vendredi 20 janvier 2017

Non, je n'assisterai pas à la cérémonie d'investiture de Donald Trump, mais j'enverrai la carte postale du Manneken-Pis de Bruxelles (Art.409)


L'impensable est dans tous les esprits et l'inavouable est sur toutes les lèvres. Eh oui, l'inévitable est bel et bien arrivé, Donald Trump entre en fonction ce vendredi 20 janvier 2017, comme le 45e président des Etats-Unis.

La grandeur et la décadence de cette nation, qui ne cesse de fasciner et façonner le monde, peuvent être résumées dans cette alternance et son contraste, Barack Obama vs. Donald Trump. Le premier était un président élégant, raffiné, décontracté, réfléchi, raisonnable, responsable, et j'en passe et des meilleures. Le second sera tout le contraire, rustre, fruste, grossier, impulsif, populiste, irresponsable, et j'en passe et des meilleures. D'après une étude universitaire, le nouveau président a un niveau de grammaire en dessous de celui d'un élève de 6e. En tout cas, l'ex-président a su, ou au moins tenter, pacifier son pays et le monde, le nouveau président saura, consciemment ou pas, attiser le mépris des Etats-Unis dans le monde et le clivage entre les Américains.

Il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails de la politique intérieure américaine. Vu d'Europe et du Moyen-Orient, ça n'a pas beaucoup d'intérêt. D'autant plus que de par la Constitution américaine, le président des Etats-Unis est obligé de composer avec le Congrès en matière de politique intérieure, alors qu'il a beaucoup de marges de manoeuvre sur le plan international. Limitons-nous donc à ces deux régions spécifiques et au sujet qui n'a aucune limite temporo-spatiale, l'environnement, et voyons ce que le nouveau locataire de la Maison Blanche pourrait faire. Hélas, sur ces trois dossiers, Donald Trump sera un désastre.

Dans un entretien accordé à deux journaux conservateurs allemand et anglais il y a quelques jours, le président américain s'est félicité du Brexit. « Le Brexit va s’avérer être une chose géniale ». Et dire que la majorité des experts en doutent. Il a même assuré qu'il y aura d'autres sorties de l'Union européenne. Et pourquoi donc ? « Les gens ne veulent pas que d’autres gens viennent dans leur pays et les dérangent. » Ah bon, et Trump ça ne sonne pas très américain on dirait. Il va peut-être falloir retourner en Allemagne ou en Ecosse ! Le populiste s'insurge et se demande : « Quand on va sur la 5e Avenue (New York), on voit que tout le monde a une Mercedes garée devant chez lui, pas vrai? (…) Combien de Chevrolet avez-vous en Allemagne ? (…) Dehors on n’en voit pas une seule. » La réponse la plus humiliante est venue du vice-chancelier allemand et ministre de l'Économie, Sigmar Gabriel : « Les États-Unis doivent construire de meilleures voitures ». Trump a fait savoir par ailleurs, que l'OTAN est « obsolète ». Dans la foulée, cet admirateur de Poutine a évidemment dénoncé ces sanctions « qui font très mal à la Russie ». Ah bon ! Et quid de l'annexion de la Crimée au grand mépris du droit international ? Enfin bref, si tout cela relève du wishful thinking, il faut bien comprendre que Donald Trump mettra tout en œuvre pour affaiblir l'Union européenne, la contrée où il fait bon d'y vivre, le seul et unique pays concurrent sérieux des Etats-Unis, sur tous les plans et dans tous les domaines.

Au Moyen-Orient, certains ressortissants arabes, libanais compris, considèrent qu'il sera difficile d'être pire que Barack Obama. Au cœur de leur constat, la politique américaine depuis 2011, après le soulèvement populaire contre la tyrannie des Assad. En réalité, ces personnes commettent trois erreurs d'appréciation.

. Primo, il faut bien comprendre qu'aucun président américain, qu'il se nomme Trump, Obama ou Bush, n'engagera les forces armées américaines dans le monde, si les intérêts des Etats-Unis ne sont pas en jeu ou sans en tirer des bénéfices compensatoires. Ce n'était pas le cas en Syrie. Le maintien d'Assad au pouvoir est principalement dû à la terreur imposée par le régime (comme en témoigne les milliers de photos prises par le dénommé César qui prouve la barbarie du régime de Bachar el-Assad), au soutien indéfectible de la Russie et de l'Iran (qui jouaient gros) et aux erreurs fatales des opposants au régime (division, militarisation, généralisation du conflit et radicalisation).

. Secundo, l'histoire retiendra que Barack Obama a réussi à débarrasser le Moyen-Orient de deux menaces apocalyptiques à court et à moyen termes, constituées par les armes de destruction massive : l'arsenal chimique du régime syrien de Bachar el-Assad et le programme nucléaire du régime iranien des mollahs. On peut railler ces menaces hypothétiques, il n'empêche que sans la stratégie intelligente de la part de l'administration Obama, on aurait assisté à une dissémination certaine des armes de destruction massive, chimique et nucléaire, vers les groupes armés en conflit dans la région, sunnites (Kurdes, Nosra, Daech, al-Qaeda, etc.) et chiites (milices irakiennes, Hezbollah, etc.).

. Tertio, il faut sans doute le rappeler, sans la coalition internationale formée autour des Etats-Unis il y a deux ans et demi, sous l'égide de Barack Obama, l'Etat islamique serait mieux implanté en Syrie et en Irak, Bagdad serait tombée entre les mains de Daech. L'intervention irano-russe n'a pas affaibli l'organisation terroriste autant qu'elle a renforcé le régime fasciste de Bachar el-Assad, comme en témoigne la prise d'Alep récemment.

Manneken Pis, Bruxelles
Eh oui, l'humour belge ne date pas d'hier!
« La statuette en bronze a été créée par
Jérôme Duquesnoy l'Ancien, en 1619.
Celle exposée de nos jours à l'angle
des rues de l'Étuve et du Chêne
est une réplique datant de 1965,
l'original étant conservé à la Maison du Roi,
musée de la ville de Bruxelles. » Wikipédia.
Photo de Jean-Pol Grandmont,
WikiCommons. 
Cela étant dit, à quoi doit-on s'attendre avec Trump? Au Liban, à pas grand chose. C'est à se demander si le nouveau président sait vraiment où se trouve notre pays et quel est le goût de notre tabboulé. Certains compatriotes croient que la présence d'un conseiller libanais à ses côtés, Walid Fares (ex-milicien des Forces libanaises, ex-14Mars), changera la donne, notamment en ce qui concerne le Hezbollah. Un vœu pieux là aussi. D'une part, parce que les actions politico-militaires ont un pouvoir limité sur le Hezbollah comme l'ont démontré la guerre de Juillet (2006) et la guerre en Syrie (depuis 2011). Bien au contraire, la menace externe renforce la cohésion interne, sauf si elle en mesure de l'écraser, ce qui ne sera jamais le cas au Liban. D'autre part, parce qu'on oublie qu'on pourrait éventuellement affaiblir la branche armée, la milice, mais pas le parti, la force principale du Hezbollah découlant essentiellement du soutien massif de la communauté chiite libanaise et pas seulement de ses armes. La preuve, les mesures financières prises par les Etats-Unis à l'encontre du Hezbollah ont eu un impact limité non seulement parce que le fonctionnement du Hezb n'est pas conventionnel, mais surtout parce que le Hezb sait mobiliser ses partisans au sein de l'Etat libanais.

En Syrie et en Irak, partant de la tactique en trompe-l'oeil qu'il faut changer une stratégie qui ne marche pas, ça sera le statu quo dans le meilleur des cas. Roue libre pour la Russie, jusqu'à la victoire de Bachar el-Assad, et frappes aériennes contre Daech, jusqu'à ce que mort s'en suive. Le problème c'est que cette double stratégie va droit dans le mur car elle est aveugle comme l'a été celle de son prédécesseur, George W. Bush, en Irak. Elle ignore le problème fondamental en Syrie : un tyran sanguinaire comme Bachar el-Assad, issu d'une communauté alaouite représentant 10% de la population, responsable d'une guerre ayant fait 300 000 morts et qui a jeté la moitié de la population syrienne sur les routes, ne peut pas continuer à réprimer en toute passivité et à massacrer en toute impunité, 75% de la population sunnite de Syrie. Daech va de pair avec Assad : soit on se débarrasse des deux, soit on aura les deux, au monde de choisir. En tout cas, la nomination de T. Rex, Rex Tillerson, comme Secrétaire d'Etat, un néophyte en politique, PDG du géant pétrolier ExxonMobil, décoré de l'Ordre de l'Amitié par Vladimir Poutine lui-même, est de bien mauvais augure.

Concernant l'Iran, vouloir n'est pas pouvoir. Le nouveau président a beau prétendre vouloir renégocier l'accord nucléaire, il ne pourra pas imposer sa vision des choses aux autres signataires, notamment à la Russie, la France et l'Allemagne. Dans tous les cas de figure, toute nouvelle pression sur l'Iran, s'effectuera au bénéfice d'Israël et au détriment du Liban.

A propos du dossier israélo-palestinien, il faut s'attendre au pire, comme en témoignent les trois premières décisions de Trump. Primo, de nommer David Friedman, comme ambassadeur des Etats-Unis en Israël, un homme connu pour être un partisan de la colonisation israélienne des Territoires palestiniens occupés. Secundo, de reconnaître Jérusalem comme « la capitale éternelle d'Israël ». Tertio, de transférer l'ambassade américaine en Israël, de Tel-Aviv à Jérusalem.

Sur le plan de l'environnement, ça sera également un désastre. La nomination de Scott Pruitt, un climatosceptique, une espèce qu'on croyait en voie d'extinction, à la tête de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), annonce déjà la couleur. Que dire encore, de cet ami du secteur pétrolier, qui a passé une partie de sa vie contemporaine à se battre contre les mesures imposées par l'agence qu'il préside aujourd'hui. C'est du Trump tout craché. Aussitôt après avoir prêté serment, il y a quelques heures seulement, il a décidé d'abandonner le plan de réduction des énergies polluantes au profit des énergies renouvelables et de relancer les forages de pétrole et de gaz de schiste « pour créer des emplois et apporter de la prospérité à des millions d’Américains », dans un total mépris des risques encourus. 


A ce stade et connaissant le personnage, nul ne peut affirmer avec certitude que l'heureux élu terminera son mandat. La destitution planera au-dessus de sa tête, comme une épée de Damoclès. Pas à cause de ses détracteurs, mais à cause de ses erreurs. Trump entre en fonction avec seulement 40% d'opinions favorables. Par comparaison, Obama avait le double à l'époque. Reagan, Clinton, Carter et même W. étaient plus populaires. Autre fait révélateur, son équipe a un mal de chien à embaucher des célébrités pour la cérémonie d'investiture. Le milliardaire découvre sans doute, qu'il y a encore des choses dans ce monde que son argent ne peut pas acheter. Le maître de cérémonie, Tom Barrack, un homme d'affaires d'origine libanaise, a fait savoir qu'il se passerait bien des vedettes puisque le président était lui-même « la plus grande célébrité du monde ». C'est c'là oui, Tom est un peu comme le renard gascon de La Fontaine qui prétendait que les raisins au haut d'une treille n'étaient pas mûrs, parce qu'en réalité, il ne pouvait pas les atteindre.

Donald Trump peut être considéré comme une célébrité du monde, mais il est aussi un « bouffon ». Pour éviter toute confusion qui pourrait être à son avantage, sachez que dans ce texte et le contexte, dès aujourd'hui et pour les quatre prochaines années, ce terme dans mes articles ne désignera pas un personnage dont les plaisanteries font rire, mais celui dont la conduite fait perdre toute considération.

En songeant à l'investiture de Donald Trump, qui a l'indécence de jeter par la fenêtre près de 200 millions de dollars pour mettre son nombril en scène pendant plusieurs jours (couverte par des donations privées et de l'argent public !), je me suis demandé, comme Michael Moore, Meryl Streep, Alec Baldwin, Cher, Robert de Niro, Madonna, Moby, Scarlett Johansson et d'autres célébrités, si je devais me rendre à la cérémonie. Finalement, j'ai décidé de l'ignorer. Je me suis contenté de lui envoyer une carte postale du Manneken-Pis, en griffonnant ces mots : « Bonne chance Mr. President. Et bons baisers de Bruxelles. BB ». Veuillez noter que tout lien et toute ressemblance avec des personnes, des figures et des événements existants ou ayant existé, particulièrement entre « le gamin qui pisse » de Bruxelles et les « golden showers » de Moscou, n'est que sarcasmes et pas fortuits. 

Je préfère me joindre à la Marche des femmes, ces manifestations organisées ce samedi dans les principales villes américaines et beaucoup de villes dans le monde, pour défendre les droits civiques des femmes et protester contre l'arrivée au pouvoir d'un homme profondément machiste et misogyne.