De
toute la tragédie syrienne, deux dates
resteront dans la mémoire de l’Histoire. Jusqu’à ce jour en tout cas. Le 15 mars 2011, qui marque le début d’une
révolte pacifiste en Syrie sous le règne du dernier tyran des Assad, et le 21 août 2013, où l’horreur a atteint l’inimaginable.
Dans le 1e épisode de cette trilogie que j'ai décidée de consacrer à la Syrie après ce
dernier événement odieux, j’ai mis la lumière sur notre grande responsabilité
en tant que Libanais ayant des compatriotes chiites engagés massivement dans la
guerre civile syrienne aux côtés de Bachar el-Assad, pour combattre les
soi-disant takfiriyines sunnites. Dans ce 2e épisode de la trilogie, je
rentrerai dans le vif du sujet « Obama expliqué aux nuls », en me
demandant, mais au fait, qu’est-ce que nous savons à ce jour du massacre
d’al-Ghouta ?
Grâce à la rivière Barada, dont la source se situe dans l’Anti-Liban, et aux travaux
d’irrigation depuis les civilisations antiques, les terres qui entourent Damas
ont été transformées au fil du temps en une
oasis dans le désert de Syrie, al-Ghouta en arabe. Ni les Araméens, ni les
Romains, n’ont imaginé que cette région agricole sera tristement le
théâtre d’un grand massacre à l’arme chimique un jour. Si une certaine confusion a pu régner
pendant les quelques heures qui ont suivi le massacre d’al-Ghouta en Syrie,
aujourd’hui il n’en reste rien ou presque. L’attaque chimique est bien confirmée,
le bilan est très lourd et les auteurs sont parfaitement identifiables.
A décharge du régime, le clan Bachar el-Assad et sa machine de propagande avec ses nombreux défenseurs libanais, le Hezbollah et le Courant patriotique libre entre autres, et ses quelques alliés internationaux, l’Iran et la Russie, ont avancé l’argument fallacieux, qu’il serait complètement « illogique », terme utilisé par Bachar himself dans l’interview déplacé que le Figaro lui a accordé le 1er septembre, que le régime syrien fasse usage des armes chimiques alors que les enquêteurs de l’ONU résidaient à quelques minutes des zones gazées. Cette argumentation rachitique, reprise en boucle par ses fidèles défenseurs, oublie un détail, et de taille. Bachar el-Assad ne souffre d’aucun trouble psychiatrique, contrairement à ce qu’on croit. C’est un homme pragmatique, tout le monde le sait. Non, il ne gazera pas ses compatriotes par plaisir, il faut arrêter de fumer la moquette ! Mais il le fera par nécessité, sans aucune hésitation. Le recoupement des informations provenant du terrain et des services de renseignements franco-américains, laissent penser que c’est exactement ce qui s’est passé ce « mercredi noir » du 21 août 2013.
A décharge du régime, le clan Bachar el-Assad et sa machine de propagande avec ses nombreux défenseurs libanais, le Hezbollah et le Courant patriotique libre entre autres, et ses quelques alliés internationaux, l’Iran et la Russie, ont avancé l’argument fallacieux, qu’il serait complètement « illogique », terme utilisé par Bachar himself dans l’interview déplacé que le Figaro lui a accordé le 1er septembre, que le régime syrien fasse usage des armes chimiques alors que les enquêteurs de l’ONU résidaient à quelques minutes des zones gazées. Cette argumentation rachitique, reprise en boucle par ses fidèles défenseurs, oublie un détail, et de taille. Bachar el-Assad ne souffre d’aucun trouble psychiatrique, contrairement à ce qu’on croit. C’est un homme pragmatique, tout le monde le sait. Non, il ne gazera pas ses compatriotes par plaisir, il faut arrêter de fumer la moquette ! Mais il le fera par nécessité, sans aucune hésitation. Le recoupement des informations provenant du terrain et des services de renseignements franco-américains, laissent penser que c’est exactement ce qui s’est passé ce « mercredi noir » du 21 août 2013.
Depuis des mois,
deux poches de résistance sont bien ancrées à l’est et au sud-ouest de la
capitale, dans la banlieue de Damas, la fameuse région d’al-Ghouta, comme le montre le
dessin diffusé par le ministère français de la Défense. Ces zones rebelles se situent à une douzaine de kilomètres du palais
présidentiel de Bachar el-Assad et à une lancée de pierre de l’aéroport
militaire de Mazzeh. Les combats sont quotidiens. La frustration des forces loyalistes, incapables de déloger les
rebelles de la banlieue de Damas depuis plus d’un an est énorme. Les
renseignements français détiennent des informations qui prouvent que « le régime redoutait une attaque
d’ampleur de l’opposition sur Damas dans cette période ». Cette
nuit-là, le front s’est enflammé une nouvelle fois, menaçant encore une fois le
centre du pouvoir du régime alaouite. Bachar
el-Assad, voulait non seulement briser les offensives est-sud-ouest sur le
palais présidentiel, mais en plus, en finir une fois pour toutes avec ces
poches de résistances menaçantes, qui se trouvent comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête à Damas. Il souhaitait aussi marquer les esprits, en
terrorisant à la fois les rebelles et la population qui les soutient. La suite
des événements est particulièrement odieuse.
Les troupes de
Bachar envoient sur une douzaine de zones d’al-Ghouta alcharquiyé (à l’est
de Damas) et al-Ghouta algharbiyé (au sud-ouest de Damas), ces deux zones
tenues par les rebelles, des roquettes remplies
de gaz sarin. Selon le chef d'état-major de l'Armée Syrienne Libre (ASL),
le brigadier général Selim Idriss, des missiles et des obus ont été tirés depuis
l'aéroport militaire de Mazzeh à partir de 2h25 du matin, par la brigade 155 et
depuis le Mont Qassioun par la brigade 127, celle qui est rattachée à la 4e
division dirigée par Maher el-Assad,
le frère de Bachar. Les informations de l’ASL sont confirmées par les Américains qui détiennent des renseignements
et des images satellites qui prouvent, qu’à l’heure du massacre des roquettes
sont parties des zones loyalistes vers les zones rebelles. Et ce n’est pas
tout, pour brouiller les pistes, entraver la circulation des individus et des secours,
empêcher la population de recueillir des indices compromettants le régime, et
surtout lancer une attaque terrestre ultérieurement, les deux Ghouta ont été soumises pendant les 24 heures qui ont suivi
l’attaque à un bombardement intensif aux roquettes conventionnelles de l’artillerie
du régime, quatre fois plus que le rythme habituel observé depuis dix
jours. Ces bombardements qui se sont prolongés jusqu’au 26 août, visaient
surtout à retarder le plus longtemps possible l’arrivée des enquêteurs de l’ONU, afin de
détruire les indices et permettre au temps de faire disparaître les preuves.
Et le comble de l’horreur, un élément qui prouve non seulement la culpabilité
du régime mais aussi le fait qu’il était parfaitement conscient du crime qu’il
avait commis, des incendies volontaires ont été déclenchées, afin de créer des
appels d’air et accélérer la dissipation des gaz neurotoxiques après l'attaque.
Tous
les rapports des services de renseignements occidentaux sur la tragédie du 21
août 2013 arrivent à la même conclusion. « Le gouvernement des États-Unis estime
avec une grande certitude que le gouvernement syrien a mené une attaque aux
armes chimiques dans la banlieue de Damas, le 21 août 2013. »
Cette conclusion se fonde sur une
myriade d’éléments accablants pour le régime de Bachar el-Assad : les
renseignements américains ont détecté dans les trois jours qui ont précédé
l’attaque chimique, des activités du
régime qui sont associées à la préparation de cette attaque, notamment la
présence entre le 18 août et le 21 août à l’aube, des unités du régime syrien
spécialisées dans les armes chimiques dans le secteur d’Adra qui est situé
à une vingtaine de kilomètres des zones gazées ; des interceptions de communication entre les militaires du régime
syrien ; des images satellites
qui prouvent que des roquettes sont parties des zones contrôlées par le régime
vers la région d’al-Ghouta (Kafr Batna, Jawbar, Ayn Tarma, Darayya et
Mu’addamiyah) 90 minutes avant que le premier cas d’attaque chimique n’ait été
reporté sur les réseaux sociaux à l’aube ; des centaines de témoignages de survivants sur les réseaux
sociaux pendant 4h à partir d’une douzaine de zones contrôlées par les
rebelles ; une centaine de vidéos différentes des victimes de l’attaque ;
tous les signes cliniques observés
indiquent une exposition à des agents chimiques neurotoxiques : perte de
connaissance, absence de blessure corporelle, convulsions, nausées, vomissements,
hypersécrétion salivaire, étouffement, myosis (contraction des pupilles), dyspnée
(difficulté respiratoire), cyanose (coloration bleutée des lèvres) ; des rapports médicaux sur les victimes
(trois hôpitaux de Damas ont reçus 3600 patients en 3h, présentant des
symptômes nerveux, à l’aube du 21 août) ; contamination du personnel soignant ; des analyses de laboratoire sur des échantillons prélevés sur les
victimes (sang, cheveux) ; des indices sur le terrain ; les types de roquettes « spécifiques »
utilisées (dont les éclats ont été analysés et qui confirment que ces
roquettes, qui ne sont pas classiques, étaient vectrices d’agents chimiques et
que seul le régime en possède) ; de l’analyse du comportement des troupes de Bachar el-Assad après l’attaque
(frappes massives aux armes conventionnelles des zones ciblées, par
l’artillerie et l’aviation du régime pendant cinq jours, pour retarder l’arrivée
des enquêteurs et effacer les preuves) ; de l’analyse des capacités limitées des rebelles (humaines,
techniques et militaires), etc. Le fait
que l’attaque chimique ait touché douze zones différentes et simultanément de
la banlieue de Damas, comme le montre le dessin publié par la Maison blanche,
prouve la préméditation et la volonté délibérée de « nettoyer » les zones
gazées. Il existe d’autres éléments compromettants, qui sont restés classer
par les services de renseignements américains, mais qui ont néanmoins été transmis
au Congrès et aux partenaires des États-Unis.
De
leurs côtés les services de
renseignement français, la Direction générale de la sécurité extérieure et
la Direction du renseignement militaire, ont mis à la disposition de la presse un
rapport dont les conclusions sont aussi formelles. Après avoir authentifié
et expertisé les vidéos publiées, les renseignements français concluent qu’il
s’agissait d'une attaque massive et coordonnée à l’arme chimique dont les
rebelles syriens n'ont absolument pas les moyens de la mener. Pour eux aussi, l'attaque
du 21 août a été perpétrée par le régime de Bachar el-Assad et son clan, les seuls
habilités à donner l'ordre d'utiliser des armes chimiques. De l’autre côté du
Rhin, les services de renseignement
allemands, affirment que l’attaque est bel et bien l’œuvre du régime mais
que son ampleur serait due à une erreur de dosage.
Le bilan humain de l’attaque chimique
et conventionnelle de ce mercredi noir est très lourd. L’Armée Syrienne Libre
l’estime à 1845 morts et 9924 blessés.
Selon le gouvernement américain, au moins 1429 personnes sont mortes à l’aube
du 21 août 2013, dont 426 enfants. Une liste provisoire de 585 morts, nommément
identifiées, a été établie par le Centre de documentation des violations en
Syrie (VDC), une ONG syrienne. L’ONG française Médecins sans frontières a confirmé avoir soigné 3600 patients
souffrant de symptômes neurologiques dans trois hôpitaux damascènes qu’elle
soutient. Elle atteste la mort de 355 d’entre eux. La majorité des personnes a été tuée dans son sommeil. D’où le caractère
pernicieux et odieux des attaques aux armes chimiques. Disons aussi au
passage, que la plupart des animaux des zones bombardées, animaux domestiques
et bétail, ont subi le même sort que les humains.
Un
an avant cet odieux massacre -jour pour jour, et quelle ironie!- le président
américain Barack Obama, avait
prévenu que « Nous ne pouvons pas avoir une situation dans laquelle des armes
chimiques tomberaient entre les mains de mauvaises personnes. Nous avons été
très clairs avec le régime d’Assad, mais aussi avec d’autres acteurs sur le
terrain, qu’il s’agissait d’une ligne rouge pour nous, si nous commencions à voir
des armes chimiques déplacées ou utilisées. Cela changerait mes calculs. Cela
changerait mon équation ». Il a réitéré sa mise en garde en décembre
dernier. « L'emploi d'armes chimiques est
et serait totalement inacceptable. Si Bachar el-Assad commet l'erreur tragique
d'utiliser ces armes, il y aura des conséquences. » A la suite de la
tragédie, le président américain a été très clair : « Après une mûre réflexion,
j'ai décidé que les États-Unis doivent prendre des mesures militaires contre
des cibles du régime syrien. Ça ne sera pas une intervention ouverte. Nous
ne voulons pas envoyer des soldats sur le terrain. Notre action sera conçue
pour une durée limitée. Je suis convaincu que nous pouvons tenir le régime
d'Assad responsable de l'utilisation d'armes chimiques, décourager ce genre de
comportement et détériorer ses capacités de mener à bien de telles attaques. » De son
côté, Vladimir Poutine a qualifié
les rapports des renseignements franco-américains qui attribuent l’attaque
chimique du 21 août au régime syrien « d’absurdité totale ». Il a prévenu
que toute action en dehors du Conseil de sécurité sera considérée comme une « agression et une violation du droit
international ». Quelle déclaration abjecte de cet ex-KGBiste sachant que la Russie prend en
otage le Conseil de sécurité, empêchant toute décision sur la Syrie depuis deux
ans et demi, notamment en bloquant par son veto trois projets de résolution
dans le passé. Dans tous les cas, le président russe estime que s’il est
nécessaire, « nous allons réfléchir à ce qu'il convient de faire pour la fourniture
d'armes sensibles à certaines régions du monde », c’est-à-dire à la Syrie et à l’Iran. Pas de doute, ceux qui se
ressemblent, s’assemblent ! Et pour couper l’herbe sous les bottes du
régime syrien, le président français, François
Hollande, a indiqué que « Le
rapport des inspecteurs doit être délivré le plus tôt possible... Le mieux
serait que le Conseil de sécurité puisse être le cadre de cette condamnation...
Sinon une large coalition devra se
former, se forme en ce moment même, pour rassembler tous les pays qui
n'acceptent pas qu'un pays, qu'un régime, puisse utiliser des armes
chimiques. »
A ce jour, le monde
se divise en trois catégories par rapport à une intervention militaire en
Syrie :
- Pays favorables à une
réponse internationale forte, même en cas de veto de la Russie : États-Unis,
France, Allemagne, Arabie Saoudite, Qatar, Émirats, Koweït, Jordanie, Libye,
Turquie, Japon, Canada et Australie.
- Pays favorables à
une réponse de la communauté internationale si la culpabilité du
régime syrien est formellement prouvée et sous l’égide de l’ONU : la grande
majorité des pays européens avec l’Inde et le Brésil.
- Pays opposés à
l’intervention :
Russie, Chine, Irak, Égypte, Algérie, Tunisie, et bien entendu le Liban...
toujours du mauvais côté.
Tous
les éléments sont accablants pour le régime de Bachar el-Assad. L’attaque d’al-Ghouta du 21 août 2013 ne
s’inscrit absolument pas dans le cadre des « manœuvres guerrières », des « actes
de guerre », des « offensives militaires », même des « bombardements
de terreur », voire des « crimes de guerre », il s’agit indéniablement d’un
« crime contre l’humanité », dont les seuls responsables sont Bachar
el-Assad et son clan. Dans le prochain épisode sur la Syrie, je développerai
les raisons qui imposent une intervention militaire en Syrie, même, et surtout,
symbolique. Vous saurez pourquoi pour l’Occident, notamment pour Barack Obama,
François Hollande et Bakhos Baalbaki, l’utilisation
des armes chimiques constitue le franchissement d’une ligne rouge qui exige une
riposte programmée et puissante de la communauté internationale. Un point qui
n’a pas du tout été compris d’une part, par la majorité des populations et
de l’intelligentsia des pays d’Orient et des pays émergents, et d’autre part,
par une partie de l’opinion publique occidentale. Les premiers se demandent
pourquoi 1 % de victimes mobilisent tant les pays occidentaux, sans saisir parfaitement
le caractère particulière grave de l’utilisation des armes chimiques, les
seconds, ne souhaitent surtout pas s’embourber dans ce qui s’apparente pour eux
à une « guerre civile ». Ces deux points de vue prouvent que la communication des médias libanais,
arabes et occidentaux sur ce sujet gravissime et sur cette tragédie est
insuffisante. Aujourd’hui, l’intervention militaire en Syrie attend trois
réponses : d’abord, le feu vert du Congrès américain à Barack Obama (d’ici
deux semaines), ensuite, le rapport des enquêteurs de l’ONU sur l’attaque
chimique du 21 août (vers la mi-septembre) et enfin, une dernière tentative de
passer par le Conseil de sécurité (sans doute la deuxième quinzaine de septembre),
avant de décider de la suite des événements.
Réf.
Obama expliqué aux nuls. Episode 1/3 : Et nous autres Libanais, qu’avons-nous fait, que faisons-nous et que ferons-nous ? (Art.177) par Bakhos Baalbaki
Obama expliqué aux nuls. Episode 3/3 : de la tragédie de Ghouta à la stratégie d’Obama (Art.182) par Bakhos Baalbaki