Pendant que les
supporters libanais d’Allemagne et du Brésil se préparaient gentiment pour la
fameuse demi-finale au goût d’une finale, et que touyouss el-foot, les boucs du football,
les hooligans made in Lebanon, frottaient
leurs têtes et affûtaient leurs cornes contre les murs réels et virtuels pour le match de l’après-match,
Gebran Bassil a décidé de s’envoler en
début de semaine, comme par hasard, pour une visite officielle au Brésil afin de « rencontrer la diaspora libanaise et
renforcer les relations entre le Liban et le Brésil... », blablabla,
patati patata, etcétéra. De sources douteuses qui ont toutes les raisons de garder
l’anonymat, on a cru comprendre que dans l’avion, le gendre de Michel Aoun aurait
appris par ses conseillers qu’en ce moment se déroule la Coupe du monde de
football au Brésil. Incroyable comme le hasard fait bien les choses, une Coupe du monde c’est une fois tous
les quatre ans et Dieu sait où sera GB en 2018 ! Assistera-t-il à la
finale ce dimanche ? « Bien sûr, comment
peut-on être au Brésil au même moment et manquer ça ? », a lancé le
jeune ministre avant le décollage de son avion. C’est c’là oui !
Qu’on l’aime
ou qu’on ne l’aime pas, personne ne peut contester le dynamisme de Gebran
Bassil. Toujours est-il que les Libanais
en général, notamment ceux de l’étranger, moi en tête, attendent beaucoup plus de Gebran Bassil que de le voir photographier en transit avec Michel Platini, puis
3al waslé avec Christian
Karembeu, et se presser de publier ses photos sur Instagram (respectivement
2e et 6e photo de cette « visite officielle »
au Brésil !), sans oublier les hashtags de circonstances bien entendu
(#Brazil et #CoupeDuMonde). Depuis son arrivée, notre infatigable ministre des
Affaires étrangères multiplie les rencontres aussi bien avec les autorités
brésiliennes qu’avec la diaspora libanaise. Justement puisqu’on aborde le sujet,
cette diaspora attend son ministre,
entre autres, sur deux dossiers qui traînent dans les tiroirs de son ministère
depuis des lustres : le vote des expatriés libanais dans les ambassades libanaises
et l’acquisition de la nationalité libanaise par les descendants de Libanais,
deux « revendications chrétiennes » de très longue date. Si j’insiste
sur la référence communautaire, c’est justement parce que Gebran Bassil, ainsi
son beau-père, Michel Aoun, se présentent comme de grands défenseurs des « droits des chrétiens », 7o2ou2 el masi7iyé, et ils possèdent le plus important
bloc parlementaire chrétien depuis l’Indépendance.
Alors, voyons ce qu’il en est.
Dans ce but,
je vous propose d’analyser d’abord la campagne publicitaire intitulée « Elkheir la2edam » mise en place dans le cadre de l’initiative Live Lebanon et annoncée par Gebran
Bassil sur les réseaux sociaux au mois de juin dernier, il y a donc à peine
trois semaines. Cette campagne a été concoctée par l’UNDP (United Nations Development Programme), en collaboration avec
le ministère des Affaires étrangères
et des Émigrés et en partenariat avec la chaîne Al-Jadeed. Le but est, d’après le ministre himself, de « sensibiliser l’opinion publique sur
le rôle important que les Libanais au Liban et à l'étranger peuvent jouer dans
le développement de leur pays ». Tach
cha3er badano la bakhos wlo, lui qui ne fait que ça depuis des années. Le
concept est de décliner l’idée suivante sur treize affiches : la photo d’une
personnalité libanaise et un décompte de l’immigration libanaise pour un pays
ou une région du globe. Il existe même une version vidéo. Tout aurait pu se
passer dans le meilleur des mondes, mais hélas, cette campagne est ratée.
Zappons sur
le fait qu’elle a été invisible (la preuve par Google), qu’aucune
des personnalités libanaises choisies ne vit à l’étranger, que le sex ratio est
de 8/5, qu’on a pris des journalistes colorés politiquement et que les affiches
ne soient pas signées. Le principal problème de cette campagne réside dans le texte qui accompagne les portraits. Il est
à la fois mensonger et choquant. Tenez, on apprend dans cette campagne par
exemple qu’il y a « 7 000 000
de Libanais au Brésil ». Désolé, mais il s’agit d’une allégation
mensongère car elle confond, et ce n’est pas du tout nouveau -la confusion date
de l’époque du départ d’Elissa, la princesse phénicienne, de Tyr à Carthage- la
notion de « libanais », un terme qui désigne les citoyens qui possèdent
la nationalité libanaise, avec celle « d’origine libanaise », une locution
qui désigne des citoyens étrangers qui ne détiennent pas la nationalité
libanaise mais qui ont des ascendants qui la détenaient. Nuance et de taille. Non monsieur le Ministre, il n’y a pas « 7 000 000 de Libanais au
Brésil » comme le prétend cette campagne publicitaire à laquelle
vous avez collaboré, et c’est inexact de
répéter sans cesse que « le nombre de Libanais au Brésil est
le double de celui au Liban »
comme vous l’avez dit avant votre départ du Liban, à votre arrivée en
Amérique latine et dans un tweet du 9
juillet. Ce chiffre et votre allégation englobent les Libanais vivant au
Brésil, les Libano-Brésiliens, et les Brésiliens dont les ancêtres sont
Libanais mais qui ne sont pas eux-mêmes Libanais. Si une telle confusion est tolérée
au niveau populaire, elle n’a pas du tout sa place dans les hautes sphères de
l’État libanais, des médias libanais et de l’ONU. La précision et la rigueur sont essentiels aussi bien en politique qu’au
football, comme vous le verrez cet après-midi au stade Maracanã à Rio de Janeiro avec la performance de la
Deutsche Fußballnationalmannschaft.
Le pire, c’est la suite. Toutes les
affiches de cette campagne reprennent le même leitmotiv : il y a tant de
Libanais dans ce pays, « woul kheir la2eddém ». Wlak
aya kheir ? Non mais, que faut-il comprendre par « Et ce n’est pas fini » ou « Le meilleur est à venir » ? Plus d’émigration par
exemple ? Mais bordel, quel est donc ce
message vasouillard inconsistant de cette campagne publicitaire bâclée avec un
texte inapproprié utilisé dans un contexte aussi grave que l’hémorragie
migratoire qui affecte gravement le Liban depuis plus de 150 ans ? Et si
c’est de l’ironie, mais bordel depuis quand un ministère d’État sur cette
planète communique avec sarcasme ? Consternant.
Passons maintenant
au plat de résistance. Le ministre des Affaires étrangères et les responsables
de l’UNDP et de New TV devraient savoir que le nombre de Libanais qui résident à l’étranger ne dépasserait pas en
réalité le tiers de ceux qui vivent au Liban. Il se situe entre 1 250 000
à 1 500 000 personnes, moins de 10 % du chiffre mythique mis en
circulation par de nombreux compatriotes dont le ministre des Affaires
étrangères et des Émigrés lui-même. Désolé
d’avoir à contredire Gebran Bassil encore une fois, mais c’est archifaux
d’affirmer comme il l’a fait deux jours avant son départ pour le Brésil, « qu’il y a plus de 15 millions de
ressortissants libanais résidant à l'étranger ». Impossible, même en comptabilisant
toutes les personnalités schizophréniques fi
loubnann wal mahjarr. A supposer que ce chiffre soit fondé, il y aurait donc en théorie plus d'une
douzaine de millions de personnes « d’origine libanaise » dans le
monde, dont une partie pourrait être intéressée par la « récupération de la
nationalité libanaise », esti3adat el
jensiyé el lebnéniyé (c’est
le terme communément utilisé). Wa houna
beito el 2asid. Inutile de vous dire que c’est un énorme dossier pour tous
les locataires du palais Bustros, qui a toujours divisé les Libanais, pour des
raisons confessionnelles et démographiques. L’immigration libanaise date essentiellement de la deuxième moitié du 19e siècle. Elle a connu plusieurs vagues successives suite aux
massacres de 1840-1860 (qui ont visé massivement les communautés chrétiennes du
Levant, notamment maronite ; les estimations font état de 15 000
morts au Liban et 5 000 morts en Syrie), aux persécutions ottomanes des
communautés chrétiennes, aux deux guerres mondiales, à la famine de la Première
guerre mondiale (à cause de la guerre, d’une invasion de sauterelles et de la
confiscation des récoltes par les autorités ottomanes ; bilan autour de 150 000
morts), aux difficultés économiques, à la guerre civile, aux guerres
libanaises, etc. Pendant longtemps, l’immigration libanaise était essentiellement chrétienne, notamment
maronite. Aujourd’hui, elle toucherait à parts pratiquement égales, toutes les
communautés libanaises, les chrétiens de toutes confessions, mais aussi les sunnites, ainsi que les druzes et les chiites.
En théorie,
il n’y a aucune urgence à légiférer sur cette question. Mais, pas en
pratique. Le ministre des Affaires
étrangères et des Émigrés doit s’atteler au chantier de la récupération de la
nationalité libanaise par les personnes d’origine libanaise au plus vite. Dans
un premier temps, il faut préparer un projet de loi dans ce sens et le
faire adopter par le Parlement où le groupe politique de Michel Aoun détient
1/5e des voix. Dans un second temps, il conviendra de recenser et d’informer
les descendants libanais de la possibilité qui leur est offerte d’acquérir la
nationalité de leurs ancêtres sans trop de tracas administratifs et de
conditions rédhibitoires. Un tel projet
de loi doit redonner au droit du sang (acquisition par une personne de la
nationalité libanaise de ses parents indépendamment de son lieu de naissance ou
de résidence) la primauté sur le droit
du sol (acquisition par une personne vivant au Liban de la nationalité
libanaise indépendamment de la nationalité de ses parents). Un pays de 4,2 millions d’habitants comme
le Liban où résident pour un temps indéterminé, pour ne pas dire définitif
pour certains, 1 250 000 Syriens réfugiés enregistrés auprès du HCR, 800 000
Syriens non enregistrés auprès du HCR, 700 000 Palestiniens réfugiés du Liban
et de Syrie, 500 000 travailleurs étrangers, où les esprits des Libanais sont
communautaires, et qui a autant de contentieux historiques avec les
Palestiniens et les Syriens, eh bien, ce pays ne peut tout simplement pas s’offrir le luxe humaniste et universaliste
de privilégier le « droit du sol » au détriment du « droit du sang ». En
1994, des demandes de « récupération de la nationalité libanaise » par des
personnes d’origine libanaise mais n’ayant pas de résidence au Liban, ont été
rejetés tout simplement parce que les demandeurs ne résidaient pas au Liban,
alors que des résidents Syriens et Palestiniens ont été naturalisés. Oui mais nous
sommes 7 000 000 de Libanais au Brésil, ma
heik ? Pathétique.
Il reste donc à savoir est-ce
Gebran Bassil sera capable de demander la suppression de cette obligation de
résider au Liban pour les personnes d’origine libanaise pour qu’elles puissent
récupérer la nationalité de leurs ascendants, une
condition à laquelle tiennent les cercles proches de son allié, le
Hezbollah ? En tout cas, comme
Michel Aoun et Gebran Bassil défendent les soi-disant « droits des chrétiens » et nous mettent en garde depuis plus de
deux ans sur le danger de l’implantation des Palestiniens et des Syriens au Liban,
ils devraient, en toute logique, présenter au Parlement un projet de loi qui
privilégie jusqu’à nouvel ordre, le droit du sang au détriment du droit du sol.
Il n'y a rien à l'horizon pour l'instant.
Quant à l’autre
grand dossier qui traîne sur le bureau de Gebran
Bassil, sachez que l’actuel ministre des Affaires étrangères et des Émigrés
est à ce jour, opposé au vote des expatriés libanais dans les
ambassades du Liban à l’étranger selon leurs lieux d’état civil, 7asab séjill el noufouss. Eh na3am ! Il est pour la création d’une
circonscription réservée aux Libanais de l’étranger. Je regrette là aussi,
mais ce n’est surement pas de la sorte qu’on peut « renforcer les relations de la diaspora libanaise avec la
mère-patrie ». Alors quoi, les Libanais de l’étranger seraient trop déconnectés
des problèmes du Liban pour participer aux élections législatives comme les
Libanais du pays du Cèdre ? Enno
chou, Bakhos Baalbaki par exemple, n’est pas au courant des problèmes
politiques, sociologiques et écologiques du Liban ? Non mais, quoi
encore ! Comment Gebran Bassil peut-il trouver plus logique qu’un même député
représente à la fois les Libanais du Brésil et ceux d’Argentine, ceux d’Algérie
et d’Afrique du Sud, ceux de France et de la Pologne, ceux du Canada et de
Cuba, ainsi que ceux de la Turquie et d’Australie ? Foutaises.
L’explication
est évidemment ailleurs. Elle relève d’un autre domaine que celui de la
logique. Cette opposition contre la participation des expatriés libanais aux
élections législatives selon les lieux d’état civil, trouve sa motivation au
niveau politique : celle d’empêcher
les voix des compatriotes qui ne sont pas à la portée des intimidations locales,
que l’on observe lors des législatives dans les régions contrôlées par le
Hezbollah, notamment au Sud-Liban, et à
l’abri des propagandes médiatiques, comme c’est le cas avec certains médias
libanais, de peser sur le résultat du vote. L’attachement des Libanais du monde à leur pays, la logique
démocratique d’une bonne représentativité et la situation communautaire des
esprits au Liban, exigent que les Libanais de l’étranger puissent voter dans
les ambassades des pays où ils résident et selon la circonscription où se trouve
leur état civil. Pour l’instant, ce vote n’est pas garanti.
Il est donc préférable que
Gebran Bassil œuvre pour rendre le vote des expatriés libanais possible à l’étranger
et selon les circonscriptions où se situe leurs états civils et faciliter la
récupération de la nationalité libanaise par les personnes d’origine libanaise,
au lieu de s’enorgueillir faussement de la formidable dispersion de « plus de 15 millions de ressortissants
libanais à l’étranger ».
À part ça, bonne
finale ma3alé el wazir.