Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors du premier Sommet des chefs religieux musulmans d'Amérique latine, qui s'est tenu le 15 novembre 2014 en Turquie à Istanbul (Anadolu Agency - AFP) |
Il y a trois ans, dans un article sur la révolution syrienne, j’avais émis de sérieux doutes sur l'élévation de Recep
Tayyip Erdogan au titre de Grand héros de
la Nation arabe pour l'année 2011. Et pour cause ! « Voilà un homme qui a inauguré sa
carrière en 1998 par la porte de la prison, après une condamnation pour incitation à la haine où dans un discours
national, alors qu'il était maire d'Istanbul depuis 1994 (il sera destitué à la
suite de cette affaire et emprisonné pendant trois ans), n'a pas trouvé mieux
que de réciter le poème d'un nationaliste turc pour qui "les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques,
les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats"! C'est
de l'histoire ancienne peut-être, sauf que le Premier ministre turc n'a pas
hésité à déclarer en février 2008 en Allemagne, devant 16 000 compatriotes, que "l'assimilation (des musulmans/Turcs
dans les pays occidentaux/en Allemagne) est un crime contre l’humanité",
renvoyant par ailleurs aux calendes grecques, la reconnaissance du génocide
arménien et le droit démocratique à l'autodétermination de la population
kurde. » Aujourd’hui justement, Kobané
/ Aïn el-Arab, la ville kurde de Syrie, n’en finit pas d’agoniser à cause
de la politique honteuse de la Turquie
qui a choisi depuis 2011, de fermer les yeux et de soutenir, les djihadistes en
Syrie, en détriment des rebelles kurdes, non seulement parce qu’ils sont
islamistes mais aussi pour empêcher l’émergence d’un Kurdistan syrien à ses
frontières avec la Syrie.
Toujours est-il, le fait que plusieurs dizaines
de personnes de son entourage soient impliquées dans des scandales financiers et malgré sa politique ambiguë avec l’organisation terroriste la plus odieuse de
l’histoire contemporaine, « l’Etat islamique / Daech », cela ne l’a pas
empêché de délirer, tenez-vous bien,
sur la découverte de l’Amérique par
Christophe Colomb en 1492. A l’occasion du sommet des chefs religieux musulmans
des pays d'Amérique latine, qui s’est tenu à Istanbul le 15 novembre, le
président turc a déclaré texto : « Les contacts entre l'Amérique latine
et l'islam remontent au XIIe siècle. Les musulmans ont découvert l'Amérique en
1178, pas Christophe Colomb... Des marins musulmans sont arrivés en Amérique
dès 1178. Colomb mentionne l'existence d'une mosquée sur une colline le long de
la côte cubaine. » Et encore, s’il s’était contenté de ce délire
révisionniste de l’histoire! Il est allé plus loin : « Je
voudrais bien en parler à mes frères cubains, une mosquée irait parfaitement
bien sur cette colline aujourd'hui aussi. » Et face à ce
prosélytisme à cinq piastres, on s’étonne après du développement d’une certaine
islamophobie dans les pays occidentaux!
Flashback. Cette histoire n’est pas sans rappeler le même délire sur la découverte
de l’Amérique par les Phéniciens -grands navigateurs, inventeurs de
l’alphabet, de la pourpre et du libre échangisme- et qui font la fierté des
Libanais, à juste titre et à juste raison. Difficile de savoir qui avait lancé cette légende en premier, mais ce qui est
sûr et certain, c’est parce que celle-ci flattait le nationalisme identitaire libanais,
elle a été reprise et exploitée par les communautés
chrétiennes du pays du Cèdre, notamment par les Maronites. Ce délire s’est
basé notamment sur la découverte vers 1872 d’une stèle avec des inscriptions phéniciennes à Paraíba au
Brésil. « Nous (sommes) des fils
de Canaan, de Sidon (actuel Saïda), de la ville du roi. Et (le) commerce nous a jetés sur ce rivage lointain,
une région de montagnes... Que les dieux et les déesses nous soient
propices ! » Comme par hasard, à l’arrivée des spécialistes pour
l’examiner, la stèle originelle s’est volatilisée, dès 1874, il ne subsistait
qu’une copie. L’inscription est bel et bien phénicienne, ce qui pose problème
c’est la stèle elle-même. Comme rien n’est venu étayer la présence phénicienne
au Brésil, les archéologues supposent que la
stèle de Paraíba était fausse, voire une pièce authentique mais qui a été
rapportée après la découverte de Colomb. On suppose qu’elle aurait été créée pour
nourrir la passion de l’empereur du Brésil, Pedro II, pour l’univers sémite. Il
y a aussi d’autres découvertes dont l’attribution aux Phéniciens est
aujourd’hui rejetée par les spécialistes de cette civilisation, notamment le
rocher de Dighton (énorme bloc de pierre retrouvé dans le lit d’un fleuve du
Massachusetts aux Etats-Unis, sur lequel on retrouve des inscriptions non
identifiées) et la falaise de Pedra da Gavea (près de la ville de Rio de
Janeiro, qui ressemble à un visage où l’on a retrouvé une inscription
phénicienne). Pour être complet le sujet, l’Amérique aurait été découverte
aussi par les Romains, les Chinois et les Templiers de France. On n’arrête pas
le progrès, ni les délires identitaires nationalistes d’ailleurs. La seule
présence précolombienne en Amérique admise aujourd’hui, c’est celle des Vikings au Canada.
Revenons aux éléphants roses de Recep
Tayyip Erdogan. Après un brainstorming
avec l’ensemble de mes personnalités, je ne vois que trois hypothèses pour
expliquer le dernier délire de l’héritier de la Sublime Porte :
1. Dégénérescence
prématurée des cellules cérébrales du président de la Turquie. Un phénomène
très rare avant l’âge de 99 ans.
2. Hallucination
visuelle après l’ingestion du champignon hallucinogène Sclerotia Mexicana Dragon, acheté à un
travesti dans un smartshop lors d’une visite secrète à Amsterdam où des témoins
affirment qu’Erdogan était déguisé en femme voilée. D’ailleurs, le producteur
ne s’est pas trompé en affirmant « attendez-vous
à une défonce physique combinée à des effets visuels et des idées
philosophiques ». Ah oui, il s’est défoncé Recep !
3. Dérapage
savamment
étudié qui ne doit rien au hasard et qui prouve pour la énième fois que Recep
Tayyib Erdogan n’est qu’un islamiste populiste
parmi d’autres.
A ce propos, notez bien que le chef d’Etat turc a sciemment parlé de l’appartenance
religieuse de ses explorateurs imaginaires, des « musulmans », et non impériale ou ethnique, une précision qui
ne peut pas être exploitée de nos jours. En effet, il ne pouvait tirer
aucun profit à remettre cet exploit imaginaire précolombien aux Seldjoukides du Sultanat de Roum (à l’époque
où l’empire ottoman n’existait pas encore, des clans de Turcs Oghouzes régnaient
sur l’Anatolie de l’Empire byzantin, la Turquie d’aujourd’hui), aux Ayyoubides de la dynastie ayyoubide de Saladin
(qui régnaient sur la Syrie et l’Egypte), aux Mouwahiddun de la dynastie
des Almohades (qui régnaient sur l’Andalousie et le Maghreb) et encore
moins aux Croisés des Etats latins d’Orient (les chrétiens
d’Occident qui régnaient sur la côte de la Palestine-Israël, du Liban et de la
Syrie et sur Jérusalem depuis 1099). D’ailleurs, c’est ce qui rend son
usurpation historique particulièrement ignoble.
Toujours est-il qu’aucun vestige islamique, de quelque nature que ce soit, antécédent
à l’arrivée de Christophe Colomb à San Salvador (Bahamas), n’a jamais été
découvert entre la Terre de Feu et l’Alaska. Tous les historiens sains d’esprit,
musulmans compris, s’accordent pour dire que la mention de Christophe Colomb,
exploitée par un historien islamiste turc en 1996, n’était qu’une métaphore pour décrire le paysage de
l’époque. Il ne faut pas oublier que la découverte de l’Amérique en 1492 est
intervenue 39 ans seulement après la chute historique de la ville de Constantinople
entre les mains des Ottomans en 1453, un détail qui a échappé à l’actuel
fanatique d’Istanbul. Encore une fois,
Erdogan nous prouve à quel point les Européens favorables à l’entrée de la
Turquie dans l’Union européenne étaient vraiment à côté de la plaque !
Je terminerai ce tour d’horizon par cette anecdote.
Sachez que le site français, Islam & Info, qui assure « l’info par le
Musulman, pour le Musulman », a même attribué au début de l’année l’exploration
de l’Australie à des musulmans, en se basant sur une soi-disant découverte
de cinq pièces de monnaie en cuivre dans le nord du pays, qui dateraient des
années 900. James Cook ne serait donc qu’un autre usurpateur, comme Christophe
Colomb. C’est ce qui a poussé les rédacteurs du site à conclure : « Décidément, les découvertes sont
rarement dédiées à leurs propriétaires quand il s’agit de musulmans. »
La 7awla wa la qowata ella bellah !
Entre la barbarie des usurpateurs de l’islam
et du califat de « l’Etat islamique
/ Daech » et les délires des usurpateurs de l’histoire des Erdogan
& Co, pauvres musulmans, dans quelle galère vous êtes embarqués parfois par certains de vos coreligionnaires, au nom de l'Islam !
Ah, c’est le cas de le dire. Pour rester dans le sujet principal de cet article, comme les dérages d'Erdogan dans la Turquie laïc d’Atatürk sont bien regrettables, quand on pense que ce grand pays à dominante musulmane a un rôle crucial et majeur à jouer dans le monde arabo-islamique de demain.