mardi 19 avril 2016

« Good night and good luck » Bernie Sanders : l’homme qui veut humaniser les Etats-Unis et le monde (Art.353)


Il est 11:00 à New York. La journée s’annonce ensoleillée, en partie. Aujourd’hui est un mardi ordinaire pour la majorité des habitants de la planète. Et pourtant, ce qui se joue à New York influencera directement ou indirectement, en partie aussi, l’avenir de la planète et de la majorité d’entre nous, sur le plan politique, pour les quatre prochaines années. Certes, ce ne sont que des élections primaires, mais étant donné le poids de cet Etat dans la désignation des candidats des deux grands partis américains dans la course à la Maison Blanche, celles-ci orienteront la suite des événements.

Je ne partage rien avec Donald Trump. A part qu’on a tous les deux 46 chromosomes, dont une paire XY. Et ce n’est surement pas la présence d’un Libanais comme Walid Phares parmi ses conseillers qui me fera changer d’avis. Ce dernier est libre de ternir sa carrière avec un populiste de cette trempe. Eh oui, Trump, c’est le désastre garanti pour tous, aux Etats-Unis et ailleurs. Preuve à l’appui. « Si les personnes si violemment abattues à Paris avaient eu des fusils, au moins elles auraient eu une chance de se défendre... que la tragédie de Paris ait eu lieu dans l’un des pays les plus fermés au monde concernant le contrôle des armes à feu ? » (à propos du 7-Janvier). Wlak, ya Donald, même si on autorise le port d'armes en France, un caricaturiste n'ira pas travailler avec un fusil sur l'épaule ! « Personne n’était armé... S’ils avaient eu des armes (...) la situation aurait été très très différente » (à propos du 13-Novembre). Ya Trump ya habibé, on ne va pas boire un coup au bistrot du coin ou écouter un concert de pop avec un revolver coincé à la taille ! Enfin bref, alors que nous avons un imposteur au Kremlin, je vous laisse imaginer une planète avec un bouffon à la Maison Blanche. Trump est tout le temps hors-jeu pour moi, pas la peine de creuser de ce côté.

Et qu’en est-il d’Hillary Clinton ? Ah non, sûrement pas. Ras le bol des Clinton, mari, femme, fille et chat, comme j’en ai ras le bol des Bush, père, fils, frère et chiens. Basta cosi des Clinton et des Bush ! On se croirait au Liban ou dans une république bananière. En tout cas, je ne partage pas grand-chose avec Hillary et Bill. A commencer par leurs revenus. Tenez-vous bien, les Clinton ont donné 729 conférences entre 2001 et 2015, facturées 153 000 000 $, soit 210 000 $ l’heure de parlote. Eh bien, le business des Clinton est très rentable, on dirait ! 39 discours ont été réservés à Wall Street, pour des banques telles que Goldman Sachs, The Firm pour les intimes et les connaisseurs, une banque d'investissement qui dispose de 780 milliards de dollars de fonds propres et qui « s'est fait connaître du public pour sa fabrication de produits dérivés financiers pendant la crise des subprimes et la crise de la dette grecque, qui ont contribué à la crise financière de 2007 à 2011 ». Alors qu'elle est accusée « d'avoir provoqué la plupart des manipulations de marché ou bulles des 80 dernières années », la banque est sauvée in extremis par Henri Paulson, le secrétaire américain du Trésor sous la présidence de George W. Bush, qui était auparavant, tenez-vous bien, président et directeur de Goldman Sachs. Sauvetage assuré avec l'argent des contribuables bien évidemment. Sachez aussi que c'est encore Goldman Sachs qui a aidé le gouvernement grec à bien camoufler les dettes de la Grèce pendant un laps de temps, pour la modique somme de 300 millions de dollars. En 2011, un rapport interne conseillait de « tirer profit de la situation en spéculant sur une aggravation de la crise de la dette en Europe ». Le 11 avril 2016, Goldman Sachs écope d'une amende de 5 milliards de dollars pour son implication dans la crise immobilière. Une somme considérée comme faible, par rapport à celles payées par ses concurrents et surtout, si on tient compte de la responsabilité de la banque dans la crise financière des subprimes et de ses conséquences. 

Non mais, comment peut-on s’occuper des intérêts des peuples, en mélangeant les genres d’une manière aussi ostentatoire et nauséabonde ? Le pire, c’est que les conférences données à Goldman Sachs se déroulent à huit clos s’il vous plait. Personne ne sait ce qui se dit. Quand on l’a défié de révéler ce qu’elle raconte, ou promet, à ce beau monde de la finance, Hillary Clinton répondit qu’elle allait « y réfléchir ». Surtout, qu'elle ne se presse pas, elle pourra le faire tranquillement dans ses mémoires une fois à la retraite. La candidate démocrate est une arriviste hypocrite. Rien à faire, elle est fausse, comme son sourire, et elle le restera. Sinon, elle aurait quitté Bill il y a belle lurette. C'est c'là Monica, hein ?

Reste ce gentleman, Bernie Sanders. Il a tout pour séduire. A commencer par ses origines européennes, qui se reflètent dans sa façon de penser et son programme politique. Il y a surtout cette vision globale de la société à laquelle je ne comprendrai pas qu'on puisse se soustraire. « Je trouve inacceptable d’un point de vue moral, économique et environnemental qu’autant de richesses soient réparties entre si peu de personnes ». Il est en quelque sorte, l’incarnation politique du phénomène Occupy Wall Street. Il n’accepte pas qu’au pays le plus riche du monde, qu’il y ait autant de laissés-pour-compte. Son programme est profondément humaniste et ça me plait : taxer le monde de la finance, responsable de la grave crise économique de 2008, et qui n’a été sauvé que grâce aux contribuables américains, pour offrir une assurance maladie, ainsi que l'éducation et des crèches gratuites pour tous les Américains. Au passage, selon un bilan établi par le Wall Street Journal, si les banques américaines ont été condamnées à payer 110 milliards de dollars pour leur implication dans la crise financière, elles ont quand même réussi à dégager près de 700 milliards de dollars de profits depuis 2007. 

Par ailleurs, Bernie Sanders
envisage de doubler le salaire minimum, en passant de 7,25 $/h à 15 $/h et de lancer de grands travaux d’infrastructures, 1 000 milliards $ sur 10 ans. Au concept du libre-échange sauvage, il prône le « Made in the USA ». Il veut séparer les banques de dépôt des banques d’affaires, pour éviter la formation de ces mastodontes de la finance, « too big to fail », si gros que l’Etat ne peut pas les laisser tomber en cas de difficultés. En gros, il veut européaniser et humaniser les Etats-Unis. Que demande le peuple de plus ?

Si Sanders juge que sa rivale démocrate est expérimentée et intelligente, il a cependant émis de sérieux doute sur sa capacité de jugement. Et pour cause ! Bien que démocrate, Hillary Clinton a approuvé ce qu’on peut appeler aujourd’hui, avec ce précieux recul dont nous disposons, la stupide invasion de l’Irak en 2003, décidée par les néoconservateurs du parti républicain de George W. Bush. Cette décision d’envahir l’Irak était irresponsable et criminelle au plus haut degré. Et pendant que les auteurs du nouveau désordre moyen-orientale coulent des jours heureux dans leurs ranchs, l’ensemble des populations de la région, libanaises et syriennes en tête, n’en finissent pas de payer le prix. Partant de ces éléments, que peut-on s’attendre de cette femme politique qui n’a pas été capable de comprendre, comme la plupart des Européens à l’époque, notamment les Français, à l’exception des Britanniques, que les éléments avancés par l’administration Bush contre Saddam Hussein, la présence d’armes de destruction massive, étaient mensongers ? Que peut-on s’attendre de cette candidate qui n’a pas pu imaginer que c’est la République islamique chiite d’Iran qui sortirait gagnante de la chute du régime sunnite irakien ?

Toujours est-il que Bernie Sanders considère l’invasion de l’Irak en 2003 comme « la pire erreur de politique étrangère dans l’histoire de ce pays ». Une erreur approuvée par Hillary Clinton qui est donc directement responsable de la radicalisation d’une frange de la population irakienne sunnite, notamment des officiers de l’ex-armée irakienne du régime de Saddam Hussein et qui a conduit à l’émergence et à l’épanouissement de Daech, « l’Etat islamique en Irak et au Levant ». Hillary Clinton s’en défend en rappelant quand même que « le président Obama lui a fait confiance pour être secrétaire d’Etat ». Justement, elle est là, la deuxième erreur éliminatoire de la candidature d’Hillary Clinton au poste de président des Etats-Unis. Alors que l’administration Obama n’était pas chaude pour rejoindre le délire du trio Sarkozy-BHL-Cameron, et pour intervenir en Libye afin de faire tomber le régime de Kadhafi, c’est Hillary Clinton qui a mis tout son poids pour que les Etats-Unis rejoignent la France et le Royaume-Uni dans la non moins stupide intervention massive en Libye. Et là aussi, à quoi doit-on s’attendre avec Hillary Clinton qui fut incapable de prévoir la portée de l’intervention en Libye et ses désastreuses conséquences pour la région, l’Europe et le monde: la détérioration des relations de confiance entre les pays occidentaux et la Russie, l’instauration du chaos en Libye, la dissémination des armements en Afrique, l’installation des djihadistes dans le pays et l’ouverture d’une des deux principales voies de migration vers l’Europe, responsable de l'afflux massif de migrants vers le vieux continent

Sur la Syrie, aussi, Bernie Sanders et Bakhos Baalbaki sont sur la même longueur d’onde. Considérant le conflit comme un « bourbier dans un bourbier », la politique étrangère de Bernie Sanders est orientée dans trois axes. Primo, faire face à la crise humanitaire engendrée par la guerre. Sur ce point le candidat démocrate pense que les États-Unis, l'Europe et les pays du Golfe ont une obligation morale d'accueillir les réfugiés syriens. Secundo, mettre fin à l’organisation terroriste « Etat islamique » (Daech). « J'ai soutenu les frappes aériennes américaines contre l'EIIL... Cependant, la guerre contre l'EIIL ne sera jamais gagnée que si les nations du Moyen-Orient intensifient leurs efforts militaires et prennent plus de responsabilités pour la sécurité et la stabilité de leur région. Les États-Unis et d'autres puissances occidentales devraient soutenir nos alliés du Moyen-Orient, mais cette guerre ne sera jamais gagnée que si les nations musulmanes dans la région mènent ce combat... C’est une guerre pour l'âme de l'Islam et les nations musulmanes doivent devenir plus fortement engagés ». Tertio, éliminer Bachar el-Assad, qui est pour Sanders, le principal responsable du démarrage et de la poursuite de la guerre. Le candidat démocrate est très clair sur l'incontournable départ de « l’horrible dictateur ».

Alors qu’il est de confession juive et qu’il a connu les kibboutz dans les années 60, Bernie Sanders se démarque aussi des autres candidats sur la question palestinienne. Si « la paix exigera la reconnaissance inconditionnelle par tous du droit à l’existence d’Israël », et la fin des attaques de tout genre contre l'Etat hébreux, Sanders pense que « pour parvenir à un résultat positif, nous devons être l’ami non seulement d’Israël mais aussi du peuple palestinien ». Et pour être plus précis, il rajoute : « La paix signifie aussi la sécurité pour chaque Palestinien. Elle signifie l’obtention de l’autodétermination, des droits civils et du bien-être économique pour le peuple palestinien... La paix signifiera mettre un terme à ce qui équivaut à l’occupation des territoires palestiniens, en établissant des frontières décidées d’un commun accord et en retirant les colonies de Cisjordanie ». Il est allé même jusqu’à préciser que « La paix signifiera une distribution durable et équitable des précieuses ressources en eau afin qu’Israël et la Palestine puissent tous deux prospérer comme voisins. À l’heure actuelle, Israël contrôle 80 % des réserves en eau de la Cisjordanie ». Jamais un candidat à la présidence n’est allé aussi loin dans l’histoire des Etats-Unis.

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, c’est clair. Il m’est impossible d’assister sans réagir à l’affrontement entre un gentleman, une hypocrite et un bouffon, sachant que le vainqueur influencera en quelque sorte nos vies, même de l’autre côté de l’Atlantique et du détroit de Gibraltar. C'est donc Bernie Sanders sans hésitation. Good night and good luck, Birdie, aujourd'hui et pour la suite. Quels que soient les résultats de ce mardi crucial, Bernie Sanders se maintiendra naturellement dans la course des primaires. Et au-delà, je me demande s'il ne faut pas qu'il se maintienne également sur la dernière ligne droite dans la course à la Maison Blanche. Les Etats-Unis et le monde méritent mieux qu'une Clinton et qu'un Trump. Cet oiseau qui s’est posé sur le pupitre du candidat démocrate, qui était en plein discours de campagne, ne peut être qu’un signal d'avertissement. Et comment ! Surpris, Sanders en avait conclu, « Je pense qu'il y a un certain symbolisme ici. Cet oiseau nous demande un monde de paix ». Cela ne passe surement pas par Trump ou Clinton. Alors, #FeelTheBern. Affaire à suivre.