumant
pleinement, les conséquences des erreurs qui ont été commises dans le passé au nom du peuple
syrien : d’une part, d’avoir militarisé et généralisé le conflit syrien,
et d’autre part, d’avoir négligé la radicalisation et l’islamisation de la
Révolution syrienne. Certes, la barre est haute. Mais quand on a la prétention
de décider au nom du peuple, et l’objectif noble de remplacer la dynastie
tyrannique des Assad, et que des innocents en paient le prix, il faut se montrer responsables et à la
hauteur des enjeux. C’est sur l’Armée
Syrienne Libre que reposera en partie l’anéantissement de « l’Etat
islamique ». C’est à elle que reviendra la mission de reprendre les
territoires djihadistes en Syrie, avec l’aide de la coalition internationale. Elle doit prendre exemple sur les
Peshmergas, qui ont su surmonter leurs divisions, éliminer les extrémistes de
leurs rangs et bien gérer les territoires qu’ils contrôlaient. En tout cas,
là aussi, la participation active des sunnites de l’Armée Syrienne Libre pour
reconquérir les territoires de « l’Etat
islamique », comme pour les Peshmergas en
Irak, est déterminante pour couper l’herbe sous les pieds des djihadistes
sunnites et leur ôter la possibilité de présenter la guerre contre l’Etat
islamique comme une confrontation entre l’Occident chrétien et l’Orient
sunnite.
VII. ROLES DE LA
TURQUIE ET DU LIBAN
Afin d’augmenter les
chances d’anéantir au plus vite cette organisation terroriste, il convient de transformer les territoires contrôlés par les
djihadistes en un enclos hermétiquement fermé. Tous les pays qui ont une
frontière avec « l’Etat
islamique » sont donc concernés. Dans ce but, je pense notamment
à la Turquie et au Liban, qui
doivent cesser d’être pour les « djihadistes sunnites » les
principales portes d’entrée et de sortie en et de la Syrie, où ils peuvent soigner
leurs blessés et écouler leur pétrole sur le marché noir. Le pays du Cèdre doit
cesser d’être de surcroit, une passoire pour les miliciens du Hezbollah. Notre part dans la lutte contre Daech,
consistera donc à déployer au plus vite l’armée libanaise le long de la
frontière syro-libanaise, et non à laisser, en dépit du bon sens, des
milliers de « djihadistes chiites libanais » aller combattre aux
côtés du « régime alaouite syrien » pour écraser le soulèvement de la
« population sunnite syrienne » et revenir pleurnicher sur les murs à propos de
la montée en puissance de Daech. Et tout ce qu’on entendra et lira en dehors de
cela, n’est que palabres, balivernes, foutaises, vanité et poursuite de vent.
VIII. PLAIDOYER ET
MISE EN GARDE
Si l’Irak sunnite de
Saddam Hussein est sorti vainqueur de la 1re guerre du Golfe, qui l’a opposé à l’Iran chiite de Khomeiny entre 1980 et
1988, depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de l’Euphrate et du Tigre.
Cette « victoire sunnite » est aujourd’hui caduque. Le raïss a été
exécuté et la population sunnite est complétement marginalisée. Deux ans plus
tard, la Syrie alaouite s’est taillée la part du lion lors de la 2e guerre du Golfe. Pour
avoir rejoint la coalition internationale après l’invasion du Koweït par
l’armée irakienne en 1990, Bush-père a offert le Liban en guise de récompense à
Assad-père, pour un bail de terreur de 15 ans. Cette « victoire
alaouite » est elle aussi aujourd’hui caduque. Après le faux-pas de
l’assassinat de Rafic Hariri, et le soulèvement populaire libanais du 14 mars
2005, Bush-fils a retiré la récompense à Assad-fils. Quant à la 3e guerre du Golfe, à
l’occasion de l’invasion américaine de l’Irak par Bush-fils en 2003, c’est
l’Iran chiite qui en est le grand vainqueur. Il a reçu l’Irak dans une pochette
surprise, sans avoir rien demandé. Cette « victoire chiite » est
toujours valide. Elle est même à l’origine de « l’Etat islamique »,
et par conséquent, directement responsable de la 4e guerre du Golfe.
Du fait qu’elle est
liée à celle qui l’a précédé, la guerre qui s’engage en l'automne de l'année 2014 dans le but
d’anéantir cette organisation terroriste, doit tenir compte des erreurs
commises dans le passé, en évitant à tout prix de reconduire la stratégie particulièrement stupide suivie
par le duo Bush-Maliki entre 2003 et 2014, qui a fait naitre le
« mal » qui terrorise l’Irak et la Syrie actuellement. Ces deux
hommes ont tout fait pour scinder l’Irak et nourrir le ressentiment de la population sunnite irakienne, en l’affaiblissant,
au profit du renforcement régional du « pouvoir chiite » à la fois en
Irak et en Iran. Il faut dire aussi que la guerre civile syrienne, entre 2011 et 2014, n’a pas arrangé les
choses. La barbarie conduite par la « minorité
alaouite » sur la « majorité sunnite », avec l’aide des chiites
syro-libano-iraniens, a exacerbé le ressentiment de la population sunnite syrienne.
Pour réussir, la 4e guerre du Golfe doit
conduire à l’inverse des effets indésirables qu’on a eus lors de celle qui l’a
précédé. C’est pourquoi, s’allier ou ne serait-ce que coordonner, les actions
contre « l’Etat islamique sunnite » avec « le régime alaouite syrien »
ou « le régime chiite iranien », serait une bêtise tactique
inqualifiable, qui entretiendrait la guerre au Moyen-Orient, accélèrerait la
partition de l’Irak et de la Syrie, et renforcerait « l’Etat
islamique en Irak et au Levant ». Heureusement que ce n’est pas à l’ordre
du jour. Ça ne devrait jamais le devenir. La
4e guerre du Golfe doit rétablir
de facto l’équilibre entre les communautés chiites, alaouites et sunnites, aussi
bien en Irak qu’en Syrie, et permettre à ces dernières de retrouver la place qu’elles
méritent dans leurs propres pays, afin d’espérer un jour construire en Irak
comme en Syrie, un Etat multicommunautaire, uni, pacifié et débarrassé de ses
monstres.