Il se serait moqué de François Hollande, ça aurait pu se passer mieux. Esprit Charlie, quoi. Et encore ! Mais d’Erdogan, ah non.
Il y a crime de lèse-majesté. Mais,
il faut reconnaitre quand même que la grenouille turque qui veut se faire aussi
grosse que le bœuf ottoman, a quand même raison de se froisser. Ce satiriste
allemand qui a récité un poème à la télé
dans l’intention délibérer de ridiculiser le président turc, en disant lui-même
qu’il est « diffamatoire »,
n’est pas drôle. Son texte est bête et
méchant. La liberté d’expression ne garantit pas à tout un chacun de dire
des stupidités et des insultes en toute liberté, comme l’a fait Jan Böhmermann, le présentateur et
humoriste de la chaîne publique ZDF, le 31 mars 2016. Erdogan serait « homosexuel » passe encore, mais « zoophile » et « pédophile », allons donc, il y a d'autres façons plus subtiles pour faire comprendre que la « diffamation » n'a pas le même sens en Allemagne et en Turquie. Bass ya
Jan, fume une moquette de bonne qualité, tu trouveras peut-être une meilleure
inspiration, quelque chose de juste, pertinent et drôle. Bon, jusqu’ici rien d’extraordinaire. Ça méritait une plainte ? Pourquoi pas.
Mais de là, à ce qu’Angela Merkel s’empare
de l’affaire parce ce que Recep Tayyib Erdogan s’est plaint, ah non, halte au
délire. Vendredi dernier, il y a trois jours, le 15 avril pour être précis, Merkel annonce que « le gouvernement fédéral va
accorder son autorisation dans la présente affaire (pour engager des poursuites
judiciaires) ». Mais de quoi elle
se mêle ? Pour y parvenir, la chancelière d’Allemagne a mobilisé à la fois
le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Justice, le ministère
de l’Intérieur et son cabinet, afin de fouiller
dans les archives juridiques d’un autre temps et d’un autre siècle, afin de trouver un vieil article poussiéreux pour « punir les insultes contre le représentant d'un État étranger », dont on a l'intention de supprimer dans un avenir proche, soit dit au passage.
Mais pourquoi ? Eh bien, parce que la Turquie serait, selon Angela Merkel,
un partenaire important pour l’Union européenne et l’OTAN, sur les plans économique
et politique, blablabla. Ah, toutes mes félicitations ! Pire encore,
pendant que l’administration allemande cherchait une sortie diplomatique à ces
enfantillages, on apprend que Recep Tayyib Erdogan
a déjà porté plainte auprès du procureur de Mayence, le 11 avril svp, comme tout un chacun, et non comme un chef
d’Etat. Voilà une réaction normale ! Mais alors dame Merkel, de quoi je me mêle et pourquoi tant de zèle ? Sauf votre
respect, ça ne serait pas de la lèche par hasard, pour espérer rattraper
une politique migratoire européenne mal maitrisée dont vous êtes l'initiatrice ?
Et encore, si Erdogan n'était qu’à sa
première ! Le 17 mars, la télévision
allemande NDR diffuse un vidéoclip intitulé « Erdowie, Erdowo, Erdogan ».
Là, nous sommes dans un tout autre
registre, beaucoup plus pertinent, beaucoup plus juste et beaucoup plus sympathique.
Les auteurs de la chanson satirique dénoncent
les atteintes à la liberté de la presse et les dépenses pharaoniques de
Monsieur, qui, le moins qu’on puisse dire, a la folie des grandeurs. « Il vit en XXL, le seigneur du
Bosphore. Une construction ostentatoire avec mille pièces... Un journaliste qui
par malheur, rédige une phrase qui ne convient pas à Erdogan, est en taule dès
le lendemain, la rédaction est fermée... Il ne réfléchit pas longtemps, emploie
le gaz lacrymogène... Le temps est mûr pour son grand Empire ottoman... Les
mêmes droits pour les femmes ? Oui, oui, elles aussi sont tabassées... Il
déteste les Kurdes comme la peste. Il préfère bien les bombarder eux, plutôt
que les frères de foi de l'autre côté, qui sont de l'EI (Etat islamique /
Daech). Donne-lui ton argent, il te construit une tente pour les réfugiés : Erdowie,
Erdowo, Erdogan. Son pays est mûr pour l'adhésion à l’UE (Union européenne) ».
Circulez, il n’y a rien à signaler. Et si Monsieur n’est pas content, une
plongée dans les eaux froides du Bosphore, calmera sa fureur. Vous trouverez la traduction complète des paroles de la chanson à la
fin de l’article.
Mais, le seigneur du Bosphore ne l’entend
pas de cette oreille. Cinq jours plus tard, convocation de l’ambassadeur allemand à Ankara avec demande officielle d’arrêter
l’émission en question. Il est évident que ce sultan des temps modernes n'a toujours pas entendu parler de la séparation des pouvoirs. Le silence radio à Berlin n’a pas empêché le
rédacteur en chef de la chaine allemande, Andreas Cichowicz, de mettre les
points sur les i : « Que manifestement le gouvernement
turc s'active diplomatiquement en raison de l'émission "Extra 3"
n'est pas compatible avec notre conception de la liberté de la presse et
d'opinion ». Voilà qui est bien dit. Alors, qu’elle aurait pu tomber rapidement dans l’oubli,
« Erdowie, Erdowo, Erdogan » caracole
en tête des visionnages sur YouTube avec plus de 8 millions de vues en 4
semaines seulement. Mais au fait, il ne serait pas un peu
procédurier sur les bords l’Erdogan ?
On se demande. Un peu ? Mais, ça
serait le paradis. Il serait un homme politique tolérant, à la poitrine large
comme on dit en Orient, on compatiraient presque. Mais, le problème c’est que
le président turc est non seulement un homme très susceptible, mais c’est un grand paranoïaque à l’ego
surdimensionné, avec une tendance totalitaire
et un penchant islamiste net. Et
là, ça fait beaucoup pour un seul homme.
Pendant que Merkel est occupée à consoler
Erdogan, et surtout le ménager, 1 845 citoyens,
artistes et journalistes turcs, sont poursuivis, ou l’ont été, depuis son
arrivée au pouvoir en août 2014 (décompte jusqu’au début du mois de mars 2016), pour « insulte
au président ». Ainsi, en 18 mois de pouvoir, ce précieux « partenaire »
de l’Europe a poursuivi ses détracteurs sans relâche, à un rythme de 100 plaintes/mois, soit 3
poursuites/jour. Le problème, c’est qu’il n’y a pas que sur ce point que le
régime fait défaut. Recep Tayyib Erdogan
ne résigne devant rien pour verrouiller son pouvoir, museler ses opposants,
imposer ses idées islamistes et remanier en profondeur la république moderne
laïque fondée par le père de la nation turque, le visionnaire Mustafa Kemal Atatürk.
Dans la panoplie des atteintes graves à la démocratie en
Turquie sous Erdogan, on retrouve pêle-mêle :
- la
limitation de la liberté d’expression : par des lois renforçant le
contrôle d’internet, allant jusqu’à menacer de bloquer les réseaux sociaux, quand
il était Premier ministre, « Nous
sommes résolus à ne pas laisser le peuple turc être esclave de YouTube et de Facebook »
(surtout parce qu’ils ont permis de relayer des enregistrements où l’on
entendrait papa dire au fiston, de bien cacher l’argent !) ;
- la persécution des opposants : allant
jusqu’à la mise sous tutelle au début du mois de mars 2016, du plus important quotidien
turque, Zaman, 633 000 exemplaires, qui est devenu un « modèle de propagande pro-gouvernementale » selon
d’anciens journalistes qui ont préféré claquer la porte ; la « mise sous tutelle » est une
opération judiciaire camouflée pour mettre au pas certains médias opposants,
voire de les fermer carrément, comme ce fut le cas en octobre dernier, avant
les élections législatives (comme par hasard), pour les chaines Bugün TV et
Kanaltürk, ainsi que pour le journal Millet ;
- l’emprisonnement
de journalistes : et dans ce domaine, la Turquie détient un triste
record dans le monde ; c’est le sort réservé par exemple à deux journalistes de Cumhuriyet
qui ont révélé en mai 2015 que les services secrets de la Turquie ont fourni
des armes aux islamistes en Syrie en janvier 2014 ; emprisonnés trois
mois, ils ont été libérés sur une décision de la Cour constitutionnelle
turque ; dans ce procès en cours, le plaignant, Erdogan, ne nie pas les
faits, mais se mobilise contre la « trahison »
des accusés ; on reproche aux journalistes d’avoir divulgué « des secrets d’Etat à des fins d’espionnage »,
et paranoïa oblige, à chercher à « renverser
le gouvernement turc par la violence » ; et pendant que Merkel et
consorts ménagent Erdogan, Can Dündar, le rédacteur en chef du journal, risque
la perpétuité ! ; au passage, Cumhuriyet est un quotidien turc à
faible tirage (50 000 exemplaires), qui est considéré comme une référence ;
il a l’âge de la République et se place de ce fait, comme le gardien de
l’héritage laïc d’Atatürk ; c’est le seul quotidien du monde
arabo-perso-musulman à avoir osé diffuser le premier numéro de Charlie Hebdo
après les attaques du 7-Janvier ; les deux journalistes turcs de ce quotidien respecté sont aujourd’hui sacrifiés sur l’autel de la nauséabonde
realpolitik européenne ;
- les
poursuites de ses rivaux : notamment des partisans de Fethullah Gülen,
dignitaire musulman en exil aux Etats-Unis, qui fait l’objet d’un mandat
d’arrêt ;
- l’atteinte
à la laïcité turque : autorisation du port du voile dans les
universités et la barbe chez les fonctionnaires ; limitations de la
consommation, de la vente et de la publicité des boissons alcoolisées en dépit des vives protestations ; suppression des parrainages des événements sportifs par les fabricants d'alcool ; censure des films, des émissions et des clips qui contiendraient des images de boissons alcoolisées ; etc. ;
- la
répression violente des manifestations pacifiques : des jeunes de Taksim à
Istanbul en 2013, comme des femmes en mars 2016 ou des Kurdes (continuelle) ;
- les
purges dans la police et la justice : plusieurs dizaines de hauts
responsables ont été mutés, à quelques semaines de l’élection présidentielle de
2014, surtout ceux qui luttaient contre la corruption qui touche l’entourage
d’Erdogan, dont son fils ;
- la
volonté de s’en prendre à certains droits de la femme turque : comme
l’avortement par exemple, qui serait un « crime »
selon Erdogan, non seulement pour des raisons religieuses islamiques mais aussi
pour des considérations démographiques dans ce pays de 80 millions d’habitants,
qui veut se tailler une bonne place sur l’échiquier loco-régional entre
l’Orient et l’Occident ;
- la
criminalisation de l’intégration des Turcs dans les sociétés européennes :
« l'assimilation est un crime contre
l'humanité », c'était le constat islamo-nationaliste prononcé devant les 20 000
Turcs à Cologne en 2008 ; ce genre de propos résonnent différemment de nos
jours ! ;
- et j’en passe et des meilleures.
Et cette
veille Europe qui ferme les yeux, abdique, s’écrase, renonce à ses valeurs,
et qui pond de temps à autres, un pauvre communiqué de protestation, espérant naïvement aujourd’hui que les 6 milliards d’euros
accordés à la Turquie, avec l’assouplissement de l’attribution des visas aux
ressortissants turcs et la relance de l’adhésion de la Turquie à l’Europe, pousseront la Turquie à stopper l’afflux
massif de migrants vers le vieux continent et à lutter plus sincèrement et efficacement contre les djihadistes en route ou en provenance de Syrie. Et l’on s’étonne après, de la
montée en puissance des Eurosceptiques et de l’Extrême droite dans les pays
européens.
Pour
l’anecdote,
et pour revenir à notre sujet principal, sachez que l’ambiance démocratique en
Turquie est aujourd’hui tellement malsaine qu’un chauffeur-routier d’Izmir a porté plainte contre sa femme il y a
deux mois car elle n’arrêtait pas d’insulter Erdogan, et lui manquer de
respect au point de changer de chaine de télévision dès qu’il apparaissait au
petit écran. Hehehe, réponse inattendue de la part de l’épouse insolente : une
demande de divorce. Wlak akid bala heik
jozz ! Moins drôle, miss
Turquie de l’année 2006, s’est retrouvée en garde à vue et a risqué quatre
ans de prison pour avoir partagé pendant un laps de temps sur son compte
Instagram, une version caustique de l’hymne national turc, publiée dans un hebdomadaire
satirique turc, et qui contenait des « insultes » contre le gardien
de la Sublime Porte. En gros, si tu es lycéen
et tu balances sur les réseaux sociaux que ton président est le « chef du vol, des pots-de-vin et de la
corruption », tu seras poursuivi à coup sûr. Idem, si vous êtes médecin et vous avec le malheur de
trouver une vague ressemblance entre Erdogan, seigneur d’Istanbul, et Gollum,
Seigneur des anneaux, vous serez forcément poursuivi. Quoi encore ? Même
si vous êtes Aytekin Gezici, journaliste
travaillant dans un quotidien respecté, et vous jugez que le tweet « Vous avez (tout) vendu par morceau, vous avez (tout) embarqué
boite après boite », est utile pour informer vos followers, en faisant
subtilement allusion à un scandale de corruption touchant la famille d’Erdogan,
où l’on a retrouvé des boites de chaussures remplies d’argent, mal vous prend,
vous risquerez cinq ans de prison ferme. Rien ne passe le filtre Erdogan. Un « lâche » et un « cruel » coutent actuellement
à un éditorialiste du quotidien Cumhuriyet,
des poursuites judiciaires pour « insulte
au président ».
Il faut donc éduquer le peuple turc, comme l’a
rappelé un jour le Premier ministre Ahmet Davutoglu, « Tout le monde doit faire preuve de respect à l'égard de la
fonction de président ». Mais voyons ! Les débutants sont condamnés à de la prison avec sursis, les
récidivistes à de la prison ferme. En parler de ses déboires avec la
justice turque pour « insulte au
président » peut conduire à de nouvelles poursuites judiciaires pour « atteinte à l’honneur de l’Etat ».
Hallucinant. La stratégie Erdogan pour
museler la liberté d’expression et l’opposition en Turquie est abjecte. On
critique le pays du Cèdre à longueur de journée, de colonne et de mur, mais au
moins sur ce point, et en dépit des dérapages, le Liban reste quand même un paradis par rapport à la Turquie de nos
jours.
La
dérive totalitaire, anti-démocratique et anti-laïque de Recep Tayyib Erdogan ne
fait pas débat. Mais, elle est de plus en plus inquiétante. Comme le résume un avocat turc, Ahmet Kiraz, « Depuis son arrivée au
pouvoir, mais surtout depuis 2011, Erdogan manipule et exacerbe les oppositions
dans la société turque pour consolider
son électorat rural, peu éduqué, islamiste et nationaliste... Il a toujours
besoin d'un ou de plusieurs ennemis pour mobiliser ses partisans... Ce
dénigrement est fait de façon consciente et systématique, en utilisant les plus
basses méthodes du populisme. »
Bilan des courses, selon Reporters
Sans Frontières, l’évaluation de la liberté de la presse dans 180 pays du monde pour l'année 2015, classe la Turquie à la 149e place, juste devant la Russie
(152), la Libye (154), l’Irak (156) et l’Egypte (158). Beaucoup mieux que la Corée
du Nord (179), la Syrie (177), la
Chine (176), l’Iran (173) et l’Arabie saoudite (164). Mais là, il n’y a pas de quoi pavoiser. En tout cas, c’est beaucoup moins bien que la Palestine (140), le
Maroc (130), l’Afghanistan (122), les Emirats arabes unis (120), l’Algérie
(119), le Qatar (115), Israël (101), le Liban
(98), le Koweït (90), l’Arménie (78), l’Italie (73) et le Japon (61). Et c’est
loin derrière les Etats-Unis (49), la France (38), l’Australie (25), la Suisse
(20), la Belgique (15), l’Allemagne (12) et le Canada (8). Et c’est même très
loin derrière le peloton de tête, les pays d’Europe du Nord : la Suède
(5), les Pays-Bas (4), le Danemark (3), la Norvège (2) et la Finlande (1). Sur ce, nous
n’avons plus qu’à souhaiter la bienvenue au partenaire stratégique de l’Europe.
Sans l’ombre d’un doute, la Turquie d’Atatürk,
mérite mieux qu’Erdogan.
*
Post-scriptum
Erdowie, Erdowo, Erdogan
Traduit de l’allemand
Traduit de l’allemand
« Il vit en XXL, le seigneur du Bosphore.
"Une construction ostentatoire avec
mille pièces, construite sans permis de construire dans une réserve
naturelle".
La liberté de la presse lui fait gonfler
les cordes vocales, c'est pourquoi il a bon nombre de belles écharpes.
(On entend Erdogan parler avec une voix
irritée).
Un journaliste qui par malheur, rédige une
phrase qui ne convient pas à Erdogan, est en taule dès le lendemain, la
rédaction est fermée.
Il ne réfléchit pas longtemps, emploie le
gaz lacrymogène, envoie les lances à eau même en pleine nuit.
Soit donc charmante, car il t'a dans la
main,
Erdowie, Erdowo, Erdogan.
Le temps est mûr pour son Grand Empire
ottoman,
Erdowie, Erdowo, Erdogan.
Les mêmes droits pour les femmes ? Oui,
oui, elles aussi sont tabassées !
"La police d'Istanbul a dissout par la
force une manifestation pour la journée mondiale des femmes".
Si le résultat des élections est mauvais, il
le réajuste.
"I like to move it, move it".
Il déteste les Kurdes comme la peste. Il
préfère bien les bombarder eux, plutôt que les frères de foi de l'autre côté,
qui sont de l'EI (Etat islamique / Daech).
Donne-lui ton argent, il te construit une
tente pour les réfugiés : Erdowie, Erdowo, Erdogan.
Son pays est mûr pour l'adhésion à l’UE
(Union européenne), et il siffle sur la démocratie.
"Tschü avec ü" dit Erdogan, et il
chevauche vers le soleil couchant ! »