jeudi 30 novembre 2017

De la Bosnie à la Syrie, en passant par le Liban, la justice internationale est lente, mais elle est inéluctable (Art. 491)


→ Lieu : La Haye
C'était le dernier procès de cette haute juridiction internationale, le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

→ Acteur : Slobodan Praljak
Il était le chef des HVO, le Conseil croate de défense, l'organe exécutif, administratif et militaire suprême de la communauté croate de Bosnie-Herzégovine lors de la guerre civile qui a frappé cette région des Balkans entre 1992 et 1995 et qui a fait près de 90 000 morts.

→ Rôle : Criminel
Incarcéré depuis 2004. Il comparaissait pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, commis pendant la guerre contre les forces et les populations musulmanes.

→ Tournage: 29 novembre
On vient de confirmer sa condamnation à 20 ans de prison.


Il avait le look pour décrocher le rôle du père Noël! Mais non, il a préféré celui de criminel. Et du coup, il se trouve là, dans le box des accusés. Il écoute avec une sérénité incroyable le juge pendant six longues minutes parler en anglais. A l'annonce du verdict, rappelant ses crimes et confirmant les 20 ans d'emprisonnement, il prend la parole. On lui demande de s'assoir. L'audience ne l'écoute que d'une oreille. « Juges, Slobodan Praljak n’est pas un criminel de guerre. Je rejette avec mépris votre verdict. » Oui bof, on connait la chanson chantée par tous les coupables aux quatre coins de la Terre ! Le général lève la main jusqu'à la bouche. On fait à peine l'effort de se retourner. On lui somme de nouveau de s'assoir. Il prononce quelques paroles en croate. Et aussitôt c'est la panique dans la salle, que s'est-il passé? Son avocate annonce, en français, que son client lui a dit qu'il a avalé un poison. C'est alors qu'on comprend que la fiole qu'il a portée à sa bouche contenait une substance mortelle ! L'audience est suspendue. Trop tard. Transporté à l'hôpital, il décédera peu de temps après. Dernier petit détail curieux, beaucoup de médias, notamment francophones, ont volontairement censuré le mot « mépris », mais traduit le reste!

Certes, par cet acte ultime, Slobodan Praljak se soustrait à la sentence. C'est même un pied de nez à la justice internationale. Le criminel s'est échappé de prison en se donnant la mort. Mais, force est de constater qu'il a finalement répondu de ses actes devant la communauté internationale. Ce procès se termine avec lâcheté peut-être, tragique quand même, mais d'une façon indéniablement théâtrale. Et dire que ce général bosniaque était par ailleurs, diplômé de philosophie de la Faculté de sciences humaines et sociales de Zagreb, ainsi que de l'Académie d'art dramatique. Une fin sensationnelle, pour ne pas dire magistrale, pour un criminel ordinaire qui fut un temps, militaire, homme d'affaires, écrivain, réalisateur et metteur en scène. Il ne restera dans l'Histoire et toutes les mémoires, que ses crimes et la mise en scène de sa mort. S'étant livré de lui-même en 2004, il avait déjà purgé 13 ans de prison. Il était libérable dès 2018. Un exemple qui prouve que la réalité dépasse parfois la fiction.

La question que tout le monde se pose aujourd'hui est de savoir comment a-t-on pu introduire cette fiole dans l'un des endroits les plus sécurisés au monde? Qu'importe, la faille sera facilement détectée et comblée par la suite et pour l'avenir. Cet événement hors du commun qui restera dans les annales judiciaires, nous renvoie pourtant, nous autres citoyens du Moyen-Orient, à deux questions essentielles.

. La première c'est celle de savoir que fera au niveau local, le triumvirat de l'Etat libanais -Michel Aoun, président de la République, Saad Hariri, Premier ministre, et Nabih Berri, président de l'Assemblée nationale- pour arrêter et renvoyer à La Haye les quatre membres du Hezbollah encore en vie sur les cinq Libanais accusés par un autre tribunal international basé à La Haye, le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), d'être à l'origine de l'attentat terroriste du 14 février 2005, ayant entrainé la mort de 22 personnes dont l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, et qui ont été élevés au rang de « saints » par le chef de la milice chiite libanaise, Hassan Nasrallah? Pour l'instant, ils n'ont rien fait. Attendre qu'ils se livrent eux-mêmes ou qu'ils se suicident? Oh, même chez les criminels, il y a des degrés de lâcheté!

Rappelons aux descendants des autruches dans notre contrée d'Orient, que le TPIY a été créé en 1993. Il a eu sa première audience en 1995. En dépit de ses défauts, il a mis en accusation et jugé 161 personnes. Tous les accusés ont été arrêtés, ou se sont livrés d'eux-mêmes, le dernier en 2011, soit 18 ans après la création du TPIY. Le TSL lui, a été créé en 2007 et a commencé ses travaux en 2009. L'affaire est en cours. Les 18 ans cités précédemment, nous renvoient en 2025. On a donc encore de la marge ! Dans tous les cas de figure, les accusés sont jugés par contumace. Pour le TPIY comme pour le TSL, la justice est lente, mais inéluctable. L'affaire Bachir Gemayel l'a récemment prouvé, même dans un pays comme le Liban.

. La deuxième question réside aussi dans le fait de savoir quand les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par le régime de Bachar el-Assad, attestés dans l'album de César (55 000 photos de 11 000 Syriens, affamés, torturés et tués) et les massacres chimiques d'al-Ghouta et de Khan Cheikhoun, entre autres (attaques terroristes au gaz sarin, arme de destruction massive), seront-ils jugés par la communauté internationale ? Attendre que Vladimir Poutine lève l'immunité de son protégé, Bachar el-Assad, c'est croire que les poules auront des dents un jour et que les autruches triompheront sur les primates à l'issue de la sixième extinction des espèces !