François Hollande renonce à participer à la primaire du Parti socialiste au même moment où François
Fillon remporte la primaire organisée par le parti Les Républicains. Voici les destins croisés
de deux hommes qui ont gouverné la France au cours des dix dernières
années.
I.
La primaire, de droite ou de gauche, est une mascarade démocratique
Comme
au 1er tour, tout le monde se réjouit de l'engouement des
Français pour une présélection à laquelle pourtant, 90% des
citoyens n'ont pas jugé utile de prendre part. Pour se rendre
compte du ridicule du processus des primaires, de droite ou de
gauche, il faut savoir que l'élection présidentielle en France
attire jusqu'à 87% des électeurs inscrits, à l'inverse des primaires. Sur les 14 tours des 7 dernières élections
présidentielles, il n'y a qu'une seule fois où la participation
était en dessous des 78%. Entre 1974 et 2012, la moyenne du 1er tour
de l'élection présidentielle française s'est située à 80%, celle
du 2e tour à 83%. La primaire de la droite en 2016 n'a même pas
pu franchir la barre symbolique des 10% de participation, ni au
1er tour ni au 2e, malgré le battage médiatique et un clivage
significatif entre les candidats qui se présentaient. Avec un si
faible taux de participation, près de 4,38 millions de votants sur
44,8 millions d'électeurs inscrits, comme avec la Primaire de la
gauche organisée pour la première fois en France en 2012 (avec 2,86
millions de votants, elle a vu triompher François Hollande), la présélection des candidats par la base, en
France comme aux Etats-Unis, considérée comme une grande avancée
pour la démocratie dans le monde, est une mascarade électorale.
II.
Quelle légitimité pour les candidats des primaires, sachant que 95%
des Français ne les ont pas mandaté ?
Avec
2 votes contre 1, la victoire de François Fillon sur Alain Juppé
est nette, il peut en
être fier. Et pourtant, il n'y a pas de quoi pavoiser. En
réalité, le gagnant n'a récolté que 2,9 millions des voix. Avec
des scores à hauteur de 4,2% de tous les électeurs inscrits sur
les listes électorales au premier tour et 6,5% au deuxième tour,
on ne peut pas esquiver la question qui fâche à quelques mois de
l'élection présidentielle : quelle légitimité peut avoir
un candidat présidentiel -Fillon, Juppé, Hollande ou Valls,
qu'importe- pour imposer son programme politique, sachant que près
de 95% des 66 millions de Français ne l'ont pas mandaté pour
cela au moment de sa présélection?
III.
Tout reste à faire pour François Fillon : unir son camp et
convaincre les Français
Pour
que François Fillon, le candidat de 6,5% des électeurs parvient à
se faire élire lors de l'élection présidentielle, il faudra
d'une part, qu'il unisse son camp après
la bataille fratricide de la Primaire qui a laissé beaucoup d'amertume, du côté des juppéistes, comme
du côté des sarkozystes,
ex-anti-fillonistes, à qui il doit sa victoire. D'autre part,
il faudra qu'il convainque un plus grand nombre d'électeurs
au cours des cinq prochains mois. La tache sera difficile
tellement le programme du candidat de la droite est ultralibéral,
conservateur, austère et pro-poutinien : suppression des 35
heures, hausse du temps de travail dans le secteur privé (dans la
limite de 48h/semaine), hausse du temps de travail dans le secteur
public (sans augmentation de salaire), suppression de 500 000 postes
de fonctionnaires, hausse de l'âge de départ à la retraite à 65
ans, hausse de la TVA, suppression de l'encadrement des loyers à
Paris, suppression de la dégressivité des allocations-chômage,
restriction du champ d'action de la Sécurité sociale, suppression
du principe de précaution, menaces de retrait de la France de la
Cour européenne des droits de l'homme, suppression de l'adoption
plénière par les homosexuels, vote d'une loi anti-burkini contre
l'avis du Conseil d'Etat, renvoi des terroristes français dans les
autres pays en violation du droit international, alignement de la
politique étrangère de la France sur l'axe Poutine-Assad-Khamenei,
etcétéra, et cetera, etc. On voit bien que c'est loin d'être
gagné.
IV.
Le programme de la droite est une aubaine pour la gauche
Etant
donné l'état d'esprit des Français aujourd'hui, qui seraient
favorables à une alternance politique, les gauches, les
écologistes et les centres, divisés, n'ont aucune chance de
s'engager efficacement dans la bataille présidentielle que si
d'une part, les trois entités politiques parviennent, ensemble ou
séparées, à désigner un
candidat unique (Manuel Valls, Emmanuel Macron, etc.), et si
d'autre part, ils le mandatent
d'appliquer une vraie politique de gauche, écologique et
du centre. La marge de manœuvre est très étroite. La gauche,
l'écologie et le centre doivent donner de l'espérance aux Français
en leur proposant un modèle de société épanouissant pour les
individus, responsable sur le plan environnemental et qui préserve
le modèle social de la France, tout en évitant de tomber dans le
populisme, comme la droite sur certains points. Un tel programme
politique se doit d'être juste, réaliste et crédible.
Reprendre le programme de Fillon et proposer aux Français exactement
le contraire, point par point, c'est la seule voie qui permettra à
la gauche, à l'écologie et au centre, d'être au second tour de
l'élection présidentielle et de battre François Fillon.
V.
Hollande-Valls (2012-2017) vs. Sarkozy-Fillon (2007-2012)
Depuis
2012, le pouvoir exécutif Hollande-Ayrault-Valls a fait des choix
politiques difficiles afin de freiner l'augmentation de la dette publique, diminuer le déficit
budgétaire, relancer la croissance, diminuer le chômage et
préserver le modèle social progressiste de la France (dans les
domaines de la santé, la retraite, le travail, l'éducation, etc.).
Il faut dire qu'on revenait de loin. La droite guidée par Nicolas
Sarkozy et François Fillon a laissé une France lourdement endettée.
C'est un fait indiscutable. A leur arrivée en 2007, la dette
publique était un peu plus de 1 250 milliards d'euros, soit près de
65% du PIB (produit intérieur brut). A leur départ en 2012, donc à l'arrivée de François
Hollande, la dette avait explosé pour passer à 1 870 milliards
d'euros, soit près de 90% du PIB. Sous le tandem Sarkozy-Fillon,
la dette publique a donc augmenté de près de 620 milliards d'euros,
soit près de 50% de sa valeur initiale.
On
peut disserter longtemps sur les choix économiques des uns et des
autres, mais une chose est sûre et certaine pour tous les experts
dans ce domaine, on peut encore bien gérer une dette publique à 65%
du PIB, mais à 90%, le point de non-retour est franchi. Plus un pays
est endetté, plus sa marge de manœuvre est étroite, voire
inexistante. Pour avoir une idée de ce fardeau économique,
sachez que dans la loi de finances pour l'année 2016, la charge
de la dette (les intérêts payés par l'Etat français) s'élève
à 44,5 milliards d'euros, soit 10,7% du budget de l'Etat
français. C'est le 4e poste de dépense de la France.
Alors,
lorsque François Fillon répète incessamment que la France est
en faillite, on est pleinement dans le surréalisme politique,
aux confins du grotesque et de la tragi-comédie, comme le prouvent
ces chiffres effrayants qui résume l'ère désastreuse du mandat
Sarkozy-Fillon. Le Fillon nouveau du millésime 2016 cherche d'une
part, à faire oublier qu'il est le principal responsable de l'état
financier du pays (millésimes 2007-2012, 620 milliards d'euros de
plus), et d'autre part, à conditionner les Français pour accepter
l'américanisation du modèle social (ses projets concernant la Sécurité sociale par exemple).
Rien
que pour cela, le duo Sarkozy-Fillon aurait dû être banni de la
sphère public à vie. Hélas 6,5% de Français, ont décidé
autrement et de la manière la plus incompréhensible qui soit : on a
congédié l'un et félicité l'autre. Punition pour le premier, promotion pour le second. De l'autre côté, le trio
Hollande-Ayrault-Valls a réussi à freiner la progression vertigineuse de la
dette publique sous Sarkozy-Fillon et à faire baisser le déficit
budgétaire de la France. François Hollande quittera le pouvoir en 2017
avec une dette publique estimée à 96% du PIB et un déficit
budgétaire sous la barre des 3% du PIB respectant les critères
européens. Dire ou faire croire que la droite est forcément une
meilleure gestionnaire de l'argent public que la gauche est faux et relève du
fantasme et de la mythologie dans le cas de Sarkozy-Fillon.
VI.
Environnement, sécurité intérieure et affaires étrangères :
heureusement que la France avait François Hollande et non François
Fillon entre 2012 et 2017
Au-delà
de la dette publique et du déficit budgétaire, il y a trois
domaines où il faut remercier une majorité d'électeurs français
d'avoir eu la sagesse en 2012 de congédier la droite et de porter la
gauche au pouvoir.
Message de l'ancien gouverneur de la Californie au président de la République: « François, félicitations pour votre décision. Vous êtes le champion du peuple et de l'environnement. On vous aime. Arnold (Schwarzenegger) » |
Le
deuxième concerne la sécurité intérieure. Alors que la
France était la cible de plusieurs attaques terroristes
particulièrement odieuses, le duo Hollande-Valls a su prendre les
mesures nécessaires pour combattre efficacement le terrorisme,
protéger la population française et préserver l'unité nationale,
sans tomber dans les amalgames islamophobes entre islam et islamisme,
sans céder à la tentation de tout sécuritaire et sans procéder à
des violations graves des libertés fondamentales en France. Alors là,
chapeau! Si c'était la droite qui était au pouvoir, je ne suis pas
sûr qu'un duo comme Sarkozy-Fillon aurait réagi avec autant
d'efficacité et de sagesse, comme le prouve la gestion de l'affaire
Mohammad Merah.
Le
troisième concerne les affaires étrangères. Alors que la
France était confrontée à l'un des conflits les plus complexes et
les plus déshumanisés de l'histoire contemporaine, la guerre en
Syrie, le quatuor Hollande-Ayrault-Valls-Fabius a su intervenir efficacement
contre l'organisation terroriste Daech (Etat islamique), débarrasser
le Moyen-Orient des armes de destruction massive (l'arsenal chimique
du régime syrien), tenter de faire voter des résolutions au Conseil
de sécurité (bloquées par la Russie et la Chine), soutenir la
révolte du peuple syrien contre son tyran, sans légitimer Bachar
el-Assad, le principal responsable de la dégénérescence d'une
révolution pacifique en une guerre civile, sans s'allier avec
Vladimir Poutine, le principal responsable de l'enlisement sanglant de la
guerre civile. Alors là, chapeau! Si c'était la droite au pouvoir,
il est sûr et certain qu'un trio comme Sarkozy-Fillon-Juppé aurait
envenimé la situation , comme le prouve sa guerre irréfléchie en
Libye (2011) et le chaos qu'elle a engendré (installation de
Daech, ouverture de la route des migrants vers l'Europe via l'Italie, dissémination
des armes en Afrique, etc.) ou la nouvelle alliance prônée par Fillon,
qui aboutira à l'alignement de la France sur l'axe
Poutine-Assad-Khameneï, principaux responsables de la
transformation de l'organisation terroriste « Etat islamique
d'Irak » en « Etat islamique en Irak et au Levant »,
Daech.
VII.
Les destins comparables de François Hollande, Nicolas Sarkozy et
Lionel Jospin
Il
y a à l'égard de l'actuel président de la République une
hollandophobie, comme il y en a eu à l'encontre de l'ancien chef
d'Etat, une sarkophobie. On peut ne pas être d'accord avec
ces deux hommes, force est de constater qu'une
partie du rejet dont ils font l'objet, est déterminé par leur
caractère et leur comportement. Ce qui a agacé dans la
performance politique de Sarkozy c'est son omniprésence et son
arrogance, dans celle de Hollande, c'est sa discrétion et sa
normalité. En renonçant à se représenter, le président de la
République a su mettre son ego en sourdine, privilégier l'intérêt
général et tirer sa révérence au bon moment. Pour comprendre le
mérite de Hollande, il faut simplement se rendre compte que Sarkozy
a fait exactement le contraire. Voilà pourquoi son renoncement forge
le respect.
En
prenant sa décision, François Hollande a pensé également à
l'ironie du destin qui a frappé Lionel Jospin. Avec un bilan
respectable après cinq ans passés à Matignon, le Premier ministre
sortant se voyait déjà au 2e tour de l'élection présidentielle de
2002, face au président sortant, Jacques Chirac, dont la vacuité du
bilan faisait de lui le perdant tout désigné de la bataille. Mais, la
bêtise des leaders des gauches, qui ont multiplié les candidatures,
et la volonté non moins stupide de certains électeurs de gauche, de
donner une belle claque au candidat du Parti socialiste, qui n'aurait
pas été suffisamment à gauche à leurs yeux, a conduit à
l'élimination pur et simple du Lionel Jospin dès le premier tour.
Ce fut le choc du 21 avril. François Hollande a sans doute voulu
éviter une telle humiliation, dès la Primaire dans son cas.
VIII.
Le clivage droite-gauche au cœur de la bataille présidentielle de
2017
Il
est clair dès aujourd'hui que la bataille présidentielle de 2017
se déroulera sous les étendards d'une « droite décomplexée »
et d'une « gauche authentique ». Ce clivage profond
de la société française soulèvera beaucoup de question sur
l'avenir du pays. Quel sera le nouveau cap du navire France? Faut-il
virer à tribord (droite) ou à bâbord (gauche)? Que feront les gens
du centre, de l'écologie et de l'extrême gauche? S'il est tôt pour
parler de la gauche et de ses entités politiques apparentées, pour
la droite les choses sont claires. Elle a un candidat unique qui a
été mandaté par 6,5% des électeurs inscrits sur les listes
électorales en France. Dans un contexte tendu, quelle perspective
pour l'avenir? Pour y répondre, il faut se pencher sur les élections
présidentielles où le clivage droite-gauche était aussi important
qu'aujourd'hui. Il y en a eu deux. En 2007, se sont
affrontés, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou,
Jean-Marie Le Pen et d'autres candidats. En 2012, se sont
affrontés, François Hollande, Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen,
Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou et d'autres candidats. De la
plongée dans les chiffres on apprend que pour passer le 1er tour
d'une élection présidentielle clivante, il faut convaincre près de
10,24 millions d'électeurs français, et pour être élu, la barre
des 18,49 millions d'électeurs doit être atteinte.
Pour
finir cet article en beauté et l'achever avec sarcasme, je
m'autorise à paraphraser l'échange historique entre Louis XVI et
le duc de La Rochefoucauld, à l'aube de ce 15 juillet 1789, afin
de rappeler une évidence oubliée par le vainqueur au lendemain de
sa victoire. Dimanche dernier, ce n'était pas l'élection. Non
Sire Fillon, c'était une primaire ! Le plus dure pour François
Fillon reste donc à faire. Une élection présidentielle avec 44,8
millions d'électeurs appelés aux urnes et une participation qui
dépassera les 80% des inscrits, c'est une tout autre paire de
manches. C'est dans cinq mois. En politique, c'est une éternité.
IX.
Pour être élu président de la République, il faut pouvoir
convaincre 18,5 millions de Français
Parlons
peu, parlons bien. La Primaire de la droite, organisée à la fin du
mois de novembre, a donné le véritable coup d'envoi de la course
présidentielle. Dans les starting-blocks il n'y a pour l'instant que
François Fillon qui est assuré de courir toute la distance de la
campagne électorale. La gauche elle,
n'est qu'au stade de la présélection des candidats.
Elle doit pour gagner défendre le bilan du quinquennat et se
présenter unie derrière un programme politique progressiste
anti-Fillon, point par point. Seul le désistement de François
Hollande permettait de relever ce triple défi. L'actuel président
de la République pouvait faire autrement. Il ne l'a pas fait. Que ça
soit une première de l'histoire de la Ve République, qu'un
président sortant ne se représente pas à l'élection
présidentielle, ne saurait occulter une autre première où un
leader politique privilégie à ce point l'intérêt général de sa
famille politique à son ego.
Pour
franchir le 1er tour de l'élection présidentielle française
prévue le 23 avril 2017, Sire Fillon doit passer de 1,88
million d'électeurs (score du 1er tour de la Primaire) à 10,24
millions d'électeurs (moyenne des deux candidats arrivés en tête
lors du 1er tour des élections présidentielles de 2007 et 2012). Il
doit donc convaincre 8,36 millions d'électeurs en plus, que
son programme ultralibéral, austère, conservateur et propoutinien,
est dans leur intérêt. Eh bien, disons que ça ne sera pas facile.
Et pour être élu au 2e tour président de la République
française le 7 mai 2017, lors d'une élection aussi clivante que
celle qui s'annonce, Sire Fillon doit passer de 2,9 millions
d'électeurs (score du 2e tour de la Primaire, soit 6,5% des
électeurs inscrits) à 18,49 millions de votants (moyenne du
candidat élu lors du 2e tour des élections présidentielles de 2007
et 2012, soit 41,3% des électeurs inscrits).
Ainsi,
pour passer de l'hôtel Matignon au palais de l'Elysée,
il ne suffit pas de connaître l'adresse des lieux, de gagner la
Primaire de la droite, de traverser la Seine, de s'essuyer les pieds
et de rentrer. François Fillon doit convaincre 15,59
millions d'électeurs français en plus,
le 7 mai 2017, sans perdre les 2,9 millions qui lui ont fait
confiance le 27 novembre 2016 au cours des cinq prochains mois d'une campagne
électorale clivante, que son programme ultralibéral,
austère, conservateur et propoutinien, est dans leur intérêt
et dans l'intérêt de la France et des Français. L'ironie de
l'histoire c'est qu'il est le premier à savoir qu'une
élection n'est pas gagnée d'avance. Et pour cause, ce qui lui a
fait gagner la Primaire de la droite, justement ce programme, pourrait lui
faire perdre l'élection présidentielle.