dimanche 22 mars 2015

Pour vaincre Daech et al-Qaeda, rendez-vous en Tunisie au musée du Bardo, afin de rendre hommage aux Printemps arabes et écouter la sagesse de ce Phénicien de Carthage (Art.278)


Comment ne pas se sentir concerné par ce nouvel acte terroriste odieux ? Et à plusieurs égards.

D’abord, sur le plan humaniste. Tuer 21 hommes et femmes gratuitement, à leur descente d’un autocar, et pourchasser les survivants désarmés, c’est lâche et ignoble. Ça l’est d’autant plus que les psychopathes savaient qu’en mitraillant les visiteurs du musée national de Tunisie à la kalachnikov, ils tueraient un maximum de ressortissants occidentaux, ces « mécréants » comme ils les appellent étaient de dix nationalités différentes, , et qu’importe si dans la foulée, des Tunisiens « impies » seraient sacrifiés. En tout cas, malgré les ratés sécuritaires, on a évité un carnage grâce à l'intervention des forces de l'ordre qui ont abattu rapidement les terroristes : 300 visiteurs se trouvaient dans le musée au moment du drame et l'un des terroristes portait une ceinture explosive.

Ensuite, sur le plan historique. Beaucoup de liens lient les Tunisiens aux Libanais. Primo, la cohabitation religieuse. Dans ce pays musulman à 98 %, la liberté de culte est assurée depuis au moins la fin du 19e siècle, comme en témoignent les magnifiques cathédrales Saint-Vincent-de-Paul à Tunis et Saint-Louis à Carthage. Secundo, l’appartenance arabe. Et de ce fait, la Tunisie a plus d’une fois joué un rôle durant la guerre civile libanaise (accueil de Yasser Arafat à son expulsion de Beyrouth en 1982, négociations d’une sortie de crise avec Michel Aoun en 1989). Tertio, l'ascendance phénicienne, qui mérite une parenthèse. Tous les petits tunisiens et libanais ont été bercés par l’histoire extraordinaire de la reine Elissa. Il y a de quoi ! Nous sommes à Tyr, Sour de l'actuel Liban, en l’an 814 avant JC. Avide de richesse, le roi de la cité phénicienne, Pygmalion, fait exécuter le mari de sa sœur Elissa. Afin d’éviter une confrontation fratricide, la princesse phénicienne décide alors de prendre la mer avec ceux qui lui étaient fidèles. Arrivée sur les côtes africaines de l’actuelle Tunisie, elle passe un accord avec le seigneur local, qui accepte de lui accorder autant de terres qu’une peau de bœuf pouvait bien couvrir. Mais c’était sans compter sur l’intelligence de Didon, le surnom gréco-romain de la « femme courageuse ». Elissa fait découper la peau de bœuf en très fines lanières, les met bout à bout, délimite une péninsule et fonde la légendaire Carthage, une grande puissance économique et militaire qui a failli écraser Rome quelques siècles plus tard et changer le cours de l’histoire. Restée fidèle à son défunt époux, elle refuse de se marier à un des roitelets de la région et s’immole sur un bûcher dresser pour les mânes phéniciennes.

2 825 ans plus tard, un descendant d’Elissa s’immolera lui aussi par le feu, sans se douter un seul instant qu’il marquera l’histoire contemporaine de la Tunisie. C’est enfin, le plan géopolitique. Nul doute que le lieu de l’attaque terroriste de mercredi a été minutieusement choisi par les terroristes. Outre le fait qu’il abritait beaucoup d’Occidentaux, ces « croisés » comme le dira Daech dans sa revendication, les terroristes souhaitaient porter un coup dur à la Tunisie en général et un coup fatal au Bardo en particulier, un musée qui se situe dans les bâtiments qui abritent également la Chambre des députés tunisiens. Mais pourquoi donc ?

Flash-back. Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes à Sidi Bouzid s’immole par le feu après la confiscation de sa marchandise par les autorités. Choqué par ce geste désespéré très symptomatique d’un certain malaise, le peuple tunisien décide alors de se soulever contre l’ordre établi et les injustices. Des manifestations, des grèves et des émeutes se succéderont pendant plusieurs mois, pour protester contre la répression policière, les mesures liberticides, les inégalités sociales, le chômage, la corruption, l’organisation mafieuse des Ben Ali et des Trabelsi (épouse de Zine el-Abedine), les disparités de développement des régions, etc. Le pouvoir de Ben Ali finit par vaciller. Le président tunisien ne tardera pas d’ailleurs à fuir vers l’Arabie saoudite. Le parti au pouvoir est dissout, les symboles du clan Ben Ali-Trabelsi et leurs proches sont arrêtés et poursuivis en justice. Leurs avoirs sont gelés et leurs biens confisqués. Le régime s’effondrera progressivement, après 24 ans d’un règne despotique. Des réformes constitutionnelles sont engagées, les lois antidémocratiques sont abolies, le pouvoir est purgé des piliers du clan Ben Ali-Trabelsi, la sûreté de l'Etat et de la police politique est dissoute. Tout un symbole, l’ancien président tunisien sera condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité. Voici le Printemps arabe dans toute sa splendeur.

La Révolution de Jasmin est porteuse de beaucoup d’espoir, je parle au présent puisque c’est une certitude et le processus est loin d’être terminé, comme le prouve l’attaque terroriste du 18 mars. C’est ce qui a poussé l’historien français, Jean Tulard, en ce début d’année 2011, a parlé de « l'an 1789 de la Révolution tunisienne ». Certes, tout est loin d’être rose aujourd’hui en Tunisie. Mais, rappelons aux mauvaises langues, que cette révolution n’a que 4 ans. En 1793, la France était plongée dans la Terreur, la guillotine marchait à plein régime, la place de la Révolution était infecte, les pavés de la Concorde de nos jours étaient livrés la nuit aux chiens errants qui venaient lécher le sang des 17 000 Français décapités par les révolutionnaires des Lumières. Cette comparaison était donc justifiée. Il n’empêche que ce spécialiste des révolutions a quand même zappé un grand détail. La révolution tunisienne n’a comporté ni volet religieux ni volet féodal, contrairement à la révolution de 1789 en France qui était dirigée autant contre les autorités royales que contre l’Eglise catholique et les seigneurs. 

Et puisqu’on y est, sachez que certains Libanais avancent que le « Printemps arabe » n’a pas commencé à Tunis mais à Beyrouth, avec la Révolution du Cèdre, le 14 mars 2005. Là aussi, l’hypothèse est peut-être justifiée mais pas complètement. Notre révolution n’a jamais comporté, elle non plus, des volets religieux ou féodal, contrairement à la Révolution française, mais surtout, un volet social, contrairement à la Révolution tunisienne. La preuve, rendez-vous ce lundi à 17h pour le sit-in devant le musée national de Beyrouth, on constatera qu’en dehors des gens concernés, le monde médiatique, politique et intellectuel libanais, se sent peu concerné par les deux grands dossiers sociaux du moment, la nouvelle grille des salaires (le SMIC libanais est à 450 $/mois, alors qu’un abonnement électrique privé est de 150 $/mois) et la libéralisation des loyers anciens (800 000 personnes verront leur loyer augmenter de près de 1 000 $/mois d’ici 5 ans). Quand on voit tout ce que les Tunisiens ont fait au cours de leur révolution, à tous les niveaux, il est évident que l’usage du mot « révolution » dans le contexte libanais est inapproprié. Samir Kassir parlait de « soulèvement » et il avait bien raison. D’un autre côté, l’usage de mot « jasmin », symbole de la Tunisie, pour désigner une révolution qui a fait 338 morts est tout aussi inapproprié.

Toujours est-il que la Révolution tunisienne fut le premier bourgeon du fameux « Printemps arabe », qui fait encore couler beaucoup d’encre et de sang. En ces moments de doute que nous vivons, à cause de l’extrémisme en tout genre et des atrocités qui ravagent le Moyen-Orient, il n’est pas superflu de rappeler aux sceptiques, Kamel Daoud en tête, le chouchou arabe des médias occidentaux, que nous entrons à peine dans la 5e année des « Printemps arabes », le pluriel s’impose face à la diversité des révolutions arabes, une nuance que l’écrivain algérien n’a pas bien saisi dans son fameux article il y a quelques mois. Encore une fois, en 1794 la France était plongée dans la Terreur de la Révolution française, une période qui ne prendra fin qu’avec l’exécution de Robespierre, où en moins de deux ans, 100 000 Français seront exécutés et victimes de massacres, et 500 000 emprisonnés, sachant que la France de l’époque ne comptait que 28 600 000 personnes. Toujours est-il que l’onde de choc de la « Révolution tunisienne » de 2011, se propagera ultérieurement vers l’Egypte, la Libye et la Syrie. Hélas, elle se mua en guerres civiles dans les deux derniers pays. Il n’empêche que le principal bénéfice du Printemps arabe tunisien c’est d’avoir introduit le pays et le monde arabe tout entier, dans l’ère démocratique post-coloniale. Même l'Arabie saoudite a procédé à quelques réformes sous la pression du vent démocratique déclenché par les Printemps arabes. Malgré l'interminable tragédie que vit la Syrie, cette voie est irréversible car l’histoire ne revient pas en arrière. Hélas, on ne peut pas aller plus vite que la musique. Les révolutions s’écrivent d’abord avec du sang, et ensuite, avec de l’encre.

On sait peu de choses sur les terroristes du Bardo, à part qu’ils se seraient entraînés en Libye. Merci donc à Sarkozy, Cameron & BHL, c’est grâce à leur intervention irréfléchie, que ce pays a basculé dans le chaos islamique. La revendication par l’organisation « Etat islamique » de l’attaque du musée du Bardo à Tunis est plausible, mais un doute l’entoure. Comme par hasard, celle-ci n’a été diffusée par les psychopathes de Raqqa qu’après l’identification des terroristes par le Premier ministre tunisien, Habib Essid. Le doute se confirme davantage avec la revendication beaucoup plus sérieuse de l’attaque du Bardo par un groupe lié à l’AQMI, la succursale d’al-Qaeda au « Maghreb islamique ». Dans un long texte cynique, accompagné de photos des psychopathes, le groupe d'al-Qaeda décrit en détail le parcours des deux terroristes le jour du massacre et ne se gêne pas pour se moquer des « mécréants » tunisiens attristés par la mort des touristes occidentaux. Rien ne permet de trancher pour l’instant. Mais, il existe des pistes et quelques certitudes : Daech et al-Qaeda sont présentes toutes les deux non seulement en Libye, mais aussi en Irak et en Syrie ; les deux organisations terroristes sont en compétition pour le leadership de la lutte djihadiste contre l’Occident croisé et l’Orient corrompu ; la première a l’ambition de créer un Etat viable, la seconde à renverser les régimes arabes ; les deux s’opposent à l’ingérence chiite iranienne dans les affaires sunnites arabes et à l’hégémonie de l’Iran en Irak, en Syrie, au Yémen et au Liban

A partir de là, toutes les options sont ouvertes et tourneront désormais autour de la surenchère terroriste. Les attaques de Tunis mercredis et de Sanaa vendredi s’inscrivent dans cette logique. Etant en compétition, sur le même terrain, avec deux stratégies divergentes, il est clair que Daech et al-Qaeda finiront par se déclarer une guerre ouverte par groupes interposés. En attendant, une telle attaque de la part de Daech ou d’al-Qaeda à Tunis, viserait à hypothéquer le plus prometteur des Printemps arabes, en frappant ce pays là où ça lui ferait le plus mal, le secteur touristique.

Les terroristes peuvent aussi faire partie des islamistes affiliés à Ennahda (la Renaissance), même si cette hypothèse parait peu probable. Petit rappel. Fondé en 1981, ce parti islamiste de Tunisie fut interdit pendant le règne de Ben Ali. Il n’a obtenu un droit de cité que grâce à la Révolution tunisienne en mars 2011. Aux premières élections de l’Assemblée constituante de novembre 2011, les premières élections libres depuis l’Indépendance en 1956, Ennahda concentre sa campagne sur le thème de l’islam dans la vie publique (qui était assez contrôlé sous Ben-Ali) et réalise un raz-de-marée en emportant la majorité relative, avec 89 sièges sur les 217 pourvus, contrôlant de ce fait, la Présidence de l’Assemblée et le Conseil des ministres. Lors des élections suivantes, en octobre 2014, le parti islamiste reçoit une belle claque en perdant 20 sièges, en 3 ans de règne, au profit d’un parti laïc, Nidaa Tounes (Appel de Tunis), qui rafle 86 sièges sur 217, et remporte la présidence de la République deux mois plus tard. Ce jour-là, j’étais l’homme le plus heureux, non seulement pour la Tunisie, mais aussi parce que ces résultats sont venus soutenir ma thèse élaborée en observant le Printemps arabe égyptien et que j’ai résumée dans ce titre un jour : « Leçon d’Egypte : la meilleure façon d’affaiblir les islamistes reste la démocratie et non la dictature. L’illusion islamiste », une autre leçon qui a échappé à Kamel Daoud et un autre bénéfice des Printemps arabes que les sceptiques ne veulent pas voir. En tout cas, ce qui accrédite la thèse de l’implication d’Ennahda dans l’attaque du Bardo, ce sont deux faits. Le parti islamiste est soupçonné déjà dans deux assassinats d’hommes politiques survenus en 2013 et l’un des terroristes abattus serait un militant du parti.

L’attaque du Bardo peut aussi avoir été commanditée par les Ben Ali et les Trabelsi. Biya3emlouwa wou beya3emlo rabba ! Il est assez difficile d’imaginer les pertes subies par ce clan mafieux à cause du Printemps tunisien. Pour vous donner une idée, sachez qu’on estime que le clan Ben Ali-Trabelsi a détourné en 24 ans de règne jusqu’à 50 milliards de dollars. La fortune personnelle du despote déchu s’élèverait à 5 milliards de dollars selon le magazine Forbes. La Banque mondiale estime que ce clan soutirait plus de 21% des bénéfices réalisés par le secteur privé en Tunisie via un réseau d'entreprises placées sous son contrôle direct. Les lois étaient façonnées selon les intérêts des 19 frères et sœurs du couple présidentiel et de leurs descendances. Et dire que certains osent encore être sceptiques sur le Printemps arabe ! En tout cas, avec ce pactole, dont une grande partie n’a toujours pas été restituée au peuple tunisien, et un tel préjudice, il n’est pas difficile de trouver quelques racailles pour mener une attaque terroriste d’envergure et frapper la Tunisie démocratique et faire payer ceux qui ont mis fin à ce système mafieux.

D’autres éléments pèsent sur « l’Etat islamique ». A commencer par le fait que la Tunisie est le premier exportateur de djihadistes étrangers vers la Syrie. On les estime à près de 3 000 individus, dont 500 seraient rentrés au bercail. Il y a aussi l’autre actualité infâme, les explosions survenues vendredi dans deux mosquées chiites de Sanaa au Yémen, qui ont fait 142 morts. Elles ont été revendiquées aussitôt par Daech. Si les revendications par cette dernière des attaques de Tunis et de Sanaa sont authentifiées, on peut dire que la bête blessée grièvement en Irak et en Syrie, d’une part, par les frappes aériennes de la coalition arabo-occidentale et d’autre part, par les interventions terrestres de l'armée irakienne, des milices sunnites et chiites et de l’Iran, cherche par tous les moyens à terroriser ses ennemis, pour les dissuader de poursuivre le plan d’anéantissement de Daech, qui est mis en œuvre depuis août 2014 par les pays arabes et occidentaux, et à remonter le moral de ses troupes, en leur faisant croire que Daech garde l'initiative et possède elle aussi la capacité de frapper ses ennemis chez eux. Les revers de l’EI y seraient pour beaucoup dans ces attaques terroristes transnationales tous azimuts. Kobané (Syrie) a été libérée,  Tikrit (Irak) est sur le point de tomber. Deux attaques d’envergure sont programmées pour ce printemps : à grande échelle, la reprise de la ville de Mossoul (Irak) et à petite échelle, le nettoyage de jurd Ersal (Liban). Et même les troupes de Bachar el-Assad commencent à attaquer les djihadistes sérieusement. Jamais « l’Etat islamique » dans sa courte existence, n’a été autant menacé.

Que les victimes de Tunis reposent en paix et que les terroristes aillent au diable. La Terre continuera de tourner, la lune éclipsera de nouveau le soleil et le Bardo ouvrira mardi à 9h30. Ce musée est d’une richesse exceptionnelle. Il abrite une partie de ce que toutes ces prestigieuses civilisations méditerranéennes nous ont légués, des chefs-d’œuvre phéniciens, romains, grecs, ottomans, chrétiens et islamiques, de quoi donner les pires cauchemars aux djihadistes de tout poil. Si d’aventure vous vous y rendez, je vous conseille de vous arrêter longuement devant ma pièce favorite, ce masque grimaçant d'un Phénicien de Carthage, au sourire narquois vieux de 2 500 ans. Sapristi, il ne lui manque plus que la parole, comme au dit dans nos contrées ! A propos, il parait que c’est un témoin clé de l’enquête. On raconte que depuis l’attaque du musée, on l’entend murmurer aux oreilles de ceux qui l’approchent : « Wlak tozz 3a daech wou3al qa3ida. La racaille disparaîtra et les civilisations resteront »


Post-Scriptum

Le musée du Bardo est considéré comme l’un des plus importants musées du bassin méditerranéen. Il abrite quatre chefs-d’œuvre :


Le sarcophage des trois Grâces, qui provient de Oued Rmel, date du début du IIIe siècle. Il représente Les trois Grâces, ces déesses romaines qui personnifient la beauté, la séduction et la fécondité. On les retrouve nues et enlacées. Elles sont entourées par des figures masculines, nues elles aussi, qui représentent les saisons. « L’idée sous-jacente est la résurrection et la survie » (Wikipédia).



C’est une grande mosaïque qui date de la fin du IVe siècle et qui fait 565 cm sur 450 cm. Elle provient du site archéologique de Carthage. « Elle représente un grand domaine au milieu duquel se dresse une villa entourée de scènes réparties sur trois registres, évoquant à la fois les activités du domaine agricole aux différentes saisons et celles des propriétaires des lieux. » (Wikipédia)


Selon l’historien Christian Courtois, il s’agit de « l’un des plus beaux ensembles de mosaïques chrétiennes... du monde romain ». Il a été découvert dans les ruines d’une basilique qui se trouve aujourd’hui à Demna (une cinquantaine de kilomètres de Tunis). Il date du VIe siècle et mesure 330 cm de côté. La cuve est en forme de croix grecque. Sur son bord il est inscrit : « En l’honneur du saint et bienheureux évêque Cyprien, chef de notre église catholique, avec le saint Adelphius, prêtre de cette église de l’unité, Aquinius et Juliana son épouse, ainsi que leurs enfants, Villa et Deogratias, ont posé cette mosaïque destinée à l’eau éternelle » (Wikipédia). Au passage, notez qu’on a là, une preuve qu’au début du christianisme, le sacerdoce n’empêchait pas les clercs d'être marié, comme dans certaines Eglises orientales, notamment maronite.


Le Bardo n’est pas le seul musée au monde qui conserve des feuillets de ce Coran exceptionnel du IXe siècle, de grand format (41 cm sur 31 cm), composé de sept volumes. On pense qu’il a été commandé soit par les Fatimides, soit par le calife abbasside al-Ma’moun, pour le mausolée de son père, le grand Haroun el-Rachid. « Le texte est rédigé en calligraphie coufique... le bleu symbolise le ciel et le doré la lumière diffusée par la parole divine. Cette palette inhabituelle peut avoir été inspirée par les codex impériaux byzantins » (Wikipédia).

mardi 17 mars 2015

John Kerry : « Nous devons négocier (avec Bachar el-Assad) ». Saperlipopette, qu’y a-t-il de choquant ? (Art.277)


Désormais, nul ne peut ignorer l’album de César. Encore moins John Kerry. En parvenant à exposer ses photographies dans les locaux des Nations Unies en ce mois de mars 2015, le mystérieux syrien qui a travaillé pour la police militaire du régime alaouite jusqu’en 2013, a réussi à faire connaitre urbi et orbi, à New York et au monde, la malédiction de Bachar el-Assad. Oubliez qui a raison ou qui a tort dans la guerre civile qui ravage la Syrie. Oubliez aussi qui a commencé et qui a mis de l’huile sur le feu. Oubliez également les erreurs des uns et des autres, n’oubliez pas les autres svp !, la dissection de la gorge du chanteur Ibrahim Kachouch, l’écrasement des doigts d’Ali Farzat, la répression sanglante, la militarisation du conflit, la généralisation des affrontements, les exécutions sommaires, les décapitations, les immolations, les barils de TNT, j’en passe et des meilleures. A la vue des clichés atroces de César, concernant une trentaine de Syriens, extraits d’une série de 55 000 photographies qui montrent des corps mutilés, affamés et torturés, d’hommes, de femmes et d’enfants, et au visionnage des vidéos de propagande de « l’Etat islamique », on est sûrs que si les divinités maléfiques devaient s’incarner en un homme, elles prendraient Bachar el-Assad pour corps et Daech pour âme.

Ce n’est pas nécessaire de s’étendre sur l’état de démence et la dégénérescence cérébrale avancée de la racaille de Daech. Ce point fait l’unanimité ou presque. Outre sa responsabilité dans la dévastation de son pays et le déplacement de la moitié de ses habitants (dont 1,5 million vers le Liban), ainsi que la mort de 215 000 personnes et la baisse de l’espérance de vie des Syriens de 20 ans, le dernier tyran des Assad ne pourra jamais échapper à deux actes abominables qu’il a commis, et qui lui vaudraient un jour des poursuites judiciaires : le massacre chimique de Ghouta (1 400 morts en quelques minutes) et l’album de César (l’industrialisation de la torture). Mais alors, dans ce contexte, saperlipopette (un juron délicieux !), qu’est-ce qui a bien pu pousser un homme de l’envergure de John Kerry à dire ce qu’il a dit ? Minute, mais au fait, qu’est-ce qu’il a dit au juste ?

Invité par la chaine CBS dimanche dernier, le Secrétaire d’Etat américain a déclaré au sujet de la Syrie, qu’au final, « nous devons négocier ». Les pro-Assad étaient fous de joie, les anti-Obama, fous de rage, les médias le répétaient en boucle et les think-tanké ressassaient comme des perroquets, « tanké » pas « tanker », comme ça se prononce en libanais : John Kerry veut négocier avec Bachar el-Assad ! Les premiers ne savaient plus quoi faire pour cacher leur satisfaction, les seconds voyaient là, une preuve de plus que Barack Obama est le pire président des Etats-Unis, regrettant amèrement le règne de W. et les autres se démenaient pour expliquer ce nouveau revirement des Etats-Unis. Je veux bien croire tout ce beau monde, si les uns et les autres n’ont pas zappé ce qui a précédé et ce qui a succédé à ces trois mots. « Pourquoi? Parce que tout le monde convient qu'il n'y a pas de solution militaire. Il y a seulement une solution politique (...) Nous avons toujours été pour les négociations dans le cadre du processus de paix de Genève ». Ah, donc John Kerry n’était pas aussi simpliste que tout ce beau monde voudrait le faire croire. On a déjà là un début d’explication.

Tout ce beau monde sait, enfin les sensés, aujourd’hui plus que jamais, que la solution à la guerre en Syrie est politique et non militaire. La lourde responsabilité de Bachar el-Assad dans le désastre syrien n’est pas un sujet de débat comme le laisse supposer mon introduction. Bachar et Asma auraient pu finir leur vie à lécher les vitrines à Londres ou sur un yacht de la Côte d’Azur. Ils ont choisi d’être jugés morts ou vifs, tôt ou tard. Inutile de développer. Mais, soyons honnêtes et réalistes, on ne peut pas sérieusement reprocher aux Occidentaux de ne pas être intervenus en Syrie durant les quatre dernières années, si on tient compte de tout ce que cela aurait impliqué. Pas seulement en termes de coûts humains et financiers, mais aussi sur le plan de la sécurité globale de la région du Moyen-Orient, découlant par exemple de la distribution de l’arsenal conventionnel et chimique du régime syrien à tous les protagonistes en Syrie et au Liban (la politique de la terre brûlée) ou le transfert des armes occidentaux fraichement parachutées, des rebelles aux islamistes (comme en Libye). Les pays occidentaux ne pouvaient pas s’offrir le luxe d’intervenir directement, en venant encore une fois mourir au Moyen-Orient (à peine qu’ils s’étaient désengagés de l’Irak et de l’Afghanistan), ou indirectement, en rentrant dans un conflit armé ouvert avec l’axe Damas-Téhéran-Dahiyé-Moscou, indépendamment de la nouvelle menace djihadiste, alors que ce sont les rebelles syriens, qu’importe les circonstances, qui ont pris la décision fatale de militariser et de généraliser le conflit qui les oppose au régime alaouite, en bonne connaissance de cause, sachant que toutes les conséquences de cette guerre civile, et surtout la non-intervention de l’Occident, étaient parfaitement prévisibles depuis le premier jour, j’en ai parlé à maintes reprises.

Toujours est-il qu’il ne sert absolument à rien de palabrer sur le passé, sauf pour en tirer les bonnes leçons. La guerre en Syrie est actuellement dans une impasse. Elle peut s'éterniser comme au Soudan. La solution est donc plus que jamais politique. C’est le message de John Kerry dimanche. A le croire, le problème réside dans le fait qu’il y a un an à Genève, « Assad ne voulait pas négocier ». Et c’est lorsque la journaliste américaine lui a demandé s’il était lui-même disposé à discuter avec le chef du régime syrien, qu’il a répondu : « S'il est prêt à engager des négociations sérieuses sur la façon d'appliquer Genève 1, bien sûr. » Ah, les intentions de John Kerry se précisent donc. Mais, il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. John Kerry a même estimé « qu’une pression accrue (pourrait) amener le régime Assad à négocier (...) et modifier ses calculs ». L’expo de César dans les locaux de l’ONU est une forme de pression, l’aide militaire aux rebelles modérés en est une autre. Pour anticiper toutes les mauvaises langues qui font exprès de comprendre de travers, l’interview de John Kerry a été précédée trois jours avant, par une mise au point de la porte-parole du département d’Etat, Jen Psaki, qui est on ne peut plus claire : « Comme nous l'avons dit pendant longtemps, Assad doit partir et être remplacé à travers une transition politique négociée qui soit représentatif du peuple syrien ». Rien à faire, ils ne veulent pas comprendre. L’interview a même été suivie par une mise au pointe de la porte-parole adjointe du département d’Etat, Marie Harf, qui ne prête à aucune confusion : « la politique (des Etats-Unis) est la même et elle est claire : il n’y a pas d’avenir pour Assad en Syrie. Nous disons cela tout le temps (...) Par nécessité, il y a toujours un besoin d’avoir des représentants du régime d’Assad pour faire partie du processus (de négociation). Il n’a jamais été question et ne le sera jamais, qu’Assad négocie lui-même (...) Il n'y a pas d'avenir pour un dictateur brutal comme Assad en Syrie. Nous restons déterminés à poursuivre toutes les voies diplomatiques pour négocier une solution politique ». Comme vous le voyez, ça n'a rien à voir avec les aventures récentes des quatre zozos du Parlement français à Damas. Non mais, il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas lire.

En tout cas, il est utile quand même de rappeler aux amnésiques, offusqués par les déclarations de John Kerry, que des négociations ont déjà eu lieu à Genève, il y a seulement un an, entre les rebelles syriens (la Coalition nationale syrienne présidée par Ahmad Jarba) et des représentants du régime d’Assad. On était à 140 000 morts déjà. C’est ce qu’on appelle dans les chancelleries, « Genève 2 ». Elles n’ont pas abouti par la faute du régime syrien qui ne souhaitait pas engager des discussions sur une « période de transition » en Syrie. Il n’y a donc pas lieu de pousser des cris de vierges effarouchées quand on entend John Kerry dire que « nous devons négocier ».

Soulignons aussi que le Secrétaire d’Etat américain fait référence lui à « Genève 1 », qui désigne l’accord conclu le 30 juin 2012 entre les pays membres du groupe d’action sur la Syrie, qui rassemble entre autres, les Etats-Unis et la France. Cet accord a établi les « Principes et lignes directrices pour une transition conduite par les Syriens », qui prévoit selon un calendrier précis, pêle-mêle : l’arrêt définitif de la violence, la libération des prisonniers, le respect de la liberté de manifester, la libre-circulation des journalistes, la formation d’un gouvernement d’union nationale ayant les pleins pouvoirs exécutifs (qui devait inclure l’opposition et des membres du gouvernement en place, une composition déterminée par consentement mutuel), le désarmement des milices, la démobilisation des forces armées, des réformes constitutionnelles (qui seront soumis à l’approbation du peuple syrien), des élections multipartites, libres et équitables, et des mesures pour assurer la réconciliation nationale et favoriser le pardon.

A cette belle époque, si j’ose dire, on comptait près de 20 000 morts en Syrie et 25 000 réfugiés au Liban. Aujourd’hui nous sommes respectivement à 215 000 morts (10 fois plus) et 1 300 000 réfugiés (50 fois plus) ! Pour être justes, disons que si l’ophtalmo de Damas n’a pas vu de bon œil cet accord, à cause du principe de transition, l’opposition syrienne non plus n’a pas accueilli l’accord d’une manière si favorable, car il ne prévoyait pas le devenir de Bachar el-Assad. Hélas, on connait la suite. Les rebelles décident la militarisation accrue du conflit et la généralisation fatale des affrontements, et Bachar el-Assad, le recours aux armes de la racaille, les barils de TNT. Rappelez-vous, trois semaines après Genève 1 a eu lieu le fameux attentat de Damas contre un QG de sécurité du régime (18 juillet 2012), qui a soulevé tant d’enthousiasme chez tous les naïfs du Levant sur la chute imminente du régime alaouite. Personnellement, j’ai dénoncé cet attentat-suicide, comme j’ai dénoncé aussi la militarisation et la généralisation irresponsables du conflit syrien, comme j’ai prévu dès 2011 que la survie du régime d’Assad est encore assurée pour des années. J'aurais aimé avoir tort. Genève 1 a eu le mérite de constituer un pas intelligent pour mettre fin à la dévastation en marche de la Syrie. Dernier détail et non des moindres, l’accord a été conclu avec la Chine et la Russie. Certes, ces deux pays ont bloqué trois résolutions du Conseil de sécurité sur la Syrie, et de ce fait, ils portent une très lourde responsabilité dans la dévastation de la Syrie. Mais, qui pense qu’on peut parvenir à une solution en Syrie sans passer par la Russie, ferait mieux de décortiquer des crevettes que les événements au Moyen-Orient.

Je terminerai cet article par la déclaration du médiateur de l'ONU, Lakhdar Brahimi, prononcée à la suite de l’échec de Genève 2, le 15 février 2014. « Il est préférable que chaque partie rentre et réfléchisse à ses responsabilités ». Ce constat est toujours valide et il est valable pour tous ceux qui s’expriment sur la Syrie, qu’ils soient pro ou anti-Assad. Ce n’est pas rendre service au peuple syrien que de rester accrocher à la chimère de la solution militaire.