En haut, médaillon d’Alfred Nobel, pour le
prix Nobel de la paix. En bas, les traces d’une manifestion de la société civile à Beyrouth. |
Flash-back. Nous sommes le 25 octobre 2013. Cela fait près de trois ans, un peu
moins, que le Printemps arabe, a éclos
dans ce pays du Maghreb, un 17 décembre 2010. Les saisons se suivent et ne se ressemblent pas, mais les bourgeons
démocratiques ne parviennent toujours pas à s’épanouir pleinement. Les
bonnes conditions environnementales ne sont pas encore réunies, au grand
bonheur des oiseaux de mauvais augures, ces arabophobes-tyranophiles, les T-Rex
de l’évolution démocratique. Mais comme le disait si bien un siècle plus tôt le jeune et talentueux poète tunisien Abou
el-Kacem al-Chebbi, grand admirateur « du
génie et de l’art éternel » de Gibran Khalil Gibran, un esprit ouvert épris
de liberté et de romantisme, un musulman imprégné de christianisme, mort à
l’âge de 25 ans :
إذا الشعــب يومــا أراد الحيــاة فلا بـــد أن يستجيب القــدر
ولا بـــد لليــــل أن ينجلـــي ولابـــــد للقيـــــد أن ينكســـــر
Toujours est-il que les islamistes du parti Ennahda sont au pouvoir. En un temps record, ils déçoivent le peuple tunisien, leurs électeurs compris, et confirment du coup le choix du titre d’un de mes articles sur le pays du Nil, et qui s’applique sur la Tunisie aussi : « Leçon d’Egypte : la meilleure façon d’affaiblir les islamistes reste la démocratie et non la dictature. L’illusion islamiste ». Les opposants luttent à la lumière du jour. Les djihadistes s’activent dans les ténèbres. Des assassinats politiques sont commis. La Tunisie est en crise. Le pays est bloqué. Ce Printemps arabe peut basculer d’un moment à l’autre dans le chaos. Se met alors en route, un « dialogue national ». Rien à voir avec les stériles palabres dans notre contrée autour de la « table du dialogue ». Dans ce but, on réunit entre quatre murs des gens responsables qui placent l’intérêt de leur pays au-dessus de toute considération et qui ont surtout, envie de réussir.
Pour ce dialogue tunisien, on a d’un côté, les
partis au pouvoir et dans l’opposition. De l’autre côté, on retrouve un « quatuor » de la société civile tunisienne,
composé des travailleurs de l’Union Générale Tunisienne du Travail, des patrons
de l’Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat, des
militants de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l'Homme, ainsi
que des hommes et des femmes de droit, de l’Ordre National des Avocats. Alors
qu’au Liban on palabre à n’en plus finir, entre politiciens et activistes irresponsables
et amateurs, en Tunisie, la volonté de réussir est manifeste. On fixa deux objectifs précis et clairs, la
formation d’un « gouvernement indépendant » et l’élaboration d’une « nouvelle
Constitution ». Ces buts furent atteints en janvier 2014. Nos amateurs et irresponsables de la classe
politique et de la société civile libanaises, devraient bien méditer et étudier
dans les moindres détails le processus tunisien, tel que le comité Nobel l’a vu.
« La transition en Tunisie montre
que les institutions et les
organisations de la société civile peuvent jouer un rôle crucial dans la
démocratisation d'un pays, et qu'un tel processus, même dans des circonstances
difficiles, peut conduire à des élections libres et le transfert pacifique du
pouvoir... Le Quatuor a ouvert la voie à
un dialogue pacifique entre les citoyens, les partis politiques et les
autorités et a aidé à trouver des solutions consensuelles à un large éventail
de défis au-delà des clivages politiques et religieux ».
Comme le résume si bien l’actuel président de la Tunisie, Béji Caïd
Essebsi, fondateur de Nidaa Tounis,
un parti hostile aux islamistes, « ce
prix Nobel consacre le chemin que nous avons choisi, celui de trouver des
solutions consensuelles ». Un avis partagé par les islamistes d’Ennahda qui ont mis en avant un extrait de la
déclaration du comité Nobel, évoquant le fait que « l'exemple de la Tunisie, souligne la valeur du dialogue et le
sentiment d'appartenance nationale, dans une région marquée par les
conflits ». La sagesse
tunisienne a permis d’écarter le spectre d’une confrontation entre islamistes
et anti-islamistes, et de remettre le plus prometteur des « Printemps
arabes » sur les rails de la démocratie et de la prospérité. C’est précisément cette sagesse et ce
sens des responsabilités du Quatuor de
dialogue national que le comité Nobel a voulu récompenser. « Le comité Nobel norvégien a décidé
que le Prix Nobel de la Paix pour 2015 doit être attribué au Quatuor de
dialogue national tunisien pour sa contribution décisive à la construction
d'une démocratie pluraliste en Tunisie dans le sillage de la Révolution du
Jasmin de 2011 », le premier bourgeon de ce Printemps arabe qui fait encore
couler beaucoup d’encre et de sang. Et
c’est aussi cette sagesse et ce sens des responsabilités que les djihadistes voulaient bousiller en attaquant le musée du Bardo le 18 mars 2015 et la
plage de Sousse le 26 juin 2015. Il ne faut pas oublier que la Tunisie est le
premier exportateur de djihadistes étrangers vers la Syrie. On les estime à
près de 3 000 individus, dont 500 seraient rentrés au bercail. Le processus
démocratique est donc fragile mais l’évolution est inéluctable, l’histoire ne
revient pas en arrière.
Pour justifier cette haute distinction accordée à la société civile tunisienne, le
comité Nobel explique : « Il (le Quatuor) a établi, un processus
politique pacifique de remplacement à un moment où le pays était au bord de la
guerre civile. Il était donc essentiel pour permettre à la Tunisie, en
l'espace de quelques années, d'établir un système de gouvernement
constitutionnel, garantissant les droits fondamentaux de toute la population,
sans distinction de sexe, de conviction politique ou de croyance religieuse ».
Ce prix Nobel est incontestablement une
formidable récompense pour l’ensemble du peuple tunisien. « Le cours que les événements ont pris
en Tunisie depuis la chute du régime autoritaire de Ben Ali en Janvier 2011 est
unique et remarquable pour plusieurs raisons... il montre que les mouvements
islamistes et politiques laïques peuvent travailler ensemble pour atteindre des
résultats significatifs dans le meilleur intérêt du pays. » Tiens,
encore un constat à méditer par les amateurs de tout poil au pays du Cèdre. C’est aussi un superbe pied de nez aux
arabophobes-tyranophiles de nos contrées et d’ailleurs, fidèles à Bachar
el-Assad, fans de l’Imperator-Imposteur, Vladimir Poutine. « Le Comité Nobel norvégien espère que
le prix de cette année permettra de contribuer
à la sauvegarde de la démocratie en Tunisie et être une inspiration pour tous
ceux qui cherchent à promouvoir la paix et la démocratie au Moyen-Orient,
Afrique du Nord et le reste du monde. » Amen, qu’Alfred Nobel repose
en paix, il n'y a pas de plus bel hommage au Printemps arabe que ce prix Nobel de la paix.