samedi 16 avril 2016

Que peut-on offrir au roi d’Arabie saoudite quand on est président d’Egypte? Deux îles! What else? (Art.352)


L’info est passée sous silence ou dans la confusion, dans les médias pro-saoudiens du monde arabe. Il faut dire qu’elle est bien embarrassante pour l’Arabie saoudite. Et n’allez pas demander au caricaturiste jordanien, Amjad Rasmi, qui nous a fait rire en qualifiant l’Etat libanais de « poisson d’avril », de se moquer de la situation. N’oubliez pas que le pauvre gagne « le3mit 3eicho » (la bouchée qui le fait vivre) d’un journal saoudien, Asharq el-Awsat.

Personne n’a pu rater les nouvelles de la visite du roi d’Arabie saoudite en Egypte ces derniers jours. Surtout que celle-ci a été l’occasion d’annoncer urbi et orbi l’intention du royaume saoudien de lancer le projet pharaonique de relier les continents d’Asie et d’Afrique à travers un pont, qui portera forcément le nom du roi saoudien. Lors de cette visite historique, des contrats d’un montant de 25 milliards de dollars ont été signés entre les deux pays. Eh bien, au moins ces 4 milliards de dollars donnés au Liban, pour renforcer son armée, puis aussitôt repris, dans l’opération « chemm wou la tdou2 » (sens mais ne goûte pas), serviront à quelque chose.

Toujours est-il que le diable se cachant évidemment dans les détails, comme l’exigent l’hospitalité arabe et les conventions protocolaires, le président égyptien avait décidé de faire un cadeau au roi saoudien. Mais, le général Sissi était bien embêté. Que peut-on offrir à sa majesté sans apparaitre ridicule ? L’inviter à ce délicieux plat égyptien, « mouloukhiyé bel araneb » ? Superbe idée, sauf que trois heures après, il n’y a plus aucune trace du cadeau. L’emmener à un spectacle de danse du ventre ? On dit « danse orientale » BB, sinon attention, tu vas te taper les Femen franco-arabes ! Deal. Mais bon, pas sûr que ça plairait. Finalement, il a trouvé. Mais enfin, pourquoi ne pas lui donner Tirane et Sanafir, les deux îles situées dans la mer Rouge, à l'entrée du golfe d’Aqaba en face de Charm el-Cheikh ? Deux îles! What else ? Mais quoi, ce ne sont que deux bouts de terre de 80 et de 33 kilomètres carrés, où rien ne pousse à part une montagne qui culmine à 524 m, et qui n’intéressent personne pour l'instant, à part des gars de l’ONU et des amateurs de la plongée sous-marine venus de la désertique station balnéaire d'en face.

Alors, pourquoi pas ? Sauf que ces îles sont avec l’Egypte depuis l’époque ottomane, elles ne faisaient pas vraiment l’objet d’un contentieux ouvert et notoire entre les deux pays, des spécialistes égyptiens doutent de la véracité de l'information fournie par le gouvernement égyptien sur des négociations engagées depuis six ans avec les Saoudiens concernant ces îles, la décision n’a pas été soumise à l’accord préalable du peuple égyptien et de ses représentants, alors qu’il s’agit d’un problème de souveraineté nationale, and last but not least, tous les Egyptiens nés depuis 1906 n’ont appris la nouvelle de la soudaine appartenance des deux îles à l’Arabie saoudite que dans la journée du 9 avril 2016, dans les médias et les réseaux sociaux svp. Saloperie de réseaux sociaux ! Au passage, sachez que depuis un moment, des parlementaires égyptiens voudraient sérieusement interdire Facebook en Egypte. Non mais, c'est quoi ce bordel, ils n’arrivent plus à magouiller tranquillement comme avant ! Tenez, comme dans l’affaire Tirane & Sanafir par exemple. Vu le tollé suscité par ce scandale aux bords du Nil, on a fini par trouver une fatwa, la nécessité de tracer définitivement la frontière maritime entre l’Egypte et l’Arabie saoudite, un prétexte, c’est là où doit passer le futur « pont du roi Salmane », et une explication, l’Arabie saoudite aurait demandé à l’Egypte après la guerre arabo-israélienne de 1948 et la création d’Israël, d’administrer et de protéger les deux îles. Mais voyons, pourquoi vous vous pressez pour tirer tout cela au clair, attendez le 23e siècle, et surtout, n’en dites pas un mot à vos peuples.

Voici donc une histoire rocambolesque qui a inspiré au célèbre animateur satiriste de la télévision égyptienne, Bassem Youssef, médecin cardiologue à ses heures perdues, le Jon Stewart du monde arabe, un tweet sarcastique le jour de l'éclatement du scandale, « Ô pacha, approche, approche : l’île pour un milliard, la pyramide pour deux, et pour l’ensemble, deux statues en cadeau », et un autre plus amer deux jours plus tard, « Notre problème n'est pas avec l'acheteur, lui au moins, connait ses intérêts. Notre problème est avec celui qui vend et renonce ». Hélas, ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, de cette originale façon de gouverner de certains dirigeants arabes, le fait accompli, ou l’art de parler au nom du peuple et de tout faire à son insu, contre son gré et ses intérêts. On en connait un rayon dans ce domaine au Liban, hein ?