Certains compatriotes ont cru
naïvement que l’alternance apporterait un peu d’espoir. Il faut
croire que c’est mal parti. Quelle que soit leur couleur politique, il est
navrant de constater que la majorité des
responsables de ce pays se montrent encore incapables de prendre les bonnes
mesures politiques à temps, deux contraintes qui semblent difficiles à réunir
pour un politicien libanais. Le cas Nouhad
Machnouk constitue aujourd’hui un exemple parlant. On le prenait pour
l’homme des décisions difficiles. Il s’est avéré être un politique rouillé
comme d’autres. En moins de 100 jours, il a dilapidé tout le crédit dont il
disposait auprès d’une frange des sympathisants du 14 Mars. Morceaux choisis
d’un parcours semé d’erreurs, la plus grave étant celle prise avant-hier
concernant le casse-tête des réfugiés syriens au Liban.
Peu de temps après sa prise de
fonctions, le ministre de l’Intérieur, un représentant officiel de l’État
libanais, membre du courant du Futur par ailleurs, foire magistralement son entrée au gouvernement en se laissant
photographier dans son ministère à la fin du mois d’avril, à sa demande
svp, présidant une réunion avec tous les chefs de sécurité du pays en compagnie de Wafic Safa, « monsieur
sécurité » de cette milice illégale du Hezbollah qu’il fustigeait quelques
semaines auparavant, accusée de l'assassinat de l'ancien Premier ministre du Liban, Rafic Hariri. Bonjour la cohérence ! Si, si, il y a une cohérence
contrairement à ce que certains pensent. Le « faucon » n’est en
réalité qu’une « pie » au pays des palabres. Il faut dire que Nouhad
Machnouk, a toujours reconnu l’intérêt des armes de la résistance contre
Israël. Pire encore, le faux faucon reconnait aujourd’hui que l’intervention de
la milice chiite en Syrie, a permis de contenir le terrorisme des djihadistes
sunnites au Liban. Selon sa logique, on pourrait donc dire qu'elle est légitime ! En tout
cas, la photo souvenir de Nouhad Machnouk n’est pas une image comme les autres.
Elle a rappelé amèrement aux Libanais, les
coordinations du temps de la guerre civile et de l’occupation syrienne, entre
l’armée libanaise et les services de sécurité d’une part, et les troupes
d’occupation syriennes et les diverses milices libanaises d’autre part, avant
toute action du gouvernement libanais sur le terrain. Beaucoup se sont souvenus
grâce à Nouhad Machnouk, que la
souveraineté de la République libanaise est toujours privatisée et ce n’est
pas avec un Premier ministre et un ministre de l’Intérieur issus des rangs du
14 Mars, un camp qui ne cesse de s’afficher comme souverainiste, que les choses
changeraient radicalement de sitôt. Faut pas rêver !
Quelques semaines après, le 28 mai, Nouhad Machnouk brillait par son
imprévoyance, ce qui est plutôt fâcheux pour un ministre de l’Intérieur. Ce
jour-là, devait se dérouler l’élection
présidentielle syrienne pour les ressortissants de l’étranger, interdite dans de nombreux pays arabes et occidentaux, dont la France et l'Allemagne, mais autorisée au Liban, malgré les tensions entre les communautaires libanaises à cause de la guerre civile en Syrie et la présence massive de ressortissants syriens au Liban. Alors que le
Liban accueille près de 1,5 million de Syriens, dont les 2/3 seulement sont
enregistrés auprès de l’UNHCR, les (ir)responsables de la tyrannie des Assad n’ont
installé qu’un seul bureau de vote au
Liban, dans l’ambassade syrienne de Yarzé. Le pire, c’est que le ministre libanais
de l’Intérieur n’a rien trouvé à dire. Bilan des courses, dès les premières
heures de la matinée, des dizaines de
milliers de Syriens se sont rués vers la banlieue Est de Beyrouth. Avec
arrogance et provocation, ils ont paralysé les principaux axes routiers du
Liban pendant des heures. Malgré la gravité des faits, le ministre de
l’Intérieur, grande gueule d’habitude, n’a pas jugé utile de s’expliquer devant
ses compatriotes, notamment ces dizaines de milliers de Libanais happés dans la
tourmente de ces embouteillages montres pendant une grande partie de la journée.
Et finalement, ce sont les diplomates du régime syrien qui ont pris
l’initiative, à la fois de reporter l’heure de fermeture du bureau de vote à
minuit et d’organiser une deuxième journée électorale, ce qui a permis de desserrer
l’étau sur la population libanaise. Pendant ces 48 heures, les Libanais ont eu l’impression que leur ministre de l’Intérieur était
tout simplement aux abonnés absents.
Et puisque le ridicule ne tue pas la
carrière des politicards libanais, hélas !, 24 heures après, la « grande
gueule » restée grande muette sur la gestion calamiteuse de la procédure
de vote des ressortissants syriens au Liban, l’ouvre à outrance lors du Conseil
des ministres en usant ses cordes vocales graves contre Boutros Harb. Alors que le
juriste du Batroun -reconnu et respecté comme tel par ses amis comme par ses
adversaires, un des artisans de l’accord de Taëf, donc il savait très bien de
quoi il parlait !- exposait gentiment
et démocratiquement son avis sur les prérogatives du gouvernement en cette
période délicate de vacance présidentielle -en expliquant pourquoi selon la
nouvelle Constitution libanaise issue des réformes de Taëf, le Premier ministre
Tammam Salam ne pourra pas convoquer le Haut Conseil de Défense et signer
certains décrets à la place du président de la République- la « grande muette » Nouhad Machnouk, a retrouvé subitement
sa langue avalée la veille, pour accuser son collègue d’être « communautaire », l'insulte suprême au pays des 18 communautés. Wlak
ya ma3alé elwazir elkarim, chou khas toz bé marhaba ? Vous vous
demandez comme moi, mais bordel, quel est le rapport et pourquoi un homme comme Nouhad
Machnouk a pu sortir une énormité de cette taille ? A bien y réfléchir, je
crois qu’il faut chercher ce rapport au fond des sillons cérébraux du ministre
de l’Intérieur. C’est parce que Boutros Harb est « chrétien maronite »,
et que la vacance actuelle concerne le poste « chrétien maronite »
du président de la République libanaise, et parce que le Premier ministre Tammam Salam, qui hérite des prérogatives du Président de la République, est
« musulman sunnite », il n’en fallait pas plus pour le député
« musulman sunnite » de Beyrouth pour accuser gratuitement un
éminent juriste libanais d’être « communautaire », et de lui
balancer, « baisse ta voix », « tais-toi », j’en passe et
des meilleures. C’est du beau, n’est-ce pas ?
Toujours est-il qu’on apprend par
hasard au même moment, que le ministre
de l’Intérieur a viré un responsable de sécurité de la région du
Kesrouan, un proche de Samir Geagea, dont dépend la sécurité du QG de
l’homme le plus menacé du Liban, le chef du parti des Forces libanaises, à
Meerab, parce qu’un journaliste karakoz mais imbu de lui-même, fort mécontent,
lui aurait demandé d’éloigner ce
représentant officiel de l’État libanais qui avait l’audace de ne pas fermer les yeux sur les irrégularités dans la construction de sa nouvelle villa. Une
histoire digne de toute république bananière qui se respecte. On dit que l’affaire s'est réglée "à la libanaise", le capitaine a été bel et bien relevé de son poste conformément à la volonté déplacée du ministre de l’Intérieur d’exaucer le vœu de ce journaliste, mais qu'un proche des FL fut nommé à sa place.
Et pour couronner ses 100 premiers
jours au gouvernement, Nouhad Machnouk a
prévu ce weekend -décision avalisée par le comité ministériel chargé
d’étudier les mesures nécessaires pour diminuer l'exode syrien au Liban, qui
comprend le Premier ministre, Tammam Salam, ainsi que le ministre des Affaires
étrangères, Gebrane Bassil- qu’à partir
du 1er juin, tout Syrien
qui se trouve actuellement au Liban et qui
se rendrait en Syrie aujourd’hui, afin de participer à la mascarade présidentielle syrienne, ou qui rentrerait un autre jour pour une toute autre
raison, ne pourra plus revenir au Liban
et prétendre au statut de « réfugié », puisque cet aller-retour
signifierait que sa vie n’est plus menacée en Syrie. Le ministre prévoit aussi
de rejeter la demande de tout Syrien qui
viendrait d’une région éloignée de la frontière libanaise ou épargnée par les
combats. Ces mesures ont reçu l’aval de l’UNHCR. Il s’agit sans aucun doute d’une
excellente initiative, mais largement insuffisante,
pour ne pas dire dépassée. D’abord, parce que ces mesures n’ont pas encore été
avalisées par le Conseil des ministres. Ensuite, parce que leur mise en œuvre a
toutes les chances d’être renvoyée aux calendes grecques, comme le prouvent les premières informations en provenance des postes frontaliers en cette journée électorale. Les contrôles sont non seulement en deçà de ce qui se fait habituellement, mais en plus, la Sûreté générale faciliterait les chassés-croisées des réfugiés-résidents-électeurs. La décision du ministre de l'Intérieur semble être restée 7ebir 3a waraq. Enfin, parce que Nouhad
Machnouk ne dit pas, et pour cause, il n’y a pas de quoi pavoiser, que les Syriens en question « ne pourront plus revenir prétendre toujours
au statut de réfugié ou être acceptés comme tels s’ils viennent de régions
épargnées par les combats », mais qu’ils pourront (re)venir au Liban quand même, quand bon leur semble.
Ah, si ! Pathétique. Et après, certains s’étonnent que les problèmes du
Liban ne font que s’empirer.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement de Tammam Salam devrait
savoir qu’avec un régime syrien qui reprend du poil de la bête à la 4e année de la guerre, ce qui laisse présager encore de longues années de
conflit et de désolation en Syrie, ce
n’est pas ce genre de rafistolages qui permettraient à notre pays de faire face
au casse-tête de la présence syrienne massive au Liban et ses graves
conséquences socio-économiques. Plus d’un million de « réfugiés syriens
» officiels et des centaines de milliers de « résidents syriens » non
enregistrés auprès l’UNHCR, avec 1 200 campements sauvages, répartis sur tout
le territoire libanais, pour une population de 4,2 millions d’habitants
traumatisée par l’expérience d’un demi-million de réfugiés palestiniens en
suspens depuis 66 ans, exigent des mesures immédiates, efficaces et d’envergure.
Il est temps, grand temps et
même tardif déjà, de créer des camps de
réfugiés IMPÉRATIVEMENT en territoire syrien, et non en territoire
libanais, non seulement pour les Syriens et les Palestiniens de Syrie qui fuiront
la guerre civile syrienne à l’avenir, mais surtout, pour héberger une partie des 1,5 million de
Syriens et de Palestiniens qui sont déjà installés au Liban. Le gouvernement de Tammam Salam doit rétablir immédiatement les frontières du Liban avec la Syrie, ainsi que les contrôles de police, et supprimer du coup la libre circulation des ressortissants
syriens entre le Liban et la Syrie, avant de mettre la communauté internationale en demeure : à défaut de la création de ces camps, le
Liban serait contraint de fermer ses frontières avec la Syrie. Ce point ne devrait pas être négocié avec la communauté internationale mais imposé à cette
dernière. Qui n’en veut pas, sous le couvert d’hypocrites considérations
humanitaires, n’a qu’à ouvrir ses frontières aux réfugiés syriens comme le fait
le Liban sans aucune restriction depuis plus de 3 ans ! Pour l’instant, le pays du Cèdre subit les
événements comme tout pays faible et qui ne souveraineté. Cette mise en demeure
est le seul moyen d’espérer secouer une communauté internationale qui se
contente depuis le 15 mars 2011 de belles paroles et de quelques "misérables" aides financières, largement insuffisantes par rapport aux besoins réels, afin de se donner bonne conscience. Ce qui s’est passé le 28 mai au Liban est un signal d’alarme pour les
Libanais. L’heure n’est plus aux rafistolages gouvernementaux, justement pour des raisons humanitaires, sociales et économiques. Il n’y a pas
plus sourd que celui qui ne veut pas entendre, plus aveugle que celui qui ne
veut pas voir et plus irresponsable que celui qui ne sait pas prendre les
bonnes mesures à temps. À défaut, il faut s’attendre à de plus en plus
d’initiatives privées racistes et xénophobes à l’encontre des paisibles populations syriennes installées
au Liban, à l’instar du couvre-feu mis en place actuellement à Borj Hammoud et
le clash entre des ressortissants libanais et syriens dans cette même localité de
Beyrouth.