Chose
promise, chose due. C'est sans doute la principale leçon de ce
nouvel acte qui fait voler en éclat une veille croyance naïve selon
laquelle, une fois au pouvoir, les extrémistes de droite, de gauche et de tout poil, mettent de l'eau dans
leur vin. Jamais.
1.
Avant de continuer la réflexion sur le sujet, il convient de
préciser d'abord de quoi il s'agit. En suivant l'actualité, via mon
entourage, les réseaux sociaux et la presse, j'étais frappé par le
fait que malgré ce tollé médiatique déclenché par la décision de
Donald Trump, peu de gens semblaient être en mesure de dire
exactement qui sont les personnes concernées par le décret du
nouveau président américain. « Musulim Ban »
était sur toutes les lèvres et tous les murs. Et pourtant, cet
étendard levé par les anti-trumpistes ne convient pas vraiment.
Certes, Trump himself en a parlé à plusieurs reprises lorsqu'il était candidat. Mais dans les faits, le décret
présidentiel du 27 janvier 2017, qui se base sur une loi
américaine datant de 1952, interdit pendant 90 jours à des
ressortissants de sept pays du Moyen-Orient et d'Afrique d'entrer aux
Etats-Unis. Nulle part il n'est question de noms de pays ou de
musulmans. Les pays concernés figurent déjà sur une liste
américaine de « pays à risque ».
L'interdiction est portée à 120 jours pour les réfugiés en général et d'une durée illimitée pour ceux de Syrie. Autre chose, le décret prévoit la
suspension des exemptions de visa de l'IWP (Interview Waiver
Program), qui contraint les ressortissants des 38 pays qui en
bénéficient (dont la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne...),
d'avoir un entretien personnalisé pour renouveler leur visa. Cette interdiction ne
s'applique pas, entre autres, aux Américains, Français, Britanniques, Suisses, Canadiens et Australiens qui
détiennent aussi une des sept nationalités concernées, à condition qu'ils aient un visa valide, sauf s'ils
viennent des pays bannis. Ainsi, comme on le voit, il s'agit
nullement du « bannissement des musulmans »
au sens strict du terme. Nous avons affaire à une discrimination
odieuse. Mais, l'honnête intellectuelle exige un respect scrupuleux
des faits. Ce n'est pas seulement une question morale, c'est aussi
une question d'efficacité. Attaquer un adversaire, démagogique de surcroit, sur des
éléments faux, ne fait que le renforcer. Avis aux amateurs.
2.
Les sept pays concernés sont : la Syrie, l'Irak, l'Iran, le
Yémen, la Somalie, le Soudan et la Libye. Certes, les
populations de tous ces pays sont dans leur écrasante majorité des
musulmans. Mais, là aussi, il y a une approche du problème qui ne sert pas
vraiment le combat contre les dérives de Donald Trump. Primo, on ne
peut certainement pas parler de « Muslim Ban » quand 87%
des Musulmans du monde ne sont pas concernés par le décret. Les
populations des pays concernés ne représentent que 13% des
populations musulmanes du monde et ils ne seront concernés que pendant 90 jours si l'on croit les autorités américaines. Secundo, comment parler de « Muslim
Ban » alors que les 3,3 millions de musulmans qui vivent aux
Etats-Unis et qui disposent de 1 200 mosquées, ne sont pas
concernés non plus ? Tertio, parler de « bannissement de
musulmans » se révèle simpliste sachant que contrairement à
ce qu'on pourrait croire, un peu plus de la moitié des personnes
bannies sont des musulmans chiites (Iran, Irak Yémen), qui
combattent Daech en Syrie et en Irak, un peu moins sont des
musulmans sunnites (Syrie, Irak, Yémen, Somalie, Soudan, Libye),
qui sont victimes de l'organisation Etat islamique, et une frange
d'entre eux sont des chrétiens (Syrie, Irak). Ainsi, le
bannissement est plutôt basé sur la nationalité que sur la
religion comme le laisse supposer la campagne internationale
actuelle contre le décret Trump.
3.
Il faut aussi reconnaître que les pays bannis ne sont pas reconnus pour être des
havres de paix pour les babacools en herbe et les retraités de
Woodstock. Bien au contraire, ces pays sont plongés dans le
chaos depuis longtemps et sont secoués par la guerre, le terrorisme,
le jihadisme, l'islamisme, le fascisme et surtout,
l'anti-américanisme. Une raison de plus qui montre pourquoi
il est abusif de parler de « Muslim Ban ». En tout cas,
placer l'islam au cœur de ce décret, rend un énorme service aux
organisations terroristes islamistes, Daech et al-Qaeda. C'est précisément le but de
Trump et les anti-Trump sont tombés dans son piège.
4.
Cela étant dit, les motivations islamophobes de Donald Trump sont
réelles. On connait le personnage ! Primo, parce qu'il généralise la défiance à
l'égard des ressortissants des pays concernés (« ce sont des
musulmans »), et instaure le soupçon permanent dans les
esprits (« il faut s'en méfier »). Secundo, parce qu'il
banni tout le monde, sans exception, même ceux qui ont rendu
service à l'armée américaine en Irak. Tertio, parce que sa
décision est rétroactive et touche même ceux qui ont déjà
reçu un visa d'entrée aux Etats-Unis, ou pire encore, ceux qui
possèdent une Green Card, une carte de résident permanent aux
Etats-Unis. Ses partisans oublient que toute généralisation est par
essence stupide. C'est comme si aujourd'hui on interdisait à tous
les Américains de voyager au Moyen-Orient à cause du désastre que certains de
leurs compatriotes ont provoqué par l'invasion irréfléchie de
l'Irak ou qu'on bannissait les Libanais chrétiens en Europe à cause du massacre des Palestiniens de Sabra et Chatila. Absurde, n'est-ce pas ?
5.
Il est curieux de constater que ce décret qui est soi-disant pris
dans le but de renforcer la sécurité des Américains, comme en
témoigne son titre « Protéger la nation contre l’entrée
de terroristes étrangers aux Etats-Unis »,
concerne des ressortissants de la liste des « pays
à risque », qui ne sont pourtant pas impliqués
dans les attaques terroristes menées aux Etats-Unis depuis le
11-Septembre, comme la Syrie, et épargne ceux qui le sont, comme
l'Arabie saoudite justement, d'où sont originaires 15 des 19
terroristes qui ont commis le massacre de masse le plus meurtrier de toute
l'histoire des Etats-Unis ! Pourquoi l'avoir exclu ? Le président
américain aurait pu inclure la Turquie et l'Egypte par exemple. Mais
ce n'est pas le cas. La raison est simple. Si Donald
Trump est islamophobe, il n'est pas fou pour autant. Il a exclu tous les pays
musulmans où ses sociétés sont implantées. Business is
business, ce n'est pas un « bouffon » inconsistant
comme lui qui dira le contraire.
6.
Ce décret est odieux sans l'ombre d'un doute, mais l'hypocrisie de
ceux qui le dénoncent relève parfois de la tragicomédie. Alors
voyons un peu, on veut faire croire au monde aujourd'hui, que les
Syriens et les Libyens étaient accueillis à bras ouverts aux
Etats-Unis et dans le reste du monde auparavant, qu'il n'y avait
pas un filtrage sévère des Soudanais et des Somaliens qui
souhaitaient se rendre aux Etats-Unis ou en Europe et que les
Irakiens et les Iraniens n'étaient pas rejetés en masse dans les
ambassades américaines et européennes ? Allons bon, les Etats-Unis ont à peine
accepter quelques milliers de réfugiés syriens depuis le
déclenchement de la guerre en Syrie, nous sommes à près de deux millions au Liban. Après la découverte en 2011
qu'un réfugié irakien avait déjà fabriqué des bombes dans le
passé, l'administration Obama avait demandé le réexamen de tous les
dossiers des réfugiés irakiens installés aux Etats-Unis et
renforcé les conditions d'entrée sur le territoire américain,
divisant par trois le nombre de dossiers admis. En tout cas, Donald
Trump aurait pu poursuivre en silence la politique américaine en
matière d'immigration, qui est très sévère à l'égard de ces
ressortissants et de bien d'autres depuis des lustres. Mais non, il a préféré se donner en spectacle et faire oublier
à ses électeurs, qu'ils sont les dindons d'une farce qui ne fait que commencer.
7.
Les partisans de ce décret arguent, à juste titre, qu'un pays souverain a le droit
de bannir les ressortissants des pays avec lesquels il se trouve en
guerre ou qui le menacent. Cela a souvent été le cas dans le passé
et dans le monde. Pendant longtemps Chinois et Japonais étaient
interdits de séjour aux Etats-Unis. N'allons pas loin, tout
ressortissant israélien aussi pacifiste soit-il, est interdit de
séjour au Liban et dans la plus part des pays arabo-musulmans. Et
même tout détenteur d'un passeport sur lequel figure un tampon de
l'Etat hébreux, n'a pas droit de cité au pays du Cèdre et
ailleurs. Seulement voilà, le problème du décret Trump n'est pas
seulement d'ordre morale, il est aussi d'ordre juridique. Le chaos
qui règne actuellement au Moyen-Orient, et qui jette les
populations de la région sur les routes de l'exode et de l'humiliation, a quand même
une origine : l'invasion américaine stupide de l'Irak en 2003,
qui a conduit à la naissance de l'Etat islamique/Daech et son
installation en Irak puis en Syrie. Moralement et juridiquement, les
Américains sont directement responsables de la situation. Ils ne
peuvent donc pas se dédouaner et agir comme si de rien n'était et comme s'ils n'étaient que des
victimes. Ils doivent assumer les conséquences.
8.
Ce décret présidentiel américain odieux n'est pas sans me
rappeler les nombreux décrets municipaux libanais qui interdisent
aux ressortissants syriens réfugiés au Liban, de circuler la nuit
librement.
Là aussi, on avance des arguments de sécurité, tirés de cas particuliers ou de l'imagination raciste
débordante de certains, pour justifier la généralisation d'une mesure odieuse, qui n'empêche pas la majorité des Libanais de dormir sur leurs deux oreilles, alors que celle-ci ne fera que renforcer la rancune des Syriens à leur égard. Qui enfreint les lois libanaises en vigueur doit être poursuivi et jugé. Et tout ce qui est en dehors de ça, relève de la trumpisation des esprits.
Là aussi, on avance des arguments de sécurité, tirés de cas particuliers ou de l'imagination raciste
débordante de certains, pour justifier la généralisation d'une mesure odieuse, qui n'empêche pas la majorité des Libanais de dormir sur leurs deux oreilles, alors que celle-ci ne fera que renforcer la rancune des Syriens à leur égard. Qui enfreint les lois libanaises en vigueur doit être poursuivi et jugé. Et tout ce qui est en dehors de ça, relève de la trumpisation des esprits.
9.
Au lendemain de cette décision populiste abjecte, afin d'enrober son
décret discriminatoire odieux d'une couche d'humanisme douteux et
détourner les critiques acerbes qui pleuvaient sur lui, Donald Trump a
sorti le joker des Chrétiens d'Orient. « Des chrétiens
du Moyen-Orient ont été exécutés en grand nombre. Nous ne pouvons
pas permettre à cette horreur de continuer ». Ô Chrétiens
d'Orient, que de crimes on commet en votre nom en Occident pour des raisons
idéologiques et politiciennes. Hier c'était François Fillon, aujourd'hui c'est Donald Trump. De quel christianisme de pacotille
peuvent-ils bien se réclamer ceux qui trient les victimes selon leur
religion et les réfugiés selon leur nationalité ? A moins de descendre des autruches et d'être
islamophobes de surcroit, il est difficile de ne pas admette que des
musulmans aussi ont été exécutés en grand nombre et que nous ne
pouvons pas permettre à cette horreur de continuer. Comme l'a
affirmé le pape François, le chef de l'Eglise catholique, « celui qui veut
construire des murs et non des ponts, n’est pas chrétien, ce n’est
pas l’Évangile (...) le chrétien n’exclut personne ».
Alors, la ferme Trump ou tente ta chance un peu plus loin, avec les Bouddhistes d'Extrême-Orient.
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