dimanche 14 décembre 2014

Peut-on tuer les prisonniers de guerre d’après « l'islam du Coran »? Non! Mais d’après « l’islam de certains chrétiens », si! (Art.259)


Tout a commencé par un statut. Je faisais référence à l'assassinat odieux d'Ali Bazzal. Je pensais aussi à James Foley et à d'autres otages, tués par Daech - Etat islamique, Jabhat al-Nosra, le Hezbollah ou la tyrannie des Assad, père et fils. Je disais qu’il était temps qu’une cellule spécialisée libanaise traque plus efficacement ces terroristes sur les réseaux sociaux. « Il faut ramener cette racaille de psychopathes là où ils devraient être et restés : à l’âge de pierre ! Non seulement tuer des détenus est une violation grave de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, mais les ignares devraient savoir qu’il est strictement interdit dans l’islam de tuer les captifs. » Ma dernière affirmation a dérangé. Je m’en doutais un peu. « Leur prophète (Mahomet) leur a largement montré l'exemple », me dit une amie sur Facebook. Le ton était donné. Après un commentaire délirant de sa part, « ce qui est sûr, c'est que dans le Nouveau Testament on parle d'aimer ou d'amour environ 700 fois et nulle part dans le Coran », et de faits historiques tronqués avancés par une autre amie, « Mahomet a donc fait égorger les mâles, en prenant soin de les faire égorger par leurs anciens alliés arabes de la tribu des Aws », j’ai décidé de rédiger cet article et mettre quelques points sur les i.

Y-a-il des passages violents dans le Coran des musulmans ? La réponse est oui. Comme il y en a d’ailleurs dans la Bible des Juifs et des Chrétiens aussi. Je vais déranger, mais j’assume. Puisque nous manquons de temps, vous et moi, je me limiterai au sujet des « prisonniers de guerre », l’étincelle qui a enflammé les esprits, un terme qu’on retrouve dans l’argumentation de Jabhat al-Nosra pour justifier l’exécution infâme des militaires libanais, que l’organisation terroriste détient, soi-disant selon les préceptes islamiques.  

Dans la sourate 8, al-Anfal (Le Butin), le verset 70 donne le tempo à ce sujet : « Ô Prophète, dis aux captifs qui sont entre vos mains : "Si Dieu sait qu’il y a du bien dans vos cœurs, il vous accordera de meilleures choses que celles qui vous ont été enlevées. Il vous pardonnera car Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux." » Dans la sourate 47, Muhammad, les choses se précisent au verset 4 : « Si vous rencontrez les impies (au combat), frappez-les au cou jusqu’à les terrasser. Liez-les alors fortement. Ultérieurement, libérez-les gracieusement ou contre une rançon, afin que la guerre dépose ses fardeaux. Parce que si Dieu l’avait voulu, il se serait débarrassé d’eux lui-même, mais il a voulu vous éprouver les uns par les autres. » Ainsi, Allah via Mahomet, si on se place du point de vue d’un musulman, dit donc clairement d’une part, qu’on ne peut pas faire de prisonniers sans livrer bataille (peut-être sanglante, mais il faut livrer bataille quand même), et d’autre part, on ne peut pas tuer les prisonniers de guerre, qui doivent être libérés gracieusement ou contre une rançon. C'est d'une clarté éblouissante. Par conséquent, Jabhat al-Nosra et Daech, ont clairement violé les préceptes coraniques dans ce domaine, en exécutant quatre otages libanais et quatre otages occidentaux, sans parler de toutes leurs actions criminelles qu’elles ont menées en Irak et en Syrie. Que ça soit pour la bonne cause -mettre fin à la tyrannie des Assad- n’y change rien, cela va sans dire.

« Oui mais, il ne faut pas oublier le massacre des Banu Qurayza », m’avertirent mes deux amies séparément. Qui ça ? « La tribu dont Mahomet a fait égorger tous les membres mâles, dès lors qu'ils avaient les poils de la puberté... c’était la tribu juive de Yathrib des Banu Quraydah... en prenant soin de les faire égorger par leurs anciens alliés arabes de la tribu des Aws ». Incroyable comme l’histoire ancienne ressemble aux chiffres, non seulement on peut la trafiquer elle aussi, mais on peut également lui faire dire ce que l’on veut, ce qui était le cas dans ce débat. Désolé, mais je vais devoir vous conter l’histoire des Banu Qurayza, la tribu des fils de Qurayza. Rassurez-vous, c’est passionnant. Nous sommes en 627. Mahomet et des fidèles originaires de La Mecque sont réfugiés depuis cinq ans à Yathrib, rebaptisée Médine. La ville est alors attaquée par la tribu mecquoise arabe des Quraych, celle de Mahomet, qui veut en finir avec les « musulmans » et leur chef. On dit que la tribu juive des Banu Nadir, celle qui a été expulsée de Médine peu de temps avant, à la suite d’une tentative d’assassinat visant Mahomet, faisait partie du complot. 10 000 hommes pour les assaillants, dirigés par Abu Sufuyan, contre 3 000 pour les défenseurs, dirigés par Mahomet lui-même. Ce dernier tenta de conclure un accord de paix, afin d’éviter un bain de sang, en vain. Celui-ci n’aura pas lieu d’ailleurs. Mahomet a eu l’idée de génie de faire creuser un fossé tout autour de la ville, là où il n’y avait pas de remparts. « S'il n'y avait eu ce fossé auquel ils s'accrochaient ; Nous les aurions exterminés tous ; Mais il était là devant eux, et eux ; Ayant peur de nous, y trouvaient refuge. » A en croire l’historien français Maxime Rodinson, à part quelques escarmouches, les deux ennemis échangèrent pendant trois semaines « des injures en proses et en vers (comme la citation précédente), ainsi que des flèches lancées à une distance rassurante ». En effet, les batailles sanglantes de l’antiquité n’étaient pas dans les mœurs et les pratiques arabes. Tout devait être fait pour les éviter. Un traité conclu auparavant entre les tribus arabes et juives de la région, obligeait toutes les parties à défendre la ville en cas d’attaque. On raconte qu’Abu Sufuyan s’était mis d’accord secrètement avec la tribu juive des Banu Qurayza, pourtant chargée de garder les remparts de la ville. Violant le traité tribal, cette dernière devait laisser rentrer « les ennemis », les Qoraychites. Cependant, une tempête, le froid et le manque de vivres finissent par les disséminer, les obligeant à lever le siège et à rentrer à La Mecque. En tout et pour tout, on dénombra seulement huit morts. Ah si !

Quelques heures après cette victoire, Mahomet et ses troupes assiégèrent la « tribu traitre » sur ordre de l’ange Gabriel, nous dit-on dans une certaine source. Après plusieurs semaines de siège, les Banu Qurayza acceptèrent l’arbitrage de leur allié, Saad ibn Muaaz, le chef de la tribu arabe préislamique des Banu Aws, qui est en même temps, le premier des Ansars, les compagnons de Mahomet. Blessé durant la guerre, et après s’être assuré que les deux parties, les musulmans et les juifs, acceptent son arbitrage, il décréta « que les hommes (de Banu Qurayza) soient tués, que leur biens soient répartis entre les musulmans et que les femmes et les enfants soient bannis ». On raconte que 600 à 900 personnes y périrent égorger. Certaines sources affirment même que seuls deux hommes, Ali ibn Abi Talib, le cousin et le gendre de Mahomet, le futur calife, et Zoubaïr, qui auraient été chargés de cette sale besogne, ce qui est invraisemblable. Indépendamment de la véracité de tous les détails de ces événements, le chiffre semble relever de la mythologie, exagéré dans le but d’impressionner les populations de l’époque.

Il n’y a rien sur la tragédie des Banu Qurayza dans le Coran, à part deux vagues versets (33, 26-27). Tous les récits, réels ou fantaisistes des événements, ont trois origines

D’abord, Sirat rasul Allah, la Biographie de l’Envoyé de Dieu, d’Ibn Ishaq. C’est « l’Evangile des musulmans », selon l’historien tunisien, Hichem Djaït. Le hic est que cet historien arabe est mort en l’an de grâce 768, soit 141 ans après les faits. Non seulement sa version a disparue (comme tous ses livres d’ailleurs), mais tous les faits lui ont été rapportés par son père et son grand-père, un esclave affranchi. Son travail est reconnu, mais critiqué aussi, pour l’exagération et la déformation de certains récits de bataille, faites pour des intérêts religieux et politiques. Certains l’accusent même d’être chiite, soit dit au passage. 

Ensuite, Sirat rasul Allah Muhammad ben Abdallah, La biographie de Mahomet le Messager de Dieu, d’Ibn Hicham. Ce généalogiste et grammairien arabe (qui a étudié les hadiths à Koufa, n’est donc pas historien), est mort, en l’an de grâce 833, soit 206 ans après les faits. Le bémol de sa biographie, c’est que non seulement elle est basée sur celle d’Ibn Ishaq, dont on n’a gardé aucune trace, mais il est parfaitement admis qu’il s’agit d’une version remaniée svp, encore pour des intérêts religieux et politiques. L’islamologue tunisien prévient dans son livre La vie de Muhammad, « Ibn Ishaq (via Ibn Hicham) nous fournit parfois une matière précieuse... Face à ce matériau, il incombe à l’historien d’extraire les informations précises et pertinentes du magma légendaire et fabuleux ». Eh oui ! Une tâche difficile sans doute.

Enfin, Tarikh al-rusul wal moulouk, de Tabari, qui relate l’histoire du monde et des musulmans, dont celle de Mahomet. Mais là aussi, cet historien perse reconnu, exégète du Coran, est mort en l’an de grâce 923. Il n’a écrit ses Chroniques que quelques années seulement avant sa mort, soit près de 300 ans après les faits. Non seulement l’auteur a fait des choix personnels, mais plus grave encore, la version répandue, en Orient comme en Occident, se base sur une traduction perse de la version arabe d’origine, perdue en partie et dont il ne subsiste que quelques fragments. Et là aussi, on sait que la version secondaire perse du vizir Bal’ami, sur laquelle se basent les versions disponibles aujourd’hui, a été radicalement modifiée par son traducteur perse pour des intérêts religieux et politiques (chiites). 

Enfin bref, on voit bien qu’on est loin du récit simplifié rapporté avec beaucoup de certitudes par certains, dont mes amies, qui néglige la grande marge d’erreurs qui entourent ce genre de récits historiques lointains, qui contient des inexactitudes flagrantes même en se référant aux rares sources disponibles et qui zappent certains détails importants, le tout pouvant être fait involontairement, par méconnaissance, ou pire, volontairement, dans un intérêt religieux et politique évident, nourrir l’islamophobie d’aujourd’hui, 1400 ans après les faits originels.

Parenthèse historique refermée, revenons à la trame de l’article : peut-on tuer des prisonniers de guerre dans l’islam ? Il me semble que dans ce domaine beaucoup de ceux qui s’y aventurent pour y répondre, confondent deux choses : le Coran et l’histoire. Dans le texte du Coran, et sans l’ombre d’un doute, comme je l’ai dit précédemment, je persiste et je signe, la réponse est « NON », n’en déplaise à ces islamophobes sans frontières qui aimeraient que ça soit le contraire. Pour l’histoire, tout est à prendre avec beaucoup de précautions. Du point de vue strictement historique, il existe peu de sources fiables autour de Mahomet. Ce point ne fait pas débat. On a d’ailleurs le même genre de problème pour écrire les biographies de Jésus de Nazareth, de Cléopâtre, d’Alexandre le Grand ou de Moïse. Comme le résume si bien Alfred-Louis de Prémare, ce spécialiste français et arabophone de l’islam : « toute biographie du prophète de l'islam n'a de valeur que celle d'un roman que l'on espère historique ». Pour les événements ponctuels, on est parfois plus gâté. Mais, on sait aussi d’une manière générale que l’historicité des événements lointains est sujette à caution. Pour l’historien Hichem Djaït, « la pente naturelle de la Sira (la biographie de Mahomet) et du patrimoine islamique post-coranique visaient à construire cette part de légende, dans le but de concurrencer les autres croyances et d’enraciner l’islam chez le vulgum pecus, précisément à l’heure de l’expansion islamique ». Dans le cas des Banu Qurayza, on voit bien les limites des récits rapportés par Ibn Ishaq, Ibn Hicham et Tabari, sur ces événements qui se sont déroulés il y a près de 1400 ans, dans un contexte de guerre, de conquête et de traitrise, à l’aube d’une grande aventure religieuse et humaine qui marquera l’histoire, et qui s’inscrivent d’une part, dans le contexte d’une époque, et d’autre part, dans la tradition biblique. Hélas, ceux qui n’ont pas une bonne opinion de l’islam, négligent l’une et l’autre. J’avais l’intention au départ de développer les deux aspects. Mais vu la longueur de l’article, et comme c’est déjà l’heure du déjeuner dominical, wa 3enda el bouttoun tadi3ou el 3oukoul, je n’ai abordé que le premier volet, laissant la tâche de traiter le second à une date ultérieure.

Venons-en au mot de la fin, à la morale de l’histoire. Certes, il est nécessaire que les communautés musulmanes effectuent une relecture dépassionnée du Coran et distanciée des « biographies » de Mahomet, mais il est impératif que les communautés chrétiennes, juives et athées fassent de même ! Une relecture dépassionnée et distanciée du Coran et des biographies de Mahomet, bien entendu au cas où je n'ai pas été bien compris. Nous aurons indiscutablement moins d’islamisme chez les uns et surtout, moins d’islamophobie chez les autres. Et le monde entier se portera mieux.

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