dimanche 13 juillet 2014

Gebran Bassil en finale de la Coupe du monde, pardon, en visite officielle au Brésil : et toujours rien sur les revendications historiques de la diaspora libanaise (Art.238)


Pendant que les supporters libanais d’Allemagne et du Brésil se préparaient gentiment pour la fameuse demi-finale au goût d’une finale, et que touyouss el-foot, les boucs du football, les hooligans made in Lebanon, frottaient leurs têtes et affûtaient leurs cornes contre les murs réels et virtuels pour le match de l’après-match, Gebran Bassil a décidé de s’envoler en début de semaine, comme par hasard, pour une visite officielle au Brésil afin de « rencontrer la diaspora libanaise et renforcer les relations entre le Liban et le Brésil... », blablabla, patati patata, etcétéra. De sources douteuses qui ont toutes les raisons de garder l’anonymat, on a cru comprendre que dans l’avion, le gendre de Michel Aoun aurait appris par ses conseillers qu’en ce moment se déroule la Coupe du monde de football au Brésil. Incroyable comme le hasard fait bien les choses, une Coupe du monde c’est une fois tous les quatre ans et Dieu sait où sera GB en 2018 ! Assistera-t-il à la finale ce dimanche ? « Bien sûr, comment peut-on être au Brésil au même moment et manquer ça ? », a lancé le jeune ministre avant le décollage de son avion. C’est c’là oui !

Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, personne ne peut contester le dynamisme de Gebran Bassil. Toujours est-il que les Libanais en général, notamment ceux de l’étranger, moi en tête, attendent beaucoup plus de Gebran Bassil que de le voir photographier en transit avec Michel Platini, puis 3al waslé avec Christian Karembeu, et se presser de publier ses photos sur Instagram (respectivement 2e et 6e photo de cette « visite officielle » au Brésil !), sans oublier les hashtags de circonstances bien entendu (#Brazil et #CoupeDuMonde). Depuis son arrivée, notre infatigable ministre des Affaires étrangères multiplie les rencontres aussi bien avec les autorités brésiliennes qu’avec la diaspora libanaise. Justement puisqu’on aborde le sujet, cette diaspora attend son ministre, entre autres, sur deux dossiers qui traînent dans les tiroirs de son ministère depuis des lustres : le vote des expatriés libanais dans les ambassades libanaises et l’acquisition de la nationalité libanaise par les descendants de Libanais, deux « revendications chrétiennes » de très longue date. Si j’insiste sur la référence communautaire, c’est justement parce que Gebran Bassil, ainsi son beau-père, Michel Aoun, se présentent comme de grands défenseurs des « droits des chrétiens », 7o2ou2 el masi7iyéet ils possèdent le plus important bloc parlementaire chrétien depuis l’Indépendance. Alors, voyons ce qu’il en est.

Dans ce but, je vous propose d’analyser d’abord la campagne publicitaire intitulée « Elkheir la2edam » mise en place dans le cadre de l’initiative Live Lebanon et annoncée par Gebran Bassil sur les réseaux sociaux au mois de juin dernier, il y a donc à peine trois semaines. Cette campagne a été concoctée par l’UNDP (United Nations Development Programme), en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et des Émigrés et en partenariat avec la chaîne Al-Jadeed. Le but est, d’après le ministre himself, de « sensibiliser l’opinion publique sur le rôle important que les Libanais au Liban et à l'étranger peuvent jouer dans le développement de leur pays ». Tach cha3er badano la bakhos wlo, lui qui ne fait que ça depuis des années. Le concept est de décliner l’idée suivante sur treize affiches : la photo d’une personnalité libanaise et un décompte de l’immigration libanaise pour un pays ou une région du globe. Il existe même une version vidéo. Tout aurait pu se passer dans le meilleur des mondes, mais hélas, cette campagne est ratée.

Zappons sur le fait qu’elle a été invisible (la preuve par Google), qu’aucune des personnalités libanaises choisies ne vit à l’étranger, que le sex ratio est de 8/5, qu’on a pris des journalistes colorés politiquement et que les affiches ne soient pas signées. Le principal problème de cette campagne réside dans le texte qui accompagne les portraits. Il est à la fois mensonger et choquant. Tenez, on apprend dans cette campagne par exemple qu’il y a « 7 000 000 de Libanais au Brésil ». Désolé, mais il s’agit d’une allégation mensongère car elle confond, et ce n’est pas du tout nouveau -la confusion date de l’époque du départ d’Elissa, la princesse phénicienne, de Tyr à Carthage- la notion de « libanais », un terme qui désigne les citoyens qui possèdent la nationalité libanaise, avec celle « d’origine libanaise », une locution qui désigne des citoyens étrangers qui ne détiennent pas la nationalité libanaise mais qui ont des ascendants qui la détenaient. Nuance et de taille. Non monsieur le Ministre, il n’y a pas « 7 000 000 de Libanais au Brésil » comme le prétend cette campagne publicitaire à laquelle vous avez collaboré, et c’est inexact de répéter sans cesse que « le nombre de Libanais au Brésil est le double de celui au Liban » comme vous l’avez dit avant votre départ du Liban, à votre arrivée en Amérique latine et dans un tweet du 9 juillet. Ce chiffre et votre allégation englobent les Libanais vivant au Brésil, les Libano-Brésiliens, et les Brésiliens dont les ancêtres sont Libanais mais qui ne sont pas eux-mêmes Libanais. Si une telle confusion est tolérée au niveau populaire, elle n’a pas du tout sa place dans les hautes sphères de l’État libanais, des médias libanais et de l’ONU. La précision et la rigueur sont essentiels aussi bien en politique qu’au football, comme vous le verrez cet après-midi au stade Maracanã à Rio de Janeiro avec la performance de la Deutsche Fußballnationalmannschaft.

Le pire, c’est la suite. Toutes les affiches de cette campagne reprennent le même leitmotiv : il y a tant de Libanais dans ce pays, « woul kheir la2eddém ». Wlak aya kheir ? Non mais, que faut-il comprendre par « Et ce n’est pas fini » ou « Le meilleur est à venir » ? Plus d’émigration par exemple ? Mais bordel, quel est donc ce message vasouillard inconsistant de cette campagne publicitaire bâclée avec un texte inapproprié utilisé dans un contexte aussi grave que l’hémorragie migratoire qui affecte gravement le Liban depuis plus de 150 ans ? Et si c’est de l’ironie, mais bordel depuis quand un ministère d’État sur cette planète communique avec sarcasme ? Consternant.

Passons maintenant au plat de résistance. Le ministre des Affaires étrangères et les responsables de l’UNDP et de New TV devraient savoir que le nombre de Libanais qui résident à l’étranger ne dépasserait pas en réalité le tiers de ceux qui vivent au Liban. Il se situe entre 1 250 000 à 1 500 000 personnes, moins de 10 % du chiffre mythique mis en circulation par de nombreux compatriotes dont le ministre des Affaires étrangères et des Émigrés lui-même. Désolé d’avoir à contredire Gebran Bassil encore une fois, mais c’est archifaux d’affirmer comme il l’a fait deux jours avant son départ pour le Brésil, « qu’il y a plus de 15 millions de ressortissants libanais résidant à l'étranger ». Impossible, même en comptabilisant toutes les personnalités schizophréniques fi loubnann wal mahjarr. A supposer que ce chiffre soit fondé, il y aurait donc en théorie plus d'une douzaine de millions de personnes « d’origine libanaise » dans le monde, dont une partie pourrait être intéressée par la « récupération de la nationalité libanaise », esti3adat el jensiyé el lebnéniyé (c’est le terme communément utilisé). Wa houna beito el 2asid. Inutile de vous dire que c’est un énorme dossier pour tous les locataires du palais Bustros, qui a toujours divisé les Libanais, pour des raisons confessionnelles et démographiques. L’immigration libanaise date essentiellement de la deuxième moitié du 19e siècle. Elle a connu plusieurs vagues successives suite aux massacres de 1840-1860 (qui ont visé massivement les communautés chrétiennes du Levant, notamment maronite ; les estimations font état de 15 000 morts au Liban et 5 000 morts en Syrie), aux persécutions ottomanes des communautés chrétiennes, aux deux guerres mondiales, à la famine de la Première guerre mondiale (à cause de la guerre, d’une invasion de sauterelles et de la confiscation des récoltes par les autorités ottomanes ; bilan autour de 150 000 morts), aux difficultés économiques, à la guerre civile, aux guerres libanaises, etc. Pendant longtemps, l’immigration libanaise était essentiellement chrétienne, notamment maronite. Aujourd’hui, elle toucherait à parts pratiquement égales, toutes les communautés libanaises, les chrétiens de toutes confessions, mais aussi les sunnites, ainsi que les druzes et les chiites.

En théorie, il n’y a aucune urgence à légiférer sur cette question. Mais, pas en pratique. Le ministre des Affaires étrangères et des Émigrés doit s’atteler au chantier de la récupération de la nationalité libanaise par les personnes d’origine libanaise au plus vite. Dans un premier temps, il faut préparer un projet de loi dans ce sens et le faire adopter par le Parlement où le groupe politique de Michel Aoun détient 1/5e des voix. Dans un second temps, il conviendra de recenser et d’informer les descendants libanais de la possibilité qui leur est offerte d’acquérir la nationalité de leurs ancêtres sans trop de tracas administratifs et de conditions rédhibitoires. Un tel projet de loi doit redonner au droit du sang (acquisition par une personne de la nationalité libanaise de ses parents indépendamment de son lieu de naissance ou de résidence) la primauté sur le droit du sol (acquisition par une personne vivant au Liban de la nationalité libanaise indépendamment de la nationalité de ses parents). Un pays de 4,2 millions d’habitants comme le Liban où résident pour un temps indéterminé, pour ne pas dire définitif pour certains, 1 250 000 Syriens réfugiés enregistrés auprès du HCR, 800 000 Syriens non enregistrés auprès du HCR, 700 000 Palestiniens réfugiés du Liban et de Syrie, 500 000 travailleurs étrangers, où les esprits des Libanais sont communautaires, et qui a autant de contentieux historiques avec les Palestiniens et les Syriens, eh bien, ce pays ne peut tout simplement pas s’offrir le luxe humaniste et universaliste de privilégier le « droit du sol » au détriment du « droit du sang ». En 1994, des demandes de « récupération de la nationalité libanaise » par des personnes d’origine libanaise mais n’ayant pas de résidence au Liban, ont été rejetés tout simplement parce que les demandeurs ne résidaient pas au Liban, alors que des résidents Syriens et Palestiniens ont été naturalisés. Oui mais nous sommes 7 000 000 de Libanais au Brésil, ma heik ? Pathétique.

Il reste donc à savoir est-ce Gebran Bassil sera capable de demander la suppression de cette obligation de résider au Liban pour les personnes d’origine libanaise pour qu’elles puissent récupérer la nationalité de leurs ascendants, une condition à laquelle tiennent les cercles proches de son allié, le Hezbollah ? En tout cas, comme Michel Aoun et Gebran Bassil défendent les soi-disant « droits des chrétiens » et nous mettent en garde depuis plus de deux ans sur le danger de l’implantation des Palestiniens et des Syriens au Liban, ils devraient, en toute logique, présenter au Parlement un projet de loi qui privilégie jusqu’à nouvel ordre, le droit du sang au détriment du droit du sol. Il n'y a rien à l'horizon pour l'instant.

Quant à l’autre grand dossier qui traîne sur le bureau de Gebran Bassil, sachez que l’actuel ministre des Affaires étrangères et des Émigrés est à ce jour, opposé au vote des expatriés libanais dans les ambassades du Liban à l’étranger selon leurs lieux d’état civil, 7asab séjill el noufouss. Eh na3am ! Il est pour la création d’une circonscription réservée aux Libanais de l’étranger. Je regrette là aussi, mais ce n’est surement pas de la sorte qu’on peut « renforcer les relations de la diaspora libanaise avec la mère-patrie ». Alors quoi, les Libanais de l’étranger seraient trop déconnectés des problèmes du Liban pour participer aux élections législatives comme les Libanais du pays du Cèdre ? Enno chou, Bakhos Baalbaki par exemple, n’est pas au courant des problèmes politiques, sociologiques et écologiques du Liban ? Non mais, quoi encore ! Comment Gebran Bassil peut-il trouver plus logique qu’un même député représente à la fois les Libanais du Brésil et ceux d’Argentine, ceux d’Algérie et d’Afrique du Sud, ceux de France et de la Pologne, ceux du Canada et de Cuba, ainsi que ceux de la Turquie et d’Australie ? Foutaises.

L’explication est évidemment ailleurs. Elle relève d’un autre domaine que celui de la logique. Cette opposition contre la participation des expatriés libanais aux élections législatives selon les lieux d’état civil, trouve sa motivation au niveau politique : celle d’empêcher les voix des compatriotes qui ne sont pas à la portée des intimidations locales, que l’on observe lors des législatives dans les régions contrôlées par le Hezbollah, notamment au Sud-Liban, et à l’abri des propagandes médiatiques, comme c’est le cas avec certains médias libanais, de peser sur le résultat du vote. L’attachement des Libanais du monde à leur pays, la logique démocratique d’une bonne représentativité et la situation communautaire des esprits au Liban, exigent que les Libanais de l’étranger puissent voter dans les ambassades des pays où ils résident et selon la circonscription où se trouve leur état civil. Pour l’instant, ce vote n’est pas garanti.

Il est donc préférable que Gebran Bassil œuvre pour rendre le vote des expatriés libanais possible à l’étranger et selon les circonscriptions où se situe leurs états civils et faciliter la récupération de la nationalité libanaise par les personnes d’origine libanaise, au lieu de s’enorgueillir faussement de la formidable dispersion de « plus de 15 millions de ressortissants libanais à l’étranger ».

À part ça, bonne finale ma3alé el wazir.