samedi 26 mai 2018

A Beyrouth, Paula Yacoubian prend une « position pour l'Histoire » en votant Nadine Labaki. A Jérusalem, la Cour suprême légalise les « tirs mortels » de l'armée israélienne (Art.530)


Dans la série Escales, deux actualités moyen-orientales retiennent l'attention en cette fin de semaine, l'une à Beyrouth, l'autre à Jérusalem-Ouest, avec un point commun. Leurs auteurs respectifs croient avoir pris des décisions historiques, ce qui est d'ailleurs le cas, mais pas du tout dans le sens qu'ils l'entendent.


• BEYROUTH. Awwal dkhoula, cham3a 3a toula! Non seulement elle a osé le faire, mais en plus, elle en est fière, considérant son geste comme une « position pour l'Histoire ». Finalement, c'est un pschitt. A la sortie de la séance, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, elle a motivé son geste devant les caméras par le fait que « l'Etat libanais ne veut pas l'honorer (Nadine Labaki) »Ya yesou3 dakhil esmak, et l'on reproche encore à Manar Sabbagh de faire un mélange des genres déplacé. Wlak chou khas toz bé mar7aba? Aucun lien, de son propre avis, puisqu'elle nous explique dans cette courte interview décousue comment « ils » ont commencé leur complot « la veille », concernant les bulletins non conformes aux règlements, et de quelle manière ils ont empêché mercredi les Arméniens catholiques de prendre leur part du gâteau dans l'élection du bureau du Parlement. La 7awla wala qowata ella bellah! Quelqu'un devrait informer cette jeune parlementaire que le parti des Forces libanaises toulo wou 3ardo avec une quinzaine de députés, a été écarté du même bureau sans état d'âme et sans show médiatique.

Glisser le nom de Nadine Labaki dans l'urne, pour la présidence et vice-présidence du Parlement (acte stérile puisque la réalisatrice de Capharnaüm n'est ni élue ni de confession chiite), comme l'a fait Paulette Yaghobian, dite Paula Yacoubian, (fraichement élue au Parlement pour le siège arménien orthodoxe de Beyrouth), reflète le moins qu'on puisse dire de l'immaturité politique. Il y a un mot bel 3arabé elmchabra7 pour qualifier ce qu'elle a fait : satlané. Elle ne se rend pas compte ou peut être qu'elle est déjà déconnectée de la réalité : beaucoup de Libanais-es aimeraient être payés 16 000 $/mois, salaire de base et avantages à gogo, grâce au dur labeur du peuple libanais, pour aller de temps à autre faire leur cirque dans l'hémicycle. On attendait de celle qui a mené campagne sous le slogan « Pour un Etat fort » vraiment autre chose. Un Etat fort commence déjà par le respect de la Constitution, des lois, des règles et des règlements par ceux qui sont censés codifier la vie des Libanais.

Depuis le 7 mai, les Hezbollahi-compatibles peuvent avoir sans problème la majorité relative et facilement la majorité absolue, au Parlement comme au prochain Conseil des ministres (qui sera calqué sur son profil), pour changer la Constitution, légiférer, mener une politique 8-Marsienne et élire qui ils veulent, à Baabda comme au perchoir, et Paula Yacoubian n'a pensé en s'habillant le matin avant-hier qu'à son coup d'éclat nombriliste à 5 piastres de la matinée. Pour aggraver son cas, elle s'est abstenue de nommer Saad Hariri, pour former le prochain gouvernement, parce qu'elle est anti-système, oubliant que c'est le système qui l'a fait, le Courant du Futur en particulier. De ce fait, elle s'est montrée ingrate à l'égard de son chef, à qui elle doit une notoriété médiatique, sur Futur TV, savamment convertie pour décrocher un siège dans une circonscription où 2/3 des électeurs ne se sont pas donnés la peine de s'exprimer.

Le comble c'est que lors des consultations parlementaires chez le président de la République, Paula Yacoubian n'a pas fait la maligne, en nommant Nadine Labaki pour présider le Conseil des ministres. Il faut dire qu'à Baabda le public était restreint et le show était écourté. Elle s'est contentée de nommer personne! Du coup, elle s'est retrouvée dans le même camp que les députés du Hezbollah, la seule formation politique qui s'est abstenue de nommer qui que ce soit, exactement dans le même cas que Jamil el-Sayyed. Je ne dirai rien de plus et ne me faites pas dire ce que je n'ai pas encore dit. Mais beaucoup se demandent comment se traduira au juste cette soi-disant volonté d'incarner une « opposition constructive ». Une chose est sûre, ça commence mal.


Cela étant dit, il ne faut pas prendre Paula Yacoubian pour un bouc-émissaire, comme le font par exemple certains leaders du CPL pour faire oublier à leurs électeurs qu'ils ont voté pour Elie Ferzli, un fossile de la tyrannie des Assad, ramené à la vie parlementaire libanaise grâce au Hezbollah, et qu'ils se sont eux aussi montrés ingrats avec le parti des FL, qui a soutenu l'arrivée de Michel Aoun au palais de Baabda. C'est trop tôt pour juger les nouveaux parlementaires. Mais s'ils sont à l'image de leurs collègues sortants, les pires seront légions et les meilleurs se compteront sur les doigts.

Soyez assurés, avec ou sans elle, ça sera le cirque dans l'hémicycle. Avec 2 022 400 $/mois, sans compter tous les avantages clair-obscurs!, les 128 députés libanais seront surpayés par rapport à ce qu'ils produiront, comme le prouve justement la médiocre performance du Parlement sortant. Et dire que ce sont ces députés dont le mandat accordé par le peuple libanais en 2009 était expiré, qui se sont octroyés des augmentations de salaires conséquentes, avant la fin de leur mandat bonus. Mais bon, c'est la faute à des électeurs passifs et aliénés, incapables de juger et sanctionner la performance de leurs représentants. Nous avons espéré avec la seule députée de la société civile, un nivellement de la prestation politique par le haut. Le début est marqué par le nombrilisme, l'immaturité, la théorie du complot, le communautarisme, l'ingratitude et la hezbollahi-compatibilité. C'est donc raté. Espérons que la suite sera d'une meilleure qualité. Les Libanais méritent mieux d'un-e représentant-e de la nation : une prestance, du sérieux, de l'intelligence, de l'efficacité, de la transparence et un dévouement pour la patrie. 


• JERUSALEM-OUEST. Ça passe comme une information banale, pratiquement pas évoquée dans la presse internationale. Et pourtant, elle nécessite une réunion d'urgence à la fois du Conseil de sécurité de l'ONU, du Conseil européen et de la Ligue arabe. La Cour suprême de l'Etat d'Israël, qui constitue la plus haute juridiction du pays, vient de légaliser le recours aux tirs mortels par l'armée israélienne contre les Palestiniens qui manifestent le long de la frontière israélo-palestinienne à Gaza : les manifestants de Gaza ne seraient pas des manifestants civils pacifiques, mais des acteurs d’un conflit armé entre Israël et le groupe islamiste Hamas, qui contrôle Gaza. C'est immonde.

Dans mon dernier article sur le sujet, j'ai parfaitement démontré que viser massivement des Palestiniens désarmés, 1 sur 14 (du jamais vu dans le monde contemporain, ou presque, à part à Damas en 2011 et à Tienanman en 1989!), qui manifestent pacifiquement en territoire palestinien, sous blocus depuis une douzaine d'années, alors que personne d'entre eux n'avait franchi la frontière palestino-israélienne, comme l'a fait l'Etat hébreux à Gaza au cours de la Grande marche du retour, 30 mars-15 mai, constitue des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, qui relèvent bel et bien de la compétence de la Cour pénale internationale. 119 Palestiniens ont été exécutés par l'armée israélienne, 59 pour la seule journée du 14 mai, où 2 400 personnes ont été blessés, par des tirs à balles réelles dans la majorité des cas.

Je ne suis pas le seul à le répéter, de nombreuses ONG internationales, palestiniennes et même israéliennes le disent aussi. Ce sont ces dernières qui avaient saisi la Cour suprême. Or, ce qui empêche dans l'état actuel des choses que la CPI ne soit saisi des crimes israéliens, c'est l'absence d'une autorisation du Conseil de sécurité, impossible à obtenir à cause du blocage potentiel par les Etats-Unis. Même cas de figure en ce qui concerne le jugement par la CPI des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis par la Syrie des Assad, la Russie bloquant toute résolution dans ce sens.

Aujourd'hui est un jour de honte de plus pour les Israéliens. Leur pays ne cesse de partir à la dérive. Il ne respecte ni les résolutions de l'ONU ni le droit international ni les droits de l'homme. Pire encore, la plus haute autorité judiciaire du pays vient d'octroyer aux dirigeants politiques israéliens, l'autorisation de donner leur feu vert à l'armée israélienne de commettre en toute impunité ce qui pourrait constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité à Gaza, contres des civils palestiniens. C'est du jamais vu, c'est odieux.

Jusqu'à quand le monde peut encore tolérer l'arrogance israélienne? Combien doivent encore endurer les Palestiniens? Non mais, qu'est-ce qui va sortir de ce mépris flagrant des vies palestiniennes? Sans l'ombre d'un doute, plus de haine, plus d'extrémisme, plus d'antisémitisme et plus d'antiaméricanisme dans le monde en général et au Moyen-Orient en particulier. Comme l'a si bien résumé Roger Waters, fondateur des Pink Floyd: « Israël, comment tu as pu oublier? »

#PalestinianLivesMatter