dimanche 17 juillet 2016

Le meurtrier de Nice : tueur de masse et terroriste islamiste ? (Art.375)


Au lendemain de l'attaque meurtrière de Nice
survenue lors de la fête du 14-Juillet
Source AFP
Les cœurs sont lourds. Mais cela ne doit pas empêcher les esprits d’être vifs. Plus de deux jours après l’attaque meurtrière de Nice, voici quelques réflexions à froid sur cet événement tragique, avec les certitudes et les doutes.

1. Commençons par les faits. Côte d’Azur, fête nationale du 14-Juillet, 22h45. Un camion fonce dans une foule rassemblée paisiblement sur la Promenade des Anglais pour regarder le feu d’artifice. Il réussit à parcourir 1 800 m. Le chauffeur tire avec un revolver en direction de plusieurs policiers présents sur les lieux. Bilan 84 morts et deux fois plus de blessés, dont une cinquantaine se trouve dans un état grave. Le camion était conduit par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un Tunisien âgé de 31 ans, résident à Nice et condamné auparavant pour violences. Il sera abattu par la police quelques minutes plus tard.

2. Disons aussi d’emblée, rien n’indique formellement pour l’instant qu’il s’agit d’une attaque terroriste islamiste organisée par Daech. Mais, comme le chauffard qui avait bel et bien l’intention de tuer le maximum de gens, était de confession musulmane, ceci constitue une preuve plus que suffisante pour certains. Certes, l’action pourrait être considérée comme une réponse aux appels lancés à plusieurs reprises par les terroristes de l'organisation Etat islamique aux musulmans d’Occident pour « tuer un infidèle américain ou européen, surtout un méchant et dégoûtant Français... de quelque manière que ce soit » (sept.2014), à « attaquer les croisés (chrétiens) où qu'ils soient » (janv. 2015) et à faire du mois de ramadan de cette année « un mois de calamité partout pour les non-croyants... (car) il n’y a pas d’innocents chez les mécréants » (mai 2016). D’ailleurs, l’appel qui a suivi le début de l’offensive occidentale contre l’Etat islamique en septembre 2014 était même très précis : « Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec une voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le ».

Cependant, les premiers éléments de l’enquête ne permettent pas d’avancer avec certitude que Bouhlel était « sans doute lié à l'islam radical, d'une manière ou d'une autre » comme l’a affirmé avec précipitation le Premier ministre français, Manuel Valls. Primo, on ne retrouve pour l’instant aucune lien avec le milieu islamique radical, mais des fusils d'assaut, un revolver et une grenade, tous factices. Secundo, au lendemain de l’attaque de Nice, celle-ci n’a été revendiquée par aucune organisation terroriste islamiste radicale, ni Daech ni Al-Qaeda. Tertio, un précédent qui sème le doute existe, à Dijon, en décembre 2014, où un automobiliste avait foncé sur des piétons en criant « Allah wou akbar », blessant une douzaine de personnes, sauf qu’après enquête, on a découvert que l’illuminé était un ancien toxicomane atteint d’une « psychose » et avait effectué 157 séjours en hôpital psychiatrique les 15 dernières années. En tout cas, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, conclut dans un premier temps, qu’il n’y a « pas en l’état des informations » pour accréditer la thèse de l’islamisme radical.

3. Mohamed Lahouaiej Bouhlel a déjà été condamné pour violences. Il ne fallait pas plus pour certains, pour croire avoir détecté la faille du système qui explique la tuerie, le laxisme de la justice française. Une première recherche permet de découvrir que ce chauffeur de poids lourd a effectivement fait usage d’une « arme » lors d’une altercation routière, mais au moyen d’une palette en bois. De plus, ce n’est pas parce qu’on a été condamné à 6 mois de prison pour violences, qu’on peut être interné ou surveillé pour le reste de sa vie. Il faut savoir que près de 878 000 infractions ont été sanctionnées en France au cours de l’année 2014, menant à 584 000 condamnations inscrites au Casier Judiciaire. On a dénombré 284 000 délits liés à la circulation routière et 120 000 atteintes aux personnes, càd des actes violents. Quant à l’internement des personnes fichées S par les services de renseignement (pour « atteinte à la sûreté de l’Etat »), si on écoute la droite et l’extrême droite en France, non seulement on aura à créer et à gérer une Guantanamo-Ville de plus de 11 000 habitants (englobant des islamistes mais aussi des hooligans, des extrémistes de droite comme de gauche), mais en plus, cette mesure pose divers problèmes : une longue privation de liberté est du ressort de la justice et non de la police ; l’internement ne peut être décrété à vie surtout que le fichage peut n’être basé que sur des soupçons, peu de preuves ou de petits délits ; cela permet aux personnes suspectées de radicalisme de savoir qu’elles sont surveillées. En plus, le Tunisien de Nice était un père de famille inconnu des services de renseignement. Cela n’a pas empêché Alain Juppé, présidentiable qui se nourrit au petit lait des sondages, d’affirmer que « si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu lieu ». Ah bon ! Mais quoi au juste ? Et encore, c'était « le meilleur d'entre nous » comme disait Chirac. Pour les autres, c'est une véritable catastrophe pour certains. « On me dit "c'est difficile d'arrêter un camion"... Et puis des moyens dont on dispose ! Il suffit de mettre à l'entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquette et puis il arrêtera le camion de 15 tonnes, voilà c'est tout ! Sinon, c'est pas la peine d'utiliser des militaires. » C'était Henri Guaino, député de la nation et ex-conseiller spécial de Nicolas Sarkozy. On n'a pas de pétrole en France, mais certains ont des idées lumineuses.

Il est indéniable qu’un des grands défis pour les hommes politiques aujourd’hui, en France et ailleurs, dans un contexte de menaces et de risques, c’est de résister à la pression populaire du « risque zéro » et à la dérive populiste du « tout sécuritaire ». On dirait que l’immunité de certains dans ce domaine est particulièrement effondrée. Et là, nous ne pouvons que nous réjouir de celle du Premier ministre français, Manuel Valls :
« La réponse à l'Etat islamique ne peut pas être la "Trumpisation" des esprits ». Pourvu que ça dure.

4. Surprise, ce n’est que samedi 16 juillet 2016, que Daech a revendiqué l’attaque de Nice. Dans un communiqué publié par l’agence djihadiste Amaaq, Mohamed Lahouaiej Bouhlel est présenté comme « un des soldats de l’Etat islamique » qui aurait répondu à l’appel de l’organisation terroriste de « viser les ressortissants de la coalition qui combat l’Etat islamique ». Si la revendication semble authentique, rien n’explique pourquoi il a fallu attendre le surlendemain de l’attaque pour l’annoncer. En plus, beaucoup d’éléments sèment le doute. Le Tunisien de Nice est considéré par ses voisins comme un « musulman peu pratiquant », qui ne fait ni la prière ni le ramadan. Il ne va pas à la mosquée, boit de l’alcool et mange du porc. Certes, cela n’exclut pas une radicalisation récente, mais une chose est hautement probable, l’Etat islamique n’est pas l’organisateur de l’opération macabre du 14-Juillet. Rien à voir avec les attaques terroristes du 13-Novembre ! Si Daech avait la capacité de s’en prendre à la France, non seulement il ne se gênerait pas, mais en plus, l’organisation terroriste aurait ciblé le Championnat d’Europe de football et la Grande boucle, plutôt que le feu d’artifice de Nice. L’Euro 2016 c’est un spectacle de 51 matchs qui s’est déroulé sur 31 jours et qui a rassemblé 2,5 millions de spectateurs dans 10 villes en France. Le Tour de France 2016 c’est un spectacle de 21 étapes qui se déroulent sur 23 jours et qui rassemble jusqu’à 12 millions de personnes le long des 3 500 km parcourus dans l’Hexagone. Les deux grands événements sportifs se sont déroulés sans aucun incident terroriste, le premier est terminé, le second prendra fin le dimanche 24 juillet avec l’arrivée des cyclistes sur les Champs-Elysées. Ainsi, contrairement à ce que pensent certains experts, comme le spécialiste du jihadisme en France, le journaliste David Thomson, ou le président du Centre d'Analyse du Terrorisme, Jean-Charles Brisard, la revendication de Daech s’apparente bel et bien à une appropriation opportuniste de l’événement tragique.

5. Pour être complet sur le sujet, il faut savoir par ailleurs que Mohamed Lahouaiej Bouhlel qui est décrit par ses voisins de quartier comme « un homme solitaire, silencieux et caractériel », est connu aussi pour violence conjugale. Il est actuellement en instance de divorce. Il serait marqué par sa séparation avec sa femme, sa cousine par ailleurs, une Franco-tunisienne qu'il a épousé en Tunisie et par le biais de qui il a pu venir en France et obtenir sa carte de résident en 2009. Il était bi-sexuel et très attaché à l'image qu'il donnait de son corps. Pour un autre voisin qui l'a rencontré il y a deux semaines à Nice, il était déprimé, instable, stressé, « on aurait dit que c'était fini pour lui ». D'autres le décrivent comme quelqu'un de « bizarre ». Si la thèse du terrorisme islamiste est plausible, il faudrait aussi ne pas écarter la piste du tueur de masse à la tendance suicidaire, ayant commis un homicide volontaire avec préméditation, inspiré doublement par la propagande islamiste de Daech et la haine de la France. Le père du criminel, Mohamed Mondher Lahouaiej-Bouhlel, qui se trouve en Tunisie, assure que son fils était « colérique, solitaire et déprimé ». L’info est confirmée par sa sœur Rabeb Bouhlel qui affirme, « nous avons remis à la police des documents qui prouvent qu'il a consulté des psychologues pendant plusieurs années ». Le psychiatre tunisien qui l’a vu en 2004 à la demande du père, a confirmé que le jeune avait « un début de psychose et des troubles du comportement » qui pouvaient conduire à une schizophrénie. En tout cas, d’éventuels troubles psychologiques ne sont pas incompatibles avec une radicalisation islamiste, bien au contraire. Selon une source policière « le tueur était en relation avec des personnes, elles-mêmes en contact avec des islamistes radicaux, mais à ce stade cela ne prouve rien ». Aux dernières nouvelles, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé « qu’il semble qu’il (Mohamed Lahouaiej Bouhlel) se soit radicalisé très rapidement ». De quelle façon ? On ne le sait pas encore.

6. A ce propos, même si ce n’est pas totalement comparable, il faudrait tout de même se souvenir du cas d’Andreas Lubitz, un Allemand âgé de 28 ans, dépressif, copilote de la compagnie Germanwings, qui s’est enfermé le 24 mars 2015 dans le cockpit de l’airbus A320 qui reliait Barcelone à Düsseldorf, et qui a écrasé l’avion qu’il pilotait sur un flanc de montagne des Alpes-de-Haute-Provence, tuant 144 passagers et 5 membres d'équipage. Rappelons-nous aussi les attaques terroristes de Norvège survenues le 22 juillet 2011, où un dénommé Anders Behring Breivik, un Norvégien d’extrême droite à l’idéologie nationaliste, âgé de 32 ans, avait fait exploser une bombe à Oslo, tuant 8 personnes, puis s’est rendu sur l’île Utoya où il a ouvert le feu sur un rassemblement du Parti travailliste norvégien, tuant 69 personnes. Il voulait dénoncer ceux qui permettaient « la colonisation de l’Europe par l’islam ».

Qu’est-ce que cela change au fond ? « Rien » pour les victimes. « Tout » pour notre perception de l’événement et de l’appréciation de la menace terroriste à l'avenir. C’est de ces deux paramètres que dépendra la réponse politique et sécuritaire. Aujourd’hui, toute la question étant de savoir est-ce que l’attaque de Nice résulte d’une pulsion morbide isolée ou d’une planification terroriste collective ? Cela change tout. Dans le premier cas, c’est un individu qui est fautif, il agit seul et par mimétisme. Dans le second cas, c’est une organisation islamiste, Daech, qui aurait commandité l’attaque terroriste au nom de l’islam, poussant les malintentionnés de tous bords, à rendre toute la communauté musulmane coupable. Je ne sais pas laquelle des deux options est plus rassurante, mais là n’est pas le sujet, il est important de ne pas se tromper de diagnostic.

7. Dans les deux cas, si les Musulmans d’Occident comme d’Orient doivent saisir à quel point la lutte contre l’islam radical est essentiel pour eux car celui-ci ternit gravement et durablement l’image de la religion musulmane dans le monde, les non-Musulmans d’ici et d’ailleurs doivent comprendre qu’il n’y a rien qui puisse nourrir l’islam radical autant que les amalgames ! Il faut dire que ces personnes malintentionnées, et Dieu sait qu’elles sont nombreuses, ne se rendent pas compte qu’elles fournissent une aide précieuse aux terroristes pour qu’ils atteignent leurs objectifs à long terme avec peu de moyens : propager la peur, terroriser les populations, paralyser les sociétés et infléchir la politique des Etats occidentaux. Une telle atmosphère de peur créera un climat suspicieux, qui conduira, comme le souhaitent les islamistes, à des clivages dans les sociétés occidentales, puis inévitablement à la stigmatisation des populations musulmanes d’Occident. Par la référence systématique de « l’Etat islamique » au caractère « croisé » de ses cibles européennes, Daech veut placer la confrontation actuelle dans une perspective religieuse d’un conflit islamo-chrétien, condition nécessaire pour provoquer des réactions hostiles envers les communautés musulmanes d’Europe, marginaliser certains ressortissants européens de confession musulmane, faire naitre chez eux le sentiment d’être rejetés, avant de les embrigader et en faire des « jihadistes sans frontières ». La prise de conscience de ce risque par tous les enfants de la patrie, de toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues, des musulmans comme des non-musulmans, est vitale pour la nation française afin de faire face efficacement à la menace terroriste.

8. Voilà ce que l’on peut dire à l’heure actuelle. L’avenir proche nous permettra de compléter ces informations. Mais une chose est sûre et certaine dès à présent. Un des grands problèmes auxquels les sociétés occidentales devront faire face à l’avenir, surtout dans un contexte de terrorisme islamique et de médiatisation à outrance, c’est la gestion de l’information. Si on s’est retenus un peu dans le cas d’Andreas Lubitz, pour parler de terrorisme, on n’a pas hésité une seconde dès le départ dans le cas de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, pour évoquer la piste du terrorisme islamiste radical. « Au travers de Nice, c'est la France qui a été directement visée hier soir par le terrorisme islamiste », signé Nicolas Sarkozy, le revenant. « A nouveau la France plongée dans l'horreur. Pensées pour les victimes. La lutte contre le fondamentalisme islamiste doit démarrer », Marine Le Pen, l’opportuniste. Aucune retenue. Mais pourquoi ? Parce qu’il était musulman ! Matières à réflexion pour tout le monde, musulmans et non-musulmans.

9. Autre chose, quand je vois les dérapages de certains médias en France (comme l’a relevé le reporter Nicolas Henin, sur le live surréaliste de France 2 dans la nuit du 15 juillet, où un journaliste est venu interroger un homme éploré assis par terre, en lui demandant : « Bonsoir Monsieur, vous venez de perdre votre épouse. Une réaction ? »... Oui, casse-toi, pauvr’ con !) et dans le monde (TV, radios, journaux et internet... même Wikileaks n’a pas pu se retenir pour partager sur son site une vidéo gore choquante tournée peu de temps après le drame !), quand je constate la dérive populiste de certains hommes politiques (la palme d'or peut être attribuée au revenant, Nicolas Sarkozy, qui est parvenu après 72 heures d'intenses réflexions à la conclusion que « Tout ce qui devrait être fait depuis dix-huit mois n'a pas été fait... Nous sommes en guerre, une guerre totale (...) ça sera eux ou nous »), et quand je lis les réactions des individus nombrilistes (sur les réseaux sociaux), je crains plus pour l’avenir de l’humanité que dans le cas des menaces terroristes. Pas de doute, le grand danger pour nos sociétés aujourd'hui découle de cette nauséabonde course, comme après chaque drame, au « scoop », au « sensationnalisme », à la « démagogie » et à la « surenchère haineuse », d’un monde d'amateurs et de professionnels qui s’expriment pour certains, avec le QI d’une huitre et le QE d’une moule.