Toute
mise en scène militaire peut susciter à la fois une vive
répulsion chez certains et une grande fascination chez
d'autres. C'est valable pour la France comme pour le Liban également,
deux pays qui font partie du club restreint de ceux qui font défiler
leurs armées devant leur peuple.
Défilé du 14-Juillet. Champs-Elysées, Paris Captures d'écran de la page Facebook de la Présidence de la République française |
Auparavant,
j'étais assez sensible au thème du coût d'une telle opération
pour les contribuables, près de 3,5 millions d'euros pour les
Français, surtout à une époque marquée par la chasse au
gaspillage de l'argent public. Mais à vrai dire, il me semble au fil
du temps que ce coût est relatif, 5 centimes par habitant,
c'est rien. En réfléchissant bien, je dirai même que c'est un
investissement rentable sur le plan de la communication aux niveaux
national et international. N'importe quelle grande marque peut
dépenser beaucoup plus sur le plan financier et récolter beaucoup
beaucoup moins en terme d'image. La France vaut plus qu'une marque.
Le défilé du 14 juillet est une tradition scellée dans
l'histoire tragique et heureuse de ce pays, comme le montrent les
deux dates auxquelles elle est liée. Voilà pourquoi je suis devenu
au fil du temps un ardent défenseur de toutes les festivités
autour des fêtes nationales, en France comme au Liban. Défilés,
feux d'artifice et bals populaires, je suis pour toute forme
d'expression de la fierté patriotique.
De
nos jours, tout le monde sait que le 14 juillet on fête la prise
de la Bastille en l'an de grâce 1789 par le peuple insurgé de
Paris. L'enjeu et les répercussions de ce mardi pas comme les autres
étaient surtout d'ordre symbolique. Ce matin-là, il n'y avait pas
grand monde dans l'édifice, une centaine de personnes pour défendre
la prison et sept détenus au total. Le marquis de Sade, le Pater du
sadisme, fut transféré quelques jours auparavant dans un hospice de
malades mentaux. En face, une foule de 80 000 Parisiens en colère,
qui vient de s'emparer de 40 000 fusils entreposés à l'hôtel des
Invalides et qui se dirige vers la Bastille pour récupérer la
poudre et les balles qui s'y trouvent. Il n'a fallu que quelques
heures de négociations et d'affrontements pour faire basculer
l'histoire. En fin d'après-midi, les insurgés parisiens
s'emparèrent de la Bastille au prix d'une centaine de morts. Son
gouverneur et le prévôt des marchands de Paris (en quelque sorte le
maire de la ville), seront décapités, leurs têtes promenées dans
les rues de la capitale au bout d'une pique. La prise de cette
forteresse royale, aussitôt démolie, est sans doute l'événement
le plus emblématique de la Révolution française. Il marque la
fin de la monarchie de droit divin en France. Le roi n'est plus
l'expression de la volonté de Dieu. Celle-ci est supplantée par
la volonté du peuple. La sémantique change. Le roi de France
est mort, vive le roi des Français. Toutefois, la République ne
sera proclamée que trois ans plus tard, le 22 septembre 1792.
Le
14-Juillet c'est également cette magnifique fête de la Fédération
de l'an de grâce 1790. Hélas, l'événement est beaucoup moins
connu, alors que son symbolisme dépasse largement par sa portée,
celui de la prise de la Bastille. La fête nationale française de
nos jours, fait référence autant à ce qui s'est passé en 1790
qu'en 1789. Cette année-là, on projetait commémorer le premier
anniversaire de la prise de la Bastille. On voulait fêter
l'événement dans la joie et la bonne humeur, dans un climat de
réconciliation et d'union nationales. Telle était la volonté
de l'Assemblée nationale constituante et c'est le marquis de La
Fayette qui se trouva charger de l'organiser. L'homme de
confiance de Louis XVI est une légende vivante des plus importantes
révolutions démocratiques de l'histoire de l'humanité, la
Révolution américaine et la Révolution française. Commandant la
Garde nationale de Paris, il sera surnommé par la suite « héros
des deux mondes » et sera déclaré récemment l'un des
huit « citoyens d'honneur » des Etats-Unis (2002).
C'est pour dire que l'amitié franco-américaine ne date pas
d'hier, et heureusement qu'elle ne dépend pas du bouffon de la
Maison Blanche, elle est bien antérieure à la participation des
Etats-Unis à la Première guerre mondiale aux côtés de la France,
objet de l'invitation de Donald Trump au défilé du 14-Juillet.
Dès
le 1er juillet 1790, près de 1 200 ouvriers vont travailler sans
relâche, pour aménager le Champ-de-Mars en un énorme cirque
où se dressera un arc de triomphe et des gradins afin d'accueillir
spectateurs et participants autour d'un « autel de la
patrie » érigé pour l'occasion. Ils seront secondés par
la population parisienne toute entière. Des roturiers, des nobles,
des moines et des bourgeois apportèrent leur contribution également.
Louis XVI et La Fayette retroussèrent les manches et se sont mis au
travail symboliquement. Le jour prévu, malgré le mauvais temps et
la pluie, 100 000 citoyens armés « fédérés »
en milices de patriotes et en gardes nationaux aux quatre coins de la
France, défileront devant 500 000 Français, en présence du roi
et des députés de la Nation. Une messe sera célébrée à
l'occasion avec la participation de 300 prêtres portant des
rubans tricolores.
Le
général La Fayette se présentera sur un cheval blanc à la
tête d'une troupe de 18 000 hommes. Au nom des gardes nationaux, il
prêtera serment le premier. Son discours marquera les esprits et
l'histoire. « Nous jurons de rester à jamais fidèles
à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout
notre pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale
et acceptée par le roi et de protéger conformément aux lois la
sûreté des personnes et des propriétés (…) et de
demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la
fraternité. » Qui
n'aurait pas aimé assister à un tel événement. Cette dernière
phrase est d'une puissance humaniste considérable. Après
l'héros des deux mondes, c'était au tour du président de
l'Assemblée de prêter serment, et enfin du roi Louis XVI et de la
reine Marie-Antoinette. A la fin de la cérémonie, la foule aussi
prêta serment en choeur et entonna un Te Deum, un hymne
latin chrétien chanté d'habitude pour remercier Dieu.
Entre
les embrassades et les acclamations, tout le monde était en liesse.
Les fédérés ont regagné les provinces, les Parisiens leurs foyers
et la famille royale le palais des Tuileries. Les Français
chantèrent et dansèrent pendant trois jours et trois nuits. Paris
était en état d'effervescence et d'allégresse. Il y avait des
bals populaires dans tous les quartiers, sur les Champs-Elysées,
place de la Concorde (à l'époque place Louis XV, puis place de la
Révolution) comme à la Bastille. On entendait les gens crier « Vive
la nation! ». Il faut dire que jamais la nation française
n'a été aussi unie et apaisée qu'en ce 14 juillet 1790 où l'on
a fêté la Révolution et on a acclamé le roi, où l'on jura de
protéger la nouvelle Constitution et la nation. Un modus vivendi
a été trouvé entre les protagonistes de 1789. Il était le fruit
d'une grande maturité politique. C'était le calme avant la tempête,
rien qu'une embellie politique. C'est bien après que la situation
a dégénéré, où le fanatisme de certains révolutionnaires
plongea la France dans la Terreur.
Toujours
est-il qu'on voit bien de tout ce qui précède que le 14-Juillet
est loin d'être un étalage nationaliste futile. C'est une piqure de
rappel patriotique qui fait référence à deux événements
historiques fondateurs de l'identité et du système politiques
français, qui ne peut que raviver la fierté de tous celles et
ceux qui sont r-attachés à la France, par les papiers ou par les
sentiments. Comme l'a rappelé le président de la République dans
son allocution ce vendredi, « en ce 14 juillet, nous
célébrons la France, nous célébrons ce qui nous unit ».
L'édition 2017 a été marquée par le défilé de troupes américaines sur
les Champs-Elysées en la présence du président américain. Le
prétexte, commémorer l'entrée des Etats-Unis en guerre aux côtés
de la France il y a cent ans. Il n'a échappé à personne que de
part et d'autre, aussi bien au niveau de l'hôte que de l'invité,
Emmanuel Macron et Donald Trump, il y avait une volonté flagrante
d'exploiter cette mise en scène sur le plan interne et externe. Le
président français, s'est fixé trois objectifs en invitant Donald
Trump : consolider sa stature d'homme d'Etat aux yeux des
Français, s'allier avec le président de la première puissance
militaro-industrielle et impressionner le monde entier. Le
président américain, avait lui aussi trois objectifs en tête en
acceptant l'invitation d'Emmanuel Macron : faire oublier ses
déboires dans le Russiagate (après les dernières révélations sur
la rencontre de son fils et de son gendre avec une avocate russe
proche de Vladimir Poutine, pour récupérer des infos
compromettantes sur Hillary Clinton), s'allier avec un jeune
président qui a le vent en poupe et briser l'isolement des
Etats-Unis dans le monde.
Les présidents Emmanuel Macron et Donald Trump et leurs épouses place de la Concorde Capture d'écran, page Facebook de l'Elysée |
Terminons
par une anecdote, sur la surprise du jour, annoncée au milieu de la
semaine, la clôture de la cérémonie du millésime 2017 par la
fanfare interarmées, qui devait jouer un medley, un enchainement
de plusieurs chansons sans interruption, comprenant deux tubes du groupe
français de musique électronique, Daft Punk. Ce fut un bide
retentissant. Autant Macron semblait très amusé par cette idée
originale, autant Trump et de nombreux invités avaient l'air de s'ennuyer grave, et ils avaient
bien raison. Même si la musique des Parisiens s'exporte très bien,
elle n'en demeure pas moins insipide. Ce n'est pas l'idée qui pose problème, c'est le choix de chansons qui n'ont pas
de saveur et pas de goût. Alors, au lieu de chercher à étonner
Trump, le public et le monde avec ce ballet saugrenu décidé par
on-ne-sait-qui et rythmé par Daft Punk (Get Lucky et Harder, Better,
Faster, Stronger), et même par Michel Fugain (C'est la fête), il
aurait été préférable de les impressionner avec une chorégraphie
historique sur l'extraordinaire fête de la Fédération, un des
rares moments de l'histoire de France où la nation était
réconciliée, apaisée, unie et confiante dans l'avenir. Mais au
fait, c'est exactement ce qui nous manque en ce moment, aussi bien en
France, qu'au Liban, en Turquie, aux Etats-Unis et dans d'autres contrées du
monde.