Au lendemain de l'attaque meurtrière de Nice survenue lors de la fête du 14-Juillet Source AFP |
1. Commençons par les faits. Côte d’Azur, fête
nationale du 14-Juillet, 22h45. Un camion fonce dans une foule
rassemblée paisiblement sur la Promenade des Anglais pour regarder le feu
d’artifice. Il réussit à parcourir 1 800 m. Le chauffeur tire avec un
revolver en direction de plusieurs policiers présents sur les lieux. Bilan 84 morts et deux fois plus de blessés,
dont une cinquantaine se trouve dans un état grave. Le camion était conduit par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un Tunisien âgé
de 31 ans, résident à Nice et condamné auparavant pour violences. Il sera
abattu par la police quelques minutes plus tard.
2. Disons aussi d’emblée, rien n’indique formellement
pour l’instant qu’il s’agit d’une attaque terroriste islamiste organisée par Daech. Mais, comme le chauffard
qui avait bel et bien l’intention de tuer le maximum de gens, était de
confession musulmane, ceci constitue une preuve plus que suffisante pour
certains. Certes, l’action pourrait être considérée comme une réponse aux appels lancés à plusieurs reprises par les
terroristes de l'organisation Etat islamique aux musulmans d’Occident pour « tuer un infidèle américain ou européen, surtout un méchant et
dégoûtant Français... de quelque manière que ce soit » (sept.2014), à « attaquer les croisés (chrétiens) où
qu'ils soient » (janv. 2015) et à faire du mois de ramadan de cette
année « un mois de calamité partout
pour les non-croyants... (car) il n’y a pas d’innocents chez les mécréants »
(mai 2016). D’ailleurs, l’appel qui a suivi le début de l’offensive occidentale
contre l’Etat islamique en septembre 2014 était même très précis : « Frappez
sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec une
voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le ».
Cependant, les premiers éléments de l’enquête ne permettent pas d’avancer avec
certitude que Bouhlel était « sans
doute lié à l'islam radical, d'une manière ou d'une autre » comme
l’a affirmé avec précipitation le Premier ministre français, Manuel Valls. Primo, on ne retrouve pour
l’instant aucune lien avec le milieu islamique radical, mais des fusils d'assaut, un revolver et une grenade, tous factices. Secundo, au lendemain de l’attaque de Nice,
celle-ci n’a été revendiquée par aucune organisation terroriste islamiste radicale, ni
Daech ni Al-Qaeda. Tertio, un précédent qui sème le doute existe, à Dijon, en décembre 2014, où un
automobiliste avait foncé sur des piétons en criant « Allah wou akbar », blessant une douzaine de personnes, sauf
qu’après enquête, on a découvert que l’illuminé était un ancien toxicomane
atteint d’une « psychose » et avait effectué 157 séjours en hôpital
psychiatrique les 15 dernières années. En tout cas, le ministre
français de l’Intérieur, Bernard
Cazeneuve, conclut dans un premier temps, qu’il n’y a « pas en l’état des informations »
pour accréditer la thèse de l’islamisme radical.
3. Mohamed
Lahouaiej Bouhlel a déjà été condamné pour violences. Il ne fallait pas
plus pour certains, pour croire avoir détecté la faille du système qui explique
la tuerie, le laxisme de la justice française. Une première recherche permet de
découvrir que ce chauffeur de poids lourd a effectivement fait usage d’une « arme »
lors d’une altercation routière, mais au moyen d’une palette en bois. De plus, ce n’est
pas parce qu’on a été condamné à 6 mois de prison pour violences, qu’on peut
être interné ou surveillé pour le reste de sa vie. Il faut savoir que près de 878 000 infractions ont été
sanctionnées en France au cours de l’année 2014, menant à 584 000
condamnations inscrites au Casier Judiciaire. On a dénombré 284 000 délits
liés à la circulation routière et 120 000 atteintes aux personnes, càd
des actes violents. Quant à l’internement des
personnes fichées S par les services de renseignement (pour « atteinte à la sûreté de l’Etat »), si
on écoute la droite et l’extrême droite en France, non seulement on aura à créer et à gérer une Guantanamo-Ville de plus de 11 000
habitants (englobant des islamistes mais aussi des hooligans, des extrémistes
de droite comme de gauche), mais en plus, cette
mesure pose divers problèmes : une longue privation de liberté est du
ressort de la justice et non de la police ; l’internement ne peut être
décrété à vie surtout que le fichage peut n’être basé que sur des soupçons, peu
de preuves ou de petits délits ; cela permet aux personnes suspectées de
radicalisme de savoir qu’elles sont surveillées. En plus, le Tunisien de Nice
était un père de famille inconnu des services de renseignement. Cela n’a pas
empêché Alain Juppé, présidentiable qui se nourrit au petit lait des sondages, d’affirmer que « si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu
lieu ». Ah bon ! Mais quoi au juste ? Et encore, c'était « le meilleur d'entre nous » comme disait Chirac. Pour les autres, c'est une véritable catastrophe pour certains. « On me dit "c'est difficile d'arrêter un camion"... Et puis des moyens dont on dispose ! Il suffit de mettre à l'entrée
de la promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquette et puis
il arrêtera le camion de 15 tonnes, voilà c'est tout ! Sinon, c'est pas la peine d'utiliser des militaires. » C'était Henri Guaino, député de la nation et ex-conseiller spécial de Nicolas Sarkozy. On n'a pas de pétrole en France, mais certains ont des idées lumineuses.
Il est indéniable qu’un des grands défis pour les hommes politiques aujourd’hui, en France et ailleurs, dans un contexte de menaces et de risques, c’est de résister à la pression populaire du « risque zéro » et à la dérive populiste du « tout sécuritaire ». On dirait que l’immunité de certains dans ce domaine est particulièrement effondrée. Et là, nous ne pouvons que nous réjouir de celle du Premier ministre français, Manuel Valls : « La réponse à l'Etat islamique ne peut pas être la "Trumpisation" des esprits ». Pourvu que ça dure.
4. Surprise, ce n’est que samedi 16 juillet 2016, que Daech a
revendiqué l’attaque de Nice. Dans un communiqué publié par l’agence
djihadiste Amaaq, Mohamed Lahouaiej Bouhlel est présenté comme « un des soldats de l’Etat islamique »
qui aurait répondu à l’appel de l’organisation terroriste de « viser les ressortissants de la
coalition qui combat l’Etat islamique ». Si la revendication semble
authentique, rien n’explique pourquoi il
a fallu attendre le surlendemain de l’attaque pour l’annoncer. En plus, beaucoup d’éléments sèment le doute. Le
Tunisien de Nice est considéré par ses voisins comme un « musulman peu pratiquant », qui ne fait ni la prière ni
le ramadan. Il ne va pas à la mosquée, boit de l’alcool et mange du porc. Certes,
cela n’exclut pas une radicalisation récente, mais une chose est hautement probable, l’Etat islamique n’est pas l’organisateur
de l’opération macabre du 14-Juillet. Rien à voir avec les attaques
terroristes du 13-Novembre ! Si Daech avait la capacité de s’en prendre à
la France, non seulement il ne se gênerait pas, mais en plus, l’organisation terroriste aurait ciblé le
Championnat d’Europe de football et la Grande boucle, plutôt que le feu
d’artifice de Nice. L’Euro 2016 c’est un spectacle de 51 matchs qui s’est
déroulé sur 31 jours et qui a rassemblé 2,5
millions de spectateurs dans 10 villes en France. Le Tour de France 2016 c’est
un spectacle de 21 étapes qui se déroulent sur 23 jours et qui rassemble jusqu’à
12 millions de personnes le long des
3 500 km parcourus dans l’Hexagone. Les deux grands événements sportifs se
sont déroulés sans aucun incident terroriste, le premier est terminé, le second
prendra fin le dimanche 24 juillet avec l’arrivée des cyclistes sur les
Champs-Elysées. Ainsi, contrairement à ce que pensent certains experts, comme le spécialiste du
jihadisme en France, le journaliste David Thomson, ou le président du Centre d'Analyse du Terrorisme, Jean-Charles Brisard, la
revendication de Daech s’apparente bel et bien à une appropriation opportuniste
de l’événement tragique.
5. Pour être complet sur le sujet, il faut
savoir par ailleurs que Mohamed Lahouaiej Bouhlel qui est décrit par ses
voisins de quartier comme « un homme solitaire, silencieux et
caractériel », est connu aussi pour violence conjugale. Il est actuellement en
instance de divorce. Il serait marqué par sa séparation avec sa femme, sa cousine par ailleurs, une Franco-tunisienne qu'il a épousé en Tunisie et par le biais de qui il a pu venir en France et obtenir sa carte de résident en 2009. Il était bi-sexuel et très attaché à l'image qu'il donnait de son corps. Pour un autre voisin qui l'a rencontré il y a deux semaines à Nice, il était déprimé, instable, stressé, « on aurait dit que c'était fini pour lui ». D'autres le décrivent comme quelqu'un de « bizarre ». Si la thèse du terrorisme islamiste est
plausible, il faudrait aussi ne pas écarter la piste du tueur de masse à la tendance
suicidaire, ayant commis un homicide volontaire avec préméditation, inspiré doublement
par la propagande islamiste de Daech et la haine de la France. Le père du
criminel, Mohamed Mondher Lahouaiej-Bouhlel, qui se trouve en Tunisie, assure
que son fils était « colérique,
solitaire et déprimé ». L’info est confirmée par sa sœur Rabeb Bouhlel
qui affirme, « nous avons remis à la
police des documents qui prouvent qu'il a consulté des psychologues pendant
plusieurs années ». Le psychiatre tunisien qui l’a vu en 2004 à la
demande du père, a confirmé que le jeune avait « un début de psychose et des troubles du comportement » qui
pouvaient conduire à une schizophrénie. En tout cas, d’éventuels troubles psychologiques ne sont pas incompatibles avec une
radicalisation islamiste, bien au contraire. Selon une source policière « le tueur était en relation avec des personnes, elles-mêmes en
contact avec des islamistes radicaux, mais à ce stade cela ne prouve
rien ». Aux dernières nouvelles, le ministre français de l’Intérieur,
Bernard Cazeneuve, a annoncé « qu’il
semble qu’il (Mohamed Lahouaiej Bouhlel) se soit radicalisé très
rapidement ». De quelle façon ? On ne le sait pas encore.
6. A ce propos, même si ce n’est pas
totalement comparable, il faudrait tout de même se souvenir du cas d’Andreas Lubitz, un Allemand âgé de 28 ans, dépressif,
copilote de la compagnie Germanwings, qui s’est enfermé le 24 mars 2015 dans le
cockpit de l’airbus A320 qui reliait Barcelone à Düsseldorf, et qui a écrasé
l’avion qu’il pilotait sur un flanc de montagne des Alpes-de-Haute-Provence,
tuant 144 passagers et 5 membres d'équipage. Rappelons-nous aussi les attaques
terroristes de Norvège survenues le 22 juillet 2011, où un dénommé Anders Behring Breivik, un Norvégien d’extrême
droite à l’idéologie nationaliste, âgé de 32 ans, avait fait exploser une bombe
à Oslo, tuant 8 personnes, puis s’est rendu sur l’île Utoya où il a ouvert le
feu sur un rassemblement du Parti travailliste norvégien, tuant 69 personnes.
Il voulait dénoncer ceux qui permettaient « la
colonisation de l’Europe par l’islam ».
Qu’est-ce
que cela change au fond ? « Rien » pour les victimes. « Tout » pour notre perception de
l’événement et de l’appréciation de la menace terroriste à l'avenir. C’est de ces deux
paramètres que dépendra la réponse politique et sécuritaire. Aujourd’hui, toute
la question étant de savoir est-ce que l’attaque
de Nice résulte d’une pulsion morbide isolée ou d’une planification terroriste collective ?
Cela change tout. Dans le premier cas, c’est
un individu qui est fautif, il agit seul et par mimétisme. Dans le second cas, c’est une organisation
islamiste, Daech, qui aurait commandité l’attaque terroriste au nom de l’islam, poussant les malintentionnés de tous bords,
à rendre toute la communauté musulmane coupable. Je ne sais pas laquelle
des deux options est plus rassurante, mais là n’est pas le sujet, il est important
de ne pas se tromper de diagnostic.
7. Dans les deux cas, si les Musulmans d’Occident comme d’Orient doivent saisir à quel point
la lutte contre l’islam radical est essentiel pour eux car celui-ci ternit gravement
et durablement l’image de la religion musulmane dans le monde, les non-Musulmans
d’ici et d’ailleurs doivent comprendre qu’il n’y a rien qui puisse nourrir l’islam
radical autant que les amalgames ! Il faut dire que ces personnes malintentionnées,
et Dieu sait qu’elles sont nombreuses, ne se rendent pas compte qu’elles fournissent une aide précieuse aux
terroristes pour qu’ils atteignent leurs objectifs à long terme avec peu de
moyens : propager la peur, terroriser les populations, paralyser les
sociétés et infléchir la politique des Etats occidentaux. Une telle atmosphère de peur créera un climat suspicieux, qui conduira,
comme le souhaitent les islamistes, à des clivages dans les sociétés
occidentales, puis inévitablement à la stigmatisation des populations
musulmanes d’Occident. Par la référence systématique de « l’Etat islamique
» au caractère « croisé » de ses cibles européennes, Daech veut placer la
confrontation actuelle dans une perspective religieuse d’un conflit
islamo-chrétien, condition nécessaire pour provoquer
des réactions hostiles envers les communautés musulmanes d’Europe, marginaliser
certains ressortissants européens de confession musulmane, faire naitre chez
eux le sentiment d’être rejetés, avant de les embrigader et en faire des « jihadistes
sans frontières ». La prise de conscience de ce risque par tous les enfants
de la patrie, de toutes tendances politiques et appartenances communautaires
confondues, des musulmans comme des non-musulmans, est vitale pour la nation française afin
de faire face efficacement à la menace terroriste.
8. Voilà ce que l’on peut dire à l’heure
actuelle. L’avenir proche nous permettra de compléter ces informations. Mais
une chose est sûre et certaine dès à présent. Un des grands problèmes auxquels les sociétés occidentales devront
faire face à l’avenir, surtout dans un contexte de terrorisme islamique et de médiatisation à outrance, c’est la gestion de l’information. Si on s’est
retenus un peu dans le cas d’Andreas Lubitz, pour parler de terrorisme, on n’a
pas hésité une seconde dès le départ dans le cas de Mohamed Lahouaiej Bouhlel,
pour évoquer la piste du terrorisme islamiste radical. « Au travers de Nice, c'est la France qui a été directement visée
hier soir par le terrorisme islamiste », signé Nicolas Sarkozy, le
revenant. « A nouveau la France
plongée dans l'horreur. Pensées pour les victimes. La lutte contre le
fondamentalisme islamiste doit démarrer », Marine Le Pen, l’opportuniste.
Aucune retenue. Mais pourquoi ? Parce qu’il était musulman ! Matières à réflexion pour tout le monde, musulmans et non-musulmans.
9. Autre chose, quand je vois les dérapages de certains médias en France (comme l’a
relevé le reporter Nicolas Henin, sur le
live surréaliste de France 2 dans la nuit du 15 juillet, où un
journaliste est venu interroger un homme éploré assis par terre, en lui
demandant : « Bonsoir Monsieur, vous
venez de perdre votre épouse. Une réaction ? »... Oui, casse-toi,
pauvr’ con !) et dans le monde (TV, radios, journaux et internet... même
Wikileaks n’a pas pu se retenir pour partager sur son site une vidéo gore choquante
tournée peu de temps après le drame !), quand je constate la dérive populiste de certains hommes politiques (la palme d'or peut être attribuée au revenant, Nicolas Sarkozy, qui est parvenu après 72 heures d'intenses réflexions à la conclusion que « Tout ce qui devrait être fait depuis dix-huit mois n'a pas été fait... Nous sommes en guerre, une guerre totale (...) ça sera eux ou nous »), et quand je lis les réactions des individus nombrilistes (sur
les réseaux sociaux), je crains plus pour
l’avenir de l’humanité que dans le cas des menaces terroristes. Pas de
doute, le grand danger pour nos sociétés
aujourd'hui découle de cette nauséabonde course, comme après chaque drame, au
« scoop », au « sensationnalisme », à la « démagogie » et à la
« surenchère haineuse », d’un monde d'amateurs et de professionnels qui s’expriment pour certains, avec le QI d’une
huitre et le QE d’une moule.