Tout passionné par l’histoire,
l’archéologie et l’Orient sait qu’il faut aller un jour à Berlin. Sur l’île aux Musées se trouve un lieu exceptionnel, le Pergamonmuseum.
Ce joyau dans son genre qui contient des édifices grecs impressionnants, dont le Grand autel de Pergame et la façade du marché de Milet (les deux sites se situent actuellement en Turquie), abrite dans
son département réservé au Proche-Orient, outre des corniches et des colonnades qui proviennent du temple de Jupiter de la mythique ville d'Héliopolis (Baalbek, Liban),
une des plus admirables créations humaines jamais réalisées, la Porte d’Ishtar. C'est un véritable chef-d’œuvre qui sort de la mythique Babylone, une ville antique qui se trouve de nos jours à une centaine de kilomètres au sud de Bagdad. L'énorme portail
faisait partie d’un ensemble de murailles construites par Nabuchodonosor II vers 580 avant JC, qui entouraient la ville et bordaient une Voie processionnelle de plusieurs centaines de mètres de longueur et une vingtaine de largeur dont une partie était réservée aux premiers trottoirs de l'Humanité. Comme le montrent les photos du début et de la fin de l'article, ces magnifiques murailles étaient revêtues de briques émaillées de divers coloris, dominées par un bleu envoutant,
ornées de centaines de lions, de taureaux
et de dragons-serpents. Les vantaux de
ces merveilles, qui comportaient huit portes au total, disparues depuis,
étaient fabriqués à partir de Cèdres du Liban. Je vous laisse imaginer la beauté des lieux ! L’entrée royale de Babylone était
donc dédiée à la « déesse Ishtar ». Rien que l’évocation de son nom
donnera les pires cauchemars à cette racaille dont les mains ont osé souiller
de leurs incultures d’autres chefs-d’œuvre antiques de pratiquement la même
époque. Elle était la déesse de l’amour et de la guerre, trois attributs susceptibles de
déclencher une triple frustration capable de dévorer leurs esprits archaïques.
C’est par la
porte d’Ishtar que le roi Nabuchodonosor II est probablement passé après la
conquête du Proche-Orient, et la chute de Tyr en l’an 573 avant JC, après 13
ans du siège de la ville, où les Phéniciens se sont montrés d’un héroïsme sans
égal. Pour souligner son intérêt pour la richesse forestière du Liban et la difficulté qu'il a eue à conquérir la Méditerranée orientale, le roi babylonien
laissa sur quatre sites au Liban, des inscriptions et des reliefs sculptés sur des parois rocheuses, dont ceux de Nahr el-Kalb (sur la rive droite du fleuve, au
pied du pont) et surtout ceux de la région de Hermel, assez bien conservés, où l'on retrouve les uniques représentations de ce bâtisseur charismatique qui nous soient parvenues, l'une combattant un lion, l'autre abattant un cèdre, l'inscription relatait la construction d'une voie d'acheminement des cèdres du Liban vers Babylone.
Le saccage du
musée de Mossoul comme on l’a vu sur la vidéo « Destruction des œuvres condamnables et exhortation au bien » diffusée le 26
février 2015 par les terroristes d’Abou-Bakr el-Baghdadi, est odieux. Détruire des œuvres artistiques qui ont
traversé des millénaires et des siècles de guerres et d’invasions, est d’une
stupidité inqualifiable. Les pertes sont inestimables. Elles concernent des
sculptures datant de la période romaine provenant de la ville arabe préislamique de Hatra (100 km
au SO de Mossoul; le site archéologique aurait été rasé par Daech le 7 mars 2015) et des pièces de l’époque assyrienne provenant de la ville de
Ninive (faubourgs du NE de Mossoul).
Qui coupe les têtes des hommes ne va
évidemment pas avoir des états d’âme pour décapiter des statues antiques ou
démolir un sanctuaire, même islamique ! Daech n’est ni à son première coup ni à
son dernier, ni même au plus spectaculaire ou au plus ignoble. Depuis l’été
dernier, après leur sinistre entrée à Mossoul, nous assistons à un nettoyage systématique de l’héritage
archéologique, culturel et religieux de l’Irak et de la Syrie dans ces
territoires contrôlés par la racaille djihadiste du soi-disant « Etat
islamique ». Les psychopathes ont recours aux masses, marteaux-piqueurs,
bulldozers, explosives et bombardements. Voici une liste des crimes culturels commis par Daech. Elle est hélas, loin
d’être exhaustive :
- La destruction du sanctuaire de Nabi Younès, situé à Ninive dans la banlieue
de Mossoul. Le prophète Jonas, comme
d’autres prophètes, est vénéré à la fois par les chrétiens, les juifs et les
musulmans sunnites et chiites. Contrairement à d’autres prophètes reconnus par
l’islam, il est mentionné explicitement dans le Coran. La 10e sourate porte même son nom. Le prophète de l’islam, Mahomet,
en a parlé directement, en prévenant ses disciples, « Ne dites pas que je suis meilleur que Younès ibn Matta ».
Sachez aussi que c’est sur ce site qu’on a découvert en 1852, une inscription
datant du 7e siècle avant JC où Sennachérib, le roi d’Assyrie, donne
de moult détails sur la construction de son nouveau palais à Ninive et où l’on
apprend que la toiture de ce dernier était composée de Cèdres du Liban.
- La
démolition du sanctuaire de Nabi Jérjis à Mossoul. On dit que le prophète Georges était un fidèle des disciples
de Jésus, le fils de Dieu pour les chrétiens, un prophète pour les musulmans, qui
serait venu prêcher dans la ville de Mossoul, la parole du Dieu monothéiste, de
Jésus et d’Elie. Jérjis sera torturé à plusieurs reprises par le roi de la
ville, puis jeté dans la fosse au lion. La légende dit aussi qu’il fut coupé en
deux, ce qui ne l’a pas empêché de ressusciter par la suite, et d’accomplir beaucoup
de miracles, avant de mourir découpé en morceaux. Bien que son histoire ressemble étrangement à celle des « premiers
martyrs chrétiens », le prophète Zarzis sera vénéré par les
musulmans, une vénération attestée depuis au moins le 12e siècle. Une mosquée sera édifiée autour de sa tombe. Le sanctuaire du prophète Georges fut même restauré en 1392 par Tamerlan,
l’empereur turco-mongol qui a pourtant exterminé 5 % de la population mondiale
de son époque. Et dire que cet édifice a finalement été détruit par la bande de
racaille de Daech 600 ans plus tard !
- La dévastation du sanctuaire de Nabi Sheet à Mossoul. Le prophète Seth est le 3e fils
d’Adam et Eve. Il est le frère d’Abel, qui n’a pas eu de descendances, et de
Caïn, dont la descendance a été exterminée par le déluge. De ce fait, Nabi
Sheet est donc à l’origine de l’humanité
à en croire ceux qui le vénèrent, qu’ils soient juifs, chrétiens ou
musulmans. Les Libanais pensent même que
cet illustre ancêtre est enterré sur leur terre dans un village de la Bekaa
qui porte aujourd’hui son nom.
- Le dynamitage de la tombe de Nabi Daniel à Mossoul. Selon la
légende biblique le prophète aurait vécu à Babylone. Le livre de la Bible qui
porte son nom, décrit des événements ayant eu lieu en Mésopotamie sous le règne
du roi Nabuchodonosor II, le commanditaire de la porte d'Ishtar. Comme beaucoup de prophètes, Daniel dispose de
plusieurs lieux éternels, dont celui de Mossoul. Pour la petite histoire,
sachez que Tamerlan, ce redoutable
chef de guerre musulman du Moyen-Age, dont la puissance militaire se basait
aussi sur la terreur que ses troupes faisaient régner sur les territoires
conquis (ce qui ne l’empêchait pas de se montrer un protecteur des arts, faisant
de Samarcande, l’une des plus prestigieuses villes du monde, classée aujourd'hui au patrimoine mondial de l'Unesco) a ramené la relique du prophète, de Suse
(Perse) à Samarcande (Ouzbékistan). On l’avait mise dans un cercueil qui fait
plusieurs mètres car on raconte que le corps de ce prophète vénéré dans le judaïsme et le christianisme, respecté dans l’islam,
mais méprisé par les usurpateurs de l’islam, continue de croitre, même après sa
mort.
- La mise à sac de plus de 25 mosquées sunnites, j’ai bien mis 25
et sunnites, dont la mosquée omeyyade de
Mossoul, qui est considérée parmi les plus anciennes du monde, puisque la
version primitive daterait de l’an 637.
Daech prétend que ces lieux abritaient des tombes et qu’il ne serait pas autorisé
de prier dedans. Parmi les édifices sunnites détruits, figure aussi Masjid
Al-Arba3inn, la mosquée dite de la Quarantaine, un des plus anciens
sanctuaires islamique d’Irak où sont enterrés 40 compagnons de Mahomet, morts
lors de la conquête de l’Irak en l’an 638, par Omar ibn al-Khattaâb, le 2e calife.
- Le pillage des édifices chrétiens
de Mossoul, dont le couvent du Sacré-Cœur
dans les quartiers nord de la ville, qui était occupé par les sœurs chaldéennes
avant le nettoyage de la région de toute présence chrétienne. Parmi les
édifices chrétiens perdus à jamais, figure une
église assyrienne du 7e siècle, l’Eglise Saint Ahoadamah à Tikrit.
- Le saccage des sanctuaires et des mosquées chiites dans les régions de
Raqqa et de Mossoul. Parmi les pertes du patrimoine chiite, figure le mausolée de Samarra qui est dédié à l’imam
Mohammad al-Doury, un descendant de
l’imam Ali Ibn Abi Taleb, le 4e calife de Mahomet. Ce sanctuaire
abritait le 1er témoignage irakien d’un dôme « moqarnas »,
en nid d’abeilles, construit vers l’an 1085.
Si je me suis donné la peine de citer tous ces
exemples et de fournir quelques éléments historiques et religieux, c’est pour
permettre à tout un chacun de mesurer
l’ampleur des dégâts causés par Daech et l’état de démence qui frappe les djihadistes
de « l’Etat islamique ». Sachez par ailleurs que ces actes
abominables et ces mises en scène infâmes, n’empêchent pas les psychopathes islamistes d’organiser en parallèle et en
coulisse, un trafic des œuvres d’art antiques de petites tailles, via la
Turquie et le Liban, pour financer « l’effort de guerre » comme
on dit. Ce phénomène prend de l’ampleur surtout après les frappes arabo-occidentales
qui ont touché certaines installations pétrolières sous contrôle de
« l’Etat islamique ».
Par ces
pratiques fascistes, les djihadistes cherchent à dominer les sociétés irakienne
et syrienne, en effaçant leur passé, et se montrent cohérents avec leur vision idéologique islamiste
étriquée qui condamne les représentations humaines et animales, surtout si
elles faisaient l’objet d’un culte, comme c’était le cas des pièces
assyriennes du musée de Mossoul, et d’un pèlerinage quelle qu’en soit sa forme,
comme c’était le cas des sanctuaires des prophètes Younès, Jirjis, Sheet et
Daniel à Mossoul. C’est d’ailleurs la raison invoquée par le psychopathe en
chef de la horde de dégénérés qui a saccagé le musée de Mossoul. « L’idolâtrie » est un blasphème
trop grave dans l’islam authentique, n’en parlons dans l’islam extrémiste. Tout
le monde se souvient des talibans s’acharnant sur les bouddhas géants de Bâmiyân
en Afghanistan (2001) et des ansars el-dine détruisant les mausolées de
Tombouctou, la « cité des 333 saints »
au Mali (2012).
Pour mesurer la gravité de ce problème, il
faut savoir qu’il y a un débat en Arabie
saoudite, toujours pas tranché, sur
le devenir même du Masjid al-Nabaoui
à Médine, engagé dans le cadre de l’éternelle extension du sanctuaire. Cette
sainte mosquée abrite la tombe de
Mahomet sous le Dôme vert. Bien
qu’elle soit la deuxième mosquée la plus ancienne de l’histoire islamique, dont
la construction a démarré du vivant du prophète de l’islam, où reposent à côté
de Mahomet, les premiers califes et commandeurs des croyants, Abou Bakr et
Omar, et où l’on a réservé un emplacement pour le retour de Jésus sur Terre
(selon la croyance musulmane), une brochure du ministère saoudien des Affaires
islamiques datant de 2007, et approuvé par le Grand mufti d’Arabie saoudite,
affirme que « le dôme vert doit être démoli et les trois tombes
aplaties ». Masjid
al-Nabaoui abrite également Ryad
al-Janna, reconnaissable à ses tapis verts, un lieu de quelques centaines
de mètres carrés considéré par Mahomet lui-même comme faisant partie du Jardin
du Paradis ! Tout aussi inquiétant, la déclaration d’Irfan al-Alawi, le
directeur saoudien de la Fondation de
recherche sur le patrimoine islamique, qui estime que des centaines de sites historiques du royaume ont été détruits et que
de sérieuses menaces pèsent sur d’autres, dont la maison où Mahomet est né et
la grotte où il a reçu les premières révélations. Ce débat oppose depuis la prise en main des lieux saints de l’islam par
les wahhabites, ceux qui souhaitent détruire ces sites à cause de la soi-disant
dérive idolâtre dont ils font l’objet, ainsi que la présence parfois de tombes
au sein des mosquées ce qui invaliderait les prières, et ceux qui s’y opposent
farouchement. Que les islamophobes ne s’emballent pas, c’est grave mais, keep cool & zen, il n’y a rien de nouveau
sous le ciel biblique !
Quoi qu’on dise et n’en déplaise à ces
derniers, le péché originel de cette « manie
de l’idolâtrie », revient au premier prophète des trois religions
monothéistes, le dénommé Moïse, l’auteur des cinq premiers livres de la Bible,
la Torah des juifs, le Pentateuque des chrétiens, celui dont le nom est
mentionné 80 fois dans le Nouveau Testament et 136 fois dans le Coran. « Lorsqu'il (Moïse) fut près du camp (dans
le mont Sinaï), il vit le veau (d’or) et les danses. Et la colère de Moïse
s'enflamma... Prenant le veau qu'ils avaient fait, il le brûla au
feu, le broya jusqu'à le réduire en poudre, répandit cette poudre sur l'eau, et
en fit boire aux enfants d'Israël... Et Moïse se plaça à la porte du camp, et
il dit: "A moi ceux qui sont pour Yahweh!" Et tous les enfants de
Lévi se rassemblèrent auprès de lui. Il leur dit: "Ainsi parle Yahweh, le
Dieu d'Israël: Que chacun de vous mette son épée à son côté; passez et repassez
dans le camp d'une porte à l'autre, et que chacun tue son frère, chacun son
ami, chacun son parent!" Les enfants de Lévi firent ce qu'ordonnait Moïse,
et il pérît ce jour-là environ trois mille hommes du peuple... C'est ainsi que Yahweh frappa le
peuple, parce qu'ils avaient fait le veau qu'Aaron avait fait. » (Exode 32) Encore un massacre à cause de l’idolâtrie, et de précieux héritages détruits
par étroitesse d’esprit. Eh oui, mais encore, toujours et plus que jamais, je
le dis et le répète, il faut une lecture distanciée des textes sacrés, que cela
concerne le judaïsme, le christianisme ou l’islam !
Corniche du Temple de Jupiter d'Héliopolis, Baalbek, au Pergamonmuseum à Berlin |