Alors que nous étions nombreux à suivre les actualités le weekend dernier, les yeux pleins d’effroi et les cœurs brisés, cela n’a
pas empêché une frange de citoyens du Liban, de France et du reste du
monde, d’agiter les réseaux sociaux avec diverses polémiques stupéfiantes.
La
première est une polémique libano-libanaise et russo-russe. Ses auteurs
voulaient savoir pourquoi certains de
leurs compatriotes avaient mis un drapeau français comme photo de profil,
après les attaques de Paris le 13 novembre et
n’ont pas mis le drapeau libanais ou russe, après les attaques de Beyrouth
le 12 novembre et le crash de l’avion russe dans le Sinaï le 31 octobre. Pour
les Russes je ne sais pas trop, mais pour les Libanais, coucou, mais on a un grave problème identitaire dans ce pays depuis
la nuit des temps ! D’ailleurs, ce problème touche aussi bien les citoyens
musulmans, sunnites comme chiites, que l’ensemble des communautés chrétiens ou
athées, les crudivores compris, soit dit au passage. Au moins sur ce point,
l’union nationale est effective.
Ce qui a été surprenant dans cette
polémique, c’est sa variante déclenchée
par une célébrité locale, un chanteur talentueux, dont je tairai le nom par
respect au groupe dans lequel il officie. Indice pour les curieux : le nom
du groupe comporte un prénom arabe. Avant d’en parler, faisons un survol de ses publications lors des 48 heures qui ont précédé le lancement de « sa » polémique. Ça vaut le détour
parce que les propos dont il sera question sont partagés par certains ressortissants
du monde arabe.
Quelques minutes après les attentats de
Beyrouth (12 nov.), le jeune chanteur expliquait à ses fans qu’il est « impatient
de lire la merde raciste que l’orient colportera le matin ». Je
présume qu’il suppose que L’Orient-Le-Jour, le quotidien libanais francophone, liera
encore les derniers attentats de Bourj el-Brajneh à l’intervention du Hezbollah
en Syrie. Admettons, mais pourquoi «
merde raciste » ? En tout cas, quelques heures après les attaques
de Paris, il reprend du service encore, pour conseiller aux « chers
Arabes, de cesser de s’expliquer aux gens blancs comme si vous
justifiez votre existence à cause d’un fanatique ». Mais oui voyons, c’est peut-être à Ridley
Scott de retenir un peu ses aliens ! En plus, il y en avait une
dizaine et pas qu’un. Pire encore, « gens blancs » a une connotation
raciste mon cher. Deux heures plus tard, notre tête pensante s’adresse cette
fois aux « amis européens de son flux » qui lui semblent « racistes aujourd’hui ». Il
se lance dans un prêche passionné, dont voici les rares extraits compréhensibles :
« Je vous exhorte encore d’exercer
une pensée rationnelle... Il n’y a rien
de rationnel quand vous décidez que l’ensemble des communautés islamiques et
arabes (...) ont besoin de justifier cela (les attaques terroristes) ou de
répondre à votre contre-réaction raciste... je ne dis pas cela pour excuser ma
race ou ma religion, c’est pour vous appeler un ignorant raciste ». J’ai
beau regardé mais je n’ai pas trouvé de traces de cette horde « d’amis européens racistes
» dans son flux qui justifient un tel emportement. En tout cas, je voudrais bien l’apaiser. Ce qui frappe dans les réactions
européennes après les attaques du 13 novembre, c’est l’extraordinaire faculté de
l’écrasante majorité des Européens à faire la part des choses, de ne pas tomber
dans la stigmatisation des communautés musulmanes européennes et d’éviter les amalgames
entre islam et islamisme. Alors un conseil, s’il s’adresse vraiment à des
gens précis de « sa » liste d’amis, il n’a qu’à les nommer, parce que
justement, son statut peut apparaitre raciste et plein d’amalgames, deux tares qui
sont beaucoup plus répandues en Orient qu’en Occident et qu’il ferait bien de
les combattre, au lieu de caresser les « Arabes »
dans le sens du poil.
Quelques minutes après, le chanteur explique
« qu’un
tas d’entre vous » qui ont
mis comme photo de profil le drapeau français avec au centre un cèdre du Liban,
« n’ont pas étudié l’histoire »
ou « semblent nostalgiques du colonialisme ». Ah oui,
parce on n’a aucune raison de l’être ! Je suis allé par curiosité vérifier
ma longue liste d’amis, j’ai trouvé qu’un coupable. Juste pour l’histoire,
puisque le jeune homme y tient, entre 1920 et 1946, le Liban était administré par
la France sous un régime de « mandat de
la Société des Nations ». Cette période n’avait pas du tout un caractère
« colonial ». En parler relève de l’idéologie ringarde plus que de
l’histoire impartiale. Le drapeau en
question était bel et bien, que ça plaise ou non, le drapeau du « Grand
Liban » (1920-1926) et de la « République libanaise »
(1926-1943), comme l’a précisé l’article 5 de la Constitution de
1926 : « Le drapeau libanais
est bleu, blanc, rouge en bandes verticales égales avec un cèdre sur la partie
blanche ». Maintenant, s’il a un problème avec l’histoire de son pays,
et son droit, qu’il n’oublie pas, il est comme la majorité des Libanais de
toutes confessions. Cela dit, le chanteur devrait savoir, 2abel ma yetfalsaf, que les rares
personnes qui ont affiché le drapeau du mandat en photo de profil, l’ont fait probablement
parce que celui-ci associe le drapeau de la France (1794 ; bleu, blanc,
rouge) et celui du Mont-Liban (1848-1920 ; blanc avec un cèdre vert au
milieu). C’était la façon la plus simple
de se montrer solidaire avec les drames qui ont endeuillé les deux pays. Tout
le reste n’est que palabres, 2art 7aké.
Il ne fallait pas chercher midi à quatorze heures.
La
deuxième polémique était libano-mondialo-nombrilo-facebookienne à deux volets. L’un
était de savoir pourquoi Facebook a mis
à disposition de ses utilisateurs un filtre du drapeau français et ne l’a pas
fait pour le drapeau libanais ? L’autre était de savoir aussi, pourquoi Facebook a déclenché « Safety
Check » pour les Parisiens et ne l’a pas fait pour les Beyrouthins ?
Bombardé par des internautes, pas que des Libanais, Mark Zuckerberg a dû se
justifier en expliquant qu’au départ le dispositif « Safety Check » n’était
déclenché que pour les catastrophes naturelles. Et que ce sont les attaques
terroristes d’envergure survenues à Paris qui ont fait changer les règles de la société américaine.
Au
Liban, c’est devenu une affaire nationale plus importante que les enquêtes
elles-mêmes.
Des partages de statuts et de tweets par centaines et par milliers. La
polémique a enflé au point de faire culpabiliser des journaux étrangers, qui n’ont
pas accordé la même importance à la tragédie de Beyrouth qu’à la tragédie de
Paris, comme Le Monde, et qui, comme
le New York Times, ont tenté de se
rattraper par la suite. Et dans la foulée, des petits futés y ont associé Angelina Jolie, sauf que c’était un
faux compte de la star. Et dans
l’hystérie générale, beaucoup de gens ont oublié que Paris intéresse plus que
Beyrouth et Beyrouth plus que Yola et Yola plus que Baawerta. Ainsi va le
monde. Mais, rien ne pouvait consoler certains Libanais. Même s’ils sont
submergés par les déchets depuis plus de 4 mois, il ne fallait pas les prendre
pour des prunes. En tout cas, ça y est, on
n’a pas de président de la République depuis plus de 1 an, on n’aura pas d’élections législatives
en 4 ans, on n’a pas de budget
depuis 10 ans, on n’a pas
d’électricité 24h/24 depuis 24 ans,
on n’a pas d’eau à tous les étages depuis 40
ans, on n’a pas de réelle indépendance depuis 72 ans, on n’a pas d’unité nationale depuis 165 ans, on n’a pas de cohabitation religieuse paisible depuis 1 383 ans, on n’a pas la même histoire
depuis 3 215 ans, mais on aura le Safety Check. Mais que
demande le peuple de plus ! Que d’immaturité, d’indécence et de nombrilisme.
La
troisième polémique était franco-anglo-arabo-syro-russo-nombrilo-zemmouro-houellebeco-mondiale. Accrochez-vous. Et
pendant que certains Libanais réclamaient à cor et à cri leur filtre-drapeau, figurez-vous que certains Français et Anglais, et même
d’autres nationalités, n’en voulaient pas. Dans les arguments contestataires,
on trouvait tout un bazar : halte au nationalisme ;
on se croirait dans un meeting du Front
national ; pourquoi on ne le fait pas pour d’autres pays ; c’est du marketing pour Facebook qui veut se montrer utile ; non, au
ton culpabilisant de Facebook, « Changez votre photo de profil pour
montrer votre soutien à la France et aux Parisiens » ; c’est de
l’ethnocentrisme occidental ; stop à
ce relent d’impérialisme français ; et
j’en passe et des meilleures.
Vous en voulez encore ? Allez encore
deux, les dernières en date. D’une part, la polémique à 5 centimes sur le
hashtag #JeSuisEnTerrasse, lancée par une artiste blogueuse française d’origine
maghrébine (c’est elle qui le dit), Sarah Roubato, qui nous annonce dans une longue
dissertation passionnante, bien qu'elle soit hors-sujet, likée par 15 000 personnes, qu’elle
n’ira « pas qu'en terrasse ».
Et pour justifier son titre elle explique : « On a été attaqués parce que la France... a bombardé certains
pays en plongeant une main généreuse dans leurs ressources... Je ne vois pas en
quoi faire partie du troupeau qui se rend chaque semaine aux messes festives du
weekend est une marque de liberté... Bien sûr qu'il faut continuer à aller en
terrasse, mais qu'on ne prenne pas ce geste pour autre chose qu'une résistance
symbolique. » Dommage qu'elle ait parsemé un texte intéressant avec autant d'inconvenances aux confins de l’indécence. D’autre
part, à l’autre bout de la Méditerranée, on a eu droit hier à une polémique à 5 roubles, lancée par Vladimir Poutine.
Au départ, tout le monde a cru à un canular de son fan club au Liban. Après
vérification, il s’est avéré que la Russie a effectivement demandé au Liban de
modifier ses couloirs aériens pendant trois jours, car la marine russe prévoie
des manœuvres militaires dans la région ce weekend. Et l’on me reproche encore
de l’avoir surnommé « Le Poutine ou
l’Imposteur ». Mais enfin, à quoi s’attendre d’un ex-agent subalterne
du KGB propulsé à la tête de l’ex-URSS !
* Faux tweet |
Comme l’a dit si bien le journaliste, écrivain et humoriste français de la Belle Epoque, Alphonse Allais, « Une fois qu'on a passé les bornes, il n'y a plus de limites », de la connerie, mais aussi du nombrilisme et de l’indécence. Quelle époque, n’est-ce pas ? Aux Arabes, Libanais en tête, mécontents du double standard de traitement, par Facebook et par les médias internationaux, de se souvenir de cet adage populaire de nos contrées d’Orient : 7terem 7alak, ta 7atta el ness te7termak. Commençons par nous respecter, au Liban et dans le reste du monde arabe, avant de demander au monde entier de nous respecter. La valeur de chaque individu dans le monde, est défini d’abord, par la valeur absolue que son propre pays (ou sa propre communauté) lui donne. Tenez par exemple, qu’elle est la valeur réelle d’un Libanais, d’un Syrien, d’un Palestinien, d’un Irakien, et même d’un Saoudien ou d’un Iranien aujourd’hui, pour toutes ces sociétés respectives ? Pas grand-chose. Où fuient les réfugiés syriens et irakiens de nos jours ? Vers le Nord, vers l’Europe, vers les pays des « croisés » comme diraient les psychopathes de « l’Etat islamique ». C’est la faute de qui ? C’est la nôtre Moyen-Orientaux et celle de personne d’autre. En tout cas, l’empathie est une question complexe où l’on retrouve divers paramètres comme la sensibilité personnelle, la proximité géographie, les affinités (sociale, culturelle, religieuse, touristique, médiatique, etc.) et les valeurs humaines. Pas la peine de délirer trop sur la question.
Au reste du monde, Libanais et Français
compris, je voudrais rappeler que Facebook
est une grande invention et une extraordinaire
agora des Temps modernes. Mais, on dirait qu’aujourd’hui, certains êtres humains, n’en voient
qu’un moyen d’expression nombriliste, et d’autres s’ennuient au point d’inventer des batailles contre des moulins à vent,
alors qu’il y a tant à faire pour laisser le monde en général, et pour chacun
de nous, son pays en particulier, dans
un meilleur état que celui dans lequel les deux se trouvent actuellement. Avant
que je n’oublie, bonne fête d’indépendance au Liban, a7la balad bel 3alam,
le pays où coulaient au temps biblique, le lait et le miel. Mais, c'était jadis !