mardi 18 novembre 2014

« Les musulmans ont découvert l'Amérique, pas Christophe Colomb », le dernier délire d’Erdogan (Art.253)


Le président turc, Recep Tayyip Erdogan,
lors du premier Sommet des chefs religieux
musulmans d'Amérique latine, qui s'est
tenu le 15 novembre 2014 en Turquie
à Istanbul (Anadolu Agency - AFP)
On ne compte plus les dérages du leader de la Turquie. Recep Tayyip Erdogan apparait au fil des années, de moins en moins laïque et démocratique, de plus en plus islamique et autocratique. Islamisation en douce du pays, atteinte grave à la laïcité, autorisation du voile et de la barbe dans l’administration, moralisation de la société, restriction de la consommation et de la vente d’alcool, limitation des manifestations amoureuses dans la rue, atteinte aux libertés individuelles, atteinte à la liberté d’expression, menaces d’interdiction de Facebook et de Twitter, déni des contestations populaires, répression policière brutale, gaspillage de l’argent public dans des projets nationalistes et mégalomaniaques, clientélisme, règne indirect et sans fin sur la municipalité d’Istanbul, complaisance face à la folie des promoteurs, ottomania, j’en passe et des meilleurs. Enfin, depuis près d’une vingtaine d’années, Atatürk n’en finit pas de se retourner dans sa tombe.

Il y a trois ans, dans un article sur la révolution syrienne, j’avais émis de sérieux doutes sur l'élévation de Recep Tayyip Erdogan au titre de Grand héros de la Nation arabe pour l'année 2011. Et pour cause ! « Voilà un homme qui a inauguré sa carrière en 1998 par la porte de la prison, après une condamnation pour incitation à la haine où dans un discours national, alors qu'il était maire d'Istanbul depuis 1994 (il sera destitué à la suite de cette affaire et emprisonné pendant trois ans), n'a pas trouvé mieux que de réciter le poème d'un nationaliste turc pour qui "les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats"! C'est de l'histoire ancienne peut-être, sauf que le Premier ministre turc n'a pas hésité à déclarer en février 2008 en Allemagne, devant 16 000 compatriotes, que "l'assimilation (des musulmans/Turcs dans les pays occidentaux/en Allemagne) est un crime contre l’humanité", renvoyant par ailleurs aux calendes grecques, la reconnaissance du génocide arménien et le droit démocratique à l'autodétermination de la population kurde. » Aujourd’hui justement, Kobané / Aïn el-Arab, la ville kurde de Syrie, n’en finit pas d’agoniser à cause de la politique honteuse de la Turquie qui a choisi depuis 2011, de fermer les yeux et de soutenir, les djihadistes en Syrie, en détriment des rebelles kurdes, non seulement parce qu’ils sont islamistes mais aussi pour empêcher l’émergence d’un Kurdistan syrien à ses frontières avec la Syrie.  

Toujours est-il, le fait que plusieurs dizaines de personnes de son entourage soient impliquées dans des scandales financiers et malgré sa politique ambiguë avec l’organisation terroriste la plus odieuse de l’histoire contemporaine, « l’Etat islamique / Daech », cela ne l’a pas empêché de délirer, tenez-vous bien, sur la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492. A l’occasion du sommet des chefs religieux musulmans des pays d'Amérique latine, qui s’est tenu à Istanbul le 15 novembre, le président turc a déclaré texto : « Les contacts entre l'Amérique latine et l'islam remontent au XIIe siècle. Les musulmans ont découvert l'Amérique en 1178, pas Christophe Colomb... Des marins musulmans sont arrivés en Amérique dès 1178. Colomb mentionne l'existence d'une mosquée sur une colline le long de la côte cubaine. » Et encore, s’il s’était contenté de ce délire révisionniste de l’histoire! Il est allé plus loin : « Je voudrais bien en parler à mes frères cubains, une mosquée irait parfaitement bien sur cette colline aujourd'hui aussi. » Et face à ce prosélytisme à cinq piastres, on s’étonne après du développement d’une certaine islamophobie dans les pays occidentaux!

Flashback. Cette histoire n’est pas sans rappeler le même délire sur la découverte de l’Amérique par les Phéniciens -grands navigateurs, inventeurs de l’alphabet, de la pourpre et du libre échangisme- et qui font la fierté des Libanais, à juste titre et à juste raison. Difficile de savoir qui avait lancé cette légende en premier, mais ce qui est sûr et certain, c’est parce que celle-ci flattait le nationalisme identitaire libanais, elle a été reprise et exploitée par les communautés chrétiennes du pays du Cèdre, notamment par les Maronites. Ce délire s’est basé notamment sur la découverte vers 1872 d’une stèle avec des inscriptions phéniciennes à Paraíba au Brésil. « Nous (sommes) des fils de Canaan, de Sidon (actuel Saïda), de la ville du roi.  Et (le) commerce nous a jetés sur ce rivage lointain, une région de montagnes... Que les dieux et les déesses nous soient propices ! » Comme par hasard, à l’arrivée des spécialistes pour l’examiner, la stèle originelle s’est volatilisée, dès 1874, il ne subsistait qu’une copie. L’inscription est bel et bien phénicienne, ce qui pose problème c’est la stèle elle-même. Comme rien n’est venu étayer la présence phénicienne au Brésil, les archéologues supposent que la stèle de Paraíba était fausse, voire une pièce authentique mais qui a été rapportée après la découverte de Colomb. On suppose qu’elle aurait été créée pour nourrir la passion de l’empereur du Brésil, Pedro II, pour l’univers sémite. Il y a aussi d’autres découvertes dont l’attribution aux Phéniciens est aujourd’hui rejetée par les spécialistes de cette civilisation, notamment le rocher de Dighton (énorme bloc de pierre retrouvé dans le lit d’un fleuve du Massachusetts aux Etats-Unis, sur lequel on retrouve des inscriptions non identifiées) et la falaise de Pedra da Gavea (près de la ville de Rio de Janeiro, qui ressemble à un visage où l’on a retrouvé une inscription phénicienne). Pour être complet le sujet, l’Amérique aurait été découverte aussi par les Romains, les Chinois et les Templiers de France. On n’arrête pas le progrès, ni les délires identitaires nationalistes d’ailleurs. La seule présence précolombienne en Amérique admise aujourd’hui, c’est celle des Vikings au Canada.

Revenons aux éléphants roses de Recep Tayyip Erdogan. Après un brainstorming avec l’ensemble de mes personnalités, je ne vois que trois hypothèses pour expliquer le dernier délire de l’héritier de la Sublime Porte :
1. Dégénérescence prématurée des cellules cérébrales du président de la Turquie. Un phénomène très rare avant l’âge de 99 ans.
2. Hallucination visuelle après l’ingestion du champignon hallucinogène Sclerotia Mexicana Dragon, acheté à un travesti dans un smartshop lors d’une visite secrète à Amsterdam où des témoins affirment qu’Erdogan était déguisé en femme voilée. D’ailleurs, le producteur ne s’est pas trompé en affirmant « attendez-vous à une défonce physique combinée à des effets visuels et des idées philosophiques ». Ah oui, il s’est défoncé Recep !
3. Dérapage savamment étudié qui ne doit rien au hasard et qui prouve pour la énième fois que Recep Tayyib Erdogan n’est qu’un islamiste populiste parmi d’autres.

A ce propos, notez bien que le chef d’Etat turc a sciemment parlé de l’appartenance religieuse de ses explorateurs imaginaires, des « musulmans », et non impériale ou ethnique, une précision qui ne peut pas être exploitée de nos jours. En effet, il ne pouvait tirer aucun profit à remettre cet exploit imaginaire précolombien aux Seldjoukides du Sultanat de Roum (à l’époque où l’empire ottoman n’existait pas encore, des clans de Turcs Oghouzes régnaient sur l’Anatolie de l’Empire byzantin, la Turquie d’aujourd’hui), aux Ayyoubides de la dynastie ayyoubide de Saladin (qui régnaient sur la Syrie et l’Egypte), aux Mouwahiddun de la dynastie des Almohades (qui régnaient sur l’Andalousie et le Maghreb) et encore moins aux Croisés des Etats latins d’Orient (les chrétiens d’Occident qui régnaient sur la côte de la Palestine-Israël, du Liban et de la Syrie et sur Jérusalem depuis 1099). D’ailleurs, c’est ce qui rend son usurpation historique particulièrement ignoble.

Toujours est-il qu’aucun vestige islamique, de quelque nature que ce soit, antécédent à l’arrivée de Christophe Colomb à San Salvador (Bahamas), n’a jamais été découvert entre la Terre de Feu et l’Alaska. Tous les historiens sains d’esprit, musulmans compris, s’accordent pour dire que la mention de Christophe Colomb, exploitée par un historien islamiste turc en 1996, n’était qu’une métaphore pour décrire le paysage de l’époque. Il ne faut pas oublier que la découverte de l’Amérique en 1492 est intervenue 39 ans seulement après la chute historique de la ville de Constantinople entre les mains des Ottomans en 1453, un détail qui a échappé à l’actuel fanatique d’Istanbul. Encore une fois, Erdogan nous prouve à quel point les Européens favorables à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne étaient vraiment à côté de la plaque !

Je terminerai ce tour d’horizon par cette anecdote. Sachez que le site français, Islam & Info, qui assure « l’info par le Musulman, pour le Musulman », a même attribué au début de l’année l’exploration de l’Australie à des musulmans, en se basant sur une soi-disant découverte de cinq pièces de monnaie en cuivre dans le nord du pays, qui dateraient des années 900. James Cook ne serait donc qu’un autre usurpateur, comme Christophe Colomb. C’est ce qui a poussé les rédacteurs du site à conclure : « Décidément, les découvertes sont rarement dédiées à leurs propriétaires quand il s’agit de musulmans. » La 7awla wa la qowata ella bellah ! Entre la barbarie des usurpateurs de l’islam et du califat de « l’Etat islamique / Daech » et les délires des usurpateurs de l’histoire des Erdogan & Co, pauvres musulmans, dans quelle galère vous êtes embarqués parfois par certains de vos coreligionnaires, au nom de l'Islam ! Ah, c’est le cas de le dire. Pour rester dans le sujet principal de cet article, comme les dérages d'Erdogan dans la Turquie laïc d’Atatürk sont bien regrettables, quand on pense que ce grand pays à dominante musulmane a un rôle crucial et majeur à jouer dans le monde arabo-islamique de demain.