samedi 21 novembre 2015

Attaques terroristes, compassion, indécence et nombrilisme sont parfaitement compatibles (Art.320)


Alors que nous étions nombreux à suivre les actualités le weekend dernier, les yeux pleins d’effroi et les cœurs brisés, cela n’a pas empêché une frange de citoyens du Liban, de France et du reste du monde, d’agiter les réseaux sociaux avec diverses polémiques stupéfiantes.

La première est une polémique libano-libanaise et russo-russe. Ses auteurs voulaient savoir pourquoi certains de leurs compatriotes avaient mis un drapeau français comme photo de profil, après les attaques de Paris le 13 novembre et n’ont pas mis le drapeau libanais ou russe, après les attaques de Beyrouth le 12 novembre et le crash de l’avion russe dans le Sinaï le 31 octobre. Pour les Russes je ne sais pas trop, mais pour les Libanais, coucou, mais on a un grave problème identitaire dans ce pays depuis la nuit des temps ! D’ailleurs, ce problème touche aussi bien les citoyens musulmans, sunnites comme chiites, que l’ensemble des communautés chrétiens ou athées, les crudivores compris, soit dit au passage. Au moins sur ce point, l’union nationale est effective.

Ce qui a été surprenant dans cette polémique, c’est sa variante déclenchée par une célébrité locale, un chanteur talentueux, dont je tairai le nom par respect au groupe dans lequel il officie. Indice pour les curieux : le nom du groupe comporte un prénom arabe. Avant d’en parler, faisons un survol de ses publications lors des 48 heures qui ont précédé le lancement de « sa » polémique. Ça vaut le détour parce que les propos dont il sera question sont partagés par certains ressortissants du monde arabe.

Quelques minutes après les attentats de Beyrouth (12 nov.), le jeune chanteur expliquait à ses fans qu’il est « impatient de lire la merde raciste que l’orient colportera le matin ». Je présume qu’il suppose que L’Orient-Le-Jour, le quotidien libanais francophone, liera encore les derniers attentats de Bourj el-Brajneh à l’intervention du Hezbollah en Syrie. Admettons, mais pourquoi « merde raciste » ? En tout cas, quelques heures après les attaques de Paris, il reprend du service encore, pour conseiller aux « chers Arabes, de cesser de s’expliquer aux gens blancs comme si vous justifiez votre existence à cause d’un fanatique ». Mais oui voyons, c’est peut-être à Ridley Scott de retenir un peu ses aliens ! En plus, il y en avait une dizaine et pas qu’un. Pire encore, « gens blancs » a une connotation raciste mon cher. Deux heures plus tard, notre tête pensante s’adresse cette fois aux « amis européens de son flux » qui lui semblent « racistes aujourd’hui ». Il se lance dans un prêche passionné, dont voici les rares extraits compréhensibles : « Je vous exhorte encore d’exercer une pensée rationnelle... Il n’y a rien de rationnel quand vous décidez que l’ensemble des communautés islamiques et arabes (...) ont besoin de justifier cela (les attaques terroristes) ou de répondre à votre contre-réaction raciste... je ne dis pas cela pour excuser ma race ou ma religion, c’est pour vous appeler un ignorant raciste ». J’ai beau regardé mais je n’ai pas trouvé de traces de cette horde « d’amis européens racistes » dans son flux qui justifient un tel emportement. En tout cas, je voudrais bien l’apaiser. Ce qui frappe dans les réactions européennes après les attaques du 13 novembre, c’est l’extraordinaire faculté de l’écrasante majorité des Européens à faire la part des choses, de ne pas tomber dans la stigmatisation des communautés musulmanes européennes et d’éviter les amalgames entre islam et islamisme. Alors un conseil, s’il s’adresse vraiment à des gens précis de « sa » liste d’amis, il n’a qu’à les nommer, parce que justement, son statut peut apparaitre raciste et plein d’amalgames, deux tares qui sont beaucoup plus répandues en Orient qu’en Occident et qu’il ferait bien de les combattre, au lieu de caresser les « Arabes » dans le sens du poil.

Quelques minutes après, le chanteur explique « qu’un tas d’entre vous » qui ont mis comme photo de profil le drapeau français avec au centre un cèdre du Liban, « n’ont pas étudié l’histoire » ou « semblent nostalgiques du colonialisme ». Ah oui, parce on n’a aucune raison de l’être ! Je suis allé par curiosité vérifier ma longue liste d’amis, j’ai trouvé qu’un coupable. Juste pour l’histoire, puisque le jeune homme y tient, entre 1920 et 1946, le Liban était administré par la France sous un régime de « mandat de la Société des Nations ». Cette période n’avait pas du tout un caractère « colonial ». En parler relève de l’idéologie ringarde plus que de l’histoire impartiale. Le drapeau en question était bel et bien, que ça plaise ou non, le drapeau du « Grand Liban » (1920-1926) et de la « République libanaise » (1926-1943), comme l’a précisé l’article 5 de la Constitution de 1926 : « Le drapeau libanais est bleu, blanc, rouge en bandes verticales égales avec un cèdre sur la partie blanche ». Maintenant, s’il a un problème avec l’histoire de son pays, et son droit, qu’il n’oublie pas, il est comme la majorité des Libanais de toutes confessions. Cela dit, le chanteur devrait savoir, 2abel ma yetfalsaf, que les rares personnes qui ont affiché le drapeau du mandat en photo de profil, l’ont fait probablement parce que celui-ci associe le drapeau de la France (1794 ; bleu, blanc, rouge) et celui du Mont-Liban (1848-1920 ; blanc avec un cèdre vert au milieu). C’était la façon la plus simple de se montrer solidaire avec les drames qui ont endeuillé les deux pays. Tout le reste n’est que palabres, 2art 7aké. Il ne fallait pas chercher midi à quatorze heures.

La deuxième polémique était libano-mondialo-nombrilo-facebookienne à deux volets. L’un était de savoir pourquoi Facebook a mis à disposition de ses utilisateurs un filtre du drapeau français et ne l’a pas fait pour le drapeau libanais ? L’autre était de savoir aussi, pourquoi Facebook a déclenché « Safety Check » pour les Parisiens et ne l’a pas fait pour les Beyrouthins ? Bombardé par des internautes, pas que des Libanais, Mark Zuckerberg a dû se justifier en expliquant qu’au départ le dispositif « Safety Check » n’était déclenché que pour les catastrophes naturelles. Et que ce sont les attaques terroristes d’envergure survenues à Paris qui ont fait changer les règles de la société américaine.

Au Liban, c’est devenu une affaire nationale plus importante que les enquêtes elles-mêmes. Des partages de statuts et de tweets par centaines et par milliers. La polémique a enflé au point de faire culpabiliser des journaux étrangers, qui n’ont pas accordé la même importance à la tragédie de Beyrouth qu’à la tragédie de Paris, comme Le Monde, et qui, comme le New York Times, ont tenté de se rattraper par la suite. Et dans la foulée, des petits futés y ont associé Angelina Jolie, sauf que c’était un faux compte de la star. Et dans l’hystérie générale, beaucoup de gens ont oublié que Paris intéresse plus que Beyrouth et Beyrouth plus que Yola et Yola plus que Baawerta. Ainsi va le monde. Mais, rien ne pouvait consoler certains Libanais. Même s’ils sont submergés par les déchets depuis plus de 4 mois, il ne fallait pas les prendre pour des prunes. En tout cas, ça y est, on n’a pas de président de la République depuis plus de 1 an, on n’aura pas d’élections législatives en 4 ans, on n’a pas de budget depuis 10 ans, on n’a pas d’électricité 24h/24 depuis 24 ans, on n’a pas d’eau à tous les étages depuis 40 ans, on n’a pas de réelle indépendance depuis 72 ans, on n’a pas d’unité nationale depuis 165 ans, on n’a pas de cohabitation religieuse paisible depuis 1 383 ans, on n’a pas la même histoire depuis 3 215 ans, mais on aura le Safety Check. Mais que demande le peuple de plus ! Que d’immaturité, d’indécence et de nombrilisme.

La troisième polémique était franco-anglo-arabo-syro-russo-nombrilo-zemmouro-houellebeco-mondiale. Accrochez-vous. Et pendant que certains Libanais réclamaient à cor et à cri leur filtre-drapeau, figurez-vous que certains Français et Anglais, et même d’autres nationalités, n’en voulaient pas. Dans les arguments contestataires, on trouvait tout un bazar : halte au nationalisme ; on se croirait dans un meeting du Front national ; pourquoi on ne le fait pas pour d’autres pays ; c’est du marketing pour Facebook qui veut se montrer utile ; non, au ton culpabilisant de Facebook, « Changez votre photo de profil pour montrer votre soutien à la France et aux Parisiens » ; c’est de l’ethnocentrisme occidental ; stop à ce relent d’impérialisme français ; et j’en passe et des meilleures.

Dans ce cadre s’inscrit aussi des « polémiquettes » très amusantes. L’une d’entre elles concernait le hashtag #PrayForParis, qui a poussé le billettiste de Libération, Luc Le Vaillant, à sortir à ses lecteurs « qu’il y a un hashtag qui me colle des boutons... Je n’irais pas jusqu’à dire faire le jeu des islamos, mais presque… Paris s’est fait attaquer pour son incroyance festive, pour son côté Sodome et Gomorrhe assumé », blablabla, patati patata. Après ils s’étonnent qu’ils ne trouvent plus de lecteurs pour partager cette vacuité.Une variante de cette polémiquette est apparue avec le lancement par des Arabes dès le vendredi 13 novembre du hashtag #PrayForSyria pour dénoncer les victimes civils de la coalition occidentale en Syrie surtout après la décision de la France d’intensifier ses frappes contre les commanditaires du massacre de Paris. Les imposteurs culottés sont allés jusqu’à insérer des photos d’Irak et de la Palestine, et même des photos du bombardement du marché du Douma par les troupes du régime syrien. Alors les zozos, anti-Assad je veux bien, mais vous ne serez pas pro-Daech sur les bords par hasard ?

Une autre polémiquette concerne l’appel-comme-un-cheveu-sur-la-soupe du patron français du site de rencontre Meetic, Marc Simoncini, alors que la France était en état de choc. « Mes chers amis entrepreneurs, vous êtes nombreux, très nombreux à avoir quitté la France, pour des raisons personnelles parfois et fiscales souvent... Nous avons besoin ici de toutes les forces... pour que notre pays reste une belle grande nation laïque... Revenez, payez-y vos impôts... si nous ne sauvons pas notre nation, vous aurez vous aussi bientôt tout perdu ». Certains y ont vu de la récupération. Etrange, hein !

Le prix de la polémiquette qui a fait pschitt, revient finalement à Eric Zemmour qui trouve « qu’au lieu de bombarder Raqqa, la France devrait bombarder Molenbeek », allusion à la commune belge d’où est venue une partie des terroristes des attaques de Paris. Après la double confirmation de la station RTL et du journaliste Yves Calvi, il parait que nous avions affaire à l’humour zemmourien, « à prendre au second degré et d'aucune façon au premier degré ». Entendu, mais eux ils prennent vraiment leurs auditeurs pour des débiles ! Je les rassure qu’on aurait ri à gorge déployée si son auteur n’était pas connu comme étant un eurosceptique et un prédicateur d’une guerre civile en France, et pour qui, la déportation de cinq millions de musulmans français est « irréaliste mais l'Histoire est surprenante ».

Tenez, encore quelques « polémiquettes » pour la route. Celle de l’ex-Miss France (2013), Marine Lorphelin, qui se trouvait à Tahiti au moment des attaques, et qui n’a pas trouvé mieux que de publier une image sur Instagram, nombril à l’air sur une plage, en bikini fushia, avec comme background, le ciel azur et l’eau limpide, accompagnée du commentaire suivant : « Toute cette violence et ces attentats peuvent paraître si irréels et lointains dans des paysages comme celui-ci... Mais la France du bout du monde pense à vous, Parisiens famille et victimes ». Dans le même style, complètement à l’Ouest, Eve Angeli, une Graine de star (1999), a poussé le nombrilisme jusqu’à publier une photo topless à la plage aussi, accompagnée de cet œuvre de l’esprit « Baignade en Espagne en mi Novembre pour m’éloigner de l’horreur en France. Pensées pour nos disparus ». Bon, disons que c’était plus bête que méchant.

Le méchant c’est le fiston de Sarkozy, Louis. Toujours traumatisé par la défaite de son papa il y a trois ans et demi, il a tweeté le soir de la tragédie : « Not again... La faiblesse et l'incompétence du président Hollande devient un danger mortel pour la France ». Eh oui, je n’y peux rien, il a l’âge légale pour tweeter. Dans le même panier, au ras des pâquerettes, sauf que Louis a l’excuse de l’âge, la polémiquette du « probablement » islamophobe comme il se définit, Michel Houellebecq. « Il est très peu probable que l’insignifiant opportuniste qui occupe le poste de chef de l’Etat ou les actes dignes d’un retardé congénital du Premier ministre, sans citer les ‘ténors de l’opposition’ (LOL), sortent avec les honneurs de cet épisode ». Et il a la décence de dire qu’il est mort de rire ! D’une médiocrité affligeante.

Vous en voulez encore ? Allez encore deux, les dernières en date. D’une part, la polémique à 5 centimes sur le hashtag #JeSuisEnTerrasse, lancée par une artiste blogueuse française d’origine maghrébine (c’est elle qui le dit), Sarah Roubato, qui nous annonce dans une longue dissertation passionnante, bien qu'elle soit hors-sujet, likée par 15 000 personnes, qu’elle n’ira « pas qu'en terrasse ». Et pour justifier son titre elle explique : « On a été attaqués parce que la France... a bombardé certains pays en plongeant une main généreuse dans leurs ressources... Je ne vois pas en quoi faire partie du troupeau qui se rend chaque semaine aux messes festives du weekend est une marque de liberté... Bien sûr qu'il faut continuer à aller en terrasse, mais qu'on ne prenne pas ce geste pour autre chose qu'une résistance symbolique. » Dommage qu'elle ait parsemé un texte intéressant avec autant d'inconvenances aux confins de l’indécence. D’autre part, à l’autre bout de la Méditerranée, on a eu droit hier à une polémique à 5 roubles, lancée par Vladimir Poutine. Au départ, tout le monde a cru à un canular de son fan club au Liban. Après vérification, il s’est avéré que la Russie a effectivement demandé au Liban de modifier ses couloirs aériens pendant trois jours, car la marine russe prévoie des manœuvres militaires dans la région ce weekend. Et l’on me reproche encore de l’avoir surnommé « Le Poutine ou l’Imposteur ». Mais enfin, à quoi s’attendre d’un ex-agent subalterne du KGB propulsé à la tête de l’ex-URSS !

* Faux tweet
Vraiment la toute dernière car il est grand temps de boucler l'article. C'est de loin la meilleure. Lors de diverses déclarations, à plusieurs jours d’intervalle, le sulfureux candidat à la Maison Blanche Donald Trump, s’est montré ouvert à l’idée d’imposer aux Américains musulmans l’obligation de s’enregistrer dans une base de données, en précisant même qu’il pourrait « certainement la mettre en œuvre (s’il est élu) » et que « tous les musulmans du pays devront y être (dans la base de données) ». Et quant on lui a demandé en quoi ce système était différent de l’identification des Juifs par les Nazis, il a tout simplement répondu, répétant comme un perroquet à quatre reprises : « C’est à vous de me le dire ». Ces déclarations islamophobes ont poussé d’une part, Jeb, le frère de W., l’intello de la famille Bush, en lice dans la course présidentielle, a trouvé cette proposition « odieuse », et d’autre part, Barack Obama a tweeté aussitôt @realDonaldTrump : « Peut-être que les racistes ignorants devraient porter des badges spéciales d'identification aussi. Je vais t’en faire un ». Excellente réponse du président américain qui a bien fait marrer le web, sauf que c’était un faux tweet sur une vraie polémique.

Comme l’a dit si bien le journaliste, écrivain et humoriste français de la Belle Epoque, Alphonse Allais, « Une fois qu'on a passé les bornes, il n'y a plus de limites », de la connerie, mais aussi du nombrilisme et de l’indécence. Quelle époque, n’est-ce pas ? Aux Arabes, Libanais en tête, mécontents du double standard de traitement, par Facebook et par les médias internationaux, de se souvenir de cet adage populaire de nos contrées d’Orient : 7terem 7alak, ta 7atta el ness te7termak. Commençons par nous respecter, au Liban et dans le reste du monde arabe, avant de demander au monde entier de nous respecter. La valeur de chaque individu dans le monde, est défini d’abord, par la valeur absolue que son propre pays (ou sa propre communauté) lui donne. Tenez par exemple, qu’elle est la valeur réelle d’un Libanais, d’un Syrien, d’un Palestinien, d’un Irakien, et même d’un Saoudien ou d’un Iranien aujourd’hui, pour toutes ces sociétés respectives ? Pas grand-chose. Où fuient les réfugiés syriens et irakiens de nos jours ? Vers le Nord, vers l’Europe, vers les pays des « croisés » comme diraient les psychopathes de « l’Etat islamique ». C’est la faute de qui ? C’est la nôtre Moyen-Orientaux et celle de personne d’autre. En tout cas, l’empathie est une question complexe où l’on retrouve divers paramètres comme la sensibilité personnelle, la proximité géographie, les affinités (sociale, culturelle, religieuse, touristique, médiatique, etc.) et les valeurs humaines. Pas la peine de délirer trop sur la question.

Au reste du monde, Libanais et Français compris, je voudrais rappeler que Facebook est une grande invention et une extraordinaire agora des Temps modernes. Mais, on dirait qu’aujourd’hui, certains êtres humains, n’en voient qu’un moyen d’expression nombriliste, et d’autres s’ennuient au point d’inventer des batailles contre des moulins à vent, alors qu’il y a tant à faire pour laisser le monde en général, et pour chacun de nous, son pays en particulier, dans un meilleur état que celui dans lequel les deux se trouvent actuellement. Avant que je n’oublie, bonne fête d’indépendance au Liban, a7la balad bel 3alam,
le pays où coulaient au temps biblique, le lait et le miel. Mais, c'était jadis !