samedi 4 juillet 2015

Mariage homosexuel et peine de mort aux Etats-Unis : grandeur et décadence d’une nation qui n’en finit pas de fasciner le monde (Art.296)


Tout a commencé le vendredi 26 juin 2015 à Washington DC. Ce jour-là, la Cour suprême des Etats-Unis, la plus haute instance judiciaire du pays, légalise le mariage homosexuel en autorisant sur tout le territoire américain, l’union entre les individus de même sexe. Aussi révolutionnaire soit-elle dans l’absolu, en réalité, il n’y a rien d’extraordinaire dans cette décision. A vrai dire, c’est un non-événement pour qui connait bien l’Occident, puisque la légalisation s’inscrit dans une certaine logique des choses. Les pays de cette civilisation suivent le même chemin sur les grands débats de société. Sur le mariage gay par exemple, ce sont les Pays-Bas qui ont ouvert le bal (2001). Ils ont été suivis d’abord par la Belgique (2003), le Canada (2005) et l’Espagne (2005), ensuite, par la Norvège (2009), la Suède (2009) et le Portugal (2010) et enfin, par le Danemark (2012), la France (2013) et le Royaume-Uni (2014). A ce jour, 20 pays dans le monde autorisent le mariage civil entre deux hommes et entre deux femmes. Le sujet est débattu en Allemagne, en Autriche, en Suisse et en Australie.

L’événement a surtout été célébré par certains compatriotes libanais, à la surprise générale des yankees, en leur donnant l’occasion d’égayer leurs photos de profil des couleurs de l’arc-en-ciel. Ce n’était pas pour rendre hommage à la communauté druze, vous pensez bien, encore moins aux communautés issues de l’Empire inca, mais en signe de solidarité avec la communauté LGBT, des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels svp. Si les lesbiennes font fantasmer les plus durs des machistes des quatre points cardinaux du détroit de Gibraltar, les gays menacent la virilité des Priape sans frontières, les bi les dégoutent et les trans demeureront l’attraction inavouable au fin fond du Bois de Boulogne à leur passage à Paris. Mais, chut, tout ça reste entre nous.

Il faut dire qu’au Liban, il n’y a pas de quoi pavoiser dans ce domaine. Les Libanais n’ont pas le droit d’afficher leur homosexualité. Ils peuvent être arrêtés, mis en garde à vue, juger et condamner. Pour protéger leurs citoyens de la perversité des homos, les autorités libanaises ont mis au point un test pour diagnostiquer les faux hétéros, l’inspection anale, où un type, diplômé en médecine à ce qu’il parait, accepte sans que l’Ordre des médecins ne sourcille, de regarder le cul d’un de ses compatriotes, à la demande du procureur de la République libanaise, qui a été saisi par les Forces de sécurité intérieure, pour déterminer si l’anus devant ses yeux est celui d’un homo ou d’un hétéro. Non mais, comme si tout ce beau n’a pas mieux à faire dans notre pays ! Ceci dit, on fait mieux quand même que les pays où les homosexuels sont lynchés et condamnés à mort (Arabie saoudite, Iran, Nigeria, etc.). Hallucinant.

Pour certains chrétiens, musulmans, juifs ou même athées, l’homosexualité est une perversion insupportable qui va à l’encontre de la volonté de Dieu. L’union qui en découle est contre-nature, d’inspiration diabolique, qui vise à détruire la famille, les sociétés, les valeurs humaines, j’en passe et des meilleures. A les entendre les homos seraient aussi responsables du trou de la couche d’ozone. Les trois religions monothéistes ne tolèrent pas l’homosexualité. Sa condamnation figure noir sur blanc dans l’Ancien Testament où Yahvé met en garde Moïse : « Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils commettent tous deux un acte abominable. Ils seront punis de mort, leur sang retombera sur eux. » (Lévitique 20:13), pas dans les Evangiles et le Coran. Et pourtant, le pape François s’est démarqué de ses prédécesseurs en juillet 2013, en affirmant que « si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » Même son de cloche chez l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, « l'homosexualité n'est pas préconisée par l'islam, mais les musulmans homosexuels sont des musulmans à part entière ». Pour d’autres, les choses sont plus simples. L’homosexualité n’est dirigée contre personne, elle est le droit de chaque être humain de vivre librement « sa » sexualité. L’union qui en découle est une affaire privée qui ne regarde personne d'autres en dehors du couple concerné.

Inutile de rentrer dans les détails des argumentations des uns et des autres. Chacun est finalement libre de penser ce qu’il veut de l’homosexualité. Il y a un point incontestable dans ce débat. Force est de constater que c’est dans les sociétés occidentales qui ne répriment pas l’homosexualité et qui légalisent le mariage homosexuel que les droits de l’homme sont le plus étendus et le plus respectés. A l’inverse, c’est dans les sociétés qui condamnent l’homosexualité que les droits de l’homme sont le plus restreints et le plus bafoués.

Que la condamnation soit d’origine populaire ou légale, souvent les deux, les opposants au mariage homosexuel dans les sociétés africaine, arabe, perse, russe, asiatique, musulmane, chrétienne ou tout autre, où certains ont le culot de prétendre que l’Occident perde ses valeurs, ne saisissent pas que la liberté politique, la liberté d’expression, la liberté de culte et toutes les libertés fondamentales des individus sont inséparables. Si un ressortissant français de confession musulmane peut prier librement à Paris ou à New York, dans des sociétés de traditions chrétiennes, laïques et athées, c’est parce que justement la liberté de culte lui en donne le droit en France comme aux Etats-Unis, même si certains de ses compatriotes pourront voir dans cette liberté, une menace à leur identité. De même, si un citoyen occidental peut critiquer librement toute affaire publique, c’est parce que justement la liberté d’expression lui est garantie dans les pays occidentaux, même si certains de ses compatriotes y verront une menace à leurs croyances politiques ou religieuses. Ainsi, il faut bien comprendre qu’en Occident, la liberté d’expression va de pair avec la liberté de culte, et les deux existent conjointement avec d’autres libertés fondamentales dont la liberté sexuelle. A l’inverse, dans nos contrées d’Orient, qui ont soi-disant de vraies valeurs, la liberté de culte, la liberté d’expression, la liberté sexuelle et un tas d’autres libertés fondamentales sont inexistantes ou très restreintes. Là aussi, il y a une extraordinaire logique des choses. Le jour où les peuples arabes, libanais en tête, le comprendront, j’égaierai ma photo de profil avec les couleurs de l’arc-en-ciel.

A peine on s’est remis des émotions du week-end, la Cour suprême américaine a de nouveau frapper les esprits, en se prononçant le lundi 29 juin 2015, en faveur de la constitutionnalité de l’exécution par injection létale. Welcome to the USA, pour le meilleur comme pour le pire. Il faut savoir que cette méthode d’exécution discrète est considérée par certains comme étant la plus « civilisée ». Pas de chambre à gaz (en option dans certains Etats américains), méthode trop sordide qui rappelle un moment sombre du 20e siècle. Pas de pendaison avec chute (encore en vigueur dans les Etats de Washington et dans le Monaco d’Amérique, l’Etat de Delawere), ça fait très japonais et indien. Idem pour la variante sans chute, c’est trop iranien. Pas de fusillade, elle est trop culpabilisante pour le bourreau, même avec sa variante de la balle dans la nuque, ça fait trop chinois. Pas de décapitation au sabre, c’est trop saoudien, même avec la variante au couteau de cuisine, les droits étant actuellement détenus par Daech & Co. Pas de chaise électrique (en option dans quatre Etats américains, ah si, on ne sait jamais, il y a des gens qui préfèreront être grillés que de se faire piquer !), ça dégoûte du barbecue. Pas de lapidation, trop saoudien et iranien, et pas de crucifiement, trop yéménite et soudanais, et anti-chrétien de surcroit. L’euthanasie des criminels, comme des chiens enragés, voilà une méthode d’avenir aux yeux de certains Américains pour nettoyer leur société de la racaille criminelle, sans avoir à verser une goutte de sang et compromettre la consommation des ménages et l’indice de Dow Jones.

Il existe plusieurs protocoles d’exécution par injection létale. L’un d’eux se fait en 3 actes grâce à l’injection en intraveineuse de trois molécules chimiques : une pour assurer l’endormissement, une pour provoquer la paralysie et une pour déclencher l’arrêt cardiaque. Le problème c’est que selon certains experts, le midazolam, un hypnotique sédatif en usage aux Etats-Unis durant le 1er acte de cette mise en scène macabre, ne garantit pas à 100% l’endormissement des condamnés. Ce qui n’arrange pas les choses, c’est que les médecins américains refusent d’être complices de cette mise à mort, au nom du serment d’Hippocrate. Ainsi, cet acte médical est assuré par le personnel pénitencier. Ceci pose un grave problème éthique pour passer au 2e acte, lors de l’injection d’un dérivé du curare. Le prisonnier n’étant peut-être pas endormi, l’agonie est possible. Certes, elle se fera à huit clos et ne concernera après tout qu’un criminel. La mise à mort qui théoriquement doit durer une dizaine de minutes, sans mouvements corporels, peut se prolonger en pratique de plusieurs minutes, avec des sursauts et des contractions musculaires incohérentes, comme ce fut le cas en Floride en 2013. Des ratés notoires ont conduit l’Etat de Californie à suspendre les exécutions par injection létale en 2006. Malgré cela, les « sages », les guillemets s’imposent, ont jugé en début de semaine que les plaignants de cette méthode, n’ont pas pu démontrer que celle-ci comporte « un quelconque risque substantiel de souffrance ». Notez bien le risque « substantiel », qui signifie « d’importance considérable ». En gros, la Cour suprême reconnait que l’injection létale provoque des souffrances, mais rien d’important. Pire encore. En 2008, la haute juridiction américaine, la même à l'exception de deux nouveaux juges, s’était penchée à l'époque aussi sur la peine de mort et a trouvé, tenez-vous bien, qu’il n’y a rien dans la Constitution américaine qui garantit aux condamnés à mort une exécution sans douleur. Décidément, certains « sages » ont un grain.

Ainsi, malgré le scepticisme des experts quant à l’efficacité de certaines molécules comme le midazolam, et les ratés notoires des exécutions par cette méthode avec des protocoles différents, la Cour suprême américaine a considéré que cette mise à mort est conforme au VIIIe amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui interdit « les peines cruelles et inhabituelles ». Décision pour le moins surprenant, à moins que les « sages » aient jugé qu’une souffrance lors d’une exécution par injection létale, due au manque d’endormissement, d’un criminel en plus, est une peine non cruelle et habituelle, rien d’exceptionnel en soi, donc conforme à la Constitution américaine. C’est d’autant plus surprenant qu’une autre Cour suprême américain, avait suspendu les exécutions sur tout le territoire américain entre 1972 et 1976, en considérant que la peine de mort est un châtiment « cruel et exceptionnel » qui viole le VIIIe amendement. C’est à perdre son latin.

Il est clair qu’il y a une tendance chez les partisans de la peine de mort à minimiser une telle souffrance et à se donner bonne conscience. C’est sans doute ce qui a poussé Antonin Scalia, le doyen des juges de la Cour suprême des États-Unis à claironner « qu’à la différence du mariage gay, la peine de mort est approuvée par la Constitution ». Rien d’étonnant de la part de ce juge conservateur de « l’école originaliste », pour qui toute interprétation de la Constitution américaine doit se faire conformément à son sens originel à l’époque de son adoption, en 1787 svp. Tiens, tiens, je ne pense pas que les psychopathes de « l’Etat islamique » soient contre ce principe, eux aussi.

En tout cas, ce n’est pas la première fois que ce chrétien catholique d’origine italienne et père de neuf enfants prend des libertés avec les grands principes des droits de l’homme. Tenez, puisqu’on parle des djihadistes, sachez que le juge Scalia s’est bien distingué lors de l’affaire Hamdi v. Rumsfeld, qui a été soumise à la Cour suprême en 2004. Un peu plus d’un an après la stupide invasion de l’Irak par l’un des plus grands imbéciles de l’histoire contemporaine, George W. Bush, la Cour suprême américaine dans son ensemble, et spécialement le juge Antonin Scalia, a reconnu que si le gouvernement des Etats-Unis a le pouvoir de détenir des combattants ennemis à Guantanamo (Cuba), de diverses nationalités et de confession musulmane, appartenant tous à l’organisation terroriste al-Qaeda, indéfiniment, sans inculpation et sans jugement, il a l’obligation aussi, face aux détenus de nationalité américaine, comme l’américano-saoudien Yaser Esam Hamdi (capturé en Afghanistan en 2001, expulsé depuis vers l’Arabie saoudite où il a grandi), soit de leur accorder le droit de bénéficier d’une procédure judiciaire régulière, soit de les relâcher. Attention, il ne faut pas tout mélanger, il y a terroriste et terroriste, et même dans ce domaine un terroriste américain reste supérieur aux autres. Et ça se dit « sage ». Au moins au Guantanamo de Roumieh, pas de traitement de faveur, il y a égalité en la matière. Quoique, dans nos contrées d’Orient, le traitement de faveur dépend de la confession du terroriste et de son allégeance politique.

La peine de mort existe également au Liban. Certes, elle n’est plus appliquée depuis une dizaine d’années, mais elle est bel et bien prononcée et près d’une soixantaine de personnes attendent dans les couloirs de la mort au pays du Cèdre. Comme au sujet de l’homosexualité, chacun est libre de penser ce qu’il veut de la validité morale de la peine de mort, ainsi que de son efficacité supposée sur la criminalité et de son soi-disant effet dissuasif sur le passage à l’acte, deux points qui n’ont jamais été démontrés. Mais, là aussi, il y a plusieurs éléments qui sont hors de débat.

Primo, comme l’a affirmé la Cour européenne des droits de l'homme, l’attente dans les couloirs de la mort (pendant de très longues années), constitue en soi « un traitement inhumain et dégradant ». Secundo, quel que soit la méthode d’exécution, la condamnation à mort d’un innocent ne peut jamais être exclue. D’ailleurs, depuis 1976, 144 personnes ont été libérées des couloirs de la mort aux Etats-Unis, après la révision de leurs procès. On estime que près de 4% des condamnés à mort, sont innocents. Et encore, cela concerne des Etats de droit où le système judiciaire est indépendant du pouvoir politique, ce qui exclut tous les pays du Moyen-Orient, Liban compris, où la peine de mort a été utilisée pendant la période de Terreur syrienne (1990-2005), pour discréditer toute opposition à l’occupation syrienne du Liban, comme l’ont démontré les mascarades de procès intentés contre Samir Geagea, le président du parti des Forces libanaises. Tertio, la tendance mondiale va vers l’abolition, même en Chine qui exécute plusieurs milliers de personnes tous les ans et prélevait leurs organes sans leur consentement jusqu’en 2007. Sur le vieux continent, l’abolition de la peine de mort est une condition sine qua non pour toute adhésion à l’Union européenne. Et même dans les pays qui appliquent la peine de mort, le nombre de condamnations à mort et les exécutions sont en baisse. Il n’empêche que 58 Etats et territoires du monde, dont le Liban et les Etats-Unis, prévoient la peine de mort dans leurs législations, ce qui prouve que le combat de Victor Hugo est toujours d’actualité. « La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie ». Extrait d'un discours prononcé devant l’Assemblée constituante de la France, le 15 septembre 1848.

Enfin, sur beaucoup de sujets, comme par exemple le mariage homo et la peine de mort, les Etats-Unis sont capables du meilleur et du pire. Grandeur et décadence d’une nation qui n’en finit pas de fasciner le monde. Avant que je n'oublie, happy Independence Day, America.