Tout a commencé le vendredi 26 juin 2015 à Washington DC. Ce jour-là, la Cour suprême des Etats-Unis, la
plus haute
instance judiciaire du pays, légalise le mariage homosexuel en autorisant sur tout le territoire américain, l’union
entre les individus de même sexe. Aussi révolutionnaire soit-elle dans
l’absolu, en réalité, il n’y a rien d’extraordinaire dans cette décision. A
vrai dire, c’est un non-événement pour
qui connait bien l’Occident, puisque la légalisation s’inscrit dans une
certaine logique des choses. Les pays de cette civilisation suivent le même chemin
sur les grands débats de société. Sur le mariage gay par exemple, ce sont les Pays-Bas
qui ont ouvert le bal (2001). Ils ont été suivis d’abord par la Belgique
(2003), le Canada (2005) et l’Espagne (2005), ensuite, par la Norvège (2009),
la Suède (2009) et le Portugal (2010) et enfin, par le Danemark (2012), la
France (2013) et le Royaume-Uni (2014). A ce jour, 20 pays dans le monde autorisent le mariage civil entre deux hommes et
entre deux femmes. Le sujet est débattu en Allemagne, en Autriche, en
Suisse et en Australie.
L’événement
a surtout été célébré par certains compatriotes libanais, à la surprise
générale des yankees, en leur donnant l’occasion d’égayer leurs photos de profil
des couleurs de l’arc-en-ciel. Ce n’était pas pour rendre hommage à la
communauté druze, vous pensez bien, encore moins aux communautés issues de
l’Empire inca, mais en signe de solidarité
avec la communauté LGBT, des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des
transsexuels svp. Si les lesbiennes font fantasmer les plus durs des machistes des
quatre points cardinaux du détroit de Gibraltar, les gays menacent la virilité des Priape sans frontières, les bi les dégoutent et les trans demeureront l’attraction
inavouable au fin fond du Bois de Boulogne à leur passage à Paris. Mais, chut, tout
ça reste entre nous.
Il faut dire qu’au Liban, il n’y a pas de quoi pavoiser dans ce domaine. Les Libanais n’ont pas le droit d’afficher
leur homosexualité. Ils peuvent être arrêtés, mis en garde à vue, juger et
condamner. Pour protéger leurs citoyens de la perversité des homos, les autorités libanaises ont mis au point
un test pour diagnostiquer les faux hétéros, l’inspection anale, où un
type, diplômé en médecine à ce qu’il parait, accepte sans que l’Ordre des
médecins ne sourcille, de regarder le cul d’un de ses compatriotes, à la
demande du procureur de la République libanaise, qui a été saisi par les Forces
de sécurité intérieure, pour déterminer si l’anus devant ses yeux est celui
d’un homo ou d’un hétéro. Non mais, comme si tout ce beau n’a pas mieux à faire
dans notre pays ! Ceci dit, on fait mieux
quand même que les pays où les homosexuels sont lynchés et condamnés à mort
(Arabie saoudite, Iran, Nigeria, etc.). Hallucinant.
Pour
certains
chrétiens, musulmans, juifs ou même athées, l’homosexualité est une perversion insupportable qui va à l’encontre
de la volonté de Dieu. L’union qui en découle est contre-nature, d’inspiration
diabolique, qui vise à détruire la
famille, les sociétés, les valeurs humaines, j’en passe et des meilleures. A
les entendre les homos seraient aussi responsables du trou de la couche d’ozone. Les trois religions
monothéistes ne tolèrent pas l’homosexualité. Sa condamnation figure noir sur blanc dans l’Ancien Testament où Yahvé met en garde Moïse : « Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils
commettent tous deux un acte abominable. Ils seront punis de mort, leur
sang retombera sur eux. » (Lévitique
20:13), pas dans les Evangiles et le
Coran. Et pourtant, le pape François s’est démarqué de ses prédécesseurs en
juillet 2013, en affirmant que « si une
personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la
juger ? » Même son de cloche chez l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, « l'homosexualité n'est pas préconisée
par l'islam, mais les musulmans homosexuels sont des musulmans à part
entière ». Pour d’autres,
les choses sont plus simples. L’homosexualité n’est dirigée contre personne,
elle est le droit de chaque être humain
de vivre librement « sa » sexualité. L’union qui en découle est
une affaire privée qui ne regarde
personne d'autres en dehors du couple concerné.
Inutile de rentrer dans les détails des
argumentations des uns et des autres. Chacun
est finalement libre de penser ce qu’il veut de l’homosexualité. Il y a un point incontestable dans ce débat. Force est de constater que c’est dans les sociétés occidentales qui
ne répriment pas l’homosexualité et qui légalisent le mariage homosexuel que les
droits de l’homme sont le plus étendus et le plus respectés. A l’inverse, c’est dans les sociétés qui condamnent
l’homosexualité que les droits de l’homme sont le plus restreints et le plus bafoués.
Que la condamnation soit d’origine populaire
ou légale, souvent les deux, les opposants au mariage homosexuel dans les
sociétés africaine, arabe, perse, russe, asiatique, musulmane, chrétienne
ou tout autre, où certains ont le culot de prétendre que l’Occident perde ses
valeurs, ne saisissent pas que la
liberté politique, la liberté d’expression, la liberté de culte et toutes les
libertés fondamentales des individus sont inséparables. Si un ressortissant
français de confession musulmane peut prier librement à Paris ou à New York,
dans des sociétés de traditions chrétiennes, laïques et athées, c’est parce que
justement la liberté de culte lui en donne le droit en France comme aux
Etats-Unis, même si certains de ses compatriotes pourront voir dans cette
liberté, une menace à leur identité. De même, si un citoyen occidental peut
critiquer librement toute affaire publique, c’est parce que justement la
liberté d’expression lui est garantie dans les pays occidentaux, même si
certains de ses compatriotes y verront une menace à leurs croyances politiques
ou religieuses. Ainsi, il faut bien comprendre qu’en Occident, la liberté d’expression va de pair avec la liberté de
culte, et les deux existent conjointement avec d’autres libertés fondamentales
dont la liberté sexuelle. A l’inverse, dans
nos contrées d’Orient, qui ont soi-disant de vraies valeurs, la liberté de culte, la liberté
d’expression, la liberté sexuelle et un tas d’autres libertés fondamentales sont
inexistantes ou très restreintes. Là aussi, il y a une extraordinaire
logique des choses. Le jour où les peuples arabes, libanais en tête, le
comprendront, j’égaierai ma photo de profil avec les couleurs de l’arc-en-ciel.
A peine on s’est remis des émotions du
week-end, la Cour suprême américaine
a de nouveau frapper les esprits, en se prononçant le lundi 29 juin 2015, en
faveur de la constitutionnalité de l’exécution par injection létale. Welcome to the USA, pour le meilleur
comme pour le pire. Il faut savoir que cette
méthode d’exécution discrète est considérée par certains comme étant la plus
« civilisée ». Pas de chambre à gaz (en option dans certains
Etats américains), méthode trop sordide qui rappelle un moment sombre du
20e siècle. Pas de pendaison avec chute (encore en vigueur dans les Etats de
Washington et dans le Monaco d’Amérique, l’Etat de Delawere), ça fait très
japonais et indien. Idem pour la variante sans chute, c’est trop iranien. Pas
de fusillade, elle est trop culpabilisante pour le bourreau, même avec sa
variante de la balle dans la nuque, ça fait trop chinois. Pas de décapitation
au sabre, c’est trop saoudien, même avec la variante au couteau de cuisine, les
droits étant actuellement détenus par Daech & Co. Pas de chaise électrique
(en option dans quatre Etats américains, ah si, on ne sait jamais, il y a des
gens qui préfèreront être grillés que de se faire piquer !), ça dégoûte du barbecue. Pas de
lapidation, trop saoudien et iranien, et pas de crucifiement, trop yéménite et
soudanais, et anti-chrétien de surcroit. L’euthanasie
des criminels, comme des chiens enragés, voilà une méthode d’avenir aux
yeux de certains Américains pour nettoyer leur société de la racaille criminelle,
sans avoir à verser une goutte de sang et compromettre la consommation des
ménages et l’indice de Dow Jones.
Il existe plusieurs protocoles d’exécution par injection
létale. L’un d’eux se fait en 3 actes grâce à l’injection en intraveineuse de trois molécules chimiques : une pour
assurer l’endormissement, une pour provoquer la paralysie et une pour
déclencher l’arrêt cardiaque. Le problème c’est que selon certains experts, le midazolam,
un hypnotique sédatif en usage aux Etats-Unis durant le 1er acte de
cette mise en scène macabre, ne garantit
pas à 100% l’endormissement des condamnés. Ce qui n’arrange pas les choses,
c’est que les médecins américains refusent d’être complices de cette mise à
mort, au nom du serment d’Hippocrate. Ainsi, cet acte médical est assuré par le
personnel pénitencier. Ceci pose un grave problème éthique pour passer au
2e acte, lors de l’injection d’un dérivé du curare. Le prisonnier n’étant peut-être pas
endormi, l’agonie est possible. Certes, elle se fera à huit clos et ne concernera
après tout qu’un criminel. La mise à mort qui théoriquement doit durer une
dizaine de minutes, sans mouvements corporels, peut se prolonger en pratique de
plusieurs minutes, avec des sursauts et des contractions musculaires
incohérentes, comme ce fut le cas en Floride en 2013. Des ratés notoires ont
conduit l’Etat de Californie à suspendre les exécutions par injection létale en
2006. Malgré cela, les
« sages », les guillemets s’imposent, ont jugé en début de semaine que les plaignants de cette méthode, n’ont
pas pu démontrer que celle-ci comporte «
un quelconque risque substantiel de souffrance ». Notez bien le risque
« substantiel », qui signifie « d’importance considérable ».
En gros, la Cour suprême reconnait que l’injection létale provoque
des souffrances, mais rien d’important. Pire encore. En 2008, la haute juridiction américaine, la même à l'exception de deux nouveaux juges, s’était
penchée à l'époque aussi sur la peine de mort et a trouvé, tenez-vous bien, qu’il n’y a rien dans la Constitution américaine qui
garantit aux condamnés à mort une exécution sans douleur. Décidément,
certains « sages » ont un grain.
Ainsi, malgré le scepticisme des experts
quant à l’efficacité de certaines molécules comme le midazolam, et les ratés
notoires des exécutions par cette méthode avec des protocoles différents, la Cour suprême américaine a considéré que
cette mise à mort est conforme au VIIIe amendement de la Constitution des
Etats-Unis, qui interdit « les
peines cruelles et inhabituelles ». Décision pour le moins surprenant,
à moins que les « sages » aient jugé qu’une souffrance lors d’une exécution
par injection létale, due au manque d’endormissement, d’un criminel en plus,
est une peine non cruelle et habituelle, rien d’exceptionnel en soi, donc
conforme à la Constitution américaine. C’est d’autant plus surprenant qu’une autre Cour suprême américain, avait
suspendu les exécutions sur tout le territoire américain entre 1972 et 1976, en
considérant que la peine de mort est un châtiment « cruel et exceptionnel » qui viole le VIIIe amendement.
C’est à perdre son latin.
Il est clair qu’il y a une tendance chez
les partisans de la peine de mort à minimiser une telle souffrance et à se
donner bonne conscience. C’est sans doute ce qui a poussé Antonin Scalia, le doyen des juges de la Cour suprême des États-Unis à
claironner « qu’à la différence du
mariage gay, la peine de mort est approuvée par la Constitution ». Rien
d’étonnant de la part de ce juge conservateur de « l’école originaliste », pour qui toute interprétation de la
Constitution américaine doit se faire conformément à son sens originel à
l’époque de son adoption, en 1787 svp. Tiens, tiens, je ne pense pas que les
psychopathes de « l’Etat islamique » soient contre ce principe, eux
aussi.
En tout cas, ce n’est pas la première fois
que ce chrétien catholique d’origine italienne et père de neuf enfants prend des
libertés avec les grands principes des droits de l’homme. Tenez, puisqu’on parle des djihadistes, sachez
que le juge Scalia s’est bien distingué
lors de l’affaire Hamdi v. Rumsfeld,
qui a été soumise à la Cour suprême en 2004. Un peu plus d’un an après la
stupide invasion de l’Irak par l’un des plus grands imbéciles de l’histoire
contemporaine, George W. Bush, la Cour suprême américaine dans son ensemble, et
spécialement le juge Antonin Scalia, a reconnu que si le gouvernement des Etats-Unis
a le pouvoir de détenir des combattants ennemis à Guantanamo (Cuba), de
diverses nationalités et de confession musulmane, appartenant tous à
l’organisation terroriste al-Qaeda, indéfiniment, sans inculpation et sans jugement,
il a l’obligation aussi, face aux détenus de nationalité américaine, comme l’américano-saoudien
Yaser Esam Hamdi (capturé en Afghanistan en 2001, expulsé depuis vers l’Arabie
saoudite où il a grandi), soit de leur accorder le droit de bénéficier d’une
procédure judiciaire régulière, soit de les relâcher. Attention, il ne faut pas
tout mélanger, il y a terroriste et
terroriste, et même dans ce domaine un terroriste américain reste supérieur aux
autres. Et ça se dit « sage ». Au moins au Guantanamo de Roumieh,
pas de traitement de faveur, il y a égalité en la matière. Quoique, dans nos
contrées d’Orient, le traitement de faveur dépend de la confession du
terroriste et de son allégeance politique.
La
peine de mort existe également au Liban. Certes, elle n’est plus appliquée depuis
une dizaine d’années, mais elle est bel et bien prononcée et près d’une
soixantaine de personnes attendent dans les couloirs de la mort au pays du
Cèdre. Comme au sujet de
l’homosexualité, chacun est libre de penser ce qu’il veut de la validité
morale de la peine de mort, ainsi que de son efficacité supposée sur la
criminalité et de son soi-disant effet dissuasif sur le passage à l’acte, deux
points qui n’ont jamais été démontrés. Mais, là aussi, il y a plusieurs éléments qui sont hors de débat.
Primo, comme l’a affirmé la Cour européenne des droits de l'homme,
l’attente dans les couloirs de la mort (pendant de très longues années), constitue
en soi « un traitement inhumain et dégradant ». Secundo, quel
que soit la méthode d’exécution, la
condamnation à mort d’un innocent ne peut jamais être exclue. D’ailleurs,
depuis 1976, 144 personnes ont été libérées des couloirs de la mort aux
Etats-Unis, après la révision de leurs procès. On estime que près de 4% des condamnés
à mort, sont innocents. Et encore, cela concerne des Etats de droit où le système
judiciaire est indépendant du pouvoir politique, ce qui exclut tous les pays du
Moyen-Orient, Liban compris, où la peine de mort a été utilisée pendant la
période de Terreur syrienne (1990-2005), pour discréditer toute opposition à
l’occupation syrienne du Liban, comme l’ont démontré les mascarades de procès
intentés contre Samir Geagea, le président du parti des Forces libanaises. Tertio,
la tendance mondiale va vers l’abolition,
même en Chine qui exécute plusieurs milliers de personnes tous les ans et
prélevait leurs organes sans leur consentement jusqu’en 2007. Sur le vieux
continent, l’abolition de la peine de mort est une condition sine qua non pour
toute adhésion à l’Union européenne. Et même dans les pays qui appliquent la
peine de mort, le nombre de condamnations à mort et les exécutions sont en
baisse. Il n’empêche que 58 Etats et
territoires du monde, dont le Liban et les Etats-Unis, prévoient la peine de
mort dans leurs législations, ce qui prouve que le combat de Victor Hugo est toujours d’actualité. « La
peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie ». Extrait
d'un discours prononcé devant l’Assemblée constituante de la France, le 15 septembre
1848.
Enfin, sur beaucoup de sujets, comme par
exemple le mariage homo et la peine de mort, les Etats-Unis sont
capables du meilleur et du pire. Grandeur
et décadence d’une nation qui n’en finit pas de fasciner le monde. Avant que je n'oublie, happy Independence Day, America.