dimanche 29 janvier 2017

Benoit Hamon et Manuel Valls visent plutôt le contrôle du Parti socialiste, les élections législatives de 2017 et les présidentielles de 2022 (Art.411)


1. Encore une fois, nous sommes nombreux à assister abasourdis à la nouvelle lubie française qu'on appelle Primaire. Celle de la gauche n'a rien à envier à celle de la droite. Vu le taux de participation, elle est même pire. 1,66 million de votants en janvier contre 4,3 millions en novembre, pour le 1er tour, sur plus de 44,8 millions d'électeurs inscrits. On n'a même pas pu franchir la barre symbolique des 5%. En tout et pour tout 3,7% ! Quel intérêt peut-on porter à une présélection à laquelle 96,3% des Français (électeurs) n'ont pas jugé utile de participer? Bienvenue dans le monde surréaliste des primaires.

2. Le grand vainqueur du 1er tour de la primaire de la gauche est Benoit Hamon, qui a réussi à convaincre 36% des votants, au 1er tour, soit près de 597 000 voix, et 58,7% des votants au 2e tour, soit près de 1,2 million de voix. Certes, cela fait beaucoup de monde, sauf que ces jolis scores ne représentent que 1,3% et 2,7% des électeurs inscrits. Quelle légitimité peut-on accorder à ce candidat pour se présenter devant les Français au mois d'avril avec un programme très à gauche alors que plus de 97,3% des Français (électeurs) ne l'ont pas mandaté pour cela? On se demande.

3. Le chapitre des primaires pour le millésime 2017 est clos. Prochain rendez-vous en 2022. D'ores et déjà il faut admettre que les primaires se sont succédés et se sont ressemblés : une toute petite minorité d'électeurs Français (3,7 à 10%), a décidé qui aura le droit de se présenter à l'élection présidentielle, un rendez-vous électoral qui intéresse pourtant l'écrasante majorité des électeurs français (jusqu'à 87% de participation). Ainsi, qu'elles soient de droite ou de gauche, en France ou aux Etats-Unis, les primaires sont une mascarade électorale, inventée par les appareils des partis politiques pour biaiser l'expression démocratique des peuples par une minorité de militants. Certes, on peut arguer qu'il vaut mieux sélectionner les candidats par les bases militantes que par les bureaux politiques, sauf que ce n'est pas forcément à l'avantage des électeurs, qui boudent massivement ces shows privés. Il est évident que les primaires n'ont pas de réelles justifications démocratiques dans un processus électoral qui prévoit deux tours comme en France. Qui veut se présenter devant le suffrage universel a le droit absolu de le faire, sous conditions bien entendu. De la sorte, les électeurs qui se mobiliseront en masse le jour de l'élection présidentielle, une fois pour toutes, pourront départager les candidats en deux temps.

4. A part leur légitimité contestée, les primaires représentent un risque pour la qualification des candidats. Si on regarde les primaires des Etats-Unis, on s'aperçoit que celle du camp des Républicains a conduit à la sélection d'un candidat-type de la droite extrême, Donald Trump, tandis que celle du camp des Démocrates, a permis la sélection de la candidate de l'establishment, Hillary Clinton, au détriment du candidat populaire, Bernie Sanders. De ce côté de l'Atlantique, la primaire de la droite a vu s'imposer le candidat austère et ultra-libéral, François Fillon, au détriment du candidat de « l'identité heureuse », Alain Juppé, alors que celle de la gauche a laissé émergé un candidat-type de la gauche extrême, Benoit Hamon, au détriment d'un candidat de gouvernement, Manuel Valls. Ce survol permet de mettre le doigts sur une des tares des primaires : à l'ère des réseaux sociaux, ce type de présélections politiques semble favoriser les extrêmes et l'establishment. Tout candidat non conventionnel, qui ne fait pas partie de l'une ou de l'autre catégorie, aura sans doute du mal à percer avec ce système. C'est le cas de Bernie Sanders aux Etats-Unis et d'Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon en France. Ceci vient du fait que les primaires ne motivent qu'une minorité d'électeurs, les militants des partis et les sympathisants motivés, alors que les élections mobilisent les électeurs en masse et ratissent au-delà de ces deux catégories. Dans un système de primaires, Sanders et Macron, auraient beaucoup de mal à s'imposer.

5. L'autre problème majeur des primaires réside dans le danger politique qui consiste à mettre ses œufs dans un seul panier et tout misé sur un seul candidat. Flashback, le 14 mai 2011, le monde politique est secoué par l'affaire Dominique Strauss-Kahn. Le directeur du FMI et favori de la gauche pour l'élection présidentielle de 2012 est accusé d'agression sexuelle sur une femme de chambre travaillant à l'hôtel Sofitel de New York. Le scandale l'écarte définitivement de la course à l'Elysée. Dans leur malheur, les socialistes avaient un bol de pendu, l'affaire a éclaté avant la Primaire qui a eu lieu cinq mois plus tard, le 9 octobre. Imaginez maintenant que c'était après. Ça aurait été la catastrophe pour la gauche ! Revenons en 2017, nul ne peut prédire la tournure que prendra l'affaire PenelopeGate et ses conséquences sur la candidature de François Fillon. 61% des Français ont aujourd'hui une mauvaise opinion de « monsieur probe » qui est censé défendre un programme d'austérité inouïe. L'aventure du vainqueur de la primaire de la droite risque d'être très courte et malheureuse. On pense déjà à un plan B. Alain Juppé, humilié justement par la primaire, a fait savoir qu'il n'était pas question de servir de roue de secours pour la droite. Le problème ne se poserait pas en cas de présentation directe de tous les candidats devant tous les électeurs le jour de l'élection présidentielle. Le tocard se retire sans faire beaucoup de dégâts. Certes, on dira qu'un parti politique comme Les Républicains ou le Parti socialiste, ne peut pas se permettre de présenter plusieurs candidats à une élection présidentielle car il existe un risque réel de dispersion des voix. Il n'empêche que les affaires DSK et Fillon, doivent pousser les uns et les autres à réfléchir à remettre en question le dogme du candidat unique à l'élection présidentielle surtout dans un processus électoral à deux tours auquel participe jusqu'à 87% des 44,8 millions d'électeurs, contre un processus de primaire boudé par 90 à 96% des Français concernés.

6. Revenons à la primaire de la gauche. Question candidats on a eu d'une part, Benoit Hamon, le favori, surtout après le ralliement d'Arnaud Montebourg, l'idéaliste, avec son slogan de campagne, « Faire battre le cœur de la France », et le père Noël, qui avancent des idées séduisantes mais irréalistes, au financement occulte, comme le revenu universel et les 32 heures. Il propose aussi l'embauche de 40 000 enseignants ; la fin des avantages accordés au diesel ; la légalisation de l'euthanasie, du cannabis et la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et les homosexuels ; l'introduction d'une dose de proportionnelle aux élections, le retour au septennat non renouvelable ; la suspension des règles budgétaires européennes ; une alliance des gauches européennes et des accommodements raisonnables avec la laïcité !

De l'autre côté, on avait Manuel Valls, l'outsider, contraint d'endosser son bilan politique de père Fouettard, comme lors de l'élaboration de la loi Travail, et le réaliste, comme le suggère son slogan de campagne, « Une République forte, une France juste ». Il propose aussi la défiscalisation des heures supplémentaires, la revalorisation du statut et des salaires dans l'Education nationale, plutôt que l'embauche de nouveaux enseignants ; la rénovation thermique d'un million de logements ; des débats sur les questions de société (euthanasie, PMA) ; le maintien de l'interdiction du cannabis ; le maintien des scrutins sans dose de proportionnelle, la réduction du nombre de députés, la limitation du recours au 49.3 ; le respect des règles budgétaires européennes ; le renforcement du partenariat franco-allemand et une application stricte de la laïcité.

7. Benoit Hamon et Manuel Valls représentent deux gauches bel et bien immiscibles sur beaucoup de points, la gauche réaliste de gouvernement et la gauche protestataire de proposition. La première est celle des Mitterrand, Rocard, Jospin, Valls et Hollande, la seconde est celle des Marchais, Laguiller, Besancenot, Hamon et Mélenchon. Tout est dans ce dualisme. La gauche de gouvernement doit tenir compte de la réalité du monde, la gauche de proposition s'en affranchit. Les partisans de Benoit Hamon auront donc du mal à rassembler leur camp, à moins de mettre de l'eau dans leur vin, en revenant sur les mesures populistes qui leur ont permis de gagner, au risque de décevoir leur base. De l'autre côté, on voit mal les partisans de Manuel Valls faire campagne pour des mesures controversées et dangereuses de leur adversaire : le revenu universel et les 32 heures (alors que la dette publique de la France équivaut son PIB), les "accommodements raisonnables" avec la laïcité (au risque de "libaniser" et de "communautariser" la France toujours un peu plus), l'introduction d'une dose de proportionnelle (qui ouvrirait grand les portes de l'Assemblée aux partis extrêmes, droite et gauche) et la dispense du respect des règles budgétaires européennes (qui affaiblirait un peu plus l'Union européenne, au moment où l'Europe est confrontée à la trumpisation des Etats-Unis et la poutinisation de la Russie). Ainsi, les idéologies et les affinités étant ce qu'elles sont, pour aller plus loin, les vainqueurs pourront être tentés par Jean-Luc Mélenchon et les vaincus par Emmanuel Macron.

L'enjeu de ce dimanche n'était évidemment pas l'élection présidentielle de 2017. Hamon comme Valls y a pensé sans vraiment y croire. Ce qui s'est joué hier c'était l'avenir du Parti socialiste. Les deux finalistes de la primaire de la gauche tenteront de prendre le contrôle du PS et de s'en servir afin de se préparer pour les prochaines élections en France : notamment les législatives de juin 2017, mais aussi les européennes de 2019 et les municipales de 2020, et surtout, les présidentielles de 2022, qui viendraient après cinq ans d'alternance, de déception, de maturité et de toutes les chances. La marge est très étroite. Il existe un risque réel d'éclatement du Parti socialiste.