samedi 10 octobre 2015

Société civile tunisienne vs. Société civile libanaise : prix Nobel de la paix contre prix Hirak des palabres (Art.314)


En haut, médaillon d’Alfred Nobel, pour le
prix Nobel de la paix. En bas, les traces d’une
manifestion de la société civile à Beyrouth.

Alors et pendant que la situation au Liban se détériore à vue d’œil, à cause des enfantillages, de l’amateurisme et de l’irresponsabilité d’une frange de la société libanaise -politique, médiatique et civile- le prix Nobel de la paix a été attribué hier à une Tunisie représentée par le « Quartet de dialogue national », dans l’indifférence du monde arabe et du pays du Cèdre. Et pourtant, il y a beaucoup à dire sur cet événement historique et le choix judicieux du comité Nobel.

Flash-back. Nous sommes le 25 octobre 2013. Cela fait près de trois ans, un peu moins, que le Printemps arabe, a éclos dans ce pays du Maghreb, un 17 décembre 2010. Les saisons se suivent et ne se ressemblent pas, mais les bourgeons démocratiques ne parviennent toujours pas à s’épanouir pleinement. Les bonnes conditions environnementales ne sont pas encore réunies, au grand bonheur des oiseaux de mauvais augures, ces arabophobes-tyranophiles, les T-Rex de l’évolution démocratique. Mais comme le disait si bien un siècle plus tôt le jeune et talentueux poète tunisien Abou el-Kacem al-Chebbi, grand admirateur « du génie et de l’art éternel » de Gibran Khalil Gibran, un esprit ouvert épris de liberté et de romantisme, un musulman imprégné de christianisme, mort à l’âge de 25 ans :

إذا الشعــب يومــا أراد الحيــاة فلا بـــد أن يستجيب القــدر
ولا بـــد لليــــل أن ينجلـــي ولابـــــد للقيـــــد أن ينكســـــر

Toujours est-il que les islamistes du parti Ennahda sont au pouvoir. En un temps record, ils déçoivent le peuple tunisien, leurs électeurs compris, et confirment du coup le choix du titre d’un de mes articles sur le pays du Nil, et qui s’applique sur la Tunisie aussi : « Leçon d’Egypte : la meilleure façon d’affaiblir les islamistes reste la démocratie et non la dictature. L’illusion islamiste ». Les opposants luttent à la lumière du jour. Les djihadistes s’activent dans les ténèbres. Des assassinats politiques sont commis. La Tunisie est en crise. Le pays est bloqué. Ce Printemps arabe peut basculer d’un moment à l’autre dans le chaos. Se met alors en route, un « dialogue national ». Rien à voir avec les stériles palabres dans notre contrée autour de la « table du dialogue ». Dans ce but, on réunit entre quatre murs des gens responsables qui placent l’intérêt de leur pays au-dessus de toute considération et qui ont surtout, envie de réussir.

Pour ce dialogue tunisien, on a d’un côté, les partis au pouvoir et dans l’opposition. De l’autre côté, on retrouve un « quatuor » de la société civile tunisienne, composé des travailleurs de l’Union Générale Tunisienne du Travail, des patrons de l’Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat, des militants de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l'Homme, ainsi que des hommes et des femmes de droit, de l’Ordre National des Avocats. Alors qu’au Liban on palabre à n’en plus finir, entre politiciens et activistes irresponsables et amateurs, en Tunisie, la volonté de réussir est manifeste. On fixa deux objectifs précis et clairs, la formation d’un « gouvernement indépendant » et l’élaboration d’une « nouvelle Constitution ». Ces buts furent atteints en janvier 2014. Nos amateurs et irresponsables de la classe politique et de la société civile libanaises, devraient bien méditer et étudier dans les moindres détails le processus tunisien, tel que le comité Nobel l’a vu. « La transition en Tunisie montre que les institutions et les organisations de la société civile peuvent jouer un rôle crucial dans la démocratisation d'un pays, et qu'un tel processus, même dans des circonstances difficiles, peut conduire à des élections libres et le transfert pacifique du pouvoir... Le Quatuor a ouvert la voie à un dialogue pacifique entre les citoyens, les partis politiques et les autorités et a aidé à trouver des solutions consensuelles à un large éventail de défis au-delà des clivages politiques et religieux ».

Comme le résume si bien l’actuel président de la Tunisie, Béji Caïd Essebsi, fondateur de Nidaa Tounis, un parti hostile aux islamistes, « ce prix Nobel consacre le chemin que nous avons choisi, celui de trouver des solutions consensuelles ». Un avis partagé par les islamistes d’Ennahda qui ont mis en avant un extrait de la déclaration du comité Nobel, évoquant le fait que « l'exemple de la Tunisie, souligne la valeur du dialogue et le sentiment d'appartenance nationale, dans une région marquée par les conflits ». La sagesse tunisienne a permis d’écarter le spectre d’une confrontation entre islamistes et anti-islamistes, et de remettre le plus prometteur des « Printemps arabes » sur les rails de la démocratie et de la prospérité. C’est précisément cette sagesse et ce sens des responsabilités du Quatuor de dialogue national que le comité Nobel a voulu récompenser. « Le comité Nobel norvégien a décidé que le Prix Nobel de la Paix pour 2015 doit être attribué au Quatuor de dialogue national tunisien pour sa contribution décisive à la construction d'une démocratie pluraliste en Tunisie dans le sillage de la Révolution du Jasmin de 2011 », le premier bourgeon de ce Printemps arabe qui fait encore couler beaucoup d’encre et de sang. Et c’est aussi cette sagesse et ce sens des responsabilités que les djihadistes voulaient bousiller en attaquant le musée du Bardo le 18 mars 2015 et la plage de Sousse le 26 juin 2015. Il ne faut pas oublier que la Tunisie est le premier exportateur de djihadistes étrangers vers la Syrie. On les estime à près de 3 000 individus, dont 500 seraient rentrés au bercail. Le processus démocratique est donc fragile mais l’évolution est inéluctable, l’histoire ne revient pas en arrière.

Pour justifier cette haute distinction accordée à la société civile tunisienne, le comité Nobel explique : « Il (le Quatuor) a établi, un processus politique pacifique de remplacement à un moment où le pays était au bord de la guerre civile. Il était donc essentiel pour permettre à la Tunisie, en l'espace de quelques années, d'établir un système de gouvernement constitutionnel, garantissant les droits fondamentaux de toute la population, sans distinction de sexe, de conviction politique ou de croyance religieuse ». Ce prix Nobel est incontestablement une formidable récompense pour l’ensemble du peuple tunisien. « Le cours que les événements ont pris en Tunisie depuis la chute du régime autoritaire de Ben Ali en Janvier 2011 est unique et remarquable pour plusieurs raisons... il montre que les mouvements islamistes et politiques laïques peuvent travailler ensemble pour atteindre des résultats significatifs dans le meilleur intérêt du pays. » Tiens, encore un constat à méditer par les amateurs de tout poil au pays du Cèdre. C’est aussi un superbe pied de nez aux arabophobes-tyranophiles de nos contrées et d’ailleurs, fidèles à Bachar el-Assad, fans de l’Imperator-Imposteur, Vladimir Poutine. « Le Comité Nobel norvégien espère que le prix de cette année permettra de contribuer à la sauvegarde de la démocratie en Tunisie et être une inspiration pour tous ceux qui cherchent à promouvoir la paix et la démocratie au Moyen-Orient, Afrique du Nord et le reste du monde. » Amen, qu’Alfred Nobel repose en paix, il n'y a pas de plus bel hommage au Printemps arabe que ce prix Nobel de la paix.