dimanche 16 juillet 2017

Le 14-Juillet à Paris : au lieu de chercher à étonner Trump, le public et le monde avec la musique insipide de Daft Punk, il valait mieux les impressionner avec l'extraordinaire fête de la Fédération de 1790 (Art.449)


Toute mise en scène militaire peut susciter à la fois une vive répulsion chez certains et une grande fascination chez d'autres. C'est valable pour la France comme pour le Liban également, deux pays qui font partie du club restreint de ceux qui font défiler leurs armées devant leur peuple.

Défilé du 14-Juillet. Champs-Elysées, Paris
Captures d'écran de la page Facebook
de la Présidence de la République française

Auparavant, j'étais assez sensible au thème du coût d'une telle opération pour les contribuables, près de 3,5 millions d'euros pour les Français, surtout à une époque marquée par la chasse au gaspillage de l'argent public. Mais à vrai dire, il me semble au fil du temps que ce coût est relatif, 5 centimes par habitant, c'est rien. En réfléchissant bien, je dirai même que c'est un investissement rentable sur le plan de la communication aux niveaux national et international. N'importe quelle grande marque peut dépenser beaucoup plus sur le plan financier et récolter beaucoup beaucoup moins en terme d'image. La France vaut plus qu'une marque. Le défilé du 14 juillet est une tradition scellée dans l'histoire tragique et heureuse de ce pays, comme le montrent les deux dates auxquelles elle est liée. Voilà pourquoi je suis devenu au fil du temps un ardent défenseur de toutes les festivités autour des fêtes nationales, en France comme au Liban. Défilés, feux d'artifice et bals populaires, je suis pour toute forme d'expression de la fierté patriotique.

De nos jours, tout le monde sait que le 14 juillet on fête la prise de la Bastille en l'an de grâce 1789 par le peuple insurgé de Paris. L'enjeu et les répercussions de ce mardi pas comme les autres étaient surtout d'ordre symbolique. Ce matin-là, il n'y avait pas grand monde dans l'édifice, une centaine de personnes pour défendre la prison et sept détenus au total. Le marquis de Sade, le Pater du sadisme, fut transféré quelques jours auparavant dans un hospice de malades mentaux. En face, une foule de 80 000 Parisiens en colère, qui vient de s'emparer de 40 000 fusils entreposés à l'hôtel des Invalides et qui se dirige vers la Bastille pour récupérer la poudre et les balles qui s'y trouvent. Il n'a fallu que quelques heures de négociations et d'affrontements pour faire basculer l'histoire. En fin d'après-midi, les insurgés parisiens s'emparèrent de la Bastille au prix d'une centaine de morts. Son gouverneur et le prévôt des marchands de Paris (en quelque sorte le maire de la ville), seront décapités, leurs têtes promenées dans les rues de la capitale au bout d'une pique. La prise de cette forteresse royale, aussitôt démolie, est sans doute l'événement le plus emblématique de la Révolution française. Il marque la fin de la monarchie de droit divin en France. Le roi n'est plus l'expression de la volonté de Dieu. Celle-ci est supplantée par la volonté du peuple. La sémantique change. Le roi de France est mort, vive le roi des Français. Toutefois, la République ne sera proclamée que trois ans plus tard, le 22 septembre 1792.

Le 14-Juillet c'est également cette magnifique fête de la Fédération de l'an de grâce 1790. Hélas, l'événement est beaucoup moins connu, alors que son symbolisme dépasse largement par sa portée, celui de la prise de la Bastille. La fête nationale française de nos jours, fait référence autant à ce qui s'est passé en 1790 qu'en 1789. Cette année-là, on projetait commémorer le premier anniversaire de la prise de la Bastille. On voulait fêter l'événement dans la joie et la bonne humeur, dans un climat de réconciliation et d'union nationales. Telle était la volonté de l'Assemblée nationale constituante et c'est le marquis de La Fayette qui se trouva charger de l'organiser. L'homme de confiance de Louis XVI est une légende vivante des plus importantes révolutions démocratiques de l'histoire de l'humanité, la Révolution américaine et la Révolution française. Commandant la Garde nationale de Paris, il sera surnommé par la suite « héros des deux mondes » et sera déclaré récemment l'un des huit « citoyens d'honneur » des Etats-Unis (2002). C'est pour dire que l'amitié franco-américaine ne date pas d'hier, et heureusement qu'elle ne dépend pas du bouffon de la Maison Blanche, elle est bien antérieure à la participation des Etats-Unis à la Première guerre mondiale aux côtés de la France, objet de l'invitation de Donald Trump au défilé du 14-Juillet.


Dès le 1er juillet 1790, près de 1 200 ouvriers vont travailler sans relâche, pour aménager le Champ-de-Mars en un énorme cirque où se dressera un arc de triomphe et des gradins afin d'accueillir spectateurs et participants autour d'un « autel de la patrie » érigé pour l'occasion. Ils seront secondés par la population parisienne toute entière. Des roturiers, des nobles, des moines et des bourgeois apportèrent leur contribution également. Louis XVI et La Fayette retroussèrent les manches et se sont mis au travail symboliquement. Le jour prévu, malgré le mauvais temps et la pluie, 100 000 citoyens armés « fédérés » en milices de patriotes et en gardes nationaux aux quatre coins de la France, défileront devant 500 000 Français, en présence du roi et des députés de la Nation. Une messe sera célébrée à l'occasion avec la participation de 300 prêtres portant des rubans tricolores.

Le général La Fayette se présentera sur un cheval blanc à la tête d'une troupe de 18 000 hommes. Au nom des gardes nationaux, il prêtera serment le premier. Son discours marquera les esprits et l'histoire. « Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi et de protéger conformément aux lois la sûreté des personnes et des propriétés (…) et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité. » Qui n'aurait pas aimé assister à un tel événement. Cette dernière phrase est d'une puissance humaniste considérable. Après l'héros des deux mondes, c'était au tour du président de l'Assemblée de prêter serment, et enfin du roi Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette. A la fin de la cérémonie, la foule aussi prêta serment en choeur et entonna un Te Deum, un hymne latin chrétien chanté d'habitude pour remercier Dieu.

Entre les embrassades et les acclamations, tout le monde était en liesse. Les fédérés ont regagné les provinces, les Parisiens leurs foyers et la famille royale le palais des Tuileries. Les Français chantèrent et dansèrent pendant trois jours et trois nuits. Paris était en état d'effervescence et d'allégresse. Il y avait des bals populaires dans tous les quartiers, sur les Champs-Elysées, place de la Concorde (à l'époque place Louis XV, puis place de la Révolution) comme à la Bastille. On entendait les gens crier « Vive la nation! ». Il faut dire que jamais la nation française n'a été aussi unie et apaisée qu'en ce 14 juillet 1790 où l'on a fêté la Révolution et on a acclamé le roi, où l'on jura de protéger la nouvelle Constitution et la nation. Un modus vivendi a été trouvé entre les protagonistes de 1789. Il était le fruit d'une grande maturité politique. C'était le calme avant la tempête, rien qu'une embellie politique. C'est bien après que la situation a dégénéré, où le fanatisme de certains révolutionnaires plongea la France dans la Terreur.

Toujours est-il qu'on voit bien de tout ce qui précède que le 14-Juillet est loin d'être un étalage nationaliste futile. C'est une piqure de rappel patriotique qui fait référence à deux événements historiques fondateurs de l'identité et du système politiques français, qui ne peut que raviver la fierté de tous celles et ceux qui sont r-attachés à la France, par les papiers ou par les sentiments. Comme l'a rappelé le président de la République dans son allocution ce vendredi, « en ce 14 juillet, nous célébrons la France, nous célébrons ce qui nous unit ».

L'édition 2017 a été marquée par le défilé de troupes américaines sur les Champs-Elysées en la présence du président américain. Le prétexte, commémorer l'entrée des Etats-Unis en guerre aux côtés de la France il y a cent ans. Il n'a échappé à personne que de part et d'autre, aussi bien au niveau de l'hôte que de l'invité, Emmanuel Macron et Donald Trump, il y avait une volonté flagrante d'exploiter cette mise en scène sur le plan interne et externe. Le président français, s'est fixé trois objectifs en invitant Donald Trump : consolider sa stature d'homme d'Etat aux yeux des Français, s'allier avec le président de la première puissance militaro-industrielle et impressionner le monde entier. Le président américain, avait lui aussi trois objectifs en tête en acceptant l'invitation d'Emmanuel Macron : faire oublier ses déboires dans le Russiagate (après les dernières révélations sur la rencontre de son fils et de son gendre avec une avocate russe proche de Vladimir Poutine, pour récupérer des infos compromettantes sur Hillary Clinton), s'allier avec un jeune président qui a le vent en poupe et briser l'isolement des Etats-Unis dans le monde.

Les présidents Emmanuel Macron et Donald Trump
et leurs épouses place de la Concorde
Capture d'écran, page Facebook de l'Elysée
On entend dire, non mais quelle idée d'avoir invité ce personnage extravagant et de l'aider à atteindre ses objectifs. Peut-être bien, mais c'est une idée de génie de la part de Macron. Certes, Donald Trump ne fera aucun sacrifice qui pourrait porter atteinte aux intérêts des Etats-Unis. Il serait bien naïf de croire le contraire. La rencontre du G20 l'a parfaitement démontré. Il n'empêche que créer des liens personnels est capital au niveau diplomatique, car cela aide à éviter des tensions inutiles entre la France, qui est présidée par un homme jeune et inexpérimenté, et les Etats-Unis, qui a à sa tête un homme imprévisible et impulsif. Sur le climat par exemple, les efforts de Macron ont été récompensés, Trump a mis un peu d'eau dans son vin. C'est déjà ça! « Quelque chose pourrait se passer avec l'accord de Paris, on verra bien. Nous en parlerons prochainement. Si quelque chose se passe, ça sera merveilleux. Si rien ne se passe, ça ne sera pas grave. » Oui bon, arrêtez de ricaner svp, oui c'est du Trump tout craché, il ne faut pas espérer des miracles. En tout cas, en un an et demi Donald Trump est passé de « Paris n'est plus la ville sûre qu'elle était. Il y a des quartiers dans Paris qui sont radicalisés, où la police refuse d'aller. Ils sont terrifiés » (8 décembre 2015) à « J'ai le sentiment que vous allez avoir un Paris très beau et pacifique. Je reviendrai » (13 juillet 2017). C'un un petit progrès ? Non Sire, c'est une révolution progressiste.

Terminons par une anecdote, sur la surprise du jour, annoncée au milieu de la semaine, la clôture de la cérémonie du millésime 2017 par la fanfare interarmées, qui devait jouer un medley, un enchainement de plusieurs chansons sans interruption, comprenant deux tubes du groupe français de musique électronique, Daft Punk. Ce fut un bide retentissant. Autant Macron semblait très amusé par cette idée originale, autant Trump et de nombreux invités avaient l'air de s'ennuyer grave, et ils avaient bien raison. Même si la musique des Parisiens s'exporte très bien, elle n'en demeure pas moins insipide. Ce n'est pas l'idée qui pose problème, c'est le choix de chansons qui n'ont pas de saveur et pas de goût. Alors, au lieu de chercher à étonner Trump, le public et le monde avec ce ballet saugrenu décidé par on-ne-sait-qui et rythmé par Daft Punk (Get Lucky et Harder, Better, Faster, Stronger), et même par Michel Fugain (C'est la fête), il aurait été préférable de les impressionner avec une chorégraphie historique sur l'extraordinaire fête de la Fédération, un des rares moments de l'histoire de France où la nation était réconciliée, apaisée, unie et confiante dans l'avenir. Mais au fait, c'est exactement ce qui nous manque en ce moment, aussi bien en France, qu'au Liban, en Turquie, aux Etats-Unis et dans d'autres contrées du monde.