dimanche 1 septembre 2013

Obama expliqué aux nuls. Episode 1/3 : Et nous autres Libanais, qu’avons-nous fait, que faisons-nous et que ferons-nous ? (Art.177)


A peine les tambours de la guerre ont commencé à raisonner au large de la Méditerranée orientale, que les hypocrites pacifistes s'agitèrent sur les côtes libanaises. Les sincères excités de la gâchette aussi. Bien que les guerres soient de tout temps populaires, celle tant désirée par les uns et tant crainte par les autres, n'aura probablement pas lieu. Pas comme les uns et les autres l'ont imaginé. Et ce ne sont pas les raisons qui manquent. Et combien même elle avait lieu, elle sera limitée dans le temps et la portée, à tous les niveaux. Et là aussi, ce ne sont pas les raisons qui manquent. De toutes ces raisons, il ne sera nullement question aujourd’hui. S'inspirant de la collection « Expliqué à » et de la série « Pour les nuls », le présent article est le premier épisode d’une trilogie que je consacre à la Syrie. Trois éclairages pour trois angles de vue, afin de mieux comprendre ce qui se passe dans une région passionnante, le Moyen-Orient, et surtout dans la tête d’un homme d’exception, Barack Obama.

Que l'on soit pour ou contre cette intervention, il est curieux de constater que tout le monde a déjà ouvert le feu sur le président américain. Les opposants libanais à cette intervention ne comprennent pas pourquoi l'oncle Sam débarque avec ses grands sabots pour troubler la vie paisible dans la campagne damascène. A les croire, bé rif dimacheq allah wakilkoun, bet zetto el ebré, betsma3o ranneta. On oublierait presque que 100 000 Syriens sont déjà morts pour une guerre absurde, où Barack Obama n’y est pour rien, afin de permettre à la minorité alaouite de continuer à dominer la majorité sunnite. On oublierait même que la dictature syrienne aurait eu recours à l'arme chimique contre la population civile le 21 août 2013. Même posture offensive chez les Libanais qui sont favorables à une intervention musclée en Syrie. On ne se gêne pas pour donner des leçons au prix Nobel de la paix et de se moquer de la conscience occidentale. A les écouter on croirait que jamais dans l'histoire récente de l'humanité une guerre n'a été aussi meurtrière et que l’Irak (où des études avancent le chiffre de 1,5 million de morts au total), le Liban (150 000 morts), la Yougoslavie (250 000 morts) ou le Soudan (2 millions de morts au total!) sont des planètes imaginaires de Star Wars. On croirait également que jamais un tyran n'a été aussi cruel et que Pol Pot (responsable de la mort de 1,7 millions de ses compatriotes de 1976 à 1979, tués méthodiquement au cours d'une programmation macabre odieuse, soit 20 % de la population cambodgienne ; un tyran qui a eu une vie heureuse, mort dans son lit à l’âge de 70 ans, auprès d’une jeune femme de 35 ans !), Slobodan Milosevic (accusé par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide ; mort d’un infarctus en prison lors de son procès) et Omar el-Béchir (qui se la coule douce au Soudan alors qu’il fait l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par la Cour pénale internationale depuis 2010, ayant scandalisé les pays arabes à l’époque, malgré de graves accusations de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide, dans le cadre de la guerre civile au Darfour qui a fait 300 000 morts les dix dernières années en dépit de 22 résolutions de l’ONU !) sont des ogres de Charles Perrault. On oublierait même que cette intervention fait courir des risques énormes pour toute la région et que la situation explosive du Moyen-Orient n’autorise aucune improvisation à la W. On finirait par croire naïvement, le temps d’une lecture, que la solution est au bout des Tomahawks. Achtung baby, tous ces détails ne sont pas donnés pour minimiser les crimes de Bachar el-Assad, mais pour dire tout simplement que malgré l’horreur et la peine, il faut rester « scientifique » et éviter les diatribes enflammées et les envolées lyriques.

Si la situation n'était pas aussi tragique, connaissant le nombrilisme légendaire de la majorité des Libanais, incapables de penser aux nombrils des autres, même à l’autre bout de leur propre pays, cette fixation sur la Syrie ferait sourire. Beaucoup de soutien et d’opposition à cette guerre sont avant tout intéressés. Ma3lé, les choses doivent être dites. Et on trouve encore le culot de s’offusquer de voir les pays occidentaux agir par intérêt. Certains s'érigent même en stratèges sur le petit écran pour nous expliquer que « le complot américano-sioniste veut détruire la Syrie mais celle-ci sortira plus forte après l'attaque ». Foutaises. D'autres compatriotes ont même publié wra2 elna3wé, les faire-part de décès du monstre. Kholso zeitéto lal akhou el charmouta. Quelle naïveté ! Il faut dire que ces derniers n'ont pas eu beaucoup d'effort à faire, il leur a fallu changer la date tout simplement. C'est ce qu'ils font depuis 2 ans et demi. C'est au moins la 4e fois que Bachar el-Assad mourra. Manno bé sabe3 rwé7 bachar ben-hafez ébén-elkalb. Bassita, le temps viendra où tout le monde finira par comprendre que dès le premier jour de la révolte on aurait dû savoir, et prendre en compte, que le conflit syrien sera long, que la militarisation et la généralisation du conflit constitueront de graves erreurs et que la solution restera politique. Espérons que ça viendra. En attendant ce jour béni, c’est encore la faute à Obama, n’est-ce pas ? Faisant fi de la complexité du dossier, il aurait dû agir depuis longtemps. C’est c’là oui. Au fait, sur l’échelle des responsabilités, quelle place occupe Barack Obama dans la tragédie syrienne ? Et puis qu’importe, ce qui sûr et certain, c’est que nous le devançons. Et c’est là où le bât blesse.

Si nous devions établir une échelle des responsabilités de la mort des 100 000 Syriens jusqu'à ce jour, la tyrannie des Assad arrivera en tête puisque ce clan contrôle la Syrie d'une main de fer depuis 43 ans et détient la clé pour mettre fin à cette hécatombe. A un moindre degré viennent les rebelles syriens toutes tendances confondues, qui ont eu la malencontreuse idée de militariser et de généraliser le conflit, dont le coût s’est révélé exorbitant (au niveau humain, social et économique). La médaille de bronze reviendra en ex-aequo à Vladimir Poutine himself, un être abject, sans le soutien de qui, le régime syrien n'aurait pas pu résister aussi longtemps et aux mollahs d'Iran, une bande de fascistes, sans le soutien de qui, Bachar el-Assad n'aurait jamais pu aller si loin dans l'horreur et la terreur.

Dans la suite des responsabilités, trône incontestablement le Hezbollah, évidemment. Hassan Nasrallah justifie l’implication massive de sa milice dans la guerre civile syrienne, par la nécessité de lutter contre les takfiriyines, les mécréants, auto-désignation des salafistes. Lol, on croit rêver ! Alors je résume pour ceux qui étaient absents les trente dernières années -ma 7adann biya3rif, coma politique, voyage sur la planète 8 Mars, schizophrénie induite ou kidnapping au fin fond des abris de Da7yé- on ne sait jamais: le Hezbollah, qui est une milice exclusivement chiite et interdite aux autres communautés ; qui fait la guerre sur le territoire syrien (afin de permettre à une dictature alaouite qui ne représente que 10% des Syriens de continuer à écraser la communauté sunnite de Syrie qui elle représente 70% de la population syrienne) ; qui annonce fièrement que ses miliciens meurt sur le sol syrien « dans l'accomplissement de leur devoir djihadiste » ; qui est considéré comme une organisation terroriste par une partie de la population libanaise et par l'ensemble des pays arabes et occidentaux (au même titre que Jabhat al-Nosra et al-Qaeda) ; qui est accusé par le Tribunal Spécial pour le Liban de l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri (sunnite) ; qui projetait assassiner le député libanais Boutros Harb (maronite) ; qui est soupçonné de l'assassinat de plusieurs personnalités libanaises chrétiennes (Georges Haoui et Gebrane Tuéni, entre autres) ; qui s’autorise de réprimer dans le sang des manifestations pacifistes chiites qui lui sont hostiles (avec mort d’homme, Hachem Salman); qui s'est permis de s'attaquer à l’État libanais et à la population civile lors de l'invasion de Beyrouth et du Mont-Liban (considérée comme un "jour glorieux" par Hassan Nasrallah) ; qui s'est autorisé à détruire le Liban pour libérer un criminel libanais des geôles israéliennes (une guerre qui nous a couté l'équivalent de la moitié de notre PIB) ; qui a fait des attentats-suicide et des prises d'otage un modus operandi à la mode; qui a déclaré son allégeance absolue à Wali el-Fakih, le guide suprême de la République islamique d'Iran, Ali Khamenei, pour tout ce qui relève des questions stratégiques ; qui écrit noir sur blanc que la solution au bordel communautaire libanais réside dans l'établissement d'une République islamique chiite au Liban (cf. livre de cheikh Naïm Qassem) ; enfin bref, ce Hezbollah précisément, dont vous venez de lire un bref résumé de ces exploits nationaux, combat les takfiriyines en Syrie afin de protéger le Liban et la population libanaise de leur barbarie. Wlak, Allah wou akbar ! Mich maa2oul, même en fumant le hachich de toute la Bekaa en une seule nuit, on ne pourra trouver une once de sympathie pour ce Hezbollah et on ne saura distinguer les takfiriyins sunnites syriens de Jabhat al-Nosra et d'al-Qaeda des takfiririyines chiites libanais du Hezbollah ! Dans tous les cas, il est peut-être temps que quelques-uns de cha3eb lebnén el 3azim, magheiroun, se réveillent de leur coma politique et se demandent qui a été plus nuisible au Liban et au peuple libanais: les takfiriyines d'al-Nosra qu'il faut aller combattre en Syrie ou les takfiriyines du Hezb, « made in Lebanon », qui phagocytent l’Etat libanais ?

Je conçois qu'on puisse être favorables à une intervention musclée en Syrie contre le régime alaouite pour diverses raisons humanitaires et géopolitiques. Je ne fais partie de ce groupe. Je conçois aussi qu'on puisse être contre toute intervention militaire en Syrie pour diverses raisons humanitaires et géopolitiques également. Je ne fais pas partie de ce groupe non plus. Mes capacités intellectuelles me permettent même de concevoir qu'on puisse soutenir Bachar el-Assad. Impossible que je fasse partie de ce groupe, estaghfarallah el 3azim. Mais ce que je n'arrive pas à concevoir c'est qu'on puisse s'opposer à toute intervention militaire pour des soi-disant raisons humanitaires et géopolitiques, comme le font les politiciens du 8 Mars, de Hassan Nasrallah à Michel Aoun, alors qu'au fond ces derniers ne souhaitent qu'une chose, c'est la pérennité de la tyrannie des Assad pour diverses raisons politiciennes. Là, il y a anguille sous roche. Tout opposant à une intervention militaire en Syrie qui ne condamne pas clairement et sans ambiguïté aucune, le tyran de Damas et ses alliés locorégionaux, Hezbollah en tête, est un hypocrite camouflé sous le treillis 8 Martien, avec le slogan « Merci la Syrie des Assad » madrouz 3a sadro.

Avant d’accuser les États-Unis d'être insensibles à la souffrance syrienne, de fustiger Barack Obama de consulter le Congress avant d'engager les Américains dans une guerre qui n'est pas la leur, comme l’exige toute démocratie, de diaboliser François Hollande de privilégier la « logique de guerre », d’en vouloir à l'Angleterre, à l'Allemagne et au monde entier, d'être opposés à une intervention en Syrie, mais à propos, qu'avons-nous fait, que faisons-nous et que ferons-nous, pour empêcher des milliers de nos ressortissants chiites de combattre aux côtés du régime alaouite à Qusayr, à Homs et à Damas, et faire pencher le rapport des forces dans certaines batailles décisives du côté de Bachar el-Assad ? Rien, absolument rien. Avons-nous fermé ou ne serait-ce que tenter par télépathie de fermer nos frontières avec la Syrie aux trafics d’armes et d’hommes ? Non, absolument pas. Mais, cela n'empêche pas certains Libanais yenazzro 3achwé2iyann, et de critiquer avec véhémence Obama, Hollande, Cameron et Merkel. Comment peut-on s'autoriser dans ce contexte, de donner des leçons de morale et de stratégie au monde entier ? Si nous avons nos agendas et nos contraintes qui nous empêchent d'agir, d'autres pays ont les leurs qui les empêchent d'agir. Il faut les respecter. Et si d'autres pays ont les moyens d'agir et ne le font pas, nous aussi, nous avons les moyens d'agir et nous ne le faisons pas. Il faut le reconnaître. Cette manie agaçante que nous avons nous autres Libanais d’attendre que tout soit fait à notre place -par les Américains, les Français, les Anglais, les Allemands, les Israéliens même, et j’en passe, depuis 1982, 1976, 1958 au moins, voire depuis la création du Grand Liban par la France, il y a 93 ans jour pour jour- pendant que nous palabrons à longueur de journée, explique en grande partie pourquoi notre pays se trouve depuis des lustres dans un sacré merdier et le restera encore pour longtemps.

Réf.


Obama expliqué aux nuls. Episode 3/3 : de la tragédie de Ghouta à la stratégie d’Obama (Art.182) par Bakhos Baalbaki