Le hasard a voulu que je croise hier soir au supermarché des connaissances que je n’avais
pas vues depuis longtemps. Nous profitâmes de l’occasion pour survoler
l’actualité personnelle, locale, nationale et internationale, qui était comme tout
le monde le sait particulièrement chargée ces derniers jours. Nous commençâmes
par les incontournables banalités sur la santé, la météo et les vacances. La
discussion s’est engagée ensuite sur les travaux municipaux bidon de la
réfection inutile des trottoirs nases à cause de la saloperie de vigueur des
arbres qu’on n’a pas hésité à déraciner dans l’indifférence
générale des uns et des autres.
Nous passâmes rapidement aux innombrables actes terroristes de ce
sinistre mois de juillet. D’entrée en matière, j’ai tenté de nuancer la
discussion en précisant à mes interlocuteurs qu’une partie de ces derniers,
aussi odieux soient-ils, n’étaient que des « faits divers ». Rien à
faire. Ces connaissances croient non seulement à la vie après la mort politique
mais aussi à la mythologie du « revenant ». Ils se préparent à la « guerre
totale » contre Daech, depuis que Sarko et ses friends nous l’ont
annoncé, en faisant des réserves de
nourritures dans leurs frigos et placards, ainsi que dans tous les coins et
recoins de leur pavillon de banlieue, bunkerisé pour la circonstance avec une caméra de surveillance.
Pendant que je les écoutais débiter les habituelles indignations, revendications et
surenchères populistes de droite et d’extrême droite, comme après chaque attaque terroriste, « Hollande ceci... Valls cela... que
fait le gouvernement... on se laisse faire...tous ces binationaux et étrangers
(moi, on me tolère, 'ah vous, c'est différent' !)... qu’est-ce qu’ils attendent encore avant de créer ‘Guantanamo-Ville’
pour les fichés S (atteinte à la sureté de l’Etat)... les imams financés par le
Maghreb... les mosquées salafistes... le rachat de la France par l’Arabie
saoudite et le Qatar... les musulmans doivent faire ceci, mais pas cela... », patati patata, j’ai rapidement compris que la discussion n’avait strictement
aucun intérêt intellectuel. C’est alors
que je me suis mis en pilotage automatique. C’est une disposition cérébrale
complexe, élaborée à la sueur de mon front au fil des discussions stériles, qui
me permet de répondre à un interlocuteur
par des phrases prêtes à dire, pendant que l’essentiel de mon esprit est
consacré à autre chose, à observer, analyser et théoriser. Très utile dans
les réunions de famille, les soirées mondaines, les navets au théâtre comme au
cinéma, toutes les expositions d’art contemporain sans exception, les réunions
pompeuses (anniversaires, fiançailles, retrouvailles, embrassades, engueulades, etc.), les cérémonies
religieuses (mariages, baptêmes, messes de Noël et de Pâques, enterrements, etc.).
Inutile de vous dire mes amis de la gent masculine que ce n’est pas la peine de
pratiquer le pilotage automatique avec votre compagne, le procédé sera
rapidement détectée et votre avion abattu sans sommation. « BB, tu es encore en pilotage automatique ». Combien de
fois je l’ai entendu ! J’ai eu le malheur de révéler mon secret un jour,
mal m’a pris. Toujours est-il qu’hier soir, j’ai profité de cette liberté extraordinaire pour scruter par des coups
d’œil furtifs le contenu du caddie de Monsieur et de Madame.
D’un côté, on parlait de la barbarie du tueur tunisien de la Côte d’Azur, de l’horreur commise par des réfugiés syriens en Allemagne et de la crise délirante aiguë d’Erdogan en Turquie. De l’autre côté, je voyais des barquettes de viande, de faux-filet de bœuf, de noix de veau, de gigot d’agneau et d'escalope de poulet. On s’est arrêtés longuement sur l’abominable crime de Saint-Etienne-du-Rouvray, l’assassinat de père Jacques Hamel. Il faut dire que pour beaucoup du monde, c’était le crime le plus répugnant. Un prêtre catholique de 86 ans, décrit comme « un homme gentil » et « ouvert au dialogue interreligieux », égorgé en pleine messe dans l’église Sainte-Thérèse, par deux islamistes, l’un étant âgé de 19 ans et dont l’acte a été revendiqué par l’organisation terroriste Daech, ça renvoie aux premiers martyrs chrétiens tués à cause de leur foi en Jésus-Christ. Les criminels ignoraient probablement que la mosquée de leur ville est érigée sur un terrain offert gracieusement par l’Eglise catholique !
Toujours est-il que les esprits n’ont pas tardé à s’échauffer. D’un côté, j’entendais Monsieur et Madame s’offusquer
de l’attitude des musulmans, revendiquer/réclamer/exiger
leur droit au « risque zéro », critiquer l’inaction de l’exécutif
Hollande-Valls-Cazeneuve, dénoncer l’incompétence des services français de renseignement,
vociférer à propos du laxisme de la justice française, et j’en passe et des
meilleures. De l’autre côté, je pensais
à ces animaux égorgés, sans étourdissement préalable et maltraités même en
France comme l'a révélé récemment l'association L214, puis découpés en morceaux afin de nourrir des populations qui ne se donnent même plus la peine de se préoccuper
d’où vient la viande qu’elles mangent et comment est-elle obtenue. Prenons les
bovins. L’espérance de vie de ces
animaux est de 20 ans. Eh bien, figurez-vous que les hommes s’octroient le droit de tuer les bœufs à l’âge de 1
à 2 ans, pour le plaisir de manger une viande tendre. Les vaches laitières ont un peu plus de chance, elles sont tuées à l'âge de 5 ans. Pour les veaux, les hommes s’autorisent même à
les tuer alors qu’ils ne sont âgés que de 3 à 8 mois. Quant aux agneaux, les hommes les tuent à l’âge
de 1 à 8 mois, alors qu’ils peuvent vivre 13 ans. Et pour les poulets, les hommes raccourcissent leur
espérance de vie de 8 ans à 6 semaines. Pire encore, l'espérance de vie des poussins des races pondeuses qui ont le malheur de naitre mâle, ne dépasse même pas les 48 heures. Bienvenue dans le monde cruel des humains ! En Chine, des bipèdes, qui d’après des
tests d’ADN appartiendraient à la race humaine, se font plaisir en battant chiens et chats avant de les tuer car ils
croient que cela rendrait la viande de ces animaux meilleure. Il y a même un
festival pour les psychopathes de cette sous-espèce humaine. Plus de 3 millions
d’animaux sont tués chaque jour dans les abattoirs de France. Tous les ans, près de 50 millions de poussins mâles sont traités comme des déchets, gazés, broyés vivants et étouffés dans des sacs poubelles, alors qu'ils n'ont que 1 à 2 jours. Dans la filière foie gras, autant de canetons femelles sont sacrifiés sur l'autel de la rentabilité humaine. Au totale, ce sont 143 milliards d’animaux, toutes espèces
confondues (50 milliards sans les poissons), soit 20 animaux par personne sur
Terre, avec des inégalités affligeantes, qui
sont sacrifiés chaque année dans le monde sur les barbecues, dans les
casseroles et les fours des humains, au rythme effarant de 4 400 animaux par
seconde. La FAO prévoit 50 milliards d'animaux de plus à l’horizon 2050. Mais enfin, si
en 2016, les 7 milliards d’êtres humains dont Monsieur et Madame, ne sont même pas
encore fichus d’être à la hauteur de leur rang dans l’évolution des espèces, de diminuer drastiquement cette consommation
immodérée et irréfléchie de viande et de traiter les animaux avec éthique, comment s’étonner
que le monde des humains soit aussi violent de nos jours ? Si dans les guerres et les famines, la cruauté et l'égoïsme humains sont évidents, ceux-ci le sont tout autant dans la maltraitance animalière.
Bon, revenons à nos moutons. Hasard des coïncidences,
le même jour où Jacques Hamel a été
sacrifié sur l’autel d’Allah, de l’autre côté de la planète et à quelques
heures près, un horrible crime a sidéré le Japon et le monde. Et alors que
d’un côté, rien ne semblait atténuer la colère de Monsieur et de Madame tout le
monde, choqués par l’égorgement du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray et
offusqués par l’attitude des musulmans de France et du monde, de l’autre côté,
je voyais des Français pas dérangés outre mesure par le massacre japonais. Et
pourtant, dans un coup de folie, Satoshi
Uematsu, 26 ans, qui n’a probablement jamais entendu « Allah wou akbar » de sa vie, s’est introduit dans un centre pour des handicapés
mentaux près de Tokyo, et a massacré 19 personnes au couteau aussi,
avec une barbarie inouïe, blessant au passage 25 autres, car il avait décrété que « les handicapés devraient tous disparaître », comme « les
apostats, les infidèles et les croisés » pour les jihadistes. Je me suis alors demandé qu’est-ce qui pouvait bien expliquer la
sensibilité sélective des gens, que je ne conteste pas, mais que je
voudrais comprendre. La religion du tueur et son idéologie ? La religion de la
victime et la proximité culturelle et géographique du crime ? La projection
psychologique ? L’identification ? Le risque encouru ?
Sans l’ombre d’un doute, c’est le risque encouru. Eh oui, la compassion de beaucoup de gens est finalement très hypocrite,
elle est avant tout nombriliste. C'est en pensant à eux-mêmes et à ce qui peut leur arriver, que certains compatissent avec les autres. Justement, Monsieur et Madame se sentent plus menacés par les « Adel Kermiche »
que par les « Satoshi Uematsu », surtout
que de ce côté, en France, on a un homme, âgé de 19 ans, remis en liberté
en mars, après dix mois de détention pour avoir tenté de rejoindre Daech en
Syrie, avec assignation à résidence sous surveillance électronique. Il n’a pas
fallu davantage pour faire délirer certains. Certes, l’homme avait des troubles
psychologiques. Mais, il avait aussi des regrets et des projets
professionnels, d’où la remise en liberté. Le second terroriste, identifié ce
matin, se nomme Abdel Malik Nabil
Petitjean, il est également âgé 19 ans et fiché S depuis un mois pour avoir
voulu rejoindre la Syrie via la Turquie. Mais ce que Monsieur et Madame tout le
monde ne comprennent pas c’est qu’on ne pourra ni emprisonner les gens à
perpétuité ni les surveiller 24h/24 toute
leur vie, parce qu’ils ont tenté de partir en Syrie ! En tout cas, c’est après la dénonciation par sa famille qu’Adel
Kermiche fut arrêté en Allemagne la première fois et en Turquie la deuxième
fois, alors qu'il s'apprêtait à rejoindre l'organisation terroriste Daech. Les deux terroristes ont été abattus par les forces de police. De l’autre côté, dans le caddie, je
voyais des lardons, des rillettes et des frites, mais aussi un couple en
surpoids et sédentaire, qui fume comme un pompier, qui boit comme un trou et qui conduit
comme un pied. Je sais par ailleurs que Monsieur a le QI d’une huitre et
que Madame le QE d’une moule.
Et là, en les regardant se diriger vers
leur voiture, j’étais sceptique, perplexe et dubitatif. Pourquoi ce couple a-t-il si peur de mourir entre les mains des
islamistes, alors que ce qui les tuera probablement c’est leur QI, leur
cholestérol et leur conduite, au sens propre comme au sens figuré ? Mais pourquoi diable ils en veulent à ce
point au président de la République, François Hollande, au Premier
ministre, Manuel Valls, et au ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, alors que le « risque zéro » est un
caprice des temps modernes de gens gavés, égocentristes et complètement
déconnectés de la réalité ? Qui veut le « risque zéro » n’a qu’à
s’occuper d'abord de son QI, de son cholestérol et de sa conduite, on en parlera après !
Le
terrorisme islamique doit être combattu d’une manière impitoyable. Les lois doivent
s’appliquer avec une grande vigueur. Comme
dans les crashs, il faut combler les failles de sécurité si nécessaire,
après chaque attaque terroriste. Mais ceci doit se faire non seulement dans le respect absolu des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais aussi
sans tomber pour autant dans une
hystérie collective, obsessionnelle et confuse, de l’islam et de l’islamisme. C'est valable pour la France et pour les autres pays occidentaux, il n'est nul besoin de sacrifier les valeurs de
l’Occident, pour s’accrocher aux chimères populistes des démagogues en vogue en
période préélectorale. Nous risquons sérieusement de perdre les valeurs qui
font le fondement de la culture occidentale, notamment européenne, sans jamais
atteindre le « risque zéro » en matière de sécurité. Vivre c’est
prendre constamment des risques, de la naissance jusqu’à la mort, qui peut
survenir d’une manière prématurée et non naturelle, de mille et une façons qui dépendent de nous pour une grande part.
Encore une chose à tous ceux qui n’ont rien pigé à la civilisation occidentale,
qu’ils soient en Occident comme en Orient. Si
la France est une cible de préférence pour les islamistes c’est pour trois raisons
principales. Primo, parce qu’elle était la fille ainée de l’Eglise, le fer
de lance des croisades et un pays colonisateur. Secundo, parce
qu’elle est le berceau de la Révolution française et des droits de l’homme. Tertio,
parce qu’elle restera le pays où les personnes de confession musulmane peuvent le mieux « s’épanouir »
grâce à la séparation des Eglises et de l’Etat. Son triptyque républicain résume merveilleusement bien les valeurs de
l’Occident : liberté, égalité et fraternité. La liberté de penser,
l’égalité pour les citoyens et la fraternité entre les enfants de la patrie.
Ces valeurs sont universelles et intemporelles. Ce sont elles que les islamistes visent. Ce
sont elles que les islamistes craignent. Par conséquent, elles devront primer
sur toute autre considération, notamment sécuritaire. Que ça soit claire, je
suis favorable à toute mesure politico-sécuritaire
sans exception, dans le but de diminuer le risque terroriste islamiste, à condition d’évaluer son
efficacité, son coût et ses conséquences sur ces valeurs occidentales,
au-delà des effets d’annonce, de la charge démagogique et des perspectives
politiciennes. Eh oui, pour terrifier les islamistes et terrasser les jihadistes, il faut que tous les enfants de la patrie, de toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues, se raccrochent aux valeurs occidentales et non aux
chimères sécuritaires du risque zéro.
Terminons
par des anecdotes sur la photo de
l’article. Non ce n’est pas le fronton
d’une mairie de France, mais celui de l’Église
Saint-Pancrace d'Aups dans le Var. Un édifice construit en 1489. Il est aujourd'hui inscrit aux
Monuments Historiques. Ce fronton fut réalisé après la séparation des Eglises
et de l’Etat en 1905, qui, je le rappelle, et contrairement à ce que certains
pensent, garantit la liberté de culte à tout un chacun en France, en
contrepartie de la laïcité de la République de tous. Aucune loi n’a été aussi visionnaire que celle de la séparation des
Eglises et de l’Etat de 1905, oh combien indispensable dans le monde
cosmopolite et multireligieux de nos jours. La laïcité est une valeur occidentale fondamentale qui terrifie les
islamistes. Enfin, l’Eglise catholique reconnait trois Saint-Pancrace, de
Taormine, de Rome et de Besançon, tous morts en martyrs aux premiers siècles du
christianisme. Celui de Rome est l’un des trois « saints de glace », que les agriculteurs français connaissent bien
depuis la nuit des temps. Ils sont fêtés les 11, 12 et 13 mai, et invoqués
pour protéger les cultures des gels tardifs. Cependant, courges, tomates et
consorts ne sont jamais, au grand jamais, plantées en pleine terre avant la
mi-mai. Saint-Pancrace de Rome fut
décapité en l’an de grâce 304 à l’âge de 14 ans, comme son oncle, Saint-Denis,
premier évêque de Paris, mort en martyr vers l’an 250 à Montmartre, mons Martyrum, le mont des Martyrs. Il
est de ce fait le saint patron des enfants et des adolescents, mais aussi des
gens de bonne foi. Il est également le protecteur des animaux domestiques. Mais
allez comprendre pourquoi, il est par ailleurs, le saint patron des bandits
corses !