« Harcèlement dans les transports en
commun : aucune femme n'y échappe », « 100%
des femmes ont déjà été harcelées dans les transports », « 100% des
femmes victimes de harcèlement sexiste ou d'une agression sexuelle dans les
transports en commun », « Toutes les femmes ont été harcelées dans
les transports, selon un rapport alarmant », « Les femmes vont-elles
enfin pouvoir voyager sereinement dans les transports en commun ? », « Le harcèlement de rue, ‘c’est notre
quotidien’ », ont titré respectivement en ce 16 avril, Libération, L’Express, Atlantico, Madame Figaro, France Inter et Le
Monde.
Ces titres alarmistes sont basés sur un rapport rédigé par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), « Avis relatif au harcèlement sexiste et aux
violences sexuelles dans les transports en commun », qui a été remis il
y a quelques jours à Marisol Touraine, la ministre française des Affaires
sociales, de la Santé et des Droits des femmes. Etant donné la gravité des
accusations, j’ai décidé de lire moi-même le communiqué de presse du HCEfh et d’examiner
attentivement l’avis détaillé sur la question. Certes, les deux documents ont un
grand intérêt. Ce sujet ne peut laisser
personne indifférent. Mais, curieusement, leur lecture laisse aussi une impression de travail bâclé. Non
seulement ils manquent de rigueur, mais en plus, ils sont bourrés de tournures
simplistes, de raccourcis amateurs et d’extrapolations populistes. Précision
utile, il n’est pas question dans cet article de remettre en cause l’existence
de tels phénomènes et leur gravité, mais de souligner les faiblesses et les failles
d’un rapport qui se veut officiel, un « premier
Avis institutionnel sur le sujet », qui touche la société française,
remis à un pouvoir exécutif qui est pressé de mettre en œuvre un « Plan national d’action »
pour endiguer ces phénomènes de société.
Bien qu’il ne fasse qu’une page, le communiqué de presse du HCEfh est
vraiment affligeant. Et l’on s’étonne après des titres délirants de la
presse française le 16 avril ! « Toutes les utilisatrices des transports ont
déjà été victimes (de harcèlement sexiste et de violences sexuelles) ».
« Toutes » c’est-à-dire pas une seule n’y a échappé, comme le dit Libé.
Bonjour la précision. « Mais toutes ne l’ont pas identifié
comme tel » nous précise le communiqué. Tiens, tiens, heureusement
que cet organisme fraichement constitué par François Hollande il y a un peu
plus de deux ans, est là pour les aider et à justifier du coup, l’utilité de sa
création par le président de la République. En gros, cela revient à dire que les femmes ne sont pas capables
elles-mêmes de savoir qu’elles sont « harcelées ». Une précision sexiste dans un rapport sur le harcèlement sexiste,
c’est la meilleure ! En tout cas, « parce
qu’ils suscitent de la peur, du stress, de l’impuissance ou de la colère, les
agresseurs créent une pression psychologique forte, qui peut affecter la santé des femmes ». Admettons. Le bémol,
c’est qu’il n’y a aucune trace dans le rapport détaillé sur la nature de cette
affection. On peut l’imaginer bien entendu sauf qu’il s’agit ici d’un rapport
scientifique et non de brèves de comptoir ! « Le harcèlement sexiste et les violences sexuelles sont autant de
rappels à l’ordre qui visent, consciemment ou non, à exclure les femmes de l’espace public », encore une
allégation grave balancée sans preuve et à la légère, comme la conclusion
démagogique du communiqué : « les transports ne doivent plus être
la chasse gardée des harceleurs ». Ah bon, parce que le métro
parisien est actuellement la chasse gardée des harceleurs ? Si c’était le
Front national qui avait rédigé ce communiqué, on l’aurait crucifié. Affligeant, il n’y a pas d’autre mot.
L’Avis détaillé du HCEfh, qui fait 36 pages, n’est pas beaucoup plus rassurant. Selon ce rapport « 100% des utilisatrices des transports
en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste
ou d’agressions sexuelles ». Le phénomène « grave, massif et sous-appréhendé », conduit à une
limitation de « la liberté de
circuler des femmes ». Et pourtant, lorsqu’on fouille un peu le rapport pour savoir sur quoi ses auteurs se basent pour
parvenir à ces effrayantes conclusions, on apprend que celles-ci sont tirées du
témoignage de 600 femmes de Seine-Saint-Denis et de l’Essonne ! Non seulement
qu’on ignore la nature des questions posées aux utilisatrices (qui peuvent être
orientées), mais il est clair que la
taille de cet échantillon et sa composition, qui n’est absolument pas représentative de l'ensemble
des utilisatrices des transports en commun (ne serait-ce que de celles des
deux départements franciliens sélectionnés, encore moins de celles de la région
Ile-de-France et de la France entière !), ne
permettent certainement pas de formuler une conclusion généraliste concernant les
phénomènes de harcèlement sexiste et d’agressions sexuelles pour l’Hexagone tout
entier ou même la région parisienne. Si on avait eu droit à une telle approximation
dans une étude sur l’insécurité en France, relevée par la droite par exemple,
tout le monde serait monté au créneau pour dénoncer une généralisation
inappropriée de la peur.
Une grande faille de ce rapport réside dans
l’approche du phénomène de société à étudier. A commencer par la définition du
« harcèlement sexiste » qui s’inspire de la version américaine du
« harcèlement de rue ». Dans les faits, cela conduit à tout mélanger,
disons innocemment pour la bonne cause. Le
« harcèlement sexiste » selon
le HCEfh, englobe aussi bien le sifflement, le commentaire (sur le physique, le comportement ou la tenue), le regard et l’invitation insistants, que l’injure et la menace. Ce mélange
du genre pose un problème puisque les premiers actes ne sont pas punis par la
loi contrairement aux seconds qui sont punis de plusieurs mois d’emprisonnement
et de dizaines de milliers d’euros d’amende.
Autre démarche contestable, c’est de mélanger dans un même lot les « harcèlements sexistes »,
comme le sifflement, un commentaire et un regard, avec les « violences sexuelles », qui englobent l’exhibition
(dont la masturbation en public ; personne ne sait combien de mâles en rut
se masturbent dans le métro à Paris, mais je ne crois pas que ça court les
couloirs et les rames, et qu’il faille dans une étude sérieuse, mettre cela au
même niveau que le comportement d’un bipède qui se prend pour un rossignol ou d’un homo erectus à la prose à 5 centimes !), le
harcèlement sexuel (bien défini dans le Code pénal comme le fait « d’imposer à une personne, de façon
répétée, des propos ou des comportements à connotation sexuelle », des
avances sexuelles ou des gestuelles à connotation sexuelle), les agressions sexuelles sans pénétration
(mains aux fesses ou aux cuisses, frottements, baisers forcés) et le viol, qui sont punis de 1 à 15 ans de réclusion criminelle et
de plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende.
Malgré ces failles, le HCEfh prétend que « la frontière entre le harcèlement
sexiste et les violences sexuelles est ténue » et « qu’une même agression peut
commencer par du harcèlement sexiste et se poursuivre par des violences
sexuelles ». Admettons. Quelle
est la fréquence du « passage à l’acte » ? 1/100, 1/ 10 000
ou 1/100 000 ? Bien que personne au
HCEfh n’ait la moindre idée, cela n’a pas empêché les auteurs de balancer ces
conclusions hâtives, sans chiffres à l’appui, quitte à paniquer la gent
féminine à Paris et dans la banlieue parisienne.
Toujours est-il qu’on sent dans ce rapport comme une volonté d’exagérer les faits.
Ceci conduit évidemment à des incohérences flagrantes. « 100% des femmes ont déjà été harcelées dans les transports » n’empêche
pas le HCEfh d’affirmer plus loin que « le
phénomène est encore méconnu et mal appréhendé, en premier lieu par les
victimes elles-mêmes, pour qui il peut être difficile de révéler des faits trop souvent banalisés comme
‘normaux’, allant de soi ». On sent aussi dans ce rapport comme une volonté d’amplifier le problème. « Ce continuum de violences,
inacceptables socialement, survenant dès
le plus jeune âge et de façon quasi quotidienne...
(Les auteurs préconisent de) mesurer l’impact du harcèlement sexiste sur la
mobilité des femmes, leur santé et leur vie professionnelle ». On sent également
comme une volonté de criminaliser tous
les comportements déviants dans les transports en commun. Le HCEfh précise par
exemple que « la plupart des
manifestations du harcèlement sexiste ne constituant pas des crimes ou des délits, (elles sont) donc ‘invisibles’ au regard du droit... (il convient alors de) mettre un
terme à la banalisation de ces violences et à l’impunité ». Comme exemple,
les auteurs du rapport nous expliquent que « la drague comprend une rencontre à
deux, c’est-à-dire avec le consentement de l’autre. Sans consentement, c’est du
harcèlement. Si la personne dit non, c’est non. Si elle ne dit rien, c’est
toujours non. Poursuivre la discussion après un refus, c’est du harcèlement ».
Soit. Alors, on fait quoi ? Encore une fois, personne n’a le droit d’importunité son
entourage. Mais, faut-il pour autant demander à l’Etat d'intervenir même dans un
processus de « drague » ? N’est-il pas plus convenable de laisser
aux adultes eux-mêmes la faculté de gérer les interactions humaines au
lieu de chercher à codifier la vie sociale à ce point ? Au final, il faut savoir où fixer la « limite », avant d’imposer des œillères et des muselières à l’ensemble des utilisateurs
des transports en commun à Paris !
A
ce propos, il est étonnant de constater que ce rapport officiel alarmiste ne contient non seulement pas de chiffres
sur les phénomènes étudiés, alors que les auteurs ne se gênent pas pour en
tirer des conclusions, mais aussi aucun
sur les transports en commun en France. Pour mesurer la légèreté du HCEfh
sur ce point, il est peut être utile d’en donner quelques-uns. Si on se limite
à la région parisienne, l’Ile-de-France
qui couvre une superficie de 12 000 km², met à la disposition des 12 millions de Franciliennes et Franciliens
qui y résident et des 33 millions de visiteuses et visiteurs qui y séjournent tous les ans,
33 047 km de lignes de bus, 933 km de lignes de trains et de tramways, 600 km
de RER et 218 km de métro ! Chaque année la RATP et la SNCF assurent près de
4,2 milliards de voyages et transportent près de 30 milliards de voyageurs par kilomètre et par an (2013). Ceci
dit, il est évident qu’avant de recommander
à l’Etat français de mettre en route un «
Plan national d’action : (pour dire) stop au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles sur toute la ligne », il faut commencer déjà par chiffrer les
phénomènes en question, un chiffrage absolu, en tenant compte impérativement de l’ampleur du
trafic dans la région parisienne, un chiffrage relatif. Cela va de soi !
Par ailleurs, on sent dans ce rapport comme
une volonté de façonner les faits, dans l’air
du temps comme on dit. Ce point est particulièrement intéressant. Selon le HCEfh « il serait important, par exemple, d’étudier à l’avenir si une femme noire ou
d’origine arabe serait plus exposée qu’une femme blanche, et une personne
gay ou lesbienne davantage qu’une personne hétérosexuelle, comme il ressort notamment
du rapport 2014 du collectif américain ‘Stop Street Harassment’ ». Notez bien dans quel sens on a posé le
problème, en s'inspirant d'une étude américaine. Comme par hasard, on s’est abstenu de se demander si la femme
blanche ou une blonde hétéro, serait plus exposée qu’une femme noire ou arabe ?
Cette tournure biaisée m’a rappelé une autre phrase d’anthologie du rapport où
le HCEfh nous apprend précieusement que « les auteurs (de ces actes) peuvent être d’origine sociale
variée et d’âge très différent », seule mention de ce document de 36
pages sur les harceleurs et manière
habile d’esquiver une question dérangeante. Ce que le rapport ne dit pas,
mais que certains sites internet ont mentionné plus ou moins explicitement, sans chiffre à l'appui là aussi, c’est
que les importuns des transports en
commun seraient pour une partie un peu « colorés ».
En tout cas, on ne saura pas davantage, la loi française interdit tout référentiel ethno-racial.
Restons donc dans « l’origine sociale variée
et d’âge très différent » des harceleurs, c’est beaucoup plus commode et ça fait moins de vagues.
Terminons par la partie tragicomique de ce
rapport. Et si la solution au « harcèlement sexiste » passait par « l’apartheid
sexiste » ? Vous pensez que je plaisante ? Pas le moins du monde. Les sages du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes ont jugé qu'il était utile d'examiner cette option incongrue et de justifier leur réponse. « Les membres du HCEfh
rejettent la solution de moyens de transports réservés aux femmes pour deux raisons : de
tels moyens rompent avec la mixité et entretiennent la construction d’une
société de peur et de division ; ces wagons, bus ou taxis... placent
celles qui ne pourraient ou ne voudraient pas les utiliser dans une situation
de danger accru, les exposant à des violences sexistes puisqu’elles pourraient
être davantage encore perçues comme ‘aguicheuses’. » Du grand n’importe
quoi. Et qui sait, on entendrait peut-être un jour dans
les couloirs de la RATP, après le fameux message audio « ne
tentez pas les pickpockets », un grotesque « ne tentez pas les harceleurs » ? Et puisqu'on est dans l'inconvenance, délirons un peu plus et imaginons qu'au train où vont les choses, après l'avoir interdit en 2011, l'histoire ironique nous amènerait dans un proche avenir à
légaliser le port du voile intégral, le niqab, comme solution républicaine
radicale à certaines déviances de la gent masculine dans la sphère
publique.
Trêve de plaisanterie. Au
lieu d’apporter des « éclaircissements scientifiques » sur le
harcèlement sexiste et les violences sexuelles, ce rapport populiste du HCEfh tel qu'il a été rédigé, manquant de rigueur, peut créer, entretenir et amplifier un sentiment d’insécurité
chez les femmes qui utilisent les transports en commun à Paris et dans la région parisienne. Comme c'est regrettable pour un « premier
Avis institutionnel » sur un sujet hautement sensible. Mais enfin, que voulez-vous, ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions ? Affaire à suivre.